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Le soin : une dimension secondaire du suivi éducatif sur le terrain ?

CHAPITRE 3 : Analyse thématique des données selon les

2. Jeu des acteurs et pratiques professionnelles

2.2. Accompagnement éducatif à la santé : un enjeu autour du prendre soin de soi

2.2.5. Le soin : une dimension secondaire du suivi éducatif sur le terrain ?

leur positionnement vis-à-vis de la santé, pris entre des grandes orientations officielles (bilans de santé pour tous, suivi de la santé dans le PPE, collaboration avec les parents) et des arrangements et impératifs pratiques plus troubles. Quand les cadres nous parlent du suivi de la santé de la part des éducateurs référents, on retrouve cette

même ambiguïté. Ce qui serait sensé être un domaine crucial ou du moins important est traité comme un domaine parmi d’autres du suivi éducatif et ce tant par manque de moyens humains pour réellement suivre cette question que par manque de compétence des éducateurs sur cette question.

« Et la santé elle vous semble bien suivie en général ou pas ?

Je n’ai pas l’impression que ce soit une priorité, d’une manière générale quand il y a un problème particulier, il y a une mobilisation autour d’une pathologie particulière…

Mais que les choses soient prévues, je n’ai pas l’impression que ce soit… la priorité.

Comment vous vous positionnez face à cela ?

Ça fait partie de la prise en charge et de toute façon les choses s’enclenchent rapidement parce que les enfants ont quasi systématiquement des soucis de santé.

Pourquoi la santé n’est pas une priorité ?

La multitude des tâches, les travailleurs sociaux qui ont entre 40 et 50 situations et le fait que les enfants nous arrivent dans leur globalité et que ce n’est qu’une partie de la prise en charge, au même titre que la relation avec les parents, la scolarité, l’accès à la fratrie etc. » (Assistant familial)

Ce cadre oscille dans son propos entre le fait de dire que les problématiques de santé sont rapidement traitées (parce qu’elles ont des implications sérieuses) et le fait que la santé est un domaine secondaire du suivi éducatif, notamment du fait de la charge de travail des éducateurs. On voit clairement que ce type de fonctionnement favorise principalement la gestion de la santé curative et somatique et éloigne largement les services et les professionnels de la question de la santé bien être. Mais, plus loin que cette gestion de la santé « visible » (c’est à dire quand elle se manifeste par des pathologies), la santé est un domaine qui peut être plus difficilement géré et accompagné du fait du manque de connaissances des éducateurs face aux problématiques médicales :

« La santé n’est pas énoncée comme un objectif, elle est sous-estimée, ils [les éducateurs]

ne sont pas assez sensibilisés à cela. Il y a eu un travail il y a quelques années avec un power point diffusé par circonscription sur les constats assez lourds de tous les problèmes que présentaient les enfants placés, avec des problèmes visuels, auditifs, qui montraient que ce public était particulièrement touché. Ça avait redonné un peu de sens à ce qu’on pouvait proposer dans le cadre du contrat d’accueil, le rôle du médecin traitant. » (Cadre ASE)

Ce premier service a tenté de gérer ce manque de connaissances par une démarche éphémère de sensibilisation. Cet autre service tente d’associer des puéricultrices de PMI à certains suivis pour relayer les éducateurs sur les problématiques médicales spécifiques :

« Quel est le positionnement des éducateurs ?

Ils ne sont pas forcément à l’aise avec ce sujet-là. C’est pour ça qu’on voulait qu’il y ait un référent médical. Après dans les faits, s’il y a pas de puér, c’est à l’éduc que l’assistant familial fait remonter les premières informations. Après, ils font remonter à moi, moi ça m’arrive de demander aux médecins. C’est important qu’il y ait des référents santé sur la santé ; l’éduc c’est pas sur lui qu’il faut faire reposer la responsabilité de tel ou tel examen médical. Nous, on a eu une situation avec des suspicions de violences physiques, bébés secoués. Là on a eu besoin de faire le point avec la puér. Elle a dit il faudrait faire tel ou tel examen, il faut que ce soit le personnel médical. C’est pas à l’éduc de le faire. On ne peut pas leur reprocher de ne pas avoir fait le bon examen et encore moins à la famille d’accueil. » (Cadre ASE)

L’importance des problématiques médicales chez les enfants placés et le manque de spécialisation voire la franche impréparation des éducateurs référents comme de certaines familles d’accueil soulignent à nouveau l’intérêt d’une collaboration entre les services de l’ASE et de la PMI. En effet, sans cette collaboration on a le sentiment que la santé est gérée comme un calendrier d’examens à suivre et que, quand elle devient un problème trop manifeste, elle est soit gérée par les lieux d’accueil soit prise en relais par la hiérarchie, notamment via la collaboration avec la PMI. Un partenariat ASE-PMI permet visiblement d’assurer une circulation rapide de l’information sur les différentes situations et permet aux soignants de rappeler au personnel éducatif l’importance de la dimension du soin dans le suivi global de l’enfant.

