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1 - LE CONTROLE DU REGLEMENT PAR LE JUGE PENAL

L’AUDACE DU JUGE ORDINAIRE DANS LE CONTROLE DE LA NECESSITE DES INCRIMINATIONS

1 - LE CONTROLE DU REGLEMENT PAR LE JUGE PENAL

84. L’appréciation du règlement. Les actes réglementaires disposent d’une place importante en droit pénal des affaires dans la mesure où ces derniers peuvent créer une incrimination de nature contraventionnelle, ce qui est notamment le cas en droit de la

consommation278. En ce sens, l’article 111-2 du Code pénal rappelle que le règlement détermine

les contraventions, pouvoir se retrouvant fréquemment en matière économique telle qu’en matière commerciale ou de droit de la consommation. Dès lors, les contraventions sont souvent impliquées dans des cas de droit pénal des affaires et l’interprétation d’un règlement sera parfois déterminante pour l’issue du procès pénal. Ainsi, le juge pénal s’est vu autorisé à exercer un contrôle de légalité sur l’acte réglementaire au cours de l’instance (A) mais celui-ci, afin de ne pas empiéter sur le choix de l’exécutif, doit se garder de tout contrôle d’opportunité (B).

A - Le pouvoir de contrôler la légalité des actes réglementaires lors du procès pénal

85. Le contrôle des contraventions par le juge répressif. Très rapidement, le juge pénal a été autorisé à contrôler la légalité des actes administratifs en raison notamment de « la

théorie de la plénitude de juridiction du juge pénal » développée par le Tribunal des conflits279.

A partir de cette décision, le juge pénal a eu la possibilité de contrôler la légalité non seulement des actes administratifs servant de fondement à la poursuite mais également de tous les actes

278 Pour des exemples, v. art. R. 121-14 et s. C. consom.

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invoqués pendant le procès. Cette possibilité de contrôler la légalité des actes réglementaires a été reprise dans le Code pénal à l’article 111-5 qui dispose que « les juridictions pénales sont compétentes pour interpréter les actes administratifs, réglementaires ou individuels et pour en apprécier la légalité lorsque, de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis ». Ce contrôle de la légalité est d’autant plus important qu’il concerne les décrets par lesquels le gouvernement décide de créer de nouvelles incriminations par la voie des contraventions. En ce sens, et comme le souligne Monsieur le Professeur Bernard BOULOC, « les décrets par lesquels le gouvernement peut créer des contraventions n’ont pas la même autorité que la loi formelle. Ce ne sont en effet que des actes administratifs. Ils […] doivent être soumis au contrôle de légalité par le juge répressif, comme les autres règlements

administratifs »280. Le domaine des contraventions étant particulièrement étendu en droit pénal

des affaires, cette possibilité de contrôle de la légalité est importante, le juge pénal ayant vocation à connaître de nombreuses contraventions en matière économique. Ce dernier dispose donc du pouvoir de mettre à l’écart un acte réglementaire, confinant au contrôle de nécessité.

86. L’intensité du contrôle de légalité. Le contrôle de légalité est particulièrement large puisqu’il comprend non seulement un examen de la conformité du règlement avec la loi mais également avec la Constitution et donc au principe de nécessité. Mais cet examen de la légalité doit tout de même être nuancé. En premier lieu, le juge ordinaire use traditionnellement de la théorie de l’écran législatif pour refuser de contrôler la constitutionnalité d’un règlement. Selon cette théorie développée par le Conseil d’Etat, si une loi s’interpose entre l’acte administratif et la Constitution, contrôler ce dernier reviendrait à contrôler indirectement la constitutionnalité de la loi, ce à quoi se refusent les juges. Traditionnellement, ces derniers s’interdisent tout contrôle de constitutionnalité de la loi, activité réservée exclusivement au Conseil constitutionnel et se servent « du syndrome de l’écran législatif pour maintenir une

certaine distance vis-à-vis de la Constitution […] »281.

