Qu’en est-il de la localisation des v´ehicules d’investissement ? Le planisph`ere et le tableau
(Tableau 3.5) montrent une concentration des fonds PERE dans trois pays - l’ˆıle Maurice
29,
Chypre et Singapour. Cette singularit´e s’explique largement par les strat´egies
d’optimisa-tion fiscale adopt´ees par les gestionnaires d’actifs. Ces derniers profitent d’une situation
avantageuse cr´e´ee par l’articulation de deux dispositifs l´egaux : d’une part, les conventions
fiscales bilat´erales sign´ees entre l’Inde et pr`es de 88 pays (Double Tax Avoidance
Agree-ments - DTAA) pour ´eviter la double imposition des entreprises transnationales ; d’autre
part, les r´egimes d’imposition avantageux de l’ˆıle Maurice, Chypre et Singapour o`u les
entreprises ne sont pas tax´ees sur leurs plus-values.
Le cas mauricien illustre bien cette situation. La convention fiscale sign´ee en 1982 avec
l’Inde ´etablit que les plus-values d´egag´ees par la vente de titres financiers sont imposables
seulement dans le pays de r´esidence de l’investisseur, et non dans le pays de r´esidence
de l’entreprise dont les titres ont ´et´e vendus. En pratique, un fonds PERE enregistr´e `a
Maurice ne paie pas d’impˆots en Inde lorsqu’il revend ses parts d’une entreprise ou d’une
29. L’ˆıle Maurice demeure le premier pays d’IDE entrants en Inde, quelque soit le secteur d’investissement.
Entre 2001 et 2011, l’ˆıle Maurice repr´esente 39 % des IDE entrants en Inde (DIPP). Pour le secteur
immobilier, cette proportion est encore plus ´elev´ee. Avec pr`es de 60% des IDE chaque ann´ee, l’ˆıle Maurice
est de loin le premier pays ´emetteur.
joint-venture enregistr´ee en Inde. Il est ´egalement exempt´e des droits de mutation des
biens immobiliers en Inde (stamp duty tax)
30. `A Maurice, les fonds qui d´etiennent une
licence appel´eeGlobal Business Licence 1 (GBL1) sont tr`es faiblement tax´ees, entre 0 et
3% d’imposition, et ils ne paient pas d’impˆots sur les plus-values, celles-ci pouvant ˆetre
librement redistribu´ees aux commanditaires sous forme de dividendes. Le cas de la route
mauricienne (mauritius route) constitue un cas d’´etude de ce que Maude Sainteville a
qualifie de«syst`eme transitaire»:
«Dans le cas des IDE, les paradis fiscaux sont utilis´es comme des espaces
de transit ou des interfaces juridiques, de v´eritables plaques tournantes de la
circulation des capitaux `a l’´echelle mondiale. [. . . ] L’int´erˆet que pr´esente ce
sys-t`eme transitaire pour les firmes transnationales est de b´en´eficier de syst`emes de
taxation plus avantageux que celui de leur ´Etat d’origine.»[Sainteville, 2011]
[p.3]
Bien que les dispositifs fiscaux constituent un premier facteur qui permet d’expliquer la
g´eographie des flux d’investissements vers l’Inde, d’autres ´el´ements entrent en ligne de
compte. La proximit´e g´eographique et la pr´esence d’une importante population d’origine
indienne sur l’ˆıle Maurice (71% de la population poss`ede le statut de PIO, [Carsignol-Singh, 2009])
expliquent pourquoi ces deux pays entretiennent des relations culturelles et ´economiques
privil´egi´ees.
La«route mauricienne», sujet fort r´ecurant dans la presse ´economique indienne, ne serait
pas uniquement emprunt´ee par des investisseurs ´etrangers : une partie des capitaux qui
transite par l’ˆıle Maurice proviendrait d’Inde, `a l’initiative d’entreprises ou de riches
par-ticuliers en quˆete d’optimisation fiscale (Frontline, novembre 2013). En outre, la «route
mauricienne»constituerait un moyen pour blanchir des revenus acquis dans le cadre
d’ac-tivit´es ill´egales (argent de la corruption, b´en´efices sur le commerce de drogues, d’armes, des
extractions mini`eres ill´egales, etc.). L’«argent sale» (black money)
31qui circule en Inde
sous forme liquide serait, apr`es un d´etour par l’ˆıle Maurice, r´einject´e dans des activit´es
30. Les droits de mutation varient d’un ´Etat `a l’autre. `A Bangalore, pour une propri´et´e immobili`ere ou
fonci`ere situ´ee en zone urbaine, les droits de mutation s’´el`event `a 5% de sa valeur officielle (registred property
value saleable value), plus 1% de frais d’enregistrement. La valeur officielle d’une propri´et´e correspond `a
sa taille multipli´ee par la valeur index´ee par le gouvernement. `A Chennai, les droits de mutation sont plus
´elev´es : 7%, dont 1% de frais d’enregistrement (cf. chapitre 6, Tableau 6.3).
