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Chapitre 1: Etat des connaissances et Problématique

1.3. Sols en milieu tropical humide et cas particulier des sols de rizières

1.3.1.Organisation et fonctionnement des sols tropicaux en climat humide

Dans la zone tropicale humide, les sols et les paysages intègrent et reflètent les variations climatiques, la roche mère et la situation stationnelle sur de longs termes. Plusieurs types de sols peuvent se distribuer de manière régulière dans le paysage alors que les roches mères demeurent homogènes. Ces successions ordonnées et systématiques de sols en fonction de la pente topographique constituent des toposéquences typiques (Bocquier, 1971). Dans les paysages des régions tropicales, les sols s’organisent en toposéquence de couleur (Rajot, 1992; Diatta et al., 1998a):

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•en amont, sur les plateaux et les hauts versants, on trouve des sols rouges ou rouges-jaunâtres, gravillonnaires, sablo-argileux, profonds et des sols cuirassés. Les conditions de drainage sont bonnes et les cultures arbustives sont dominantes (cacaoyers, caféiers) ;

•dans le bas versant où les sols sont temporairement inondés, sont localisés des sols hydromorphes sableux, gris et profonds. La culture du riz est associée à celle de manioc, maïs, igname. On peut y voir des vergers.

•dans les bas-fonds, où les sols sont en permanence inondés en saison des pluies et beaucoup lessivés, les sols sont colluvio-alluviaux, hydromorphes, gleysols (FAO,1998) sablo-limoneux à sablo-argileux blancs. La culture dominante est la riziculture.

Les sols tropicaux humides sont soumis à des saisons contrastées et subissent d’intenses processus d’altérations physiques et chimiques, de remaniement, sous l’influence des activités biologiques, du climat et de la topographie. Cependant, l’altération est généralement plus lente sur les plateaux que dans les bas-fonds hydromorphes où on assiste à un blanchiment dû à la dissolution des oxydes de fer (Rajot, 1992). Les minéraux dissous à l’amont s’accumulent à l’aval dans la zone de battement de la nappe (Tardy, 1993).

Les sols sont généralement acides, complètement ou moyennement désaturés en bases par l’altération. Ils sont riches en quartz, en oxydes et oxyhydroxydes de fer et d’aluminium (goethite, hématite, gibbsite) et renferment tous les principaux groupes de microorganismes qui jouent un rôle fondamental dans le fonctionnement des cycles biogéochimiques du carbone, de l’azote, du soufre, du fer, du phosphore, du manganèse (Dommergues & Mangenot, 1970; Berthelin & DE Giudici, 1991). Les oxyhydroxydes de fer et les matières organiques sont les constituants les plus réactifs de ces systèmes. En effet, dans les sols tropicaux sous forêt, c’est l’appauvrissement qui domine.

Dans ces milieux, le carbone apporté principalement par la production végétale est décomposé et minéralisé plus rapidement en amont qu’en aval dans les bas-fonds par les microorganismes présents (Vizier, 1990). En effet, cette rapide décomposition et minéralisation des matières organiques en amont est due en partie à l’oxygénation du milieu, qui favorise une biodégradation rapide et meilleure de la matière organique par les microorganismes (Dommergues & Mangenot, 1970). Selon Tardy (1993) l’activité biologique est le facteur nécessaire de l’évolution du paysage morpho-pédologique, mais elle est beaucoup influencée par l’état hydrique des sols.

1.3.2.Sols de rizières

Les rizières sont des milieux hydromorphes où un déficit plus ou moins prolongé en oxygène, dû à une saturation temporaire ou permanente des pores par l’eau, se manifeste. La submersion favorise des conditions d’aéro-anaérobioses ou anaérobioses, et provoque des réactions d’oxydation et/ou

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réduction de divers éléments métalliques, en particulier le fer. Elle modifie les propriétés physico-chimiques et pédogénétiques du sol, ralentit le développement et l’activité des microorganismes qui interviennent dans le fonctionnement des cycles biogéochimiques.

Dans les sols de rizières, les oxydes, hydroxydes ou oxyhydroxydes de fer peuvent subir des réactions d’oxydo-réduction suivant les conditions d’aération du milieu, la composition et l’état des solutions du sol, ou la présence des microorganismes qui interviennent directement ou indirectement par ces minéraux. Les états du fer oscillent entre deux phases Fe2+ (de couleur verte, plus mobile) et Fe3+ (de couleur rouille, peu mobile). Le passage d’une forme à l’autre est contrôlé principalement par les réactions d’oxydo-réduction ci-dessous (équation, 9).

Il est possible d’établir des diagrammes de l’état du fer en solution selon les conditions d’aération et les paramètres du milieu: le pH et le potentiel redox (Eh), et pour une concentration donnée (Charlot,

1983; McBride, 1994) (Figure 1.3).

