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Sources et contexte

Dans le document Genre et travail migrant. (Page 110-114)

Infirmières des Caraïbes en Angleterre et au Canada Migration, travail et identité

1. Sources et contexte

Des organisations communautaires telles que le Jamaican Canadian

Association Centre et la Black History Society m’ont aidée en me procurant

4 PEACH G.C.K., « West Indian Migration to Britain », International Migration Review, 1/2,

printemps 1967, p. 34-45. Peach considère que les effectifs réels sont de 20 % supérieurs à cette estimation.

les noms de quelques infirmières. Des connaissances et des amis me mirent en contact avec des membres de leur famille ou des personnes de leurs relations. C’est cependant par un effet de boule de neige que j’ai fait la connaissance de la majorité des infirmières rencontrées. Plusieurs d’entre elles me fournirent les noms d’amies qui pouvaient être intéressées par le projet. Au total, trente-cinq femmes des Caraïbes et noires canadiennes furent interrogées entre 1995 et 2007. Elles avaient entre quarante-cinq et quatre-vingt-cinq ans. Comme c’est également le cas pour l’ensemble des migrants provenant des Caraïbes, la majorité des infirmières interviewées étaient originaires de Jamaïque, venaient ensuite Trinidad, la Barbade et Grenade. Un plus petit nombre venaient de Guyane ou de République Dominicaine. J’ai pour chacune d’abord pris contact par téléphone, afin de présenter mon projet, et lorsque mon interlocutrice se disait intéressée, nous convenions d’une date de rencontre. Je fournissais également aux personnes interrogées un plan précisant les objectifs de la recherche. Durant l’entretien, ou avant celui-ci, ces femmes étaient invitées à signer un formulaire par lequel elles consentaient à l’utilisation du matériel réuni. Le choix leur était laissé de prendre un pseudonyme ou de parler en leur nom ; la majorité choisit cette option. Les entretiens durèrent entre une heure et demie et trois heures. La plupart ont pris place au domicile des participantes. Les entretiens étaient ensuite transcrits et si le besoin s’en faisait sentir complétés par un nouvel entretien.

Les migrations en provenance des Caraïbes et à destination des pays industrialisés sont généralement interprétées en relation avec des facteurs d’ordre économique, et plus précisément avec les places occupées par les migrants sur le marché du travail5. D’après ce schéma, les migrants, pour la

plupart sans qualification, parfois recrutés directement afin de pallier le manque de main-d’œuvre, quittent leur pays d’origine, plus pauvre, afin de bénéficier de meilleures conditions économiques et sociales censément offertes par l’Angleterre, le Canada ou les États-Unis. Cependant, dès leur arrivée dans les centres urbains de « la mère patrie » pour ceux qui

5 DAVISON R., West Indian Migrants, Londres, Oxford University Press, 1962 ; FONER N.,

Jamaica Farewell : Jamaican Migrants in London, Los Angeles, University of California

rejoignaient l’Angleterre, ils se rendaient compte que s’ils pouvaient légalement s’y établir et y travailler, ils étaient loin d’y être les bienvenus6.

Le passé colonial conditionnait la manière dont ces migrants, pour la plupart appartenant à la classe ouvrière, étaient positionnés et marginalisés au sein de la société et de la main-d’œuvre britanniques. Les adolescents et les jeunes femmes dont les parents pouvaient financer le voyage sont généralement absents de ces récits de migration et particulièrement les jeunes femmes partant seules, sans dépendre d’un homme.

L’âge moyen des migrantes à leur entrée en Angleterre variait entre dix- huit et dix-neuf ans. La plus jeune avait quinze ans et demi, la plus âgée vingt-quatre ans. La plupart arrivèrent au milieu des années cinquante, la première en 1949, munie d’une bourse pour ses études d’infirmière, la dernière en 1968. La manière dont ces femmes prenaient la décision d’émigrer semblait soit spontanée, soit la conséquence logique d’événements ayant suivi leurs études secondaires. Cependant, à y regarder de plus près, leurs motivations peuvent être diverses. Le plus souvent, la décision de migrer dépendait de plusieurs facteurs, dont, mais pas seulement, l’absence de possibilités d’emploi. Les femmes rencontrées ont évoqué des raisons toutes aussi importantes et souvent entremêlées7, parmi

lesquelles l’envie d’aventure, le souci de se réaliser, la conviction que c’était « ce qu’il fallait faire » et les encouragements de membres de la famille ou d’amis. Seules trois des seize femmes interrogées n’avaient pas de famille en Angleterre lorsqu’elles migrèrent. Même si ces treize femmes ne connaissaient pas nécessairement ces membres de leur famille, la présence d’un cousin, d’un oncle, d’un frère ou d’un père rendait la décision de migrer plus aisée8.