31. L’Inde serait l’un des premiers pays exportateur d’«argent sale»en Asie. Les flux sortants annuels
sont ´estim´es par le gouvernement de l’Inde de 11,6 milliards de dollars `a 14,3 milliards de dollars pour la
p´eriode 2000-2008 [Kar et Curcio, 2011].
l´egales telles que la promotion immobili`ere
32. En conclusion, bien que la proportion
d’in-vestissements circulaires (round-tripping investments) demeure fort incertaine, il convient
de prendre avec pr´ecaution le terme d’«investissement ´etranger»pour qualifier les circuits
d’investissements financiers `a destination du march´e immobilier indien.
II.B.2 Les principales m´etropoles, hot spots des investissements financiers
dans le secteur de la promotion immobili`ere
La base de donn´ees que nous avons constitu´ee `a partir de la presse financi`ere nous
in-forme avec davantage de certitude des lieux o`u les investissements financiers ont ´et´e plac´es
dans les premi`eres ann´ees de l’ouverture du march´e indien. La Carte 3.2 pr´esente cette
information `a l’´echelle du territoire national. Elle met en exergue le caract`ere concentr´e
des investissements dans les grandes villes indiennes, tout particuli`erement `a Mumbai,
dans la r´egion urbaine de Delhi
33et dans les grandes agglom´erations d’Inde du sud. On
peut interpr´eter ce r´esultat en concluant que les promoteurs se focalisent sur les villes
qui attirent d´ej`a des investissements indiens et ´etrangers dans des activit´es tertiaires «`a
haute valeur ajout´ee» : services financiers, services avanc´es aux entreprises comprenant
la conception de logiciels, les t´el´ecommuncations, les biotechnologies, etc., et donc des
en-treprises qui ont potentiellement besoin d’´etendre leur parc de bureaux, et d’employer des
cadres qui ont eux-mˆemes besoin de se loger. Cette interpr´etation explique possiblement
pourquoi Kolkata n’attire pas davantage d’investissements financiers pour la construction
de projets immobiliers. La capitale du Bengale Occidental, qui est par ailleurs la 3
eville
de l’Inde pour la population, est moins consid´er´ee comme une destination attractive pour
les investissements dans les secteurs«d’avenir»de l’´economie indienne contemporaine
34.
Le caract`ere concentr´e de ces investissements dans les grandes agglom´erations tient aux
crit`eres des investisseurs financiers qui cherchent `a limiter le risque en pariant sur des lieux
o`u le dynamisme ´economique et d´emographique laisse supposer une demande immobili`ere
croissante. A ce premier facteur s’ajoute le rˆole des firmes internationales de conseils en
32. Selon un rapport de la Banque mondiale, l’argent sale qui circule dans le monde est blanchi, pour
l’essentiel, `a travers le secteur immobilier, le secteur financier, l’achat de biens de consommation de luxe
(oeuvres d’art, antiquit´es et automobiles) (World Bank, 2006).
33. Cette r´egion appel´ee laNation Capital Regionregroupe notamment les villes de Delhi, Gurgaon, Noida
et Faridabad.
34. D’apr`es un rapport r´ealis´e par le cabinet de conseils Ernst & Young, Kolkata se classe au 7
erang des
villes indiennes qui attirent des investissements directs ´etrangers, derri`ere Bangalore, Delhi, Pune, Mumbai,
Chennai et Hyderabad (2012). Kolkata pˆatit d’une r´epution de ville industrielle en d´eclin, o`u le patronnat
et les syndicats ouvriers s’opposent toujours tr`es violemment.
Carte 3.2 – Les destinations des investissements financiers internationaux en
Inde.
950 Mumbai
Mumbai
Pune
Chennai
Dans le document
Quand les grands promoteurs immobiliers fabriquent la ville en Inde : regards croisés sur Bangalore et Chennai
(Page 146-149)