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Solidité des associations spécialisées au niveau national

Section IV. Les associations spécialisées, des colosses aux pieds d’argile ?

41. Solidité des associations spécialisées au niveau national

Dépendant statutairement de la FNSEA depuis sa création en 1946, les associations spécialisées ont, de fait, une autonomie certaine. Leur relation ambivalente avec la FNSEA se traduit par la relative indépendance de fonctionnement de la Commission permanente de coordination des associations spécialisée (CCAS), intégrée au sein de la FNSEA. Cette commission, chargée d’harmoniser les politiques des différentes associations spécialisées de la FNSEA, est dotée de moyens budgétaires spécifiques, apportés par les différentes associations spécialisées. C’est, de fait, l’endroit où se discutent et se décident les questions économiques2. Les socialistes, instigateurs de la mise en place de la

1 L. PRUGNAUD, Les étapes du syndicalisme agricole en France, Editions de l’Epi, 1963, p. 177. 2 Entretien avec Jean Pinchon, novembre 1996.

CGA, espéraient créer avec la CCAS un contre-pouvoir au sein de la FNSEA capable de limiter les ambitions des associations spécialisées de grandes cultures1. Assurant une concertation entre les différentes associations spécialisées et permettant une certaine solidarité financière2 entre elles, la CCAS n’en reste pas moins largement sous l’influence des organisations représentant les grandes cultures3.

Au cours des années 1950, la mainmise des grands agriculteurs du Nord et du Bassin parisien sur les instances de la FNSEA ne fait aucun doute4. Assumant les principales responsabilités dans les organisations agricoles nationales, les grands agriculteurs, souvent parallèlement impliqués dans des associations spécialisées, garantissent à celles-ci une position de force dans les institutions agricoles. Cette domination traduit une évolution des équilibres en milieu agricole : les oppositions entre classes s’estompent au profit d’une polarisation axée d’une part autour de grands exploitants, pratiquant surtout la culture des céréales et de la betterave, d’autre part autour de petits exploitants familiaux en polyculture-élevage5. La loi sur l’indexation des prix agricoles de

1957 marquera l’apogée de ce processus : initialement conçue pour le lait, elle sera rapidement étendue, sous la pression de la FNSEA, à dix autres produits, dont les céréales6.

La puissance du secteur céréalier et betteravier, dont nous avons démonté précédemment une partie des fondements, contraste avec l’apparente faiblesse du secteur des productions animales dans leur ensemble. La crise agricole de 1953 met en évidence l’absence de régulation dans le secteur des productions animales. En ce qui concerne la viande, par exemple, les producteurs sont dominés par

1 P. COULOMB et H. NALLET, « Les organisations syndicales...», in Y. TAVERNIER et al., op.

cit., 1972.

2 En 1947, la CCAS assurera la collecte de 127 000 F auprès de 11 associations spécialisées,

somme destinée à soutenir la campagne menée par la FNPL pour obtenir un “juste prix du lait” (FNSEA, Recueil des travaux de la Commission permanente de coordination des associations

spécialisées, septembre 1947-août 1948).

3 La CGB, par le biais de son président Pierre Leclerq et de son directeur Henri Cayre, est très

impliquée dans la CCAS. Georges Ferté, grand exploitant de l’Aisne, sera aussi l’un des piliers de cette commission (entretien avec Jean Pinchon, novembre 1996). De fait, les représentants des éleveurs y sont quasiment absents (entretien avec Philippe Neeser, juillet 1997).

4 G. WRIGHT, op. cit., 1967, p. 180-183 ; P. COULOMB, H. NALLET et C. SERVOLIN, op. cit.,

1977, p. 137-146.

5 P. COULOMB, H. NALLET et C. SERVOLIN, op. cit., p. 139. 6 Idem, p. 144.

quelques grands éleveurs de la région normande, plus proches des maquignons et des grossistes parisiens que de la masse des éleveurs du Massif central1. L’atomisation du secteur laitier en de multiples bassins, aux histoires très différentes, rend le mouvement syndical laitier fragile au niveau national. Durant les années 1950, l’autonomie de la FNPL et sa relative influence au sein des institutions agricoles2 semble plus reposer sur l’importance que lui reconnaissent les pouvoirs publics que sur une réelle unité de pensée et d’action.

Le directeur de la FNPL de l’époque qualifie clairement les relations entre son organisation et la FNSEA : « La FNSEA avait compris qu'il ne fallait pas qu'elle marche sur nos brisées et qu'elle nous couvre. Nous la tenions au courant, on lui demandait son avis (...). De fait, nous avions une autonomie presque totale. Nous étions toujours couverts par la FNSEA. C'est nous qui prenions les décisions. Jamais aucune décision sur le lait, de mon temps du moins, n'a été prise par la FNSEA. Nous faisions toujours bloc. Nous ne voulions pas qu’on nous marche sur les pieds et qu'on nous enlève notre prestige de FNPL. Nous avions une grande ambition, un peu d'orgueil, d'être la fédération qui défendait les producteurs »3.

La marque la plus nette de l’autonomie des associations spécialisées réside dans leur capacité à s’auto-financer et à gérer les relations que cela entraîne avec la FNSEA. Les principales d’entre elles ont toujours eu leurs ressources et leur budget propres. D’une certaine façon, on peut dire que ce sont les associations spécialisées qui dominent la FNSEA, du fait de l’assistance financière qu’elles lui prêtent : « On venait chercher la FNSEA quand on en avait besoin. Nous nous financions par nous même, la FNSEA ne nous donnait pas un sou. A un moment, c'est même nous qui donnions de l'argent à la FNSEA »4. Du côté des céréaliers et des betteraviers, c’est la même situation qui prévaut : pendant cette période, l’AGPB consacre chaque année environ cinq à dix pour cent de ses ressources au budget de la FNSEA5.

Largement évoqués précédemment, les liens entre les associations

1 J. MORILLE, op. cit., p. 1046.

2 Entretien avec Jean Pinchon, novembre 1996. 3 Entretien avec Robert Gaboriaud, janvier 1993. 4 Ibid.

spécialisées et la coopération constituent aussi, à leur façon, des gages d’autonomie vis-à-vis du syndicalisme général. Autonomie financière, mais aussi possibilités d’avoir accès à une information économique et technique qui conforte les associations spécialisées dans leur position de spécialistes dans leur secteur. Acquise souvent aux côtés des coopératives, la légitimité technique et économique des associations spécialisées sera un atout déterminant au moment des négociations pour la mise en place de la politique agricole commune (PAC) dans les années 1960.

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