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LE ROMAN FÉMININ : UN NOUVEAU PHÉNOMÈNE ?

B) Résistance passive

II. LE ROMAN FÉMININ : UN NOUVEAU PHÉNOMÈNE ?

Si les carrières littéraires de Rachilde et de Colette paraissent à maints égards exceptionnelles, il ne faut pas croire qu'elles soient uniques en leur genre. En effet, si l'on veut apprécier leur véritable originalité, il convient de les resituer dans le contexte littéraire de leur époque : une époque placée sous le signe de la littérature féminine, car jamais avant 1900 il n'y a eu autant de femmes de lettres. Un phénomène dont il est intéressant d'étudier l'évolution durant les soixante ans que couvrent les carrières de Rachilde et de Colette. Mais cette importance, tant par le nombre que par la qualité de ces parutions féminines, ne va pas sans susciter de vives réactions dans le camp masculin. Une occasion de voir quel regard ces littérateurs jettent sur l'œuvre de ces femmes de lettres en général, et de Rachilde et de Colette en particulier, avant de considérer quel jugement portent ces dernières sur ce nouveau phénomène...

1) Panorama littéraire

A) Conjoncture « fin de siècle »

1901 est l'année où paraissent de façon simultanée et nullement concertée trois recueils de poésie, tous d'auteurs féminins : Le Cœur innombrable d'Anna de Noailles, Ferveur de Lucie Delarue-Mardrus et, quelques mois plus tard Études et Préludes de Renée Vivien. Trois titres qui étonnèrent, enchantèrent l'opinion, et, surtout, qui firent prendre conscience à la critique de ce début de siècle de l'existence d'une littérature féminine. La présence des femmes de lettres en poésie -genre noble par excellence- révèle, en effet, l'existence d'une nouvelle écriture féminine qui a accédé à un niveau plus élevé de la création et qui entend faire carrière, voire concurrencer les créations masculines. Une rivalité future qui laisse présager de notables changements dans le paysage littéraire de ce début de siècle. Il est clair que ces années 1900 ne marquent pas l'entrée des femmes en littérature, chaque siècle a eu ses littératrices, mais la littérature féminine n'avait connu jusque-là que quelques rares représentantes vraiment brillantes, dont la dernière, George Sand, s'était éteinte en 1876. Depuis, celles qui avaient tenté d'écrire, comme Adèle Esquiros, Anaïs Ségalas, Mme Blanchecotte, Anne Levinck, Nelly Leutier, n'avaient obtenu que de médiocres résultats. André Billy se souviendra que « avant l'apparition des Noailles, des Colette, des Delarue-Mardrus », c'est-à-dire avant 1900, « on aurait pu compter sur les doigts de la main les femmes de lettres dignes d'une mention : Judith Gautier, Séverine, Rachilde, Réval, Gyp, Jeanne Marni, Daniel Lesueur...176 ». Donc la nouveauté de ce début de siècle, c'est que « La femme-auteur, à notre époque, ne se manifeste plus comme un phénomène isolé, comme une plante de serre chaude, poussée à grand renfort de lumière et de terreau. Elle est devenue un fait collectif...177 ». Un fait collectif dont ces parutions de 1901 représentent le plus manifeste symptôme. Charles Maurras parle d'une « émeute de femmes178 », et Paul Flat, dans sa préface à Nos femmes de lettres, désigne le phénomène comme « le groupement serré de celles qui tiennent la plume179 ». Cette prise de conscience de l'importance des femmes de lettres paraît avoir été si soudaine et leur succès nullement pressenti que certaines critiques n'hésitent pas à taxer ce phénomène de « foudroyant ». La presse s'étonne également de ce si grand nombre de littératrices, au point que son premier mouvement est de les recenser. Jusqu'à la veille de la Première Guerre mondiale, chaque journal va effectivement se livrer à de savants comptages. Si les différents décomptes, décomptes dont les modalités de calcul et la définition de femmes de lettres varieront suivant les recenseurs, ne s'accordent pas sur le véritable chiffre de cette population littéraire, ils seront en tout cas unanimes pour affirmer que celle-ci a significativement augmenté. Ainsi, en 1901, L'Almanach Hachette dénombre cinq-cent dix-neuf femmes de lettres

