La trajectoire de croissance de la feuille 11 du mutant (Figure 3.28 ) montre, comme dans le cas de la trajectoire r´eelle (voir la Figure1.4.2du Chapitre2 ), des dents plus pointues que
5.3.3 Simulation d’une mutation
Enfin, pour illustrer la capacit´e du mod`ele `a simuler des trajectoires de croissance `a partir
du mod`ele dans lequel un facteur sp´ecifique a ´et´e modifi´e, afin de reproduire num´eriquement
l’effet d’une mutation par exemple, nous avons consid´er´e un mutant d’Arabidopsis thaliana
dans lequel le gradient de diff´erenciation est alt´er´e `a la marge de la feuille (Alvarez et al.,2016)
(voir Figure3.31). Plus pr´ecis´ement, la diff´erenciation n’a pas lieu sur le contour de la feuille,
l`a o`u les dents sont initi´ees. Pour reproduire cet effet dans le mod`ele, seul le param`etre de
vitesse de diff´erenciation a ´et´e modifi´e et fix´e `aC = 0, ainsi le gradient de diff´erenciation est
bloqu´e et les facteurs locaux sont actifs sur tout le contour, ´egalement dans la partie distale de
la feuille. La trajectoire de croissance correspondante a ´et´e calcul´ee (contour rouge `a droite sur
la Figure3.31). Il apparaˆıt que la feuille mature simul´ee pr´esente une forme hyper-dent´ee, tr`es
similaire `a celle de la feuille du mutant. En conclusion, le mod`ele a pu reproduire avec succ`es
l’effet d’une mutation introduite dans le mod`ele.
6 Conclusions et discussion
Nous avons d´evelopp´e et pr´esent´e dans ce chapitre une strat´egie de mod´elisation num´erique
pour reproduire le d´eveloppement de la forme des feuilles `a partir d’un mod`ele qui impl´emente
les effets de m´ecanismes biologiques impliqu´es dans la croissance. Ces m´ecanismes ont ´et´e
FIGURE3.31 – Simulation de l’effet sp´ecifique d’une mutation dans le mod`ele. Gauche : d’apr`es
Alvarez et al. (2016), images de feuilles individuelles matures des g´enotypes Col0
(photogra-phie de gauche) et d’un mutant o`u le gradient de diff´erenciation est supprim´e (photogra(photogra-phie
de droite). Droite : contour en noir simul´e `a partir du mod`ele pour le ph´enotype sauvage Col0
(contour de gauche). Droite : contour en rouge obtenu apr`es que le gradient de diff´erenciation
ait ´et´e d´esactiv´e (vitesse de propagationCnulle).
s´electionn´es `a partir de r´esultats de la litt´erature qui ont identifi´e des processus qui interviennent
dans la mise en place de la forme de la feuille pendant son d´eveloppement. Nous avons class´e
les diff´erents facteurs du mod`ele de croissance qui repr´esentent chacun un m´ecanisme
biolo-gique en deux cat´egories, les facteurs globaux, qui contrˆolent la forme globale de la feuille, et
les facteurs locaux, qui contrˆolent l’apparition et la formation des dents. Ces dents apparaissent
s´equentiellement sur le contour foliaire. Un second mod`ele a ´et´e d´efini pour placer
automati-quement les facteurs locaux sur le contour de la feuille en croissance. Il est lui aussi bas´e sur
des m´ecanismes qui ont ´et´e propos´es dans la litt´erature pour expliquer l’apparition des facteurs
locaux `a la marge des feuilles.
Dans ce contexte, une feuille est repr´esent´ee par son contour externe, plus pr´ecis´ement un
contour polygonal. Un module de simulation permet de g´en´erer les trajectoires de croissance `a
partir des mod`eles et de leurs param`etres. Il permet de calculer, entre un temps t et un temps
t+ ∆t, le d´eplacement de chaque point du contour au tempst. L’ensemble des contours calcul´es
au cours du temps forme une trajectoire de croissance simul´ee par les mod`eles. Ce type de
repr´esentation est int´eressante car elle permet de visualiser la fac¸on dont la forme ´evolue au
cours du temps.
