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DE LA SOCIÉTÉ À L'INDIVIDU : L'HOMME SOCIAL

A) Trois et plus

III. UN INDIVIDU EN ÉVOLUTION

L'individu constituant la base de la société, c'est à l'évolution des hommes comme représentants de cette instance que va s'intéresser cette nouvelle étude. Une démarche qui oblige l'analyse séparée des corpus dans la mesure où, la différence d'écriture qui existe entre Rachilde et Colette, laisse supposer certaines dissimilitudes dans l'évocation des différents stades de l'existence. Ces galeries de portraits sont faites à partir des éléments fournis par le traitement narratologique et par l'importance accordée aux personnages, aussi ne faut-il pas s'étonner si certains âges sont plus longuement décrits que d'autres. Mais ces disparités de représentation sont aussi le résultat d'un choix d'écriture, c'est ce que nous essaierons de montrer en comparant la conception de ces romancières avec celle de la littérature du moment.

1) Rachilde : les différents stades de l'homme

1) Le nouveau-né

Une première constatation s'impose, en dépit du large éventail des romans sélectionnés : rares sont ceux où il est question de la venue au monde des protagonistes. Rachilde passe, en effet, quasi systématiquement sous silence les premières années de personnages principaux comme Jacques Silvert, Sylvain d'Hauterac ou encore Henri Dormoy pour ne citer que ces noms1106. Elle y fait cependant allusion en évoquant l'accouchement maternel : Bouchette « est morte [...] à la Maternité en accouchant d'un garçon1107 », la mère de Paul-Éric de Fertzen, abandonnée par la domesticité, « se tordait, s'entrait les ongles dans les flancs et semblait vouloir en extirper son fardeau de chair1108 ». La naissance de certains protagonistes est parfois suggérée par l'acte de procréation, comme celle de Siroco, « né de cet amour dont il parlait si librement1109 » ; concernant Maurice de Saulérian, il est question du "vieil accoucheur l'ayant

1106 Ces noms sont respectivement ceux des protagonistes de Monsieur Vénus, La Sanglante ironie, La Souris

japonaise. À cette liste non exhaustive, on peut également ajouter les personnages de La Tour d'amour, de La Jongleuse, de Refaire l'amour, de même que ceux de La Femme Dieu et de Duvet d'Ange.

1107 Rachilde, Refaire l'amour, p. 250.

1108 Rachilde, Les Hors Nature, p. 116.

mis au monde", et, au sujet de Jean Lucain, est évoqué son père agriculteur qui, « ayant épousé une belle servante de ferme avait procréé ce garçon1110 ». Et si Rachilde ne fait que de brèves allusions aux premières années de l'existence de ses personnages, c'est que les nouveau-nés en tant que personnages sont fort rares, ceux mis en scène n'ont qu'un rôle épisodique. On peut, sans crainte de sombrer dans la longueur d'un recensement, dresser la liste de tous les nouveau-nés : Célestin, le petit frère de Mary Barbe qui meurt étouffé par sa nourrice, Paul, le fils de la comtesse Louise de Bérol, Paul-Éric de Fertzen, le cadet des Hors Nature. Il convient d'ajouter ceux qui n'apparaissent qu'une fois comme ce nourrisson qu'embrasse Bouchette dans le parc1111 ou même le propre fils de celle-ci. À noter également que c'est dans La Marquise de

Sade que la petite enfance est la plus présente, car Rachilde décrivant la ville de Haguenau, ne

manque pas de souligner cet « amour de son intérieur et de son berceau1112 » qui fait, selon elle, l'originalité de cette ville alsacienne.

À l'aide des rares descriptions qui sont données, on peut tenter de faire une description de ce nouveau-né. Rares sont, en effet, les portraits de cet âge, on peut mentionner celui de Célestin, le petit frère de Mary Barbe, âgé de quelques heures. Il est décrit comme « un être au visage rougeaud, encore informe, tout plissé, microscopique, (qui) vagissait dans ses langes1113 ». Une description qui rappelle celle de Paul-Éric, le cadet des Fertzen, également présenté « tout rouge dans (son) berceau pâle1114 ». À noter que le portrait de ces nourrissons concerne seulement les enfants de femmes mortes en couches. Un des éléments récurrents dans toutes ces descriptions, est cette blancheur qui environne bébé, et qui est présente dès les premiers instants de son existence. Ainsi Célestin Barbe, à peine sorti du ventre de sa mère, est couché dans « un berceau de dentelles1115 », tout comme Paul-Éric que son frère porta dans un « berceau pâle1116 ». Ce sont également le blanc et les teintes pastel qui prédominent dans la tenue vestimentaire : Célestin est promené « vêtu d'une robe brodée, couverte de rubans », ou « couverte de dentelles1117 » et Paul de Bérol est par deux fois décrit comme un « bébé blanc1118 », puis présenté « tout vêtu de blanc comme un chérubin1119 ». À la veille d'une soirée donnée par sa mère, il est montré dans « une bouffante jupe de soie rose voilée de guipures légères », ou ressemblant à un dahlia blanc car « sa jupe à triple volants de batiste s'ébouriffait comme une masse de pétales1120 ». C'est cette même atmosphère de candeur qui entoure le nouveau-né que

