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Signalisation croisée entre mTORC1 et mTORC2

4. Régulateurs clés du métabolisme et signalisation cellulaire

4.2. mTOR : régulateur clé du métabolisme

4.2.3. Signalisation croisée entre mTORC1 et mTORC2

La signalisation de l’insuline est composée de nombreuses boucles de rétrocontrôle afin de contrôler le signal. Certaines boucles de rétrocontrôle sont bien décrites et admises par la communauté scientifique (Figure 23, en trait continu). Il s’agit des boucles de rétrocontrôle négatif S6K sur IRS et de mTORC1 sur IRS via Grb10 (Um et al., 2004; Yu et al., 2011).

Figure 23 : Rétrocontrôles de la signalisation insuline. Rétrocontrôle négatifs bien établis : S6K-IRS et mTORC1-Grb10-PI3K (en trait continu). Rétrocontrôle controversés : S6K-mTORC2 (négatif) et AKT-mTORC2 (positif) (en pointillés) (Yang et al., 2015)

59 Le rétrocontrôle négatif de S6K sur IRS1 a été décrit dans un premier temps. Il a été montré que S6K phosphoryle IRS1 sur les sérines 307, 636 et 639. Cette phosphorylation inhibitrice empêche l’interaction avec p85, la sous-unité régulatrice de PI3K, bloquant ainsi la voie de signalisation insuline (Zick, 2001; Um et al., 2004). Par la suite, le rétrocontrôle négatif mTORC1 sur IRS via Grb10 a été mis en évidence en même temps par deux équipes en 2011 (Hsu et al., 2011; Yu et al., 2011). Ces équipes ont montré que le complexe mTORC1 interagissait directement avec Grb10 pour le phosphoryler en réponse à l’insuline ou aux acides aminés. La phosphorylation de Grb10 permet sa stabilisation et va permettre l’inhibition de la phosphorylation activatrice d’IRS sur tyrosine par le récepteur à l’insuline. Cela va empêcher l’activation de la PI3K et ainsi bloquer la signalisation.

D’autres rétrocontrôles font l’objet de controverses encore à l’heure actuelle. Il s’agit des rétrocontrôles négatif ou positif, de S6K sur mTORC2 et d’AKT sur mTORC2, respectivement (Figure 23, en pointillé).

Dans un premier temps, il a été montré par une approche de phospho-protéomique dynamique, qu’AKT phosphoryle Sin1 sur la thréonine 86, régulant positivement l’activité du complexe mTORC2, dans des adipocytes en réponse à l’insuline par le groupe de David E James (Humphrey et al., 2013). En effet, cette phosphorylation est attribuée à AKT puisqu’elle est inhibée par un inhibiteur d’AKT mais pas par la rapamycine. Par cette approche dynamique, les auteurs montrent que l’activation par l’insuline de Sin1 et d’AKT est bien plus précoce (inférieure à 1 minute) que l’activation de l’axe mTORC1/S6K (environ 5 minutes). Ainsi, les auteurs décrivent une boucle de rétrocontrôle positif par laquelle AKT phosphoryle directement Sin1, et stimulant ainsi l’activité du complexe mTORC2.

Dans la même année, le groupe de Wenyi Wei a décrit un rétrocontrôle négatif de S6K sur le complexe mTORC2 via Sin1, dans les cellules HeLa (cellules cancéreuses du col de l’utérus) en réponse à l’insuline, indépendamment d’IRS1 et Grb10 (Liu et al., 2013). En effet, dans leur système, S6K phosphoryle Sin1 sur les deux thréonines 86 et 398 déstabilisant et inhibant le complexe mTORC2, après une stimulation prolongée. Cette double phosphorylation sur Sin1 inhibe son interaction avec Rictor via le domaine N-terminal (par T86) et mTOR via le domaine PH (par T398). De plus, la mutation de Sin1 R81T, retrouvée dans le cancer ovarien, abolit la phosphorylation de Sin1 sur le Thréonine 86 et mène à l’activation du complexe mTORC2, l’hyper-phosphorylation d’AKT sur la sérine 473 et la croissance cellulaire observée dans le cancer ovarien. Il existe une corrélation inverse entre la phosphorylation de Sin1 T86 et d’AKT S473 dans le cancer ovarien, et aussi le foie de souris traitées à la rapamycine. Précédemment, une étude avait montré que la déplétion partielle de

60 mTOR conduit à l’augmentation de la phosphorylation d’AKT S473, ce qui est consistant avec la levée d’un rétrocontrôle négatif de S6K sur mTORC2 (Sarbassov et al., 2006).

