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La sociologie de l’incorporation

Au commencement, la contradiction

Longtemps, le travail n’a pas été libre et il n’est pas certain qu’il le soit partout devenu en dépit de l’importance prise par la dynamique salariale. Ce constat est vieux comme la division du travail, dont l’histoire est celle du « processus à travers lequel les éléments de libération du travail nés du progrès technique sont constamment niés, transformés en leur contraire, c’est-à-dire en un asservissement plus minutieux de l’homme à son métier » (Naville, 1972 : 34). Le travail a tout d’une « activité forcée23 » relevant de la nécessité, ce qui le situe d’emblée aux antipodes de la liberté. Il fait l’objet de puissants processus d’assignation, en mesure de justifier des mesures autoritaires de mise au travail et de fixer les travailleurs dans des tâches, au point, dans certains cas, de confondre la personne du travailleur avec la tâche à accomplir. Comment expliquer que le travail puisse exercer une emprise aussi forte sur les existences ? Pour répondre à cette question, nous reviendrons de nouveau à Marx et à Engels. Dans la première partie de

L’idéologie allemande24, ils nous donnent des clés qui permettent de comprendre les raisons de ce phénomène transhistorique d’assignation laborieuse.

Dans ce texte, dont on peut dire qu’il pose les bases du matérialisme historique, Marx et Engels soulignent le rôle de la production des moyens d’existence dans la production des idées. Mais cette activité productive qui est le propre de l’homme et qui rend chaque génération héritière des précédentes est aussi une activité sociale hautement différenciée. Elle se réalise non pas isolément mais collectivement, dans le cadre d’une division du travail, qui suppose, en outre, un « commerce » reposant sur un processus de séparation et de hiérarchisation des activités productives. C’est ainsi que les activités agricoles, industrielles et commerciales se séparent – ce qui se traduit notamment par une séparation ville / campagne – et, à l’intérieur de ces différentes branches se développent « des subdivisions parmi les individus coopérant à des travaux déterminés » dont la position, « les unes par rapport aux autres, est déterminée par le mode d’exploitation du travail historiquement observables (patriarcat, esclavage, ordres, classes) » (Marx et Engels, 1845, 2012, p. 40).

Or la caractéristique de la division du travail25, qui repose sur une répartition inégale du travail et de ses produits, ne fait que se renforcer jusqu’à devenir contradictoire et se nier elle-même.

23 Cette définition est en réalité celle proposée par le psychologue Henri Wallon et Naville la reprend à son compte (1972 : 33). François Vatin (2007 : 125-130) souligne à juste titre que cette définition désigne en réalité la « contrainte productive » par laquelle un acte laborieux est soumis à une fin qui le dépasse. Mais elle rejoint également celle de « l’économie néoclassique » où le travail est considéré comme une « désutilité » venant compenser l’utilité du revenu, ce qui lui confère une valeur négative. De fait, le travail ne doit pas être réduit sur la seule « contrainte salariale » car il ne se réduit pas à la peine. Nous retenons pourtant ici la notion d’activité forcée dans le sens d’une contrainte sociale - et pas seulement salariale - qui s’exerce historiquement sur les producteurs, sachant que le caractère socialement forcé du travail n’exclut aucunement la possibilité pour les producteurs d’y éprouver la possibilité d’une « auto-effectuation ». On se trouve ici confronté à cette « double vérité du travail » dont nous discuterons plus loin.

24 Nous nous appuyons plus précisément sur la première partie du tome 1 de L’idéologie allemande intitulée « Feuerbach » rééditée en 2012 aux éditions Nathan.

25 Naville (1972 : 34) souligne fort justement que la division du travail est en réalité une « division » et « une répartition de l’activité humaine ».

