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La Reptine est essentielle à la survie des hépatocytes

1.1. La diminution de l’expression de la Reptine dans les souris Reptin

LKO

est

rapidement compensée par un phénomène de régénération hépatique

1.1.1. Le mystère des cellules hypertrophiques

Nous avons généré et caractérisé un nouveau modèle d’invalidation de la Reptine hépato-spécifique. Nous avons observé une diminution de l’expression de la Reptine de 85% en ARNm et 70% en protéine dans le foie total entre J14 et J21 après injection de tamoxifène. Etant donné la présence des cellules non hépatocytaires, comme les cellules biliaires qui expriment fortement la Reptine (Rousseau et al., 2007), ou les cellules endothéliales, notre hypothèse est que ces cellules qui n’expriment pas l’albumine ne sont pas touchées par la recombinaison de la Cre recombinase. Nous avons tenté sans succès de mesurer précisément le niveau d’extinction de la Reptine dans les hépatocytes. En effet, aucun anticorps anti-Reptine disponible ne donnait de résultats utilisables en immuno-histochimie chez la souris. Nous avons aussi tenté d’isoler des hépatocytes après délétion in vivo de la Reptine, mais leur viabilité était insuffisante. Des expériences d’hybridation in situ de la Reptine, en cours, devraient permettre de déterminer l’extinction dans les hépatocytes. Toutefois, l’extinction de l’expression protéique de la Reptine mesurée dans le foie total est de plus de 70% et est cohérente avec une extinction majeure dans les hépatocytes.

Alors qu’à 15 jours après la délétion de la Reptine, la taille des hépatocytes est diminuée, 30 jours après la délétion de la Reptine, des cellules hypertrophiques apparaissent. Dans les souris ReptinLKO, l’apparition de ces cellules coïncide avec l’augmentation de l’expression de la Reptine dans le foie. En effet la déplétion de la Reptine dans le foie au niveau protéique passe de 70% à seulement 40% de J15 à J30. De plus, cela est associé à la

161 restauration partielle du ratio poids du foie/poids total, suggérant l’initiation d’une régénération hépatique. De façon intéressante, ce phénomène a été observé aussi bien dans le modèle AlbCreERT2 que dans les modèles d’invalidation induits par injection d’adénovirus ou d’AAV codant pour la Cre-recombinase (données non montrées). La caractérisation approfondie de ces cellules est donc primordiale afin de répondre à plusieurs questions à leur sujet : que sont ces cellules, quelle est leur origine, quel est leur génotype (ReptinKO ou ReptinWT), comment sont-elles apparues, quel est leur rôle… ? Nous avons commencé cette caractérisation. Histologiquement, ces cellules sont de morphologie hépatocytaire avec un ratio nucléo-cytoplasmique similaire à celui d’hépatocytes normaux. Nous avons montré que ces cellules sont en prolifération puisqu’elles sont BrdU positives et que des figures mitotiques y ont été observées.

Par ailleurs ces cellules présentent un marquage phospho-S6 très important, reflétant indirectement un niveau élevé de Reptine dans cellules. Ce résultat amène de nouvelles questions. Si ces cellules expriment fortement la Reptine, quelle est l’origine de ces cellules, pourquoi ont-elles échappé à la délétion de la Reptine induite par le tamoxifène ou par les AdCre et AAVCre, même à forte dose ? Plusieurs hypothèses sont envisageables. Certains hépatocytes pourraient avoir échappé à l’induction de la délétion par le tamoxifène à cause d’une dose insuffisante. Cependant, l’administration répétée de tamoxifène afin d’éviter cet éventuel échappement, est associée à une accélération de l’apparition des cellules hypertrophiques. De plus, cette pression de tamoxifène est associée à une plus forte augmentation du ratio poids du foie/poids total des souris ReptinLKO, ainsi que du niveau protéique de Reptine. Une hyperméthylation du promoteur de l’albumine dans les souris AlbCre-ERT2 est envisageable mais des résultats similaires ont été observés lorsque la recombinase Cre était introduite avec un adénovirus Cre ou un AAV Cre. Ces cellules pourraient aussi provenir de progéniteurs hépatocytaires exprimant faiblement l’albumine et seraient donc peu sensibles à l’induction de la délétion de la Reptine par la recombinase Cre, sous le contrôle du promoteur albumine. L’origine de ces cellules pourrait également être extra-hépatique. Il a été montré que des cellules souches de la moelle osseuse pouvaient migrer dans le foie et se différencier en hépatocytes ou fusionner avec des hépatocytes (Petersen et al., 1999; Lagasse et al., 2000; Vassilopoulos et al., 2003; Fausto and Campbell, 2003; Pedone et al., 2017). Cela expliquerait que ces cellules puissent surexprimer la Reptine car elles n’expriment pas l’albumine et n’auraient donc pas subi la délétion induite par le tamoxifène. Toutefois, cela reste une hypothèse. Des expériences de traçage cellulaire par croisement des souris ReptinLKO avec des souris contenant une construction avec un gène rapporteur de l’activité Cre-recombinase permettraient de déterminer l’origine de ces cellules.