Ainsi, en présence d’oxygène (O2) (800 < Eh < 1500 mV), les réactions d’oxydation sont dominantes. Le fer se trouve majoritairement sous forme insoluble (Fe3+), et dans le sol, sous forme d’hydroxyde dont une grande partie à l’état colloïdal en milieu alcalin. La décroissance de l’oxygène (O2), à -450 < Eh < 800 mV et des milieux acides, créent des conditions réductrices et favorise le transfert d’électronsvers des accepteurs FeIII en solution ou sur la phase solide. A pH >7, la présence de Fe2+ permet la précipitation des hydroxydes ferro-ferriques verts Fe3(OH)8 ou noirs Fe4(OH)10. A -450 < Eh < -1000 mV, le milieu devient plus réducteur. On peut observer la formation de sulfure de fer (FeS2) par la réduction des sulfates et de sidérite (FeCO3) quand le milieu est riche en matières organiques.

Figure 1.3 : Diagramme de Pourbaix (Eh, pH, Fer et O2) d’après Charlot (1983) et McBride (1994).

Fe3+ (aq) Fe2+ (aq) Fe (s) Fe(OH)3(s) Fe(OH)2(s) Fe3O 4(aq) et hydroxydes verts

+ -O2 Fe3+ (aq) Fe2+ (aq) Fe (s) Fe(OH)3(s) Fe(OH)2(s) Fe3O 4(aq) et hydroxydes verts

Fe3+ (aq) Fe2+ (aq) Fe (s) Fe(OH)3(s) Fe(OH)2(s) Fe3O 4(aq) et hydroxydes verts

Fe3+ (aq) Fe2+ (aq) Fe (s) Fe(OH)3(s) Fe(OH)2(s) Fe3O 4(aq) et hydroxydes verts

+ -O2 + -O2 + -O2 (9) Fe 3+3+ Fe 2+ -e -+ e --e -+ e

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Selon l’état hydrique des sols, trois types d’hydromorphie peuvent se distinguer en fonction du potentiel redox des sols et du comportement des bactéries (Dommergues & Mangenot, 1970;

Berthelin, 1982; Berthelin & DE Giudici, 1991) :

•l’hydromorphie non réductrice, caractérisée par des potentiels redox élevés et une teneur en oxygène suffisante pour la prolifération de la microflore aérobie ;

•l’hydromorphie moyennement réductrice, correspondant à des faibles potentiels redox et une présence d’oxygène favorisant le développement de la microflore aéro-anaérobie et pour certaines phases anaérobie. Le riz s’y développe parfaitement ;

•l’hydromorphie très réductrice, caractérisée par des potentiels redox très faibles et des milieux dépourvus d’oxygène ne provoquant que le développement des bactéries anaérobies strictes.

Divers travaux (Dommergues & Mangenot, 1970; Berthelin, 1982; Berthelin & DE Giudici, 1991;

Liesack et al., 2000; Yin et al., 2002) révèlent qu’en cas de submersion d’un sol entrainant

l’anaérobiose, le nitrate est le premier accepteur d’électron à être réduit très rapidement, suivi du Mn(IV), du Fe(III), du SO4

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et de CO2 (Tableau 1.4).

Les sols de rizières se définissent comme un système à trois compartiments très complexes: oxique, anoxique et rhizosphérique (Liesack et al., 2000) (Figure 1.4), qui se distinguent l’un de l’autre par les paramètres physico-chimiques, l’activité et la distribution spatiale des différents groupes microbiens fonctionnels.

Tableau 1.4 : Processus de réduction bactérienne se produisant dans un sol engorgé d’après Yoshida (1976); Berthelin (1982)et Berthelin & DE Giudici (1991)

Disparition O2 - Respiration aérobie

Disparition des NO3- 500 < Eh < 600 Respiration anaérobie

Formations de Mn2+ 400 < Eh < 600 Respiration anaérobie

Formations de Fe2+ 300 < Eh < 600 Respiration anaérobie

Formation de S2- 0 < Eh < -190 Respiration anaérobie

Formation de H2 -150 < Eh < -220 Fermentation

Formation de CH4 -150 < Eh < -190 Fermentation

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Figure 1.4 : Différents compartiments présents dans les sols de rizières d’après Liesack et al.,(2000)

Contrairement aux travaux menés dans les sédiments (Canfield et al., 1993) montrant une diminution de l’oxygène en profondeur, les sols de rizières présentent deux sources d’oxygène : la surface et la rhizosphère (Liesack et al., 2000). Ainsi, comme l’oxygène, le nitrate, le manganèse, le sulfate, le carbone, les profils du Fe(III) et Fe(II) seront modifiés dans chaque zone.

Dans ces milieux hydromorphes où les bactéries disposent de suffisamment de matières organiques métabolisables (Berthelin & DE Giudici, 1991) des activités sulfato-réductrices (SRB) et méthanogènes peuvent se développer. Roy et Conrad (1999), puis Yao et Conrad (1999) considèrent ces milieux comme la principale source de production de méthane atmosphérique.