Ensuite, même si le tribunal considère un acte illégal ou inconstitutionnel et refuse

d’en faire application282, la disposition n’est pas annulée et demeure dans l’ordonnancement

juridique, les juridictions administratives étant seules compétentes pour la supprimer. De plus,

280 B. BOULOC, Droit pénal général, op. cit., n° 128, p. 126.

281 A. DERRIEN, Les juges français de la constitutionnalité, Bruylant, coll. Bibliothèque européenne de droit constitutionnel, 2003, p. 81.

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la décision de la juridiction répressive n’a qu’une autorité relative de chose jugée, un autre juge pénal pouvant déclarer l’acte conforme aux normes qui lui sont supérieures. A l’inverse, rien n’empêche qu’un jugement ultérieur déclare l’acte illégal en contradiction avec une décision

antérieure283. Même limité dans ses effets, il n’en reste pas moins que le contrôle de légalité

peut aboutir à vérifier la conformité d’une incrimination avec le principe de nécessité issu de l’article 5 de la Déclaration de 1789. Or, cette limite à l’examen de légalité est à rapprocher d’une autre caractéristique, qui est l’interdiction d’opérer un contrôle de l’opportunité de la décision réglementaire.

B - L’interdiction de dévier vers un contrôle d’opportunité

87. Le contrôle de la nécessité conduisant au contrôle d’opportunité. La loi des 16 et 24 août 1790 interdisait déjà aux tribunaux judiciaires de troubler les opérations de l’administration, ce qui justifiait la compétence exclusive du Conseil d’Etat pour connaître des recours en excès de pouvoir contre un acte réglementaire. Or, réserver la possibilité au juge pénal de s’interroger sur la légalité d’un acte administratif revient à s’interroger sur son opportunité. Cependant, la frontière entre la nécessité de l’acte et son opportunité est particulièrement mince, l’un pouvant dévier sur l’autre. Ecarter une incrimination jugée inopportune est assimilable à une absence de nécessité. C’est pour cette raison que la Chambre criminelle de la Cour de cassation s’autorise à contrôler que le juge pénal ne déborde pas sur une appréciation de l’opportunité de la norme qui lui est soumise.

88. Le contrôle de la Cour de cassation sur l’interdiction d’apprécier l’opportunité par le juge pénal. La Chambre criminelle de la Cour de cassation veille constamment à ce que les juges répressifs du fond n’apprécient pas l’opportunité de la mesure administrative. Ainsi, dans un arrêt du 20 mars 1980, la Haute juridiction a eu à juger de la

conformité d’une mise à l’écart d’un acte réglementaire par le juge pénal284. Le cas d’espèce

est caractéristique du lien entre nécessité et opportunité, puisqu’un tribunal de police avait refusé d’appliquer un arrêté ministériel interdisant la conduite de véhicule sans port de la

283 Cass. crim., 18 juill. 1991, Bull. crim., n° 301.

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ceinture de sécurité, au motif que « la mesure édictée n’est pas opportune » puisque cette dernière « ne saurait poursuivre un but de sécurité publique ». Il apparaît clairement que la mise à l’écart de l’arrêté par le juge du fond relève d’une appréciation de sa nécessité, ce dernier s’étant fondé sur « les articles 4 et 5 de la Déclaration des droits de 1789 ». Pour le magistrat, la contravention édictée n’est pas nécessaire, ce qui est perçu comme un contrôle d’opportunité dans la mesure où l’autorité judiciaire a substitué son appréciation à celle du créateur de normes. La Chambre criminelle est venue rappeler l’interdiction d’apprécier l’opportunité d’un règlement par le juge répressif et a affirmé que « le tribunal, qui a cru pouvoir à tort se faire juge de l’opportunité de la mesure instituée, a excédé ses pouvoirs ». La cassation se justifiait aisément puisque les magistrats du fond se sont livrés à une véritable appréciation de la nécessité de la mesure, prérogative exclusive du pouvoir réglementaire dans la création des contraventions. Bien que le cas ne concerne pas directement le droit pénal des affaires, une telle solution est de portée générale et pourrait s’appliquer au domaine économique. Aussi, il ressort de cette jurisprudence que le juge pénal, même s’il dispose du pouvoir de contrôler la légalité d’un acte réglementaire, ne peut substituer son appréciation ni à celle du pouvoir exécutif, ni à celle du législateur.

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