162 Ces cellules hypertrophiques de type hépatocytaire, observées dans le foie des souris ReptinLKO après 30 jours de délétion de la Reptine, ont également été observées plus rarement dans le foie des souris ReptinLKO à partir de 36 heures après hépatectomie partielle. Cependant, l’évolution clinique des souris indique que ce mécanisme de compétition cellulaire ne semble pas suffisant pour assurer la régénération hépatique après hépatectomie partielle dans les souris ReptinLKO.

Seuls quelques cas cliniques rares d’hépatites à cellules géantes chez l’enfant ou chez l’adulte rapportent l’existence de cellules de grande taille plus ou moins similaires dans le foie suite à des défaillances hépatiques sévères à cause d’un problème auto-immun ou d’une intoxication (Cho et al., 2016; Shetty et al., 2016; Ikawa et al., 2016). Une étude du modèle murin d’invalidation de Raptor dans le foie a également montré des hépatocytes de taille anormale (Umemura et al., 2014). La description histologique de ces cellules est cependant peu approfondie et aucun mécanisme n’a été mis en évidence. De plus, la similarité morphologique avec les cellules observées dans le foie des souris ReptinLKO est assez faible. Elles présentent un rapport nucléo-cytoplasmique faible avec trois ou quatre noyaux et un large cytoplasme alors que les cellules hypertrophiques observées dans le foie des souris ReptinLKO présentent un rapport nucléo-cytoplasmique élevé avec un seul noyau en général.

La microdissection des cellules suivie d’une analyse globale par spectrométrie de masse devrait permettre de répondre aux nombreuses questions posées (notamment leur identité et leur origine) concernant ces cellules, comparées aux cellules hypotrophiques présentes dans le foie des souris ReptinLKO mais aussi aux hépatocytes normaux dans les souris contrôles. Le génotypage de ces cellules après microdissection permettrait également de savoir si elles ont échappé à la recombinaison.

1.1.2. Les cellules hypertrophiques sont-elles des « winner cells » ?

Nos résultats suggèrent un phénomène similaire au mécanisme de compétition cellulaire. Notre hypothèse est que l’invalidation de la Reptine, assurée par l’administration chronique de tamoxifène, étant toxique pour les hépatocytes, cela accélère le phénomène en induisant une forte apoptose des hépatocytes hypotrophiques (ReptinKO) et une stimulation plus forte de la régénération par les cellules hypertrophiques (surexprimant probablement la Reptine) qui remplace peu à peu les hépatocytes hypotrophiques afin de compenser la perte délétère de la Reptine. Ce phénomène de compétition cellulaire a été décrit précédemment chez la drosophile (Moreno and Basler, 2004; De la Cova et al., 2004). Dans ce concept, les cellules prolifératives (« winner ») induisent l’apoptose des cellules adjacentes moins prolifératives (« loser ») et les remplacent par prolifération afin de les remplacer et de réguler

163 la taille des tissus dans le développement normal des organes. Ce concept repose sur la théorie de l’évolution de Charles Darwin et le modèle « winner - loser ». En effet, les cellules hypertrophiques prolifératives peuvent être considérées comme des cellules « winner » qui induisent l’apoptose des cellules hypotrophiques, pouvant être considérées comme des cellules « loser ». En effet, le marquage de la caspase 3 activée par immuno-histochimie révèle une apoptose des cellules hypotrophiques en périphérie des îlots de cellules hypertrophiques.

La compétition cellulaire peut exister dans le foie. Une étude montre que des progéniteurs hépatiques fœtaux ou hépatoblastes transplantés après hépatectomie partielle sont capables de proliférer, se différencier en hépatocytes et remplacer progressivement les cellules hépatiques hôtes jusqu’à 23,5% six mois après hépatectomie partielle (Oertel et al., 2006). La repopulation du foie par ces cellules est fondée sur leur plus grande capacité proliférative, ainsi qu’à l’induction de l’apoptose des cellules hépatiques hôtes adjacentes (Figure 47).

