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Chapitre II : Des précurseurs du Risorgimento ? 24

II. Un silence autour du Risorgimento ? 29

Comment des intellectuels de la seconde moitié du XIXe siècle, qui ont donc assisté à une grande partie des événements en vue d’une unité italienne, intègrent-ils à ce mouvement d’unification des hommes de lettres qui eux en ont vécu les prémisses, d’après ce qui a été dit sur l’influence de Napoléon Bonaparte ? Le regard rétrospectif est-il fortement imprégné par le Risorgimento ?

Des références au Risorgimento ?

Très vite, il apparaît que l’unité réalisée de l’Italie n’est pas clairement exposée dans les écrits qui lui sont postérieurs. Le terme de Risorgimento n’est présent qu’une seule fois et n’exprime pas le mouvement en lui-même et son achèvement mais plutôt le concept de résurrection de l’Italie qui se développait à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle. Si la réussite de l’unification et l’implication des écrivains dans cette réussite n’est en général pas distinctement expliquée dans les sources postérieures, en revanche de son côté l’histoire littéraire de Cantù fait tout de même part de l’inspiration qu’ont pu susciter certains hommes de lettres sur la génération du Risorgimento. Or les recherches d’Alberto Maria Banti ont pu mettre en évidence, à travers des mémoires ou écrits personnels, que nombre d’acteurs du Risorgimento avaient été influencés par des textes littéraires de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle76. Ici donc seuls Cesare Cantù, mais aussi quelques années plus tard Giosuè Carducci, s’intéressent à cela. Nous reviendrons plus longuement sur le cas de Giosuè Carducci dans le chapitre suivant en raison de la particularité qu’il représente. Pour en revenir à Cesare Cantù, celui-ci écrit que Berchet « lança des compositions poétiques contre les tyrans, qui par les formes et par les manières étaient nouveaux pour l’Italie, et tous les jeunes

76

Voir les explications et la liste de textes fondamentaux selon Alberto Maria Banti dans Alberto Maria Banti,

30 les ouvrirent »77 et parle à propos de Foscolo de « l’influence qu’il eut sur la génération suivante »78, à savoir celle du Risorgimento. Les auteurs sont ici vus comme des sources d’inspiration pour leur génération mais aussi pour celle qui vient après, ce qui montre la durabilité et la popularité chez les élites cultivées des thèmes traités par certains.

Avec Cesare Cantù donc, l’idée d’un rôle joué par les écrivains et plus précisément par leurs œuvres sur les acteurs du Risorgimento vient à être exprimée, là où les écrits sur les auteurs antérieurs à la réalisation effective de l’unité n’en parlent pas, à l’image des notices biographiques du dictionnaire Michaud, et là où d’autres histoires littéraires comme celle du français Louis Etienne n’établissent pas un lien direct. En effet, on remarque que le thème de l’unité n’est pas absent de cette histoire littéraire et ne se limite pas aux écrivains du milieu du XIXe siècle car il est aussi évoqué pour ceux de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle. Louis Etienne s’intéresse ainsi aux implications personnelles des écrivains dans le concept d’unité, les luttes qu’ils mènent, les thématiques dont ils traitent et les événements politiques qui les inspirent mais il ne parle à aucun moment des répercussions et des impacts que cela a éventuellement pu avoir sur la population des lecteurs, de la première ou de la seconde génération.

Si ce que l’on peut considérer comme le Risorgimento stricto sensu, c'est-à-dire la période de formation de l’Etat-nation qui s’étend de 1848 à 1871, est finalement peu présent, en revanche, ce que l’on pourrait appeler l’éveil national qui précède cette période, est beaucoup plus largement développé et exposé. Quels sont donc les éléments qui viennent témoigner de cette présence de l’unité italienne dans les réflexions des intellectuels sur les hommes de lettres de la génération précédente ?

L’évocation politique et événementielle de l’unité italienne

Les événements et les implications politiques liés au processus d’unification de la péninsule sont évoqués à demi-mot et le sont principalement à propos du contexte d’écriture de certaines œuvres ou de la répercussion sur la vie ou les pensées d’un auteur.