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« Elle ne devient réellement division qu’à partir du moment où intervient la division du travail matériel et du travail intellectuel » (Ibid, p. 53). De fait, bien que « l’esprit » vive « sous la malédiction d’être entaché de la matière » et qu’il n’a rien d’une « conscience pure », il peut s’imaginer qu’il est « autre chose que la conscience de la pratique établie » (p. 52), autrement dit, qu’il est « en mesure de s’émanciper du monde et de passer à la formation de la théorie "pure" (théologie, philosophie, morale, etc.) » (p. 53). C’est ici que se situe le paradoxe de la production de la vie matérielle, cette contradiction au cœur de la réalité qui divise la société en producteurs et en non-producteurs : « Avec la division du travail, il devient possible voire réel que l’activité spirituelle et l’activité matérielle, que la jouissance et le travail, que la production et la consommation, reviennent à des individus distincts » (p. 54).

Ce texte souligne donc à la fois le « pas en avant » que représente l’activité productive (autrement dit le travail) - elle projette les hommes dans une dynamique historique - tout en soulignant sa contradiction intrinsèque, bien résumée par Bruno Karsenti (2011 : 104-105) : « ce qu’on appelle exploitation a son ressort dans la différenciation naturelle de l’activité. Quelque chose a lieu au sein de l’activité, comme production des moyens d’existence, qui, parce qu’elle est activité sociale, accomplie à plusieurs, divise en différenciant, et différencie en inégalisant. Et le noyau de cette inégalité, ce qui la rend littéralement contradictoire, c’est que l’activité se trahit elle-même ». De fait, la division de la société en producteurs et non producteurs génère un processus d’appropriation du travail : « certains agents sont "mis en réserve", ce qui les rend propriétaires de la force de travail des autres agents par l’intermédiaire des moyens de productions que ces autres agents ne peuvent pas ne pas utiliser pour continuer à produire, c’est-à-dire pour continuer à se reproduire dans leur existence spécifique » (Ibid : 105). A l’inverse, l’agent mis en réserve doit « se reproduire sans produire ». Dès lors, l’inégalité caractéristique des sociétés humaines constitue « l’effet contradictoire de ce processus » qui voue la production « à s’affirmer en se niant et à se nier en s’affirmant » (Ibid). Cette division, qui résulte d’une situation critique et non d’une interprétation critique, a tout d’abord pour conséquence sociologique que la société ne saurait constituer un tout unifié. Elle est, au contraire, intrinsèquement divisée, en raison d’une division du travail qui tend d’autant plus à se cristalliser qu’elle se prolonge dans la propriété privée – ce que le mode de production capitaliste conduit à exacerber avec l’appropriation des moyens de production. Les formes que prend ce drame au cœur de la vie sociale sont « fixées dès que des producteurs et des non-producteurs, divisés du point de vue de la propriété des produits, entrent en rapport au sein d’un mode de production déterminé » (Karsenti, 2011 : 105). De fait, pour Marx et Engels, il en résulte un conflit structurel qui empêche toute convergence entre les intérêts particuliers. La perspective d’un intérêt commun est purement illusoire tant la société repose sur une division du travail inégalitaire entre individus interdépendants. Elle est cependant incarnée par l’Etat, « force autonome » (Marx et Engels, 2012 : 55) située au carrefour de la lutte pour la défense des intérêts particuliers, et en même temps force d’intervention et de « réfrènement pratique » (Ibid : 56) de ces intérêts divergents. C’est pourquoi un tel conflit structurel ne peut être dépassé que par l’abolition de la division du travail.

Mais cette division a une autre conséquence bien soulignée par Karsenti (p. 106-108), qui relève des conditions de possibilité de la sociologie elle-même. En effet, la contradiction qui apparaît