176 A. Billy, L'Époque 1900, p. 214.

177 P. Flat, Nos femmes de lettres, p. I.

178 Cité in M. Décaudin et de D. Leuwers, Histoire de la Littérature Française, p. 132.

sur cinq millions de Françaises qui travaillent. En 1905, c'est au tour de La Revue bleue180 d'évaluer à deux cent quatre-vingt-dix-neuf le nombre de femmes de lettres, deux ans plus tard Je

sais tout181 avance le chiffre de cinq mille et annonce que les femmes de lettres représentent 20

% de la production totale, contre 4 % vingt ans plus tôt. Ces mêmes chiffres seront repris en 1910 par Le Figaro illustré.

Comment expliquer ce phénomène ? Ce n'est pas à cette vogue artistique de cette « fin de siècle » qui fait de l'effigie féminine le sujet de toutes ses créations qu'il faut imputer cette montée en puissance de la femme de lettres. Certains, comme Georges Pellissier dans la Revue, attribueront cette « abondance toujours croissante182 » de femmes de lettres au progrès de l'instruction, au mouvement féministe ou encore à la presse féminine183 qui connaît effectivement un fort engouement. Pour se faire une idée du mouvement féministe français, il convient de recenser le nombre de groupes suffragistes qui apparaissent à cette époque. Parmi les plus importants qui luttent pour l'obtention de droits civils (droit de vote) et des droits économiques (égalité des salaires), il faut citer L'Union française pour le suffrage des femmes qui compte dix mille membres en 1912, Le Conseil national des femmes françaises, La Ligue

internationale des femmes pour la paix et la liberté... Mais plus que le mouvement

d'émancipation ou la presse féminine, c'est sans doute l'incidence de l'alphabétisation sur la population qu'il faut retenir comme facteur déterminant dans l'émergence de la littérature féminine. Il est vrai que c'est entre 1890 et 1914 qu'émergent les générations de l'école laïque184 ; ainsi, dès la fin du 20e siècle, la proportion des analphabètes se voit abaisser à moins de 5% de

la population (le service militaire a par ailleurs permis l'institution des cours d'alphabétisation). En outre, il faut mettre au crédit de la IIIe République la valorisation de l'instruction considérée comme l'instrument essentiel du progrès, et la lecture, censée être le véhicule privilégié du savoir, en reçoit de ce fait une motivation d'autant plus puissante. Cette vaste campagne d'alphabétisation se traduit donc par un accroissement quantitatif et qualitatif des consommateurs de livres. Les recenseurs et les littérateurs ne sont pas les seuls à avoir pris conscience de l'émergence de ce nouveau public, les métiers du livre furent les premiers à faire face à ce lectorat populaire. Rappeler ici la situation des métiers du livre ne paraît pas inutile, car celle-ci, tout comme ce nouveau public, joue un rôle essentiel dans l'essor de la littérature féminine. En effet, comme

180 J. Ernest-Charles, La Revue bleue du 18 février 1905.

181 Interview de Émile Faguet, Je sais tout, 15-I-1906. p. 156.

182 G. Pellissier, La Revue, 15 janvier 1906, p. 156-168.

183 Dresser un panorama complet de la presse féminine serait nous éloigner de notre propos, mais on peut noter que ce n'est pas moins d'une dizaine de périodiques qui paraissent en ce début de siècle : La Mode de Paris,

L'Illustrateur des dames, La Mode pour tous... Revues auxquelles il convient d'ajouter tous les feuillets consacrés aux

femmes et n'ayant pas la mode pour titre, comme L'Écho, ou Les Annales qui ont une prédilection pour la littérature, et tous les journaux féminins et familiaux publiés avant 1880 et qui continuent à être distribués comme L'Illustration ou

Le Journal de la Famille. Parallèlement à ces titres se développe une presse politique féminine. Entre 1891 et 1914,

c'est près d'une trentaine de publications féministes qui voient le jour, même si certaines ne connaissent qu'une brève existence. Parmi les plus importantes, il convient de citer La Citoyenne et La Fronde, parue en 1897.