Pour d´eterminer les param`etres des mod`eles permettant de reproduire la trajectoire de
crois-sance r´eelle d’une feuille, nous avons d´efini une m´ethode d’optimisation, qui se base sur une
fonction de coˆut `a minimiser et qui mesure quantitativement la dissemblance entre les
trajec-toires r´eelle et simul´ee. Ainsi, les param`etres optimaux sont d´etermin´es automatiquement.
Les effets de diff´erents param`etres des deux mod`eles ont ´et´e explor´es pour visualiser leurs
influences sur la forme des contours dans une trajectoire de croissance simul´ee. Nous avons
´egalement illustr´e sur un exemple la g´en´eration d’une trajectoire de croissance et le
positionne-ment s´equentiel des facteurs locaux pendant la croissance, qui sont `a l’origine des dentelures.
Finalement, nous avons appliqu´e la strat´egie de mod´elisation pour v´erifier si les mod`eles
permettent de reproduire les trajectoires de croissance de feuilles r´eelles de la rosette de la
plante mod`ele Arabidopsis thaliana. Pour cela, certains param`etres des mod`eles ont ´et´e
op-timis´es. Les r´esultats obtenus ont montr´e que les formes globales des feuilles sont dans leur
ensemble reproduites, mˆeme si l’on peut noter des diff´erences, pour certains rangs ´elev´es, dans
la partie pr´ecoce de la croissance. Par contre, les morphologies des dents ne sont pas bien
repro-duites par les mod`eles, comme nous l’avons constat´e en comparant les mesures de hauteur et de
largeur des dents. Une possibilit´e pour expliquer ces diff´erences est le choix que nous avons fait
pour la fonction de coˆut `a minimiser dans l’optimisation des param`etres. En effet, les dents
cor-respondent `a des motifs de petites tailles en comparaison de la feuille dans son ensemble. Il est
donc possible que cela explique que les dents ne soient pas bien reproduites parce que leur poids
dans la fonction de coˆut est minime, et donc des formes de dents ´eloign´ees des formes r´eelles
ne sont pas assez p´enalis´ees. Une perspective `a envisager est donc de proposer une fonction de
coˆut qui p´enalise plus fortement les formes peu r´ealistes des dents, ou bien encore de d´efinir une
fonction de coˆut sp´ecifique aux dents, et d’optimiser `a chaque ´etape d’abord la forme globale `a
l’aide de notre pseudo-distance puis, dans un second temps, d’optimiser la forme des dents.
Apr`es optimisation, nous avons analys´e l’´evolution de certains param`etres en fonction du
rang de la feuille. Il est apparu que certains param`etres peuvent ´evoluer de fac¸on contre-intuitive.
Par exemple, le param`etre d’intensit´e de croissance homog`ene dans la direction longitudinale
contrˆole la taille de la feuille selon son axe principal. Les feuilles de la rosette sont de plus
en plus allong´ees lorsque leur rang augmente. Or, nous avons vu que le param`etre d’intensit´e
longitudinale diminue en fonction du rang de la feuille. Cela semble donc contradictoire.
Fina-lement, la valeur du param`etre de r´epressionRlongaugmente en fonction du rang, ce qui signifie
que le freinage de la croissance est de plus en plus faible, et c’est donc la combinaison de ces
deux param`etres qu’il faut analyser pour expliquer la taille croissante des feuilles simul´ees. Cela
illustre l’importance de consid´erer la morphogen`ese dans sa globalit´e pour pouvoir comprendre
l’´evolution de la forme, et donc l’int´erˆet de la mod´elisation num´erique qui permet d’´etudier des
processus complexes qui int`egrent de multiples facteurs.
Une perspective est d’utiliser des m´ethodes de comparaison statistique des trajectoires de
croissance r´eelle et simul´ees pour valider les mod`eles. Dans ce chapitre, les comparaisons entre
les trajectoires et les mesures de la morphologie ont ´et´e visuelles et qualitatives. Ce type de
comparaison permettrait d’une part de valider ou pas un mod`ele, de fac¸on objective, en v´erifiant
que les trajectoires simul´ees sont bien incluses dans la gamme de variabilit´e des formes de
feuilles r´eelles.
