• Aucun résultat trouvé

La soumission du droit pénal des affaires aux principes fondamentaux. En tant que branche la plus dure du droit, le droit pénal risque de porter indéniablement atteinte

aux libertés individuelles et aux droits fondamentaux. En ce sens, un auteur a pu affirmer que « le droit pénal contient et retient les plus graves menaces que l’Etat puisse faire peser sur les

libertés individuelles »48. Aussi, pour éviter un empiètement trop important sur les droits de

chacun, un nombre important de garanties a été posé pour protéger le justiciable. Au titre de ces garanties, il est possible d’en relever plusieurs qui partagent les mêmes origines avec le principe de nécessité, ces dernières ayant été pour la plupart inspirées par la philosophie des Lumières. Ainsi, le droit pénal doit concilier son action avec le principe de légalité, présent également à l’article 8 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 mais également avec le principe de présomption d’innocence édicté à l’article 9. Dès lors, le droit pénal, même appliqué aux affaires, ne peut se libérer des principes fondamentaux de la matière pénale

comme le principe de légalité ou de nécessité49, lequel « permet de cantonner l’intervention de

la loi pénale et d’éviter qu’elle étouffe les autres principes fondamentaux »50. Pourtant, la

soumission du droit pénal à de tels principes n’allait pas de soi. Ainsi, des auteurs comme CARRE DE MALBERG ou ESMEIN considéraient la Déclaration de 1789 comme une simple déclaration de principes, insusceptible d’être invoquée par le justiciable et appliquée par les

tribunaux51. Contrairement à cette branche de la doctrine, s’est vu progressivement développé

ce que l’on appelle le mouvement de « constitutionnalisation du droit pénal »52, lequel est

incontestablement la source de la soumission du droit pénal au principe de nécessité. Rappelons qu’à l’origine, une constitution est un texte d’ordre politique qui a vocation à régir les pouvoirs publics et à partager des compétences entre les pouvoirs. Cependant, sous l’impulsion du Conseil constitutionnel est née la notion de bloc de constitutionnalité qui a étendu le champ des

48 J.-H. ROBERT, « La punition selon le Conseil constitutionnel », C.C.C., n°26, août 2009.

49 A. LEPAGE, P. MAISTRE DU CHAMBON, R. SALOMON, Droit pénal des affaires, op. cit., n°13 p. 4.

50 B. DE LAMY, « Le principe de la légalité criminelle dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », C.C.C., 2009, n° 26.

51 J. MORANGE, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2002, p. 100.

37

normes de valeur constitutionnelle. Dans sa célèbre décision Liberté d’association du 16 juillet

197153, le Conseil constitutionnel a intégré au bloc de constitutionnalité la Constitution de 1958,

les principes économiques et sociaux particulièrement nécessaires à notre temps contenus dans le Préambule de la Constitution de 1946, les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République auxquels ce Préambule fait référence, la Charte de l’environnement mais également et surtout la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Ainsi, depuis cette décision, le principe de nécessité dispose expressément d’une valeur constitutionnelle et

donc, supra législative54, ce qui permet à un auteur d’affirmer que la Déclaration de 1789

correspond au « noyau dur du bloc de constitutionnalité »55. La conséquence principale de cette

position des Sages est de permettre le Conseil constitutionnel de contrôler les lois au regard des principes contenus dans la Déclaration de 1789 et notamment au regard du principe de nécessité. Le droit pénal en ce qu’il peut attenter aux libertés fondamentales est donc

aujourd’hui fortement marqué par le droit constitutionnel56. Dès lors, le principe de nécessité a

vocation à s’appliquer à l’ensemble du droit pénal qui lui est inférieur selon la hiérarchie des

normes, mais également à d’autres matières qui ne sont pas stricto sensu du droit pénal.

19. Droit pénal des affaires et matière pénale. Avec la dépénalisation, de nombreux contentieux relevant à l’origine du juge pénal ont été transférés à des autorités de régulation à caractère administratif, chargées de sanctionner les comportements prohibés. Ces procédures, souvent très lourdes et très contraignantes, aboutissent à des sanctions parfois plus dures que celles que prononçait le juge répressif sur le plan pécuniaire même si la peine privative de liberté reste l’apanage du juge pénal. Dans ces conditions, s’est posée la question de l’application des principes fondamentaux du droit pénal à cette nouvelle forme de répression, fortement présente en matière économique. Le justiciable pouvait se retrouver dans une situation plus contraignante que devant le juge pénal, sans bénéficier des garanties de la matière et notamment le principe de nécessité. Dans un premier temps, c’est devant la Cour européenne des droits de l’homme que s’est développée la notion de « matière pénale », correspondant à la répression administrative mais dont les conséquences peuvent être similaires à celles du droit

53 Cons. const., 16 juill. 1971, n° 71-44 DC.

54 J-F. SEUVIC, « Force ou faiblesse de la constitutionnalisation du droit pénal », colloque organisé le 16 mars 2006 par la Cour de cassation (cycle Procédure pénale 2006 – 3ème conférence).