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au cœur du travail oppose in fine le travail matériel et intellectuel. L’activité de penser n’est aucunement réservée aux non-producteurs, mais penser hors de la pratique productive a des conséquences inévitables sur la pensée elle-même : dans la mesure où, pour pouvoir continuer à penser, le non-producteur a besoin de s’affranchir de produire, il est disposé à penser les conditions de perpétuation de cette contradiction qui le « met en réserve ». De là le soupçon qui pèse sur les penseurs du social et de la société : comment un regard sociologique peut-il être autre chose qu’un regard idéologique ? Cette « perversion native » de la pensée conduit à la fameuse « fausse conscience » qu’il s’agit de débusquer. L’enjeu de la pensée critique est donc la critique des discours qui occultent la contradiction permettant aux penseurs comme aux propriétaires des moyens de production de s’adonner à une activité relevant du loisir et de jouir impunément et exclusivement du travail d’autrui. C’est pourquoi, pour ne pas être perverse, la pensée doit être lucide sur elle-même : « Une véritable pensée des structures sociales (…) sera une pensée des conditions de la division de la pratique et de la théorie » (Karsenti, 2011 : 109). Marx et Engels invitent ainsi résolument à débusquer la « contradiction inaugurale » et « l’effet de voilement » engendré par la division du travail. Pierre Naville fait partie, avec Pierre Bourdieu, des auteurs qui ont pris ce programme à bras le corps mais selon des voies différentes, qui les ont conduits à en tirer des enseignements très différents. Naville s’est interrogé, dans le sillage de Marx, sur les transformations des modes de production ainsi que sur les conditions d’un dépassement de la division du travail et d’une émancipation des producteurs leur permettant de passer « de l’aliénation à la jouissance ». Mais avant de présenter ses apports à l’analyse du salariat, nous nous arrêterons sur l’approche bourdieusienne. Ce choix peut paraître étonnant car, si Bourdieu a bien pris acte de cette « contradiction inaugurale », c’est avant tout pour en traquer les effets sur les non-producteurs. Il s’est, en effet, employé à souligner les angles morts et les « erreurs de la raison scolastique » (Bourdieu, 1997) qui en résultent, l’ignorance des conditions sociales de possibilité de leurs propres analyses exposant les penseurs au risque de fonder leur raisonnement sur le principe de l’universalisation d’un cas particulier – le leur.

Mais Bourdieu a également proposé une véritable « science de la pratique humaine » qui vise précisément à échapper aux écueils de la raison scolastique. Sa théorie de la pratique et les concepts de champ, habitus, stratégie, qui lui sont associés, sont de plus en plus mobilisés dans les recherches portant sur le travail. Or ils se prêtent à une lecture de l’expérience laborieuse qui présente une grande proximité avec l’approche friedmanienne. Nous voudrions montrer ici que l’analyse d’inspiration bourdieusienne en reproduit le même parti-pris fixiste, ce qui est d’autant plus dommageable que la pratique dont Bourdieu a proposé une théorie ne recouvre que très partiellement l’activité laborieuse. De fait, contrairement à la thèse soutenue dans une publication récente (Quijoux, 2015) qui s’emploie à souligner l’intérêt de Bourdieu pour le travail, nous voudrions montrer ici, au contraire, combien il s’en tient à distance, au point qu’il convient de se demander si le travail ne tient pas dans son œuvre le statut d’objet refoulé.

Bourdieu ou le travail oublié ?

Le travail dans l’œuvre de Bourdieu a un statut d’énigme : pourquoi l’activité des producteurs, dont il a inlassablement cherché à souligner le déni dans la pensée scientifique, s’est-elle éclipsée de ses travaux ? Il y a en effet une double perte du travail chez Bourdieu : le travail a

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été abandonné au fil du temps, mais il a également été perdu de vue dans sa réflexion elle-même. On peut considérer que Bourdieu est venu à la sociologie avec le travail, qu’il a observé lors de ses premières investigations en Algérie26. Mais son intérêt pour cet objet a été éclipsé par la suite au profit de travaux sur l’éducation et la culture et sa notoriété s’est surtout fondée sur la création de concepts transversaux (Quijoux, 2015). Certes, le thème du travail ne disparaît pas totalement de ses travaux, mais il apparaît surtout dans l’ombre d’autres entrées comme le sens pratique, les professions - plutôt prestigieuses -, la sociologie économique, les classes sociales, la domination masculine, etc. Son article « la double vérité du travail27 » paru en 1996 dans les Actes de la recherche en sciences sociales, est le seul où il aborde le travail de front. De fait, Bourdieu se tient à la lisière du monde des producteurs voire s’en détourne dès qu’il s’en approche28. Son regard sur le travail relève en réalité davantage d’une compréhension des conditions sociales de développement de « l’esprit du capitalisme » que d’une réflexion sur les pratiques productives en tant que telles. Un détour par ses premiers travaux algériens s’impose pour comprendre l’angle par lequel il s’y intéresse.