Ainsi, Louis Etienne explique à propos du Marzo 1821 de Manzoni que :

77

Cesare Cantù, Op. Cit. Storia della…, p. 634 : « contro i tiranni avventò romanze, che per forme e per modi erano nuove all’Italia, e tutti i giovani le apresero ».

78

31

« cette ode, communiquée en confidence à des amis intimes, ne put être publiée dans la tempête passagère de 1821 ; elle ne fut acquise à la littérature nationale que vingt-sept ans après, dans un autre mois de mars dont le retentissement devait être autrement grave et durable. »79

Rien n’est explicite et tout semble indiquer que l’auteur considère que le lecteur sait de quoi il retourne, en l’occurrence les premiers soulèvements en Italie en 1821 dans le Piémont et la guerre déclarée par le Piémont à l’Autriche en mars 1848 qui est traditionnellement considérée comme le point de départ du processus réel d’unification de l’Italie. Toujours est-il que les événements liés à l’unité italienne ne sont pas occultés, même s’ils sont rattachés à la littérature, ce qui dans un sens paraît cohérent pour des écrits traitant d’écrivains et d’œuvres littéraires. L’idée finalement est de donner le contexte d’écriture, qui peut expliquer la production littéraire de tel ou tel écrivain. Cependant, cela reste toujours très allusif, comme à propos du contexte dans lequel écrit Giacomo Léopardi et qui est désigné comme « l’Italie après les événements de 1815 et de 1821. »80

Les convictions politiques des auteurs viennent aussi à être parfois présentées, une fois encore dans le but de mieux comprendre les œuvres qu’ils ont produites. On remarque que, en vertu de ce que l’on a pu voir jusqu’ici, l’œuvre finalement est au centre des histoires littéraires, ce qui fait que tout le reste vient se greffer autour. Ainsi, il est expliqué que :

« Giusti était républicain, ce qui ne l’empêcha point en 1848 de tendre la main à ceux qui s’efforçaient de fonder un royaume de la haute Italie ; après la chute de la monarchie constitutionnelle, il se replia vers la république, se portant toujours là où il voyait luire quelque espérances pour son pays. Il se rapprochait des idées de son ami Manzoni sur l’unité italienne. Dans la pièce de Lo Stivale il faisait dire à la botte allégorique […] »81

L’enchaînement entre l’explication sur les convictions politiques et les événements liés au mouvement d’unité avec un extrait d’une œuvre de l’auteur dont il est question tend à montrer que la première partie de la phrase est là finalement pour expliciter la seconde, ou en tout cas que l’extrait justifie et illustre très bien les convictions de Giusti. Dans tous les cas, l’extrait de l’œuvre, qu’il soit là pour être commenté ou pour venir en appui de ce qui est avancé, représente la référence ultime, celle que l’on ne peut mettre en doute.

En somme, l’évocation politique et événementielle du mouvement d’unité italienne n’est pas extrêmement claire mais est implicite, comme si le lecteur connaissait plus

79

Louis Etienne, Op. Cit., p. 578-579.

80

Ibid., p. 585

81

32 précisément le contexte, et est disséminée au fil des commentaires sur les œuvres et les auteurs. L’unité italienne dans sa réalisation sur le terrain est en fin de compte peu présente, ce qui peut sembler logique d’une certaine manière puisque ce n’est pas le propos des ouvrages étudiés ici et que la période regardée n’est pas très riche en événements majeurs. Cependant, même si l’on regarde la période suivante, les références à des événements ne sont pas plus explicites.

Au final, il s’agit de voir désormais si l’unité italienne est alors plus convoquée au sujet de son développement idéologique au sein de la littérature. Dans ce sens, c’est le lien entre les auteurs, leur production et l’unité italienne qui nous intéresse. Or, comme le montrait finalement déjà la divergence entre Cesare Cantù et Louis Etienne à propos de la source d’inspiration que pouvaient représenter certains auteurs pour la génération du mouvement d’unité, les avis ne sont pas toujours les mêmes en ce qui concerne le lien entre les écrivains et l’unité italienne.