184 La loi Guizot (28 juin 1833) a imposé la création d'une école de garçons dans chaque commune, cette disposition est étendue aux filles depuis 1850 (loi Falloux). L'enseignement secondaire est étendu aux filles par le décret Camille Sée en 1882.

l'éducation, la fabrication des livres s'inscrit dans une phase d'expansion -de 1840 à 1914-, où la modernisation tient une place essentielle. La substitution des pâtes de bois traitées chimiquement au chiffon entraîne une baisse continue du prix du papier de la fin du 19e siècle jusqu'à la guerre.

Les imprimeries s'équipent de presses au rendement toujours plus élevé, tandis que la technique de photogravure progresse de manière spectaculaire.

Cependant les années 1890 voient se profiler une crise du livre, comme tendent à le prouver les nombreuses faillites et les liquidations judiciaires qui eurent lieu au cours de cette décennie. La dépression frappe en premier lieu les éditeurs de luxe185 et les éditeurs spécialisés dans la poésie comme Lemerre. Vannier, l'éditeur de Verlaine, disparaît en 1896 et sa maison périclite tout de suite après. La cause de cette dépression ? Une importante évolution dans la demande du livre. Si, sous la Restauration, la poésie et le théâtre détenaient une part prépondérante sur le marché de l'édition, vers la fin du siècle, les recueils de poésie ne tirent qu'à quelques centaines d'exemplaires, tandis que le roman se taille la part du lion dans la littérature générale. Ces nouveaux consommateurs, femmes, enfants, paysans aisés, élite ouvrière, viennent grossir les rangs du lectorat traditionnel cultivé, aristocratique et bourgeois. Les intérêts de la clientèle s'orientant désormais différemment, des écrivains comme Bourget ou Barrès, malgré leur succès, ne pourront rivaliser avec les ventes prodigieuses d'un Zola ou d'un Ohnet186 et se trouveront dans l'incapacité d'attirer à eux simultanément ce public populaire et ce public cultivé et bourgeois. On le voit, la diffusion de l'instruction ne profite pas forcément à la littérature « difficile » dont les canons esthétiques rebutent la partie du lectorat qui n'est pas passée par l'enseignement secondaire et qui a tendance à lui préférer la vulgarisation. D'une façon générale, la crise du livre a poussé les éditeurs à se replier sur des talents confirmés, sur des auteurs à succès pour tenter de répondre au goût de ce public diversifié. Ainsi Calmann-Lévy, Fayard, Flammarion, Hachette, se hissent aux premiers rangs des maisons d'édition en juxtaposant à la littérature générale des collections de vulgarisations scientifiques, d'ouvrages pratiques, de romans populaires. De toute évidence c'est par le biais de cette large part faite à cette littérature « grand public » que les femmes de lettres vont s'imposer sur la scène littéraire. En effet leur production littéraire paraît répondre au goût de ce nouveau lectorat, pour preuve les nombreuses littératrices présentes parmi les auteurs publiés par les maisons d'édition en pleine expansion en ce début de siècle. D'après La Bibliographie de la France, Hachette et Calmann-Lévy avaient en 1902 déjà respectivement édité soixante-dix-sept et vingt ouvrages de femmes de lettres. Calmann-Lévy édite notamment Gyp, qui en 1906, a déjà vendu six cent cinquante mille volumes (ses deux succès, Le Mariage de Chiffon a eu soixante-quinze éditions et Autour du Mariage atteint alors une centaine d'éditions). La littérature féminine jusque-là boudée, se révèle

185 Pour ne citer qu'un exemple, la maison d'édition Jouast dont les ouvrages sont trop chers et qui est rachetée par Flammarion en 1891.

186 En 1905, le chiffre de la production totale s'élevait pour ces deux écrivains respectivement à 2628000 et 1425000 volumes. Chiffres donnés par G. Leroy et J. B. Sabiani, La Vie littéraire à la Belle Époque, p. 19.

désormais être un excellent débouché pour ce marché du livre qui menace de stagner et de péricliter.