S’en suivront d’autres études publiées par ces deux groupes (Liu et al., 2014; Yang et al., 2015), comparant leurs conditions expérimentales afin de déterminer si la phosphorylation de Sin1 est activatrice ou inhibitrice du complexe mTORC2. Le point soulevé le plus critique est probablement la différence de l’état de phosphorylation de Sin1. En effet, un des deux groupes montre que la phosphorylation seule T86 ou T398 permet de conserver l’activité du complexe mTORC2 et la phosphorylation d’AKT 473, alors que la double phosphorylation T86 et T398 est requise pour la dissociation du complexe mTORC2 et l’inhibition de la phosphorylation d’AKT S473 (Figure 24) (Liu et al., 2013, 2014).

Figure 24 : La phosphorylation de Sin1 sur les deux sites Thréonine 86 et Thréonine 398 est requise pour la dissociation du complexe mTORC2 et l'inhibition de son activité kinase (notamment sur AKT). (Liu et al., 2014)

Malgré cela, le groupe de David E James montre qu’AKT est la kinase majeure responsable de la phosphorylation de Sin1 T86 puisque la délétion de d’AKT mène à une forte diminution de la phosphorylation de Sin1 T86 en réponse à l’insuline alors que la délétion de S6K a un impact mineur dans des MEF (Yang et al., 2015).

61 Un groupe indépendant identifiera les différences expérimentales entre les études des deux groupes pouvant expliquer la controverse à ce sujet (Xie and Proud, 2013). En effet, le groupe David E James décrit un rétrocontrôle positif sur mTORC2 dans des adipocytes normaux différenciés à partir d’une lignée 3T3-L1, après une stimulation courte à l’insuline. Alors que l’autre groupe Wenyi Wei décrit un rétrocontrôle négatif sur mTORC2 dans une lignée de cellules cancéreuses du col de l’utérus (HeLa), après une stimulation à l’insuline prolongée. Il apparait donc de nombreuses différences entre les modèles d’études amenant à deux boucles de rétrocontrôle opposées mais qui ne sont finalement pas incompatibles et pourraient coexister à différents temps de la signalisation (rétrocontrôle positif à court terme pour renforcer la signalisation / rétrocontrôle négatif à long terme pour bloquer la signalisation) et/ou dans différents types cellulaires (adipocytes / cellules épithéliales utérines) et/ou dans différentes conditions (physiologie / cancer) et contrôlées par une régulation différentielle de l’état de phosphorylation de Sin1 (T86 ou T398 à court terme / T86 et T398 à long terme).

Par ailleurs, d’autres éléments pourraient réguler l’activité du complexe mTORC2. D’une part, par une approche phospho-protéomique, il a été montré que S6K phosphoryle directement Rictor sur la thréonine 1135. Bien que cette phosphorylation ne modifie pas l’intégrité du complexe mTORC2, elle inhibe sélectivement son activité sur la phosphorylation d’AKT S473 mais pas sur PKCα et SGK1 (Dibble et al., 2009). D’autre part, il a été montré que le complexe TSC1/TSC2 régule mTORC2 indépendamment de mTORC1, par un mécanisme inconnu bien qu’il existe une interaction entre les deux complexes. En effet, l’extinction de TSC2 entraîne une inhibition de l’activité mTORC2 qui n’est pas restaurée par la rapamycine (donc indépendant de mTORC1). Enfin, mTORC1 régule la biogenèse ribosomale et donc régule indirectement l’activation de mTORC2 par son interaction avec les ribosomes en réponse à l’insuline (Zinzalla et al., 2011). Cela pourrait expliquer l’inhibition à long terme de mTORC2 par la rapamycine indirectement (Sarbassov et al., 2006).

L’ensemble de ces études montre que la signalisation mTOR est très finement régulée, avec de nombreux rétrocontrôles, négatif ou positif, et que cela peut dépendre du contexte cellulaire et physiopathologique.