• Aucun résultat trouvé

L'illusion du plaisir

Dans le document Hypnose, sommeil, placebo ? (Page 62-66)

I. Qui sommes-nous ?

5. L'illusion du plaisir

Le chapitre précédent a fait du libre-arbitre une illusion. De ce fait, nos réactions et nos réflexions sont donc uniquement guidées par notre vécu. Notre vie ne nous appartient donc pas ! Devant cette évidence, de nombreuses personnes croient trouver dans l'existence du plaisir un contre-argument : c'est la quête du plaisir qui nous guide vraiment ; pas nos réflexions.

La quête du plaisir : un droit !

Cette quête du bonheur, du plaisir, est considérée comme un droit. Elle est d’ailleurs inscrite dans la Déclaration d'indépendance américaine (4 juillet 1776) : « Nous tenons pour évidentes par elles-mêmes les vérités

suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Les gouvernements sont établis parmi les hommes pour garantir ces droits,... ». La question qui se pose

est donc de vérifier que le plaisir existe, que ce n'est pas aussi une illusion. Mais prenons l'histoire par son début : qu'appelons-nous le plaisir ?

Le plaisir : définition

Le plaisir est chez l'être vivant une sensation agréable et recherchée. Plaisir et motivation sont synonymes, car nous nommons par définition plaisir ce dont la recherche nous motive, même lorsqu'il s'agit de la simple préparation de plaisirs ultérieurs plus grands.

Motivation intérieure

Le chapitre 2 consacré aux comportements affirme que tout comporte­ ment se définit par une succession d'actions choisies pour nous rappro­

cher d'une situation-but. Lorsque ce but n'est pas vu, perçu ou deviné par l'observateur (qui peut être l'individu lui-même), alors nous en déduisons que ce comportement est motivé (intérieurement) par la recherche de plaisir. Pourquoi le plaisir ? Parce qu'il y a un consensus pour affirmer que si nous ne savons pas ce qui motive quelqu'un, alors c'est qu'il recherche du « plaisir » (certainement pas une recherche de déplaisir).

Le plaisir est-il universel ?

Tout le monde éprouve du plaisir, en tout cas tout le monde en donne l'image à un moment ou à un autre. Pourtant, ce qui fait plaisir à quelqu'un peut très bien nous être indifférent, voire être considéré par nous comme déplaisant. Le plaisir dépend donc de notre vécu. Nous en concluons que le plaisir est universel dans sa répartition et individuel dans son expérience. Si l'on parvient à expliquer ce qui « motive intérieurement » quelqu'un, alors nous aurons découvert le secret du plaisir pour tous !

Plus Petit Dénominateur Commun (PPDC)

Les cartes corticales mémorisent les situations perçues. Mais, comme il y a bien plus de situations vécues que de colonnes corticales, les situations similaires sont regroupées sur les mêmes colonnes corticales, à raison d'une colonne corticale par carte (il y a donc autant de cartes impliquées que de caractéristiques). Pour chaque groupe de situations similaires, les caractéristiques les plus communes au groupe (de situations) sont effica­ cement mémorisées et constituent ce que j'appelle « le plus petit dénomi­ nateur commun ». A l'inverse, les caractéristiques les moins partagées sont moins bien mémorisées.

Le plus petit dénominateur commun est un point d'attraction, car les caractéristiques qui le composent sont toujours toutes actives en même temps dès lors qu'une partie d'entre-elles est activée22.

Du fait de la compétition locale, sur chaque carte corticale une seule colonne corticale est active à la fois. Cette colonne corticale active constitue une situation-but (de cette carte) pour cette caractéristique. Il y a donc à chaque instant l'activation au minimum d'un plus petit dénominateur commun en lien avec la situation actuelle. A défaut de but

clairement spécifié par ailleurs, ces buts « implicites » génèrent un comportement motivé intérieurement.