De toute évidence les éditeurs ne couraient aucun risque à publier ces femmes-écrivains : le vif succès que connaissaient leurs écrits lorsqu'ils paraissaient en feuilleton dans la presse, ne pouvait que les conforter dans leur choix. Il est vrai que l'on oublie trop souvent qu'il existait un lien direct entre la presse et la production littéraire, lien beaucoup plus solide à la Belle Époque que de nos jours. Cependant, c'est une erreur communément commise de considérer le contenu politique des journaux comme leur seule caractéristique dominante. Albert, dans son Histoire de

la presse française187, fait remarquer que ce sont les matières non politiques qui servent de

moteur au journalisme du début du 20e siècle. La vogue des « suppléments » dans lesquels les

principaux journaux diffusaient chaque semaine contes, nouvelles et feuilletons atteste l'existence de lecteurs aussi nombreux qu'insatiables. Même les journaux à grand tirage et à lectorat populaire publiaient un « supplément littéraire hebdomadaire ». Le feuilleton avait toujours une influence sur le tirage, positive ou négative, selon l'écho rencontré auprès des lecteurs, aussi fallait-il faire attention au choix des sujets et des signatures proposés car « gare aux journaux dont les feuilletons n'auront pas l'approbation de la ménagère !188 ». Cette idée reçue paraît également s'appliquer à la production romanesque : « Le vrai public, celui qui lit la littérature d'imagination, celui qui le juge en décrétant le succès et l'insuccès d'un livre, ce sont les femmes189 ». Il ne faut pas oublier que la femme constitue un public non négligeable pour l'édition, alors autant satisfaire son goût qui est « avant tout (de) retrouver dans un auteur des horizons qui lui soient familiers [...] elle se cantonne avant tout dans le domaine de l'amour qui, à tout âge, est sa grande préoccupation, et des conflits sentimentaux, et des drames passionnels, et de tout ce qui s'en suit190 ». Par conséquent, il n'est pas étonnant de voir s'illustrer dans les colonnes que la presse réserve au roman sentimental, psychologique, historique, d'aventures, policier ou libertin du moment, des femmes de lettres. Si les journaux paient mal, ils offrent en revanche l'occasion de se faire connaître et ce n'est donc pas un hasard si tous les grands noms féminins de la littérature ont débuté dans la presse : Rachilde, on l'a vu, dans la presse périgourdine, Colette en donnant au Mercure de France ses premiers Dialogues de bêtes, mais aussi Marcelle Tinayre qui voit paraître ses nouvelles dans La Vie populaire et Le Monde illustré, Anna de Noailles dans La Revue de Paris et La Revue des Deux Mondes, et Gyp dans La Vie

Parisienne.

Il ne faut cependant pas croire que les conjonctures sociales et économiques peuvent expliquer à elles seules le succès foudroyant de la littérature féminine. La situation littéraire des années 1880, et surtout la crise que connaît le roman entre 1890 et 1910, paraît, elle aussi avoir

187 Pierre Albert, Histoire française de la presse, p. 53.

188 G. Leroy et J-B. Sabiani, La Vie littéraire à la Belle Époque, p. 115.

189 J. Bertaut, op. cit., p. 5.

grandement favorisé l'émergence de cette nouvelle écriture. Cette traversée du désert du genre romanesque est conséquente de la crise que connaît alors le roman naturaliste. Il convient ici de rappeler brièvement les faits. 18 août 1887 : fin de la parution de La Terre de Zola en feuilleton dans Gil Blas, le même jour paraissait dans Le Figaro une lettre ouverte rédigée par les disciples de Zola. Parmi les signataires Bonnetain, Paul Margueritte et Rosny, ceux-ci se désolidarisaient du Naturalisme tel que le concevait Zola, reniant désormais un maître « dont le charme s'embourbe dans l'ordure191 ». Il lui est reproché sa documentation de pacotille, une ignorance médicale et scientifique totale ainsi qu'une observation superficielle, un rabâchage de vieux clichés, et surtout une recherche systématique du pornographique. Cependant ces reproches, qui ne sont en fait qu'une reprise des vieilles accusations d'immoralité que lançaient depuis dix ans les critiques de la presse traditionaliste et catholique, placés sous la plume des disciples ouvraient une crise du roman naturaliste, sonnant le glas d'un mouvement qui avait paru dix ou quinze ans auparavant, assurer au roman un avenir illimité. Le roman était devenu une vaste enquête sur la nature et sur l'homme, et le romancier se donnait pour mission de « faire mouvoir, comme le disait Zola, des personnages réels dans un milieu réel192 », faire fi de l'imagination, se recommander de l'autorité de la science, remplacer dans une large mesure la psychologie par la physiologie, et réduire la part de l'agencement de l'intrigue. Mais cette crise littéraire est surtout la manifestation la plus spectaculaire de la crise du roman. Parallèlement au Naturalisme et en réaction à ses insuffisances, se développait sous la plume de Bourget le roman psychologique qui centrait son intérêt sur l'étude de l'âme, et qui, dès 1886, abordait les problèmes moraux.

