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Chapitre 2 Données, modèles et méthodes statistiques

3. Le laboratoire numérique

3.2. Simulations couplées vs forcées

La grande complexité de la machine climatique nécessite de séparer les problèmes pour en isoler les mécanismes. En mode couplé, les seuls forçages prescrits au modèle sont les concentrations en gaz à effet de serre et aérosols, les paramètres orbitaux, ainsi que les conditions de surface comme le relief, le type de sol ou le type de végétation. Les autres composantes du système évoluent librement, et interagissent entre elles, rendant très difficile l’interprétation des résultats des simulations. Lorsque l'on s'intéresse à des processus essentiellement atmosphériques, il est néanmoins possible de « débrancher » le modèle océanique du système et de prescrire les TSM comme condition aux limites du modèle d’atmosphère. Cette configuration du modèle, dite « forcée », permet de simplifier la compréhension des mécanismes mis en jeu, mais également de s'affranchir de certains biais systématiques du système couplé. Selon le type d’analyse que l’on souhaite réaliser, on peut choisir de prescrire la chronologie mensuelle des TSM, ou la climatologie de ces TSM, c'est-à-dire leur cycle annuel moyen. Dans ce cas, on se débarrasse de leur variabilité interannuelle, ce qui permet de mettre en évidence plus facilement les forçages liés aux surfaces continentales.

Une question qui se pose à ce stade est de savoir quelle configuration est la plus adaptée à notre étude. L'utilisation du modèle couplé implique bien évidement un coût informatique plus important, ce qui constitue un premier critère de choix non négligeable. Cette difficulté n'est cependant pas la seule raison nous ayant amené à choisir la configuration forcée pour nos expériences. Les climats moyens simulés par le couplé et le forcé sont en effet bien différents, et certains biais du couplé sont pénalisants dans le cadre de nos travaux. La figure 5 illustre un de ces biais, qui concerne les températures de surface simulées au printemps.

Chapitre 2. Données, modèles et méthodes statistiques

Le couplé est marqué par un fort biais froid, qui concerne quasiment toutes les régions du globe. Ce problème est en partie lié à la constante solaire imposée dans le cadre du projet CMIP3. Malgré un RMS plus faible, le forcé n'est pas exempt de biais, notamment sur la Sibérie où l'on observe des températures trop élevées. Le biais froid sur la partie ouest de l'Eurasie est dû à une fonte trop tardive caractéristique d'ARPEGE-Climat (nous y reviendrons plus en détail par la suite). Le retrait de la neige trop tardif dans cette région est encore accru en couplé, ce qui est assez problématique dans le cadre du chapitre 3 et de l'étude des interactions neige-mousson.

Si ce biais climatologique est une première limitation du couplé, le défaut faisant définitivement pencher la balance en faveur des simulations forcées vient de l'ENSO simulé en mode couplé. D'une part, la périodicité de l'oscillation est marquée par une composante bisannuelle exagérée au vu de la périodicité observée, se situant entre 2 à 7 ans. Sur la figure 6b, cette caractéristique est fortement suggérée par l'allure de la série temporelle de l'ENSO simulée par le modèle couplé, et ressort nettement de l'analyse en ondelettes (réalisée à partir du site

Figure 5. Biais des températures à 2 mètres simulées par le modèle forcé (AMIP) et couplé (CMIP), en comparaison avec les données CRU2. Période 1971-2000. L'erreur quadratique moyenne est indiquée pour chaque simulation (RMS).

3. Le laboratoire numérique

Au-delà de ce problème de périodicité, l'importance de l'ENSO est exagérée dans le modèle couplé, menant à des téléconnexions irréalistes. On note en particulier l'influence surestimée de l'ENSO sur la région Nord Atlantique-Europe en hiver, en lien avec un mode PNA trop hémisphérique dans le modèle (Cassou et Terray 2001). Le modèle ne montrant pas de barrière de printemps3, le timing des téléconnexions est également perturbé et mène à des effets irréalistes

durant les autres saisons. Ce défaut a été souligné par Joly et al. (2007) dans le cas de la mousson africaine en été, et nous verrons au chapitre 3 qu'il concerne également la mousson indienne.

Au vu de ces résultats, l'utilisation du modèle en configuration forcée apparaît la plus judicieuse. Le forçage des TSM permet de s'affranchir des biais systématiques du modèle couplé, et de simuler des variations du climat plus réalistes en apportant des informations au système. Néanmoins, il faut avoir conscience que les simulations forcées comprennent également des limitations. Si les impacts de la neige sur la variabilité atmosphérique sont plus facilement détectables, la non prise en compte des rétroactions entre l’atmosphère et l’océan peut biaiser certaines téléconnexions. On peut par exemple imaginer qu’une anomalie atmosphérique générée par un forçage continental influence l’océan, et que la réponse océanique va elle-même modifier l’atmosphère en retour. Si la réponse de l’océan tend à atténuer l’anomalie atmosphérique, la négliger peut amener à surestimer l’impact des surfaces continentales. Une solution intermédiaire entre les deux configurations existe, qui consiste à utiliser un modèle de couche de mélange océanique pour prendre en compte les flux de mouvement, d’évaporation et de chaleur à la surface atmosphère-océan. De tels modèles ne sont cependant pas faciles à mettre en œuvre, et dans le cadre de nos expériences numériques nous nous limiterons à l’utilisation d’ARPEGE-Climat en mode forcé.

3 S'il est possible d'anticiper de manière relativement correcte l'ENSO pour certaines saisons de l'année, sa prévisibilité chute de manière prononcée au printemps. Les événements ENSO ne franchissent en effet que rarement cette saison, qui constitue généralement une saison de transition entre les phases chaudes,

Figure 6. Analyse en ondelettes des séries temporelles de l'ENSO: a) dans le forcé (observations HadISST) ; b) dans le couplé, sur la période 1950-2000. Voir Torrence et Compo (1998) pour une description de l'analyse en ondelettes.

Chapitre 2. Données, modèles et méthodes statistiques