Enfin, lorsque la situation vécue est en adéquation complète avec le codage d'un « plus petit dénominateur commun » (PPDC), l'activation résultante est minimale. Aucune activation neuronale parasite n'existe en dehors du PPDC. La mémorisation sera facilitée car le nombre de neurones impliqués par une mise à jour hebbienne de ses connexions sera minimum. Cette facilitation de la mémorisation garantit que cet instant sera un point attracteur dans le futur. Le sujet recherchera à retrouver cet instant (que nous qualifions) de « bien-être ».

La théorie de Schmidhuber

Jürgen Schmidhuber développe et teste depuis plus de 20 ans une théorie sur le fonctionnement du cerveau23. Dans sa thèse, la source de la

motivation intrinsèque n'est pas le plus petit dénominateur commun, mais le taux de compression de l'information traitée. C'est un concept relativement proche, mais qui me gêne parce qu'il n'est pas aisé de le calculer (pour le cerveau) – tandis que le PPDC est inscrit dans le principe même du fonctionnement d'une mémoire associative.

Sommes-nous des drogués du plaisir ?

Nous sommes dans une quête permanente d'états de bien-être, de moments heureux. Cette recherche guide notre vie à chaque instant et semble partager des similitudes avec le comportement des drogués, toujours à la recherche des états neuronaux induits par la drogue. Est-ce vraiment le cas ?

Un psychotrope agit sur les neurones en réduisant l'activité neuronale moyenne. Cela ne signifie pas que toute drogue soit associée à un effet neuronal inhibiteur, seulement que l'effet final sur l'ensemble des neurones du cortex est de réduire l'activité. Une drogue peut par exemple exciter des interneurones inhibiteurs. Ce qui compte c'est l'effet final : une réduction d'activité neuronale identique à celle que nous aurions eue si un ou plusieurs buts de notre vie étaient atteints d'un seul coup ! Il faut imaginer que dans le même temps, tout ce qui nous empêche d'être pleinement nous-mêmes (les conflits entre buts antagonistes) disparaît.

23 J. Schmidhuber. Formal Theory of Creativity, Fun, and Intrinsic Motivation (1990- 2010). IEEE Trans. on Autonomous Mental Development, 2(3):230-247, 2010.

Pour celui qui n'a guère de satisfaction dans la vie car ses buts sont rarement atteints, l'effet de la drogue est unique et l'analogie entre quête de bonheur et drogue est juste.

Pour un observateur extérieur, ce que vous refaites ou cherchez à refaire est un signe que ce but précis est générateur pour vous de bien-être. Si les raisons objectives qui vous poussent à renouveler une expérience sont l'absorption d'une substance chimique psychotrope (une drogue), alors vous êtes un drogué (sinon vous pourriez avoir des troubles obsession­ nels compulsifs – TOC). En cas de prise de drogue, les états neuronaux sont ceux d'activité minimale, et donc ils seront les mieux mémorisés. Avec la répétition, il deviendra de plus en plus difficile de s'en sortir, car la mémoire du drogué risque de ne plus contenir d'autres événements labellisés « plaisir ».

Conclusion

Le cortex est le support d'une (grande) mémoire associative. Certains états mémorisés sont plus compacts que d'autres au sens où moins de colonnes corticales sont impliquées. Lorsque la situation vécue est exactement conforme à l'un de ces états, l'activation neuronale existante dans le cortex est minimale. Il s'ensuit une mémorisation optimale – et donc un état attracteur renforcé. Ce renforcement induit une probabilité d'excitation augmentée : l'état neuronal associé à cette situation sera recherché. Un observateur naïf verra quelqu'un de motivé par un but (éventuellement difficile à identifier) et en déduira que s'il agit ainsi c'est parce que cela lui plaît. L'initiation de tels comportements (libellés en tant que quête de plaisir) est due aux propriétés d'apprentissage de nos cartes corticales (mémoires associatives) et m'apparaît comme un effet de bord. J'en déduis donc le caractère illusoire du plaisir, de la motiva­ tion intérieure, etc.

Dans le document Hypnose, sommeil, placebo ? (Page 62-66)