Nous venons de voir que le KP pouvait intervenir au niveau de plusieurs fonctions
physiologiques, dont la principale serait la régulation de l’axe
hypothalamo-hypophyso-gonadique. Dans ce paragraphe, nous nous intéresserons aux mécanismes et sites d’action du
KP, pour induire la sécrétion de la GnRH et des gonadotropines.
Effets directs et indirects sur les neurones à GnRH :
Il est maintenant clairement établi que le kisspeptide est un régulateur essentiel de la sécrétion
des gonadotropines, comme le montre le nombre de publications mettant en évidence des
effets stimulants du KP sur la sécrétion de la LH, et dans une moindre mesure de la FSH chez
de nombreux mammifères, comme le rat (Navarro et al., 2004; Navarro et al., 2005a), la
souris (Gottsch et al., 2004), la brebis (Caraty et al., 2007), la vache (Kadokawa et al., 2008),
le singe (Plant et al., 2006) ou encore la femme (Dhillo et al., 2007).
Le KP agit de façon dose dépendante, et semble être un stimulateur très puissant de la LH
puisque une dose de 10 pmol de KP-54 administrée par voie intra-cérébro-ventriculaire (i.c.v.)
est efficace chez le rat (Navarro et al., 2005b). En revanche, des doses 100 fois plus
importantes sont nécessaires pour obtenir une stimulation de la FSH (Navarro et al., 2005a).
Plusieurs expériences montrent que, in vivo, le KP exerce son action en amont de la GnRH :
- L’administration d’un antagoniste de la GnRH bloque les effets stimulants du KP (Gottsch
et al., 2004).
- Chez la souris Kiss1-/- présentant un hypogonadisme hypogonadotrope, l’administration
de KP induit une augmentation des gonadotropines, alors que les souris GPR54-/- ne
présentent pas d’augmentation des gonadotropines suite à l’administration de KP
(d'Anglemont de Tassigny et al., 2007; Lapatto et al., 2007).
- Chez la brebis, l’administration i.c.v. de kisspeptide stimule la libération de GnRH dans le
liquide céphalo-rachidien (Messager et al., 2005).
Plusieurs expériences in vitro confirment que le KP exerce son action directement au niveau
des neurones à GnRH :
- La majorité des neurones à GnRH exprime le GPR54 chez les rongeurs (Irwig et al., 2004;
Messager et al., 2005). Il en est de même chez la brebis où le taux atteint 90 % (Irwig et
al., 2004; Messager et al., 2005; Smith et al., 2009a).
- Des fibres immunoréactives au KP sont en étroite apposition avec des neurones à GnRH
chez la ratte et la jument (Kinoshita et al., 2005; Decourt et al., 2008).
- Le KP dépolarise les neurones à GnRH in vitro (Liu et al., 2008; Zhang et al., 2008).
En plus de son action directe sur la sécrétion de la GnRH, il semblerait que le KP agisse de
façon indirecte, par l’intermédiaire d’interneurones tels que les neurones GABAergiques
(Zhang et al., 2009).
Effet en dehors de la barrière hématoencéphalique :
Le KP exogène pourrait agir au niveau des organes circumventriculaires. Ces organes ne
possèdent pas de barrière hémato encéphalique, mais sont pourvus d'une vascularisation riche
leur permettant un échange entre le sang et le liquide céphalo-rachidien.
Chez le singe, les neurones à KP projettent vers l’éminence médiane et les fibres à KP sont en
étroite apposition avec les fibres à GnRH (Ramaswamy et al., 2008). L’équipe de Keen et
collaborateurs a montré, par une technique de perfusion push-pull au niveau de l’éminence
médiane, qu’environ 75 % des pulses de KP étaient corrélés à un pulse de GnRH (Keen et al.,
2008). Par ailleurs, une administration continue d’un antagoniste du KP au niveau de
l’éminence médiane abolit la pulsatilité de la GnRH (Roseweir et al., 2009).
Le KP peut stimuler la libération de la GnRH à partir d’explants d’hypothalamus médio-basal
de rat contenant les terminaisons des neurones à GnRH au niveau de l’éminence médiane,
mais pas les corps cellulaires (d'Anglemont de Tassigny et al., 2008). De même, chez la
souris (Patterson et al., 2006) et la brebis (Smith et al., 2011), le KP est capable de stimuler la
sécrétion de GnRH directement au niveau des terminaisons présentes dans l’éminence
médiane. De plus, l’examen de données anatomiques récentes, obtenues par microscopie
confocale et électronique, indique que des contacts axo-axoniques existent entre les fibres à
GnRH et à kisspeptide au niveau de la zone interne de l’éminence médiane (Uenoyama et al.,
2011).