D’après les assistants familiaux qui accueillent l’enfant dans leur famille, les éducateurs référents semblent se tenir à distance de ces questions jugées soit trop prosaïques, soit trop intimes et ne sont pas forcément très précis dans ce qu’ils transmettent aux familles d’accueil, les laissant découvrir les questions de santé dans l’intimité avec l’enfant accueilli :

« C’est le référent de l’enfant qui me parle de la santé et après c’est moi qui pose les questions, mais il ne rentre pas jusqu’au fond du problème, c’est à nous de découvrir, il y a toujours une petite retenue. » (Assistant familial)

Par contre, ces relations peuvent se tendre lorsqu’il s’agit de santé psychique. Il est alors question non pas uniquement de traitements à administrer mais d’une orientation plus globale de l’enfant qui vient empiéter sur le rôle de l’éducateur qui est, justement, d’évaluer une situation et de l’orienter vers un type ou un autre de prise en charge. Cette assistante familiale s’est ainsi retrouvée en butte avec l’éducateur référent d’un enfant sur une question d’orientation en IME :

« Sur certains cas, j’ai eu le cas d’une gamine avec un besoin d’une prise en charge psy, dans le libéral parce qu’il n’y avait plus de places en CMP. Je devais faire un bilan psy.

Elle était dans une CLIS, je voulais pas qu’elle aille en IME. J’avais monté le dossier avec la CLIS et son entraîneur ; il me fallait un bilan psy, ça n’a pas été pris en charge.

Ça a été pour moi.

C’était votre choix, c’était pour vous ?

Surtout qu’elle a été quand même en IME, la référente a voulu qu’elle aille en IME et ça a été la dégringolade complète. Mais là je l’ai sortie de l’IME et elle a un contrat d’avenir et elle travaille quand même [20 ans en fin d’année]. On vit quand même avec l’enfant, on voit ce qui est bien ou moins bien. On pourrait décider de certaines situations, mais on n’a pas le droit de parole. On nous le fait bien comprendre on vient parce qu’il faut qu’on vienne. C’est pas avec tous les éducs, certains nous font comprendre que sans nous ils pourraient pas travailler. » (Assistant familial)

L’ensemble de ces éléments invite à questionner la continuité des soins dans le parcours de l’enfant dans le dispositif de protection de l’enfance. La dimension de la santé n’échappe pas au risque de parcours fractionné, où le nouveau lieu de placement ne dispose pas de l’historique des soins effectués et n’a pas le temps de mettre en place avec le jeune une prise en compte globale de sa santé, en lui permettant d’intérioriser une attention à prendre soin de lui, en le préparant à l’accès à la majorité. Ces difficultés s’expriment de manières différentes selon les lieux d’accueil, qui peuvent disposer de ressources spécifiques pour favoriser une continuité du soin.

Synthèse : L’accompagnement éducatif à la santé

Le travail sur la santé avec les jeunes protégés se trouve pris en étau entre le rapport lacunaire au soin de soi des jeunes eux-mêmes, et le rapport complexé à la question de la santé des éducateurs. Les éducateurs doivent au quotidien porter la question de la santé auprès de jeunes qui se désintéressent de leurs propres soins, notamment en dédramatisant le recours aux soins psychiques.

Globalement, les jeunes attribuent à leurs éducateurs le rôle d’accueillir leurs demandes en ce qui concerne la santé notamment pour consulter. Ils rattachent cette mission plus à la fonction (au statut) qu’au professionnel en lui-même en s’adressant avant tout au travailleur social présent au moment où il en a besoin. Les travailleurs sociaux représentent un vrai rouage dans la préoccupation de la santé, en aidant les jeunes à mieux décrypter leurs symptômes et à les orienter vers les professionnels les plus appropriés. Dans leurs propos, les jeunes expriment eux-mêmes le fait que certaines douleurs n’ont pas d’origine organique, mais le manque d’articulation entre l’éducatif et le sanitaire, leur renvoie le sentiment d’une prise en charge éclatée avec le sentiment d’être perçu comme menteur par le corps médical, lorsque ce dernier n’est pas « familier » de ce public.

Les pratiques autour du carnet de santé sont extrêmement variables, non systématisées. À partir du discours des travailleurs sociaux, trois conceptions émergent : le carnet de santé comme un pont entre le sanitaire et le social, le carnet de santé réservé au monde et aux professionnels du sanitaire, le carnet de santé comme révélateur du « concernement » parental vis-à-vis de la santé de l’enfant.

Pour nombre d’éducateurs, la santé apparaît et comme un domaine très technique (qui appartient aux spécialistes) et comme relevant du corporel et de l’intime, alors même que les jeunes peuvent en parler beaucoup plus facilement. Ayant constaté un manque dans la chaîne de la santé, certains services ont confié de façon spécifique cette mission à des éducateurs référents santé. Toutefois, ce type de fonctionnement participe à un nouveau fractionnement avec un interlocuteur supplémentaire, à moins qu’un travail approfondi de coordination professionnelle soit réalisé. Le manque de connaissances des éducateurs face aux problématiques médicales est relevé à plusieurs reprises tant par les cadres que par les professionnels éducatifs eux-mêmes.

La dimension de la santé n’échappe pas au risque de parcours fractionné, où le nouveau lieu de placement ne dispose pas de l’historique des soins effectués et n’a pas le temps de mettre en place avec le jeune une prise en compte globale de sa santé, en lui permettant d’intérioriser une attention à prendre soin de lui, en le préparant à l’accès à la majorité.

2.3. L

ES PRATIQUES PROFESSIONNELLES VARIABLES SELON LES LIEUX