Lors de ses premiers travaux en Algérie, qui se sont déroulés à la fin des années 1950 dans un contexte de guerre, Bourdieu avait le projet d’étudier les effets de développement du capitalisme, introduit par le biais du colonialisme, sur la population algérienne. Il souhaitait plus particulièrement décrire et expliquer, en suivant la voie ouverte par Weber, « le processus de rationalisation » à l’œuvre29. Sans reprendre l’ensemble de ses travaux en Algérie, qui sont bien présentés dans Quijoux (2015), nous nous contenterons ici de souligner deux de leurs apports concernant les transformations des règles d’échange et l’expérience du salariat naissant30, qui montrent que Bourdieu pose surtout ici les bases d’une sociologie économique et d’une sociologie de l’emploi. En effet, l’Algérie colonisée, et plus particulièrement la société kabyle, lui donne à observer « une situation de laboratoire » (Bourdieu, 2003), dans la mesure où elle est le théâtre d’une transformation radicale de son système économique. L’expropriation des paysans de leur terre et le développement du salariat affectent et déstabilisent le système d’échanges et de temporalité qui prévalait jusque-là.

Bourdieu s’est tout d’abord attaché à mettre en évidence l’effet de la monétarisation des échanges sur les relations sociales. Dans l’économie précapitaliste, les règles d’échange sont marquées par le don et le contre-don, en même temps qu’associées à un système d’obligations

26 Voir notamment, parmi les textes rassemblés par Tassadit Yacine (Bourdieu, 2008), Bourdieu (1963), ainsi que Bourdieu, Darbel, Rivet, Seibel (1963) et Bourdieu P. et Sayad A. (1964).

27 L’article est également repris dans les Méditations pascaliennes.

28 Sa réflexion dans les Méditations pascaliennes (1997 : 31-36) en est emblématique : lorsqu’il dénonce le « grand refoulement » de la classe productive auquel participe la raison scolastique, il le décrit comme le fruit d’une double coupure issue de la révolution symbolique qu’a représenté l’autonomisation de la sphère économique, ainsi que d’une coupure au sein de la sphère économique elle-même, sans jamais aborder les zones d’ombre qu’il en résulte sur le travail concret. On peut noter de la même façon, avec Burawoy (2011), que le seul livre que Bourdieu (2000) consacre à l'économie Les Structures sociales de l'économie, ne cherche nullement à étudier l'immobilier sous l’angle de son processus de production ni du point de vue des ouvriers du bâtiment, mais focalise essentiellement sur rôle de l'habitus et du goût dans l'adéquation de l'offre et de la demande pour différents types de biens immobiliers.

29 Sur l’influence de Weber sur Bourdieu, voir Lenoir (2012) et Quijoux (2015).

30 Ces apports ressortent plus particulièrement de ses ouvrages Algérie 60. Structures économiques et structures

temporelles (1977), Méditations pascaliennes (1997) et de ses articles « La société traditionnelle, attitude à l’égard