6 SOLOMOS J., Race and Racism in Britain, op. cit.

7 Voir, BRYAN B., DADZIE S., SCAFE S., The Heart of the Race : Black Women’s Lives in

Britain, Londres, Virago Press, 1985, chapitre 1 ; VICKERMANN M., Crosscurrents. West Indian Immigrants and Race, New York, Oxford University Press, 1998, chapitre 2 ;

BONNETT A. W., « The New Female West Indian Immigrant : Dilemmas of Coping in the

Host Society », in PALMER R. (ed.), In Search Of A Better Life : Perspective on Migration from the Caribbean, New York, Praeger Publishing, 1990, chapitre 7.

8 Pour une explication du rôle de la famille dans la migration, voir CHAMBERLAIN M., « The

Family as Model and Metaphor in Caribbean Migration to Britain », Journal of Ethnic and

Dorothy Jones, née à Grenade, avait, selon ses dires, la possibilité d’enseigner après l’obtention de son baccalauréat. Cependant quand nous lui demandons pourquoi elle a quitté son pays en 1957, elle évoque l’absence de perspectives économiques favorables pour les gens de sa génération comme raison de son départ. Son expérience lorsqu’elle avait 17 ans illustre la façon dont les adolescents qui voulaient améliorer leur situation à la fin de leurs années de lycée voyaient avant tout dans la migration une aventure :

« Si vous n’aviez pas un poste d’enseignant, ou pas de travail du tout, vous vouliez tout de même faire quelque chose de votre vie, et vous pouviez aller en Angleterre. C’était excitant, c’était comme une aventure, quelque chose d’amusant. Nous ne savions pas ce qui nous attendait. Nous ne savions pas qu’il y neigeait, nous ne savions rien de ce pays, mais, en ce qui me concerne, on voulait juste y aller. Pour nous, c’était une expérience9 ».

Les explications de Dorothy, qui mettent en avant l’aventure, l’excitation née de la nouveauté et la confrontation avec l’inconnu, illustrent la centralité de la mobilité dans la définition de la liberté telle que l’entendent les gens des Caraïbes10.

Ancila Ho Young, Indienne de Trinidad, nous dit avoir eu également de multiples raisons de s’installer en Angleterre à l’âge de dix-huit ans :

« Je voulais partir parce que je ne pouvais pas devenir docteur. Et je ne pouvais pas non plus aller à l’université après le lycée. J’ai décidé d’aller en Angleterre travailler comme infirmière parce que d’autres personnes de ma région y allaient. Donc j’ai trouvé une adresse, j’ai envoyé une demande et j’ai reçu la réponse. C’était « Oui ». Il ne me restait plus qu’à m’acheter un billet11 ».

Pour Ancila, le statut économique, combiné à la structure patriarcale du

9 Dorothy Jones [pseudonyme], entretien avec l’auteur, bandes, Rexdale, Ontario, 29 février

2000.

10 E.M. HOPE, « Island Systems and the Paradox of Freedom : Migration in the Post-

Emancipation Leeward Islands », in K.F. OLWIG (ed.), Small Islands, Large Questions : Society, Culture and Resistance in the Post-Emancipation Caribbean, Ilford, Frank Cass,

1995, p. 161-178.

système éducatif de son pays d’origine, faisait de la migration une alternative attirante. Elle faisait là écho à plusieurs autres femmes rencontrées telles Daphne Clarke, née en Jamaïque : « Nous étions motivées. Tout le monde bougeait. Ils allaient en Angleterre ou en Éthiopie, partout. Alors vous aussi vous attrapiez l’envie de partir »12. Ces réactions

suggèrent que les migrantes n’étaient pas uniquement motivées par des considérations économiques. Elles nous montrent aussi ces jeunes filles actrices de leurs parcours, telle Ancila, écrivant à des hôpitaux et se renseignant sur les formations infirmières.

Une autre explication à ces départs, à laquelle les spécialistes des migrations n’ont pas encore prêté l’attention qu’elle mérite, est l’attitude de ces mères célibataires des milieux populaires désireuses d’éloigner leurs filles des Caraïbes afin d’éviter des grossesses précoces. Dorette Thompson, la plus jeune des migrantes rencontrées dans le cadre de cette étude, quitta la Jamaïque en 1960, à l’âge de quinze ans et demi. Elle se souvient que les mères, en plus de désirer une vie meilleure pour elles, « envoyaient leurs filles au loin en partie parce qu’elles ne voulaient pas qu’elles tombent enceintes ». Elle indique qu’« en ce temps-là en Jamaïque, beaucoup de filles tombaient enceintes, et c’était la naïveté qui les faisait tomber enceintes. Beaucoup de filles avaient des enfants sans savoir comment cela se faisait »13. Les parents espéraient que la Grande-Bretagne, avec tout ce

qu’elle avait à offrir, en particulier des perspectives de carrières, inciteraient les adolescentes à explorer d’autres domaines que leur sexualité, alors que la Jamaïque leur laissait tout le temps de le faire.

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