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Le sommeil et les rêves

Dans le document Hypnose, sommeil, placebo ? (Page 110-116)

III. Être une mémoire

10. Le sommeil et les rêves

Est-ce que toutes les espèces animales dorment ?

Absolument toutes les espèces animales dorment, y compris les vers de terre, les fourmis, les oiseaux, les poissons, les dauphins, etc. Le sommeil des dauphins (avec celui des autres mammifères marins) est particulier. Chez le dauphin, respirer est un acte volontaire qui ne peut pas être réalisé endormi (il se noierait). De ce fait, un seul des deux hémisphères cérébraux dort à la fois. Le dauphin alterne ainsi deux heures de sommeil dans un hémisphère, puis une heure d’éveil dans les deux, puis deux heures de sommeil dans l’autre hémisphère, et ainsi de suite pendant douze heures, chaque nuit. Lors des grandes migrations, pendant lesquelles certains oiseaux passent plusieurs jours en vol, les oiseaux dorment seulement quelques secondes à la fois, mais pour une durée totale de sommeil normale.

La quantité de sommeil des bébés humains est très supérieure à ce qu'elle sera à l'âge adulte. C'est aussi le cas des bébés opossums. Le point commun entre eux et nous : nos bébés naissent très immatures – ils ont donc beaucoup à apprendre (et nous savons que la quantité de sommeil est directement proportionnelle à la quantité de souvenirs à mémoriser).

Que se passe-t-il durant l'éveil (qui nous oblige à dormir) ?

Pendant l'éveil, l'activation neuronale du cortex est complètement localisée : une colonne corticale par-ci, une autre par-là, en faisant en sorte qu'à aucun moment deux colonnes corticales voisines ne soient actives en même temps. Cette individualisation de l'activation neuronale est obtenue grâce aux connexions latérales inhibitrices qui garantissent à la colonne corticale la plus rapide à s'activer d'être seule à le faire (sur cette carte). Les connexions (excitatrices) à longue distance entre foyers

d'activations sont renforcées du fait de l'application de la loi de Hebb (« des neurones actifs dans la même fenêtre temporelle voient leur connexions renforcées »). Par contre, du fait même de l'efficacité de la connectique inhibitrice latérale, les connexions inhibitrices ne peuvent pas être renforcées par application de la loi de Hebb. En fait, d'après cette même loi, les connexions inhibitrices efficaces doivent perdre de leur efficacité au cours du temps. Ceci signifie que plus la durée de l'éveil est longue, moins ces connexions sont efficaces – jusqu'à n'être plus capables d'empêcher l'activation des colonnes corticales voisines. Si cela se produit, alors il est impossible d'avoir une pensée « précise », puisqu'elle impliquera une localisation corticale floue (plusieurs colonnes actives au même endroit au lieu d'une unique colonne).

Pourquoi devons-nous dormir ?

Le problème est que si l'on admet aujourd'hui la réalité biologique de la loi de Hebb, on ne connaît aucune autre « loi » qui pourrait expliquer comment des connexions inhibitrices efficaces peuvent se renforcer. Aucun résultat scientifique actuel n'interdit d'imaginer que la loi de Hebb puisse rendre compte de l'apprentissage de ces synapses (inhibi­ trices) et donc qu'elles se renforcent lorsque les neurones amont et aval sont actifs dans la même fenêtre temporelle.

Le problème, c'est que cette co-activation est « anormale » et ne peut pas être obtenue pendant l'éveil sous peine de modifications extrême­ ment pénalisantes pour le fonctionnement cortical et donc de comporte­ ments extrêmement altérés pour l'individu. Cette co-activation de colonnes corticales voisines est notamment observée pendant des épisodes épileptiques (la crise d'épilepsie résultant d'une onde de dépola­ risation se propageant de proche en proche sur l'ensemble de la surface corticale).

Comment dormons-nous ?

Durant les différentes phases du sommeil « lent », une onde de dépolari­ sation parcourt de proche en proche l'ensemble des colonnes corticales. Selon la « profondeur » du sommeil, il s'agit des rythmes Alpha et Mu (stade 1 du sommeil, d'une fréquence de 8 à 13 Hz et d'une amplitude de 30 à 50 microvolts mesurés avec un EEG), le rythme Thêta (stades 2 et 3 du sommeil, 4 à 7 Hz, 50 à 100 microvolts), le rythme Delta (stades 3 et

4 du sommeil, 0.5 à 4 Hz, 200 microvolts). Les ondes de dépolarisation se déplacent de proche en proche et permettent donc le renforcement des connexions inhibitrices.

A quoi sert le sommeil paradoxal ?

Si les connexions inhibitrices sont renforcées par la survenue des diffé­ rents stades du sommeil, les connexions excitatrices ont aussi alors tendance à s'effacer (deux neurones reliés par une connexion à longue distance n'étant, à ces moments-là, jamais actifs simultanément). De ce fait, les connexions excitatrices à longue distance doivent être périodi­ quement réactivées durant le sommeil. C'est ce que garantissent les phases de sommeil paradoxal (3 à 5 fois par nuit, pendant 10 à 20 minutes). Les connexions à longue distance sont plus fragiles que celles de l'inhibition latérale car elles dépendent du vécu (ce qui n'est pas le cas des connexions inhibitrices). De ce fait, l'homme peut se permettre une journée d'éveil de 16 heures renforçant les connexions excitatrices et réduisant les connexions inhibitrices, mais l'affaiblissement des connexions excitatrices pendant les phases de sommeil doit être morcelé afin de ne pas risquer d'effacer complètement ce qui a été appris. Après chaque période de réactivation inhibitrice (sommeil lent), il y a une réactivation des synapses excitatrices (sommeil paradoxal).