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réciproques qui ont pour effet de masquer leur dimension purement économique. De fait, à l’échelle d’un territoire, les transactions s’effectuent entre partenaires en situation d’interdépendance. A l’inverse, lorsque les relations deviennent plus neutres et impersonnelles, la transaction devient « de plus en plus réduite à sa "vérité économique" », « le poids relatif de la générosité et du sentiment de l’équité » se réduisant « au profit de l’intérêt et du calcul » (Bourdieu, 2003 : 80). Les rapports ne deviennent ainsi purement économiques que sur les grands marchés éloignés31, là où il s’agit d’affronter des inconnus - le maquignon étant le plus redouté de tous. Or, le déclin de l’agriculture traditionnelle et l’apparition de métiers de commerce prennent progressivement à rebours ce mode de fonctionnement antérieur et les solidarités traditionnelles qui lui étaient attachées. Non seulement les systèmes de faveurs déclinent envers des hôtes considérés comme des clients32, mais d’une manière générale, les hiérarchies tendent à s’inverser, le commerçant prenant l’ascendant sur le cultivateur alors qu’il ne réalisait jusqu’ici qu’une activité subordonnée à ce dernier. Tout un ensemble de nouveaux métiers liés à l’émigration apparaissent (chauffeurs, vendeurs, soudeurs, coffreurs, etc.), qui correspondent à des tâches spécialisées et autonomisées, susceptibles de rapporter un revenu. Au cours de cette grande transformation, le travail a changé de nature. Alors qu’il désignait jusqu’ici « toute occupation sociale socialement reconnue, indépendamment de toute sanction matérielle » (Bourdieu, 2003 : 83), il devient isolable et monnayable. Le nouveau système d’échanges monétarisés contribue à la « fabrique de l’habitus économique », toutes les conduites de l’existence étant potentiellement soumises à la « raison calculatrice ». Les relations de travail en subissent directement les conséquences, et ceci bien que la référence au salaire horaire ne soit guère intégrée - la journée de travail n’étant pas décomptée en heures fixes33. Mais la sphère familiale est également affectée par l’expansion de cet esprit de calcul : la multiplication des sources de revenu menace l’autorité du chef de famille en amoindrissant la dépendance économique de ses différents membres, chacun pouvant évaluer, mesurer ce qu’il apporte, à l’exception des femmes, nous y reviendrons34. L’acquisition de telles dispositions ne correspond pas pour Bourdieu à une simple adaptation reposant sur l’adhésion à de nouvelles valeurs (Bourdieu, 1977 : 46)35. Il s’agit au contraire pour lui d’une véritable « conversion », impliquant de soumettre toutes les conduites de l’existence à la raison calculatrice » et de rompre avec la logique « de la bonne foi, de la confiance et de l’équité, qui doit régir les relations entre les parents et qui repose sur le refoulement ou mieux, la dénégation du calcul »

31 Sachant que même ici, les transactions entre partenaires éloignés n’échappent pas toujours aux logiques d’honneur, comme lors de transactions concernant des mariages, où une partie des sommes peut être restituée « pour donner aux enfants » (Bourdieu, 2003 : 81).

32 C’est notamment le cas pour les « hôtes » du meunier, désormais équipé d’un moulin à moteur, qui deviennent des « clients » et à qui les faveurs tendent à être refusées (Bourdieu, 2003).

33 Reste que la logique d’un salaire en fonction du temps passé continue de heurter, comme en atteste le scandale provoqué par cet ouvrier qui, au retour d’un long séjour en France, demande à se faire payer le repas de fin des travaux auquel il n’a pas pris part. (Bourdieu, 2003 : 83)

34 De fait, la dépendance économique de ces dernières se renforce dans la mesure où elles sont tenues à l’écart du marché du travail et refoulées à l’intérieur du foyer (Bourdieu, 1977 : 62).

35 Dans Algérie 60. Structures économiques et structures temporelles, Bourdieu souligne et dénonce « le biais ethnologique » qui conduit, dans l’étude des processus d’acculturation, à s’intéresser surtout aux transactions culturelles en faisant peu de place aux transformations économiques. De la même manière, il récuse l’idée selon laquelle l’adoption d’un style de vie moderne serait le « résultat d’un libre choix », comme si la « société capitaliste en sa forme américaine » était « le centre d’une universelle attraction » (Bourdieu, 1977 : 46).

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(Bourdieu, 2003 : 84). Reste que cette conversion n’est jamais totale, elle est faite de tensions entre les normes traditionnelles et les impératifs d’une économie imposant ses règles propres36

sachant qu’à l’arrivée, « l’esprit de calcul ronge peu à peu les relations familiales de l’ordre ancien » (Bourdieu, 1977 : 63).

Cette recherche en Algérie n’a pas seulement permis à Bourdieu de proposer une véritable anthropologie historique du salariat, mettant l’accent sur la genèse des conduites économiques, elle l’a également amené à mettre en lumière les conditions sociales du maintien et du développement de ces dernières. Son deuxième grand apport est en effet de montrer que les dispositions à une conduite rationnelle ne peuvent s’étendre à l’ensemble des dimensions de la vie quotidienne - à savoir le travail, l’épargne, le logement, la fécondité ou l’éducation – que