Une autre suite `a ce travail est d’explorer la nature stochastique du d´eveloppement. Pour le
moment, nous d´eterminons les param`etres du mod`ele en comparant la trajectoire simul´ee `a la
trajectoire r´eelle que l’on veut expliquer. Cependant, cette trajectoire r´eelle est une trajectoire
moyenne. Il serait int´eressant de v´erifier si, en tirant al´eatoirement des param`etres autour des
valeurs optimales, ou bien en les faisant varier al´eatoirement dans le temps au cours du calcul
de la trajectoire de croissance d’une feuille, nous pouvons g´en´erer des ´echantillons de feuilles
individuelles, toutes diff´erentes. En les comparant `a de vrais ´echantillons de feuilles r´eelles, ce
serait ´egalement une fac¸on de valider les mod`eles.
Une autre perspective envisag´ee pour ce travail concerne le mod`ele de croissance lui-mˆeme,
en particulier les facteurs de gradient de croissance et de gradient de diff´erenciation. Ce dernier
gradient correspond au front de diff´erenciation qui marque symboliquement la limite entre la
r´egion distale (du cˆot´e de la pointe de la feuille) o`u les cellules sont entr´ee en diff´erenciation
(notamment, certaines cellules entrent en expansion, c’est-`a-dire que leurs tailles augmentent)
et celle, proximale, o`u les cellules sont encore majoritairement toujours en division (elles sont
alors plutˆot petites et arrondies), pour augmenter le nombre de cellules afin de permettre
d’aug-menter la taille de la feuille. A terme, lorsque la feuille a fini sa croissance, il n’y a plus de
division cellulaire. Ces deux r´egimes cellulaires, division et expansion, sont les principaux
m´ecanismes qui interviennent dans la morphogen`ese, et en particulier dans la croissance du
tissu. Il est donc envisag´e que les deux facteurs correspondants dans le mod`ele puissent ˆetre
li´es et ne former au final qu’un seul facteur. Cette hypoth`ese peut facilement ˆetre test´ee dans le
mod`ele de croissance. Dans ce cas, la vitesse de croissance du tissu pourrait ˆetre d´efinie par le
front de diff´erenciation.
Enfin, la strat´egie de mod´elisation a ´et´e en premier lieu mise au point pour mieux
com-prendre les m´ecanismes biologiques du d´eveloppement qui interviennent dans la morphogen`ese.
Il sera n´ecessaire de valider les hypoth`eses formul´ees grˆace `a la mod´elisation sur des donn´ees
biologiques. Par exemple, nous avons obtenu des valeurs pour les param`etres de distances du
mod`ele de positionnement des facteurs locaux, qui semblent ˆetre invariants en fonction du rang
de la feuille. Il serait int´eressant d’aller faire des mesures de distances dans des feuilles r´eelles
qui portent des rapporteurs de l’hormone auxine (facteur local acc´el´erateur de croissance dans
le mod`ele) et de l’expression du g`eneCUC, afin de v´erifier si nos pr´edictions sont coh´erentes
avec les observations, et notamment si elles sont invariantes quand le rang change. Il faut
cepen-dant d’abord confirmer nos r´esultats qui concernent les dentelures apr`es avoir introduit, comme
propos´e plus haut, des fonctions de coˆut dans la m´ethode d’optimisation qui donnent plus de
poids aux dents. Il serait ´egalement int´eressant de v´erifier, lorsque cela est possible, si les effets
de mutations qui sont pr´edites par le mod`ele correspondent aux ph´enotypes des mutants r´eels
(voir la Figure3.31), et c’est un moyen de valider les mod`eles.
En conclusion, ce chapitre a pr´esent´e des mod`eles dans le but de mieux comprendre la
mor-phogen`ese. Les trajectoires de croissance r´eelles sont importantes pour param´etrer des mod`eles
(les nˆotres, mais en th´eorie n’importe quel mod`ele pour peu que les fonctions de coˆut ad´equates
soient d´efinies), et valider leurs performances en comparant les simulations aux croissances
r´eelles. Nous avons en outre montr´e qu’il est tr`es important de consid´erer le d´eveloppement d`es
les stades tr`es pr´ecoces, car des ´ev´enements importants se passent tr`es tˆot, comme l’apparition
des dents. En effet, c’est l’int´egration de plusieurs m´ecanismes dans l’espace et le temps qui
d´efinit les formes finales, et il convient donc de les analyser sur toute la dur´ee de la croissance.
Chapitre 4
Dans le document
Quantification et modélisation de la morphogenèse foliaire
(Page 147-152)