Par ailleurs, il a été montré que de nombreuses ramifications dendritiques des neurones à
GnRH étaient présentes au-delà de la barrière hémato-encéphalique, dans l’OVLT (Organe
Vasculaire de la Lame Terminale). L’administration de glutamate ou de KP à proximité de ces
dendrites entraine une augmentation de l’activité électrique des neurones à GnRH. Ces
données suggèrent que les dendrites des neurones à GnRH pourraient servir à déterminer la
concentration de ces molécules (glutamate et KP) dans la circulation sanguine (Herde et al.,
2011).
Effets au niveau de l’hypophyse :
Le rôle des KP au niveau hypophysaire est très controversé. Chez le rat, les gènes Kiss1 et
GPR54 sont exprimés au niveau de l’adénohypophyse (Gutierrez-Pascual et al., 2007). La
plupart des cellules gonadotropes immunoréactives pour la sous-unité β de la LH le sont
également pour le KP, et il en est de même pour le GPR54 mais dans une proportion moins
importante (Richard et al., 2008). De plus, chez la brebis, le KP est capable d’induire une
augmentation de l’ordre de 80 % de la sécrétion de LH dans des cultures primaires
d’hypophyse prélevées exclusivement au moment de la phase folliculaire (Smith et al., 2008).
Cependant, le KP n’est que très peu sécrété dans le sang porte hypophysaire, et des études in
vivo sur des brebis dont l’hypothalamus a été déconnecté chirurgicalement de l’hypophyse
montrent l’absence de stimulation de la LH suite à l’administration de KP par voie i.v. (Smith
et al., 2008).
Chez le singe, des cellules immunoréactives pour le KP ont été localisées dans le lobe
intermédiaire et co-localisent avec α-MSH (Melanocyte Stimulating Hormone) mais pas avec
les cellules gonadotropes ou somatotropes de l’adénohypophyse. Chez 50% des animaux on
trouve aussi à la périphérie de l’adénohypophyse une colocalisation du KP dans des cellules
immunoréactives pour l’ACTH (adrénocorticotrophine) (Ramaswamy et al., 2009).
Néanmoins des expériences de culture de cellules hypophysaires de singe montrent une
absence d’élévation de l’ACTH après administration de KP (Luque et al., 2011).
Il est donc probable que le KP puisse avoir un rôle au niveau de l’hypophyse chez certaines
espèces (stimulations prolongées et/ou actions paracrines mais qui reste à déterminer).
Néanmoins dans l’état actuel de nos connaissances son rôle dans le contrôle de l’axe
Effet au niveau des gonades :
Des travaux de l’équipe de Tena-Sempere chez le rat femelle adulte montrent que l’expression
de l’ARNm des gènes Kiss1 et GPR54 est présente au niveau ovarien tout au long du cycle
(Castellano et al., 2006). L’expression de l’ARNm du GPR54 semble être constante, en
revanche celle du Kiss1 augmente avant l’ovulation. De plus, une immunoréactivité pour le
KP est observée au niveau de l’ovaire, avec un signal important dans les cellules de la thèque
des follicules en croissance, dans le corps jaune, et dans la glande interstitielle. Une
immunoréactivité est également observée pour le GPR54 dans les mêmes zones, mais avec
une intensité moindre (Castellano et al., 2006). Cependant, l’action du KP au niveau ovarien
ne semble pas indispensable comme en témoignent les expériences menées chez la femme
(Pallais et al., 2006) ou la souris (Seminara et al., 2003) présentant une inactivation du
GPR54 chez lesquelles l’ovulation peut être induite par un traitement utilisant la GnRH.
Enfin, le KP participerait à la régulation de certains aspects du processus ovulatoire,
puisqu’un inhibiteur de COX-2 supprime l’expression du gène Kiss1 au niveau ovarien chez
la ratte (Gaytan et al., 2009).
Dans le document
Le kisspeptide : nouvelle molécule pour la maîtrise du cycle chez la jument ?
(Page 110-116)