Figure 47 : Modèle de régénération hépatique par compétition cellulaire. Adapté de (Vivarelli et al., 2012)

Ce mécanisme pourrait servir à concevoir des stratégies thérapeutiques pour la régénération hépatique dans le cas de désordre fonctionnel ainsi qu’en médecine régénérative pour d’autres organes et une grande variété de dysfonctionnements (Vivarelli et al., 2012).

Le facteur de transcription Myc est un régulateur clé de ce processus de compétition cellulaire. Chez la drosophile, sa surexpression permet aux cellules d’acquérir le statut de « winner » et de remplacer les cellules « loser » qui expriment plus faiblement Myc (Moreno and Basler, 2004; De la Cova et al., 2004). Il serait donc intéressant de déterminer le niveau d’expression de Myc par immuno-histochimie dans les cellules hypertrophiques et hypotrophiques dans le foie des souris ReptinLKO, 30 jours après délétion de la Reptine. Myc représente un candidat puisqu’il régule la transcription de la Reptine et inversement la Reptine régule l’activité de Myc (Menssen and Hermeking, 2002; Fan et al., 2010; Zeller et al., 2006; Walz et al., 2014; Bauer et al., 1998, 2000). Par ailleurs, d’autres voies de signalisation qui stimulent la croissance et la survie cellulaire ont été impliquées dans la

164 compétition cellulaire : la voie Hippo/YAP, la voie Wnt/β-caténine et la voie JAK/STAT. L’activation de YAP promeut la compétition cellulaire de façon dépendante de Myc, alors que l’activation des voies Wnt/β-caténine et JAK/STAT confère un statut de « super-compétiteur » indépendamment de Myc (pour revue (Penzo-Méndez and Stanger, 2014)). Etant donné le lien étroit entre Reptine et β-caténine, l’exploration de la voie Wnt/β-caténine serait aussi intéressante dans ce contexte. Il est donc important de confirmer le niveau de Reptine et de Myc dans les cellules hypertrophiques et de déterminer leur origine.

1.2. Une deuxième étape de régénération fait appel à une infiltration ductulaire

et aboutit à la restauration d’un foie normal

Nous avons observé une infiltration de petites cellules ovoïdes au niveau périportal au travers du parenchyme hépatocytaire dans le foie des souris ReptinLKO après 6 semaines de délétion de la Reptine. Ces cellules ressemblent à des cellules ovales lors d’une réaction ductulaire mais des analyses complémentaires par immuno-histochimie des marqueurs spécifiques des cellules ovales sont nécessaires afin de bien caractériser ces cellules. Cette réaction ductulaire est cohérente avec les propriétés de régénération hépatique des cellules ovales afin de restaurer un foie normal. L’observation de cette réaction ductulaire dans le foie des souris ReptinLKO six semaines après administration de tamoxifène suggère donc un deuxième phénomène de régénération, qui est associé à la restauration totale de l’expression de la Reptine dans le foie et donc la perte du KO de la Reptine. L’apparition d’une réaction ductulaire se produit en général lorsque la prolifération des hépatocytes est inhibée (Farber, 1956; Fausto and Campbell, 2003). Cependant, dans le modèle ReptinLKO, un phénomène de régénération faisant intervenir des hépatocytes hypertrophiques en prolifération précède la réaction ductulaire. Il semble donc que la prolifération des hépatocytes hypertrophique ne soit pas suffisante pour régénérer le foie après invalidation de la Reptine et que la prolifération de cellules progénitrices intervienne.

Notre hypothèse est que dans un premier temps, un processus de compétition cellulaire se met en place avec l’apparition de cellules hypertrophiques ; puis dans un second temps, une deuxième étape de régénération intervient avec la prolifération de cellules ovales par réaction ductulaire. Finalement, après ces deux étapes de régénération, le foie est semblable à un foie de souris « sauvage ». La délétion à long terme de la Reptine dans le foie est donc un modèle unique de régénération, en deux étapes, combinant plusieurs mécanismes de régénération, d’abord la compétition cellulaire entre hépatocytes matures puis la réaction ductulaire avec les cellules ovales.

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2. La Reptine est requise pour la prolifération des hépatocytes