En 1891, tous les esprits s'accordent à constater la mort du roman naturaliste tel que l'avait du moins compris l'école de Médan. La remise en question des dogmes de Médan avait eu pour premier effet de donner le sentiment que le roman naturaliste, loin d'être, comme l'avait prétendu Zola, l'aboutissement de toute l'évolution littéraire du 19e siècle, n'était qu'une forme

d'art parmi d'autres. En effet, à côté des descriptions de Zola il y avait de la place pour les analyses de Bourget. Naturalisme et Psychologisme ne sont pas seulement deux écoles opposées, elles sont aussi deux tentations contradictoires. Dès lors, les romanciers avaient l'embarras du choix entre le héros d'exception -celui du roman d'analyse-, marqué de traits fortement individuels, et le personnage naturaliste, médiocre, enseveli sous un amas de détails insignifiants. Seul Balzac, à cette époque paraissait avoir réussi la synthèse de la description et de l'analyse, étant parvenu dans La Comédie humaine à décrire le dehors des choses tout en pénétrant dans l'intérieur des âmes. Le roman semblait bien être dans l'impasse. Dès 1886, Théodore de Wyzewa ne désespérait pas de voir enfin apparaître un roman synthétique qui dépasserait, en les absorbant, ces deux termes antagonistes. Les romanciers russes, Tolstoï ou Gontcharov, lui paraissaient aller dans le sens de la synthèse, offrant une « création totale de la vie, ensemble rationnelle et

191 M. Décaudin et D. Leuwers, Histoire de la littérature française, p. 79.

sensible193 ». Il restait à promouvoir en France ce roman total, un roman qui, pour Wyzewa, consistait à poser une figure centrale et à suivre, pendant une durée très limitée, toutes ses pensées dans leur entremêlement : « Aurons-nous le roman recréant les notions sensibles et les raisonnements intimes, et la marée des émotions [...]. Le romancier dressera une seule âme qu'il animera pleinement ; par elle, seront perçues les images, raisonnés les arguments, senties les émotions194 ». Il n'est pas inutile de s'attarder sur cet article car il est le premier texte consacré au roman de l'avenir.

Mais ce roman idéal, chose frappante, est toujours situé dans l'avenir : on le voit s'éloigner au fur et à mesure que paraissent des œuvres qui prétendent l'incarner. De Théodore de Wyzewa à Marcel Schwob, de F. Brunetière à Nion, de Paul Adam à Camille Mauclair, tous esquissent la figure d'un roman futur susceptible d'opérer la synthèse des éléments que le Naturalisme avait apportés et de ceux au nom desquels on l'avait jugé insuffisant. Cependant le caractère exacerbé des individualismes, la multiplicité anarchique des efforts rendait sans doute impossible l'édification d'une vaste synthèse romanesque au moment même où l'on formait si fréquemment le vœu de la voir s'accomplir. À côté des textes qui esquissaient une figure idéale du roman, se développait un phénomène nouveau et considérable, lié à la multiplication des revues, au développement de la presse littéraire : une prolifération d'opinions contradictoires. L'année 1891 a ainsi vu se multiplier les déclarations sur l'avenir du roman, dans les enquêtes, comme celle de Jules Huret195 par exemple, où chaque romancier défendait sa formule et

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