1110 Rachilde, Le Mordu, pour la naissance de Maurice de Saulérian voir p. 35, pour celle de Jean Lucain, p. 70.

1111 Rachilde, Refaire l'amour, p. 74.

1112 Rachilde, La Marquise de Sade, p. 143.

1113 Ibid., p. 84.

1114 Rachilde, Les Hors Nature, p. 117.

1115 Ibid., p. 84.

1116 Ibid., p. 116.

1117 Rachilde, La Marquise de Sade, respectivement p. 103 et p. 109.

1118 Rachilde, Le Mordu, respectivement p. 80 et p. 81.

1119 Ibid., p. 82.

Bouchette embrasse dans le parc : le couvre-pieds est brodé d'une fleur, « un bleuet pour les garçons1121 ».

Mais cette blancheur ne doit cependant pas faire croire à une petite enfance angélique, car les allusions faites au caractère de ces personnages laissent supposer le contraire. Ainsi saurons-nous que le petit Célestin « criait de l'aurore à la nuit », remplissant « la maison de clameurs aiguës comme celles d'une perruche"1122 ». Ses cris sont tels que sa sœur pense que : « Il crie tant que je finis par croire qu'il se fendra la bouche, elle ira rejoindre ses oreilles », et la maîtresse du colonel Barbe, l'apercevant, ne peut s'empêcher de s'exclamer : « Il crie selon son habitude, ce polichinelle1123 ». La cause de ces cris semble être les nombreux maux dont sont accablés les nourrissons. Ainsi « Célestin avait des coliques, des convulsions [...]. Il souillait abominablement ses langes », plus tard il est dit qu'il « fait ses dents1124 ». Paul de Bérol n'est pas épargné, sa mère fait savoir qu'il « avait la rougeole1125 ». Ces enfants ne font cependant pas que pleurer, ils babillent également. Maurice de Saulérian entend une « voix de bébé (qui) gazouillait des choses bizarres1126 », celle du fils de Louise de Bérol, ce qui n'empêche pas celui-ci de pleurer « de peur1127 » à la moindre occasion. Ce babil, qui peut être interprété comme signe de bonne santé n'est pas le seul, il faut aussi mentionner cette agitation que manifeste Paul, présenté comme un enfant « trop trépignant » qui, « excité [...], cabriolait sur le divan1128 ». Et c'est pour dépenser ce trop plein d'énergie qu'il s'amuse à frapper « sur un tambourin de basque enrubanné » ou qu'il casse « un cheval mécanique coûtant huit cent francs1129 ». Cette agitation se retrouve chez Célestin, Mary Barbe confiant à son ami Siroco qu'il « casse (ses) poupées1130 ». Ce passage des cris aux babils révèle certes un état de santé s'améliorant, mais marque sans doute aussi la fin de ce premier âge. Le comportement de ces bébés évolue, ainsi que le constate le Colonel Barbe. Son fils Célestin : « criait moins, [...] il suivait du regard les lumières, [...] il commençait à marcher, à gesticuler, à rire1131 ».

Si avec la naissance débute le premier âge de l'homme, on peut se demander quand Rachilde y met un terme. Une question à laquelle il est difficile de répondre, dans la mesure où n'est fournie aucune indication d'âge qui permettrait de savoir quand l'homme cesse d'être un nouveau-né pour devenir un enfant. Les indications chronologiques sont en effet rares, et les seules qui sont données concernent des personnages secondaires comme le petit Célestin. Son âge est su de façon indirecte : né à la mort de sa mère, il est précisé que « depuis un an [...] la mère

