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Réseaux et conditions de la migration

Dans le document Genre et travail migrant. (Page 44-47)

Vers une analyse du genre

1. Réseaux et conditions de la migration

Nous disposons de sources abondantes montrant que les hommes en migration circulaient, vivaient et travaillaient souvent en groupe. C’est le cas des travailleurs agricoles, des bûcherons et des maçons dont le célèbre Martin Nadaud. Des liens sociaux préexistants, des rapports amicaux, présidaient à de telles migrations, qui impliquaient souvent un déplacement

p. 167-227 et Journal of the Statistical Society, 52, 1889, p. 241-301 ; ROSENTAL P.-A., « La

migration des femmes (et des hommes) », art. cité, p. 116-117.

12 TUGAULT Y., La mesure de la mobilité : cinq études sur les migrations internes, Paris,

INED, 1973, p. 28, 32.

13 Voir par exemple GUILLAUME P., La population de Bordeaux au XIXe siècle, Paris, A. Colin, 1972 ; POUSSOU J.-P., Bordeaux et le sud-ouest au XVIIIe siècle, Paris, Editions de

collectif et une vie commune sur le lieu de destination. Les femmes étaient très peu nombreuses à se loger dans les garnis. Ce que nous savons des migrations féminines, du travail et du logement des femmes dans les centres urbains, renvoie à des phénomènes d’une autre nature. Il semble qu’elles ont rarement pris part à des programmes de recrutement collectif ou bien organisés par l’Etat14. Nous ne connaissons que le cas des jeunes orphelines,

les filles du roi, recrutées par l’État afin de servir d’épouses aux colons du Canada français au XVIIe siècle15. De même, durant les XVIIIe et XIXe

siècles, les industriels de la soie et du tissage recrutèrent des jeunes femmes, logées en dortoirs, travaillant ensemble et supervisées par des nonnes ou des familles « respectables » qui, à la fois, les protégeaient et les disciplinaient16.

Il semble cependant que la plupart des migrations vers les villes étaient organisées par la famille, un ami, ou bien les femmes elles-mêmes. Les seules données qui permettent d’observer directement les contacts et les connexions conduisant de nouvelles venues à Paris nous sont fournies par Françoise Cribier et Catherine Rhein, qui ont étudié les parcours d’environ 200 futures parisiennes nées en 1907 et arrivées à Paris au cours des années vingt ; environ une sur six ne connaissait personne à Paris (17% pour les femmes et 22 % pour les hommes), les liens familiaux étaient par contre importants : 64% des femmes et 59 % des hommes avaient de la famille dans la capitale ; 11% des femmes et 17 % des hommes vinrent rejoindre

14 Voir, LUCASSEN J., Migrant labour in Europe, op. cit.; NADAUD M., Mémoires de Léonard,

ancien garçon maçon, Paris, Hachette, 1976 ; POITRINEAU A., Remues d’hommes, op. cit. ;

RAISON-JOURDE F., La colonie auvergnate de Paris au XIXe siècle, Paris, Ville de Paris,

1976 ; SCHROVER M., « Living Together, Working Together : Concentrations amongst

German Immigrants in the Netherlands in the nineteenth century », Continuity and Change, 18/2, 2003, p. 280.

15 LANDRY Y., Les filles du roi au XVIIe siècle : orphelines en France, pionnières au Canada, Montréal, Lemeac, 1992; PIAT C., Les filles du roi, Paris, Ed. du Rocher, 1998.

16 Voir sur ce phénomène mal connu, TILLY L., SCOTT J., Women, Work and Family, New

York, Holt, Rinehart and Winston, 1978, p. 109 ; Madelyn Holmes évoque le recrutement de travailleuses italiennes par des industriels suisses in HOLMES M., Forgotten Migrants: Foreign Workers in Switzerland before World War I , RUTHERFORD, N.J., Farleigh Dickinson

University Press, 1988; Rosa Cavalleri se souvient des recruteurs venant au village dans HALL ETS M., Rosa: The Life of an Italian Immigrant, Minneapolis, University of Minnesota

une personne de leur connaissance. Enfin, un cinquième environ arrivèrent avec leurs parents17. Catherine Omnès a étudié deux groupes de femmes

(nées en 1901 et 1911), arrivées en région parisienne durant les années vingt et à la fin de la crise économique des années trente. Plus du tiers vinrent seules et environ un tiers avaient de la famille à Paris, 40% des premières étaient accompagnées de leur mari et 46% des secondes venaient avec leurs parents18. Ces résultats montrent l’importance des migrations familiales mais

aussi l’importance des mouvements individuels.

Dans le cas des Bretonnes, pour une femme seule partir voulait dire monter dans le train qui reliait cette région rurale à la capitale. En 1882, Yvonne Yven voyage avec une amie qui a trouvé une place pour elles auprès d’une famille de la bourgeoisie parisienne. Vers 1908, Marie Mathurin rejoint son aînée en banlieue parisienne puis dans les hôpitaux de la capitale. Durant les années 1920, Germaine X., âgée de seize ans, monte dans le train et s’enquiert des possibilités d’emploi à Paris auprès des personnes avec lesquelles elle voyage19. La plupart des récits de vie et des biographies

détaillées montrent que les relations familiales – ou au moins les situations familiales – contribuaient au départ des jeunes femmes, ainsi que les conditions de travail qui s’offraient à elle dans les provinces ; les récits de ces femmes expliquent pourquoi elles voyageaient seules. Beaucoup fuyaient des familles pauvres et brutales, des conditions de travail humiliantes et des pratiques sexuelles contraintes. Ainsi que le note Annie Phizacklea, la décision de migrer est difficile à comprendre, « à moins de

17 CRIBIER F., RHEIN C., « Migrations et structure sociale : une génération de provinciaux

venus à Paris entre les deux guerres », Ethnologie Française, 10, 1980, p. 141-143.

18 35% des premières arrivèrent seules et 40% des secondes. Celles qui n’avaient pas de

famille à Paris constituaient 40% des effectifs arrivés durant les années 20, mais seulement 22% de ceux arrivés durant les années 30. OMNÈS C., « Les provinciales dans la formation

des populations ouvrières parisiennes », Villes en parallèle, 15-16, 1990, p. 175-191; OMNÈS

C., Ouvrières parisiennes : marchés du travail et trajectoires professionnelles au XXe siècle, Paris, Editions de l’EHESS, 1997, p. 271-288.

19 CHABOT P., Jean et Yvonne, domestiques en 1900 : souvenirs recueillis par Michel Chabot,

Paris, Editions Terma, 1978 ; MICHEL J., François et Maris de Bretagne, Brest, Editions « le

Télégramme, » 2002, p. 10-26; RHEIN C., La vie dure qu’on a eue : neuf récits de vie de travailleuses parisiennes retraitées, Paris, CORDES, 1980. L’auteur ne donne pas les noms

déplier selon le genre le fonctionnement des institutions, telles le ménage ou la famille »20.

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