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Section IV. Les associations spécialisées, des colosses aux pieds d’argile ?

11. Moderniser le secteur laitier

A ce début des années 1960 correspond une forte impulsion modernisatrice, portée par les pouvoirs publics et une bonne partie des dirigeants agricoles. Dans le cadre de l’élaboration du IVe Plan, le groupe de travail des produits laitiers conclut : « La période du IVe Plan sera une période d’abondance laitière permanente qui doit être caractérisée par un grand effort d’adaptation des professionnels, aidés sans réticence par les pouvoirs publics »2. Dès cette époque,

la question des excédents de produits laitiers est très présente. Le même groupe de travail souligne que, « en 1965, malgré l’accroissement prévu de la consommation intérieure et des exportations, des litrages excédentaires subsisteront qui pourraient atteindre environ 25 millions d’hectolitres et dont les seuls débouchés possibles ne pourraient être, sur le plan intérieur, que les économiquement faibles et, sur le plan extérieur, les pays sous-développés »3.

Intensification et spécialisation sont les mots-clés de cette période. Déjà amorcée depuis 19454, la tendance à l’intensification ne fera que croître durant les

années 1960-1970. L’implication de l’Etat se concrétise surtout par le soutien

1 Suite à des rencontres entre les représentants des coopératives laitières et la FNPL en 1962,

l’analyse de ces évolutions va amener la mise en place progressive de comptabilités de référence et d’un observatoire des prix payés dans les régions pour avoir des bases de discussion lors des négociations sur les prix (FNPL, Rapport moral des assemblées générales de 1962 et de 1964, Archives de la FNPL).

2 FNPL, Rapport moral de l’assemblée générale, 1962, p. 2, Archives de la FNPL. 3 Ibid., p. 4.

4 L’effectif du cheptel laitier est passé de 7,5 millions de têtes à 9,83 millions entre 1949 et 1960.

La lactation théorique par vache est passée de 1 730 litres en 1949 à 2 175 en 1960 (chiffres cités dans le Rapport moral de l’assemblée générale de la FNPL, 1962, Archives de la FNPL).

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financier que reçoit le secteur laitier à travers le FORMA1. La production de lait

croît régulièrement (voir graphique n°7 ci-dessous), mais c’est surtout la croissance du pourcentage de lait collecté qui illustre le mieux l’expansion laitière : c’est la période de multiplication rapide des structures de transformation du lait, en particulier dans l’Ouest de la France2.

Graphique n° 7

Production laitière française de 1948 à 1972

0 50 100 150 200 250 300 1948 1950 1952 1954 1956 1958 1960 1962 1964 1966 1968 1970 1972 million d'hectolitres

Sources : graphique établi à partir de chiffres du ministère de l’Agriculture, SCEES

Le processus de spécialisation concerne tout autant les systèmes de production que les régions. Face à ces évolutions, qu’elle souhaite accompagner, la FNPL s’engage dans un travail prospectif : « Dans le contexte français et demain européen, on doit rechercher une certaine spécialisation régionale des productions agricoles les mieux adaptées économiquement et socialement à chaque région (...). Nous pensons qu’une des premières tâches de notre organisation syndicale est de procéder à l'étude de cette question et, en se basant

1 Les crédits du FORMA sont dépassés pour la première fois en 1966 du fait des dépenses

imposées par le soutien du marché des produits laitiers. De 585 millions de francs en 1965, ils passent à 1,2 milliards en 1966. En 1968, le soutien au secteur laitier consomme 2,8 milliards de francs, ce qui représente alors 79 % des crédits total du FORMA (Annexes consacrées à

l’activité de la CCAS, Rapports moraux de la FNSEA de 1966 et 1969).

2 F. VATIN, op. cit., p. 130-137. Pour la Bretagne, la collecte industrielle passe de moins de 25 %

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sur les renseignements contenus dans le rapport des produits laitiers du IVe Plan, de tenter de délimiter de façon rationnelle, malgré toutes les difficultés que cela comporte, les régions françaises à vocation plus spécialement laitière »1.

Dans la perspective de mise en place du Marché commun, les pouvoirs publics veulent développer la production laitière dans certaines régions pour obtenir une production de masse à bas prix2. C'est l'époque de l'élan

rationnalisateur, qui prend toute sa force dans les modèles d'intensification de l'élevage prônés par l'Administration et la profession3. Mais il ne faudrait pas voir

dans cet élan planificateur que la seule volonté de rationalisation. La détermination de la vocation productive des régions est un acte éminemment politique, comme peut en témoigner l’exemple de l’Aveyron : alors que la production traditionnellement dominante de ce département est sans conteste la viande, les dirigeants syndicaux locaux décident de privilégier une autre orientation, celle de la production laitière, même si elle ne concerne de fait qu’un petit nombre de producteurs spécialisés4.

Les mutations du secteur laitier sont débattues par les professionnels, mais aussi dans un cadre interprofessionnel. En 1962, le congrès de la CNL5 à

Lisieux est un moment fort d’échange entre producteurs et coopérateurs. En 1963, une rencontre à Barbizon réunit la FNPL, la FNCL et la FNIL (Fédération nationale de l'industrie laitière qui représente le secteur privé non-coopératif). L’Union inter-fédérale des producteurs, coopératives et industriels laitiers (UPCIL), créée à l’issue de cette rencontre, va constituer un lieu de confrontation et d'échange d'expériences entre ces trois entités6. La mise en place du Marché

commun des produits laitiers impose aux représentants des différentes familles du secteur laitier une concertation minimum. Malgré le prix unique fixé par le Règlement laitier européen pour la période du 1er avril au 31 mars, les partenaires de la filière se sont mis d’accord pour maintenir au niveau national le mode de fixation du prix du lait avec un double prix été/hiver.

1 FNPL, Rapport moral de l’assemblée générale, 1962, p. 6, Archives de la FNPL. 2 P. ALPHANDERY, op. cit., 1977.

3 P. ALPHANDERY et al., Les formes de l'intensification en élevage bovin : les cas du lait et des

jeunes bovins, INRA, 1980.

4 E. ARIAUX, op. cit., 1978, p. 63 et p. 74-80.

5 Confédération nationale laitière qui regroupe la FNPL et la FNCL. 6 D. HAIRY et D. PERRAUD, op. cit., 1980.

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Sur le plan doctrinal, la FNPL reste sur une ligne traditionnelle très antiétatique, comme en témoigne le point de vue de son directeur sur le rôle de l'UPCIL : « L’UPCIL, véritable corps intermédiaire entre l’Etat, les exploitations agricoles et les entreprises doit, par une gestion professionnelle de l’économie laitière, préserver la ferme, comme l’usine, de l’emprise étatique et défendre les libertés qui nous sont encore chères »1. Cette défiance vis-à-vis de

l’Administration se confirme au moment des discussions sur le projet des groupements de producteurs et de la loi de l’élevage : « Partout on voit apparaître des notions d’obligation pour les agriculteurs et d’orientation, de décision, de contrôle et de surveillance pour les fonctionnaires de l’administration »2.

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