1121 Rachilde, Refaire l'amour, p. 74.

1122 Rachilde, La Marquise de Sade, p. 85 et p. 100.

1123 Ibid., respectivement p. 91 et p. 108

1124 Ibid., respectivement p. 102 et p. 104.

1125 Rachilde, Le Mordu, p. 234.

1126 Ibid., p. 154. Voir également p. 157 : « le bébé gazouillait toujours, installé dans l'écharpe de sa mère ».

1127 Ibid., p. 82.

1128 Ibid., respectivement p. 85 et p. 158.

1129 Ibid., respectivement p. 88 et p. 273.

1130 Ibid., p. 92.

était morte, laissant le petit frère comme une ombre de son corps malade1132 ». Une référence temporelle est également donnée dans Refaire l'amour, roman où Alain Montarès adopte le fils de Bouchette, un nourrisson « d'à peine deux mois1133 ». Cette absence de repère temporel oblige à se tourner vers la sémantique employée pour mieux définir cet âge. Il n'est pas étonnant que ce soit le substantif bébé qui revienne le plus souvent sous la plume de Rachilde. Il apparaît pour la première fois dans La Marquise de Sade, lorsque est décrite l'atmosphère des demeures alsaciennes d'où s'échappent des « cris de paons, des éclats de rire et des pleurs de bébés corrigés » et où se comptent « bien vingt-cinq bébés1134 » pendant les fêtes de fin d'année. Ce syntagme n'est pas employé moins de dix fois1135 dans Le Mordu pour désigner le fils de la comtesse Louise de Bérol. Rachilde ne se contente pas de cet unique substantif, pour le seul roman La Marquise de Sade, sont recensés « nourrisson », « son dernier », « bambins » et « son petit1136 ». Ce dernier terme est cependant plus fréquemment employé comme adjectif épithète ; ainsi lit-on, toujours dans La Marquise de Sade, « le petit Célestin1137 » et dans Le Mordu, « le petit prince », « son petit garçon », « le petit enfant », « le petit gosse1138 », pour décrire le fils de Louise de Bérol. Une construction similaire se retrouve dans Refaire l'amour pour désigner ce « beau petit garçon1139 » qu'est le fils de Bouchette. Il faudrait mentionner le substantif poupon, et sa variante poupard qui, même s'ils sont peu usités, sont caractéristiques de cette tranche d'âge : on relève ainsi dans La Marquise de Sade : « le second poupard1140 » et dans Le Mordu, « poupon étouffant » et « des nourrices allaitant leurs poupons1141 ».

B) L'enfance

Étant donné l'incertitude entourant les limites de ce premier âge de l'existence masculine, il faut avoir recours à l'examen du champ sémantique pour définir l'enfance. Rien d'étonnant donc à ce que les mots les plus usités soient garçon et enfant. Le premier substantif, de loin le plus employé, se trouve particulièrement en faveur dans La Marquise de Sade où il est relevé près d'une douzaine de fois. Il faut cependant noter que ce recensement tient compte de ce substantif1142 et de son diminutif garçonnet1143 présent également dans Le Mordu1144, mais

1132 Ibid., p. 85.

1133 Rachilde, Refaire l'amour, p. 254.

1134 Rachilde, La Marquise de Sade, respectivement p. 143 et p. 153.

1135 Rachilde, Le Mordu. Pour les occurrences se reporter à la p. 80 « un bébé blanc », p. 81 « le bébé blanc », p. 85 « le bébé trop trépignant », p. 89 « le bébé épanoui », p. 154 « une voix de bébé », « le bébé grattait », p. 157 « le

bébé gazouillait » et « Bébé », p. 158 « le bébé, excité », p. 159 « Viens donc, bébé ».

1136 Rachilde, La Marquise de Sade, respectivement p. 110, p. 143 et p. 147.

1137 Ibid., p. 100 et p. 109.

1138 Rachilde, Le Mordu, respectivement p. 82, p. 85, p. 88 et p. 161.

1139 Rachilde, Refaire l'amour, p. 254.

1140 Rachilde, La Marquise de Sade, p. 254.

1141 Rachilde, Le Mordu, p. 218 et p. 300.

1142 Rachilde, La Marquise de Sade, p. 41 « ce garçon », p. 94 « je suis un garçon », « c'est les garçons » ; p. 103 « un garçon » ; p. 113 « l'intrépide garçon ».

aussi des syntagmes petit garçon, jeune garçon1145 relevés dans La Sanglante ironie1146 et dans Duvet d'Ange1147. Quant au substantif enfant, s'il n'apparaît pas dans La Marquise de Sade, le plus grand nombre d'occurrences se trouve dans Le Mordu1148, La Sanglante ironie1149,

Duvet d'Ange1150. Cependant le champ sémantique employé pour désigner l'enfance ne se borne

pas là, le substantif gamin se trouve dans des titres comme La Marquise de Sade1151, Le