55 M. GANZIN, « La déclaration des droits de l’homme et du citoyen : droit naturel et droit positif », in Les principes de 1789, PUAM, 1989, p. 111.

38

pénal pour le justiciables. A l’occasion de nombreuses décisions, la Cour a eu l’occasion de poser les jalons de sa notion de matière pénale afin de faire bénéficier le mis en cause des

garanties essentielles entourant le procès pénal57. Par la suite, cette notion fut complétée par le

Conseil constitutionnel dans une décision du 30 décembre 1987 au cours de laquelle il a

développé la notion de sanction ayant le caractère d’une punition58. Ces sanctions, bien que

prononcées par des autorités non pénales, se devaient de respecter les principes fondamentaux entourant habituellement les peines. Ainsi, pour les Sages, le principe de nécessité a vocation à

s’appliquer non seulement au droit pénal strico sensu mais également aux sanctions dans les

cas où « le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non judiciaire »59.

Dès lors, les autorités administratives indépendantes agissant en matière économique sont soumises au principe de nécessité même s’il ne s’agit pas à proprement parler de droit pénal. Notre étude se penchera donc sur cet aspect du principe de nécessité dans la mesure où les procédures suivies devant les autorités de régulation font partie intégrante du droit pénal des affaires. Cet aspect universel du principe de nécessité, qui a vocation à innerver tous les compartiments de la répression, illustre parfaitement le rôle central de celui-ci dans le droit pénal économique.

20. Le rôle primordial du principe de nécessité en droit pénal des affaires. S’interroger sur le rôle du principe de nécessité dans l’intervention pénale en matière économique est fondamental à plusieurs titres. Tout d’abord, il est intéressant de se demander si le droit pénal est nécessaire dans ce domaine, si la norme répressive est un besoin impérieux auquel on ne peut échapper. Dès lors, l’intérêt est ici de s’attarder sur ce qui d’ordinaire ne se discute pas et de remettre en cause l’intervention pénale en matière économique et financière. En outre, ces questions nous mèneront à nous interroger sur les raisons profondes du recours à la forme la plus dure du droit en ce domaine et à pouvoir formuler des recommandations de nature à parfaire la politique criminelle. Notre thèse aura également pour objectif de porter un regard nouveau et original sur un principe ancien et son implication dans une matière en perpétuelle évolution qu’est l’économie. Aussi, nous aurons le souhait de mettre en avant un principe fondamental de la politique pénale qui doit servir de guide au législateur dans

57 J.-F. RENUCCI, Droit européen des droits de l’homme, LGDJ, coll. « Manuel », 5e éd., 2013, n° 375, p. 337.

58 Cons. const., 30 déc. 1987, n° 87-237 DC.

39

l’élaboration de la loi répressive en établissant « un équilibre entre deux impératifs, celui de la nécessaire protection de la société et celui de la sauvegarde des intérêts individuels du

délinquant »60. De plus, comme a pu l’affirmer un auteur, « au rang des piliers de l’ordre pénal

républicain, le principe de nécessité demeure de loin le plus méconnu »61, ce qui justifie encore

davantage que nous ayons le souhait d’éclairer au mieux les questions entourant le sujet. Il sera dès lors important que notre étude s’attache à faire la lumière sur ce principe fondamental en explicitant au mieux le rôle qu’il est amené à jouer au sein du droit pénal des affaires.

21. Annonce du plan. Afin de cerner au mieux le principe de nécessité en droit pénal des affaires, il conviendra d’effectuer une étude en deux temps s’articulant autour du caractère bicéphale du principe comme développé précédemment. Notre première partie sera consacrée à l’analyse du principe de nécessité en tant que frein à l’intervention du droit pénal dans la vie économique. Cette acception classique du principe de nécessité nous permettra d’étudier son aspect modérateur en tant qu’obligation à la charge des pouvoirs publics ainsi que le contrôle qui en est fait. La seconde partie de nos travaux aura trait au principe de nécessité en tant que moteur à l’intervention pénale dans le monde des affaires puisque lorsqu’il le faut, le recours au droit pénal s’impose. Plus précisément, nous étudierons les raisons qui tendent à rendre le droit pénal nécessaire en économie tant du point de vue substantiel que formel.

Ainsi, il conviendra de nous pencher dans une première partie sur :

- Le principe de nécessité, frein à l’intervention du droit pénal dans la vie économique,

pour étudier dans une seconde partie,

- Le principe de nécessité, moteur de l’intervention du droit pénal dans la vie économique.

60 P. KOLB et L.LETURMY, Droit pénal général, Gualino, 2e éd., 2008, coll. « Mémentos LMD », n° 337, p. 393.

61 V. SIZAIRE, « Mort et résurrection du principe de nécessité pénale : A propos de la décision du Conseil constitutionnel du 10 février 2017 », La Revue des droits de l’homme, mars 2017.

41

Documents relatifs