Qu'est-ce que mesure l'EEG ?

Les variations d'amplitude mesurées par EEG entre les différentes phases du sommeil témoignent de la cohérence d'activation des neurones. Plus le rythme est lent, plus le nombre de neurones localement actifs est grand. Bien évidemment, sur une période de temps donnée, il n'y a pas de différence en termes de nombre d'activations par neurone : 50 micro­ volts à 4 Hz équivaut à 200 microvolts à 1 Hz. Il y a cependant une différence, le nombre moyen de neurones actifs à un instant donné varie. C'est lorsqu'il est le plus grand que se font ressentir les effets les plus importants sur le renforcement de l’inhibition. Pour parvenir au rythme le plus lent (Delta), les transitions entre les différents stades du sommeil se font en douceur : d'une fréquence rapide à une fréquence plus lente, avec mélange des rythmes dans les divers stades (c'est plutôt leurs proportions qui sont différentes).

Pourquoi est-il impossible de bouger durant le sommeil ?

Le fonctionnement cérébral lors du sommeil lent est l’antithèse de l'éveil. Il s'agit de remettre les connexions inhibitrices en état, afin qu'au début de la nouvelle phase d'éveil l'inhibition latérale entre colonnes corticales soit opérationnelle, et donc que les « pensées » soient précises et claires. Durant ce rechargement des synapses inhibitrices, on ne peut tolérer aucune action, car le traitement neuronal de la situation est complètement altéré. Pour empêcher toute action intempestive, l'envoi des messages nerveux depuis le cerveau vers les muscles est rendu inopérant – le corps ne bouge plus, malgré les ordres qui ont été imaginés.

Quid des rêves ?

Les rêves fascinent car ce sont des créations qui se produisent à notre insu, et nous ne tolérons pas d'être ainsi le jouet de nos neurones. C'est pourquoi nous nous évertuons à rechercher dans ce fatras d'éléments sans queue ni tête, un ordre, une raison. Pour les uns, il s'agit de prémo­ nition, pour d'autres d'une fenêtre sur le subconscient. La réalité est bien moins romantique.

Les rêves qui ont lieu pendant le sommeil lent (les moins nombreux) sont construits à partir de l'action des ondes de dépolarisation. De ce fait, il n'y a pas de lien avec les événements récents. Par contre, il peut s'agir de rêves récurrents, les mêmes dépolarisations activant les mêmes associations de colonnes.

Les rêves se produisant durant le sommeil paradoxal sont construits par l'activation répétée et désordonnée des connexions activées lors de la phase d'éveil. Il est donc normal d'y retrouver des éléments des jours précédents, dans le désordre bien sûr puisqu'il n'y a pas d'ordre dans la réactivation.

Les sensations de flottement, d'apesanteur et d'impossibilité de se mouvoir semblent liées à la mise en place de la coupure entre cerveau et effecteurs : nous savons que nous envoyons des ordres, mais il ne se produit rien au niveau musculaire, ou, nous ne recevons rien au niveau sensoriel – la conclusion logique est que nous sommes débarrassés de l'influence de la gravitation.

Un dernier mot sur les rêves prémonitoires, qui ont notamment lieu lors de la phase d'endormissement ou d'éveil. Ils sont mieux construits que

les rêves classiques (puisque le fonctionnement cérébral est moins altéré à ces moments-là). Il s'agit donc d'un traitement normal de la situation par notre cerveau – mais sans supervision consciente. Ces rêves sont donc construits avec quelque chose que nous avons déduit (inconsciem­ ment – sans le verbaliser).

Conclusion

Des travaux récents montrent que la durée du sommeil n'est pas la même dans toutes les zones du cortex47. En fait, chaque région dort en fonction

de son utilisation pendant l'éveil. Si aujourd'hui vous avez fait beaucoup plus de musique que d'habitude, alors les zones du cortex impliquées dans la musique vont dormir davantage (plus longtemps et plus profon­ dément).

D'autres travaux ont mesuré les activations neuronales lors du sommeil paradoxal et ont trouvé que le cerveau rejoue les événements de la journée – dans le désordre – et à une vitesse qui est environ 20 fois plus rapide que pendant l'éveil48. Une demi-heure de sommeil paradoxal est

l'équivalent de dix heures d'éveil. Ceci semble expliquer la disproportion entre les durées des sommeils lent et paradoxal.

47 R. Huber, M. Ghilardi, M. Massimini & G. Tononi. Local sleep and learning.

Nature 430, 78-81 (1 July 2004).

48 D. Euston, M. Tatsuno & B. McNaughton, Fast-Forward Playback of Recent Memory Sequences in Prefrontal Cortex During Sleep, Science 318, 1147 (2007).

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