Mordu1152 ou La Sanglante ironie1153. L'enfance est également définie par le syntagme petit

suivi d'un nom, comme dans La Marquise de Sade, où il est question du « petit Paul Marescut1154 ». Le plus souvent c'est un substantif que qualifie petit, ainsi Paul-Éric est taxé de « petit monstre1155 » et Siroco de « petit jardinier1156 », de la même façon se trouvent, dans La

Sanglante ironie, « petits voisins », « petits villageois1157 ». Mais il faut remarquer que c'est le

syntagme petit homme qui revient le plus fréquemment, Siroco, Maurice de Saulérian, Henri Dormoy sont tous désignés ainsi1158. La première remarque qu'inspire cette rapide analyse, c'est que le champ sémantique employé pour définir l'enfance est plus varié que celui de l'âge précédent. Une diversité qui révèle un marquage sexuel, caractéristique jusqu'ici quasiment absente et qui est à mettre en relation avec les quelques descriptions physiques qui sont données de ces personnages.

Un autre élément confirme cette importance de l'enfance, c'est l'inscription de cet âge dans une temporalité, comme le soulignent les nombreuses indications temporelles. Cette augmentation d'occurrences est à mettre en rapport avec le nombre lui aussi plus conséquent des protagonistes concernés par cet âge. À noter que les enfants n'apparaissent pas avant l'âge de neuf ans, Paul-Éric a neuf ans lorsque son frère, Reutler, venant le chercher, se trouve « en présence d'un petit monstre1159 ». C'est à ce même âge que Lucien Girard situe les seuls souvenirs de son enfance passée durant la Première Guerre mondiale : « J'avais neuf ans. Je n'y comprenais rien et je hurlais de terreur1160 ». Duvet d'Ange fait également référence à cette époque quand il se rappelle ses premiers émois : « Un jour, j'avais huit ou neuf ans peut-être, dix, je tombai

1144 Rachilde, Le Mordu p. 30 : « un si joli garçonnet ».

1145 Rachilde, La Marquise de Sade : p. 38 « Pour les petits garçons », p. 39 « les petits garçons » et « les petits

garçons se servaient », p. 105 « le jeune garçon devint triste », p. 111 « le jeune garçon s'arrêtant brusquement ».

1146 Rachilde, La Sanglante ironie, p. 36 « des petits garçons » et « ces petits garçons ».

1147 Rachilde, Duvet D'Ange : p. 64 « un bon petit garçon », p. 66 « un petit garçon ».

1148 Rachilde, Le Mordu : p. 27 « Étant enfant », p. 32 « l'enfant » et « lèvre d'enfant », p. 33 « l'enfant devenant

homme ».

1149 Rachilde, La Sanglante ironie, p. 33 « enfant » et p. 48 « mon enfance ».

1150 Rachilde, Duvet d'Ange : p. 65 « mon enfance », p. 92 « Enfant ».

1151 Rachilde, La Marquise de Sade : p. 40 « le gamin », p. 96 « entre gamins », p. 107 « le gamin », p. 114 « le

pauvre gamin ».

1152 Rachilde, Le Mordu, p. 32 « le pauvre gamin ».

1153 Rachilde, La Sanglante ironie, p. 16 "gamins".

1154 Rachilde, La Marquise de Sade, p. 40.

1155 Rachilde, Les Hors Nature, p. 120

1156 Rachilde, La Marquise de Sade, p. 96.

1157 Rachilde, La Sanglante ironie, p. 17.

1158 Ces personnages appartiennent respectivement à La Marquise de Sade p. 89, p. 95 et p. 96 ; Le Mordu p. 32 ;

La Sanglante ironie p. 15.

1159 Rachilde, Les Hors Nature, p. 120.

amoureux d'une petite fille1161 ». Un autre âge qui revient souvent, ce sont les dix ans de petits garçons comme Paul Marescut qui, « fort de ses dix ans1162 » se bat avec Mary Barbe pour lui voler son agneau enrubanné. C'est également à cet âge que Paul Richard se souvient d'avoir rencontré pour la première fois le baron de Caumont, « J'avais dix ans, je vagabondais dans les rues des villages1163 ». Siroco, quant à lui, est âgé « de douze ans1164 » lorsqu'il rencontre Mary Barbe ; douze ans encore, c'est l'âge auquel Sylvain d'Hauterac rencontre un chat sauvage, « le plaçant au nombre des animaux féroces qu'il convient de braver quand on a douze ans1165 ». Un dernier âge évoqué : treize ans. Maurice de Saulérian se souvient que c'est à « l'âge de treize ans, (que) l'instinct de l'amour est réveillé par un bruit d'aile1166 », ou pour Reutler qui se « rappelle les jours ténébreux de l'invasion. [...] J'avais treize ans1167 ». C'est à cette période que s'achève l'enfance, comme le confirme cette réflexion de Sylvain d'Hauterac évoquant ce souvenir : « Nous passâmes (sa mère et lui) le pont : je laissai derrière moi toute mon enfance1168 » et ce, juste après sa communion. Les personnages font assez fréquemment référence à cette cérémonie religieuse pour laisser supposer que cet événement coïncide avec la fin de l'enfance. Nous ne citerons que celle de Maurice de Saulérian, accomplie à la hâte1169, et celle de Duvet d'Ange qui coïncide avec son premier amour : « Je tombai amoureux d'une petit fille. On me préparait, vers la même époque à ma première communion1170 ».

Plus largement représentée, l'enfance est mieux analysée dans ses caractéristiques. Les quelques descriptions qui sont données, révèlent une certaine beauté, ainsi Paul-Éric est « irrésistiblement séduisant, jouant de (ses) yeux langoureux comme une demoiselle du trottoir1171 », Siroco a « les yeux bruns, fort beaux1172 » et Maurice de Saulérian est, l'année de ses treize ans, un « si joli garçonnet » d'un « blond, blond cendré1173 ». Duvet d'Ange enfant est lui aussi « un joli blond, d'un blond roux, du reflet même de l'or1174 ». C'est La Marquise de

Sade qui présente le plus grand nombre d'enfants : le petit Paul Marescut, Siroco et Paul Richard,

trois enfants ayant en commun un caractère vif et batailleur qui les pousse à frapper les autres. Parce que Mary Barbe refuse de céder son agneau, Paul Marescut se jette sur elle, « déchira la robe, envoya rouler Mary sur le gazon » ; quant à Siroco, il n'hésite pas lui non plus à battre Mary parce qu'elle réclame une rose qu'il refuse de lui donner, se mettant « peu à peu en colère »,

1161 Rachilde, Duvet d'Ange, p. 65.

1162 Rachilde, La Marquise de Sade, p. 40

1163 Ibid., p. 222.

1164 Ibid., p. 86.

1165 Rachilde, La Sanglante ironie, p. 21.

1166 Rachilde, Le Mordu, p. 30.

1167 Rachilde, Les Hors Nature, p. 109.

1168 Rachilde, La Sanglante ironie, p. 39.

1169 Rachilde, Le Mordu, p. 13 : « Et Maurice de Saulérian avait accompli à la hâte [...] les principaux actes

religieux, confession, première communion ».

1170 Rachilde, Duvet d'Ange, p. 65-66.

1171 Rachilde, Les Hors Nature, p. 120.

1172 Rachilde, La Marquise de Sade, p. 91.

1173 Rachilde, Le Mordu, respectivement p. 29 et p. 36.

« claqu(ant), disant des choses horribles1175 ». Paul Richard, de son côté, subit les coups « de méchants camarades qui (le) rudoyaient1176 ». Un comportement qui n'a rien d'exceptionnel, car au cours de la fête où le petit Marescut s'en prend à Mary, ce sont tous les garçonnets qui malmènent les petites filles ! Ainsi « on en vint aux claques [...] et les petits garçons se servaient à présent de leurs chevaux démolis pour taper sur les fillettes désolées1177 ». Cette même violence se devine chez ces petits paysans en maraude qui « criaient des choses patoises » et « gaulaient (les) alises avec une rage inutile1178 » dans La Sanglante ironie. Le narrateur de ce roman, Sylvain d'Hauterac, n'est pas exempt de pulsions violentes puisqu'il s'amuse à fabriquer « des frondes, des pistolets en sureau pour [...] lancer des morceaux de bouchons1179 » sur un chat sauvage. Cette violence, pour ne pas parler de cruauté, est plus marquée encore chez de très jeunes enfants comme Paul-Éric qui, à neuf ans, passe son temps à tuer « [...] les oiseaux en leur enfonçant des épingles dans le corps, (à fouetter) les chiens jusqu'à leur briser l'échine et (à poursuivre) les poules pour les plumer vivantes1180 ». Sans doute ce sadisme est à rapprocher de la grande imagination dont ces personnages font preuve. Celle-ci s'exprime à travers tous les contes fabuleux et les jeux qui occupent leur temps, comme peuvent en témoigner les histoires que Siroco invente. Il invite Mary Barbe à un grand voyage dont le terme est la foire du village voisin, et au retour de cette promenade il lui propose : « Si nous ne rentrions pas ! j'ai encore dix sous. Nous fabriquerions une hutte dans les bois, nous attraperions des oiseaux et nous irions les vendre à la ville !1181 ».

Mais cette imagination permet surtout à ces enfants de meubler la solitude qu'ils

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