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2 Patrick Menucci. Op. cit,, p. 157. 3 Patrick Menucci. Op. cit., p. 157

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dans une société où la sécurité des personnes n’est plus un acquis mais où paradoxalement, les connaissances qu’elles ont produites n’ont pas trouvé des débouchés dans l’action politique »1.

Pourtant, cet état des lieux des « recherches sur les radicalisations, les formes de violence qui en résultent

et la manière dont les sociétés les préviennent et s’en protègent » démontre que la France dispose d’un

ensemble de chercheurs et d’un afflux de travaux de grande qualité et de notoriété internationale. Plus encore, il alerte sur l’état de la recherche portant sur le Proche-Orient et le Moyen-Orient, d’une part, ainsi que sur l’islam, la pensée musulmane et la langue arabe, d’autre part. En dépit d’une tradition française d’excellence dans le domaine des études arabo-musulmanes, ces dernières souffrent actuellement d’un appauvrissement des effectifs qui s’y consacrent et d’une densification de la somme de travail, donc d’un affaiblissement de la qualité générale des conditions d’études2. Gilles Kepel, dans un

réquisitoire très sévère contre les élites politiques qu’il estime responsables de cet état de fait, affirme que « La France […] a laissé péricliter, en particulier sous les deux derniers quinquennats, le champ de ces

études naguère prééminentes par rapport au reste du monde. Le pays des Louis Massignon, Jacques Berque et Maxime Rodinson, orientalistes et savants de renommée universelle, contraint aujourd’hui les meilleurs esprits de la jeune génération à partir à l’étranger pour se former, menaçant la pérennité même de la production du savoir dans un pays où les enjeux concernés sont centraux »3.

Aussi, l’Alliance ATHENA préconise la création d’une plateforme de transfert opérationnelle du savoir au profit des décideurs publics, l’Athéna-Transfert, possiblement organisé sur le modèle du RAN. Par ailleurs, elle recommande la mise en place d’un chercheur-conseiller-référent chargé de coordonner « la

mise en œuvre des résultats de recherche avec les différents ministères, institutions et agences concernés par la réponse au terrorisme et à la radicalisation »4. Ces propositions viennent appuyer celle de la

création d’une fondation de lutte contre le salafisme djihadiste, dans laquelle un centre de recherche serait intégré ou, a minima, avec laquelle il pourrait travailler en synergie, dans l’optique de servir les décideurs publics comme la société civile. A ce titre, un portail des études réalisées en France et à l’étranger dans des domaines aussi variés que la sociologie, l’Histoire ou l’islamologie, représenterait un grand bénéfice pour les acteurs de terrain, notamment.

2. ELLE DOIT COORDONNER ET ENCOURAGER LA LUTTE CONTRE LA PROPAGANDE DJIHADISTE EN FAVORISANT LES INITIATIVES ISSUES DE LA SOCIETE CIVILE

IL S’AGIT, DANS UN PREMIER TEMPS, DE CREER UNE COMMUNAUTE DE LA COMMUNICATION CONTRE-DJIHADISTE

Il va sans dire que la mise en place d’une grande fondation de la communication contre-djihadiste jouerait un rôle fondamental dans la montée en puissance et en compétence de la société civile sur ce sujet. En cela, elle pourrait soulager les acteurs publics d’un certain nombre de missions, leur permettant ainsi de se

1 Alliance ATHENA. Recherches sur les radicalisations, les formes de violence qui en résultent et la manière dont les sociétés les

préviennent et s’en protègent : état des lieux, propositions, actions. Paris : Alliance ATHENA, mars 2016, p.3.

2 Alliance ATHENA. Op. cit.

3 Gilles Képel, Antoine Jardin. Terreur dans l’Hexagone : génèse du djihad français. Paris : Gallimard, 2015, p. 355. 4 Alliance ATHENA. Op. cit., p. 15.

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recentrer sur leur cœur de domaine. A titre d’exemple, le rapport de la FMSH sur la propagande djihadiste francophone note qu’« à ce jour, il n’existe aucun recensement des différentes actions et certaines

initiatives pourtant très près du terrain ne reçoivent aucune aide. Ce n’est que dans cette coordination de l’ensemble des acteurs concernés avec la politique publique qu’une action de contre-radicalisation pourrait être efficace. »1. Toutefois, le CIPDR a initié la cartographie des initiatives de terrain mais cette

tâche s’ajoute aux nombreuses autres missions du comité qui portent autant sur la délinquance que sur la radicalisation. Dès lors, la cartographie des actions menées pour prévenir la radicalisation et lutter contre le salafisme djihadiste pourrait être confiée utilement à cette fondation, dans le cadre d’une étude menée par un chercheur.

Mais une telle structure permettrait également de seconder efficacement les collectivités locales dont les attentes se sont fortement exprimées au sujet de la prévention de la radicalisation. En effet, leur rôle, en particulier celui des communes, est essentiel, en tant que « premiers guichets républicains »2 du dispositif

déployé et que sources d’information dans l’étude des publics cibles. Interrogés sur leur implication dans la prévention de la radicalisation, « plusieurs élus considèrent ne pas disposer des moyens humains et

financiers pour agir, tandis que d’autres expriment leur désarroi quant aux moyens d’intervention : “ Comment, sous quelle forme, avec quel support... et pour qui ??“ »3 . La fondation constituerait donc un

interlocuteur privilégié pour tous les acteurs locaux afin de les aider à diffuser une communication contre- djihadiste adaptée aux réalités de leur terrain. Elle pourrait également suppléer l’Etat et les collectivités dans la formation de la société civile pour construire sa propre communication.

Sur ce point, la fondation serait en mesure de réaliser des guides de bonnes pratiques et de construction d’une stratégie de communication contre-djihadiste, à l’image du Counter-narrative handbook réalisé par l’ISD en 20164. Par ailleurs, s’agissant des réseaux sociaux et du web, cette fondation pourrait développer

des partenariats avec les opérateurs d’Internet. Elle s’associerait plus aisément que l’Etat aux efforts de formations initiés par Facebook ou Google à destination de la société civile et des influenceurs. Ce genre de coopération s’inscrirait dans la lignée de l’Initiative pour le Courage Civique en Ligne (Online Civil

Courage Initiative) portée conjointement par Facebook, l’International Centre for the Study of Radicalisation and Political violence (ICSR) et l’ISD5. Cette initiative décrit la marche à suivre pour

réaliser une campagne de contre-discours sur les réseaux sociaux et entend constituer une alternative à la censure par la modération et le retrait de contenus.

Par conséquent, cette fondation doit œuvrer à la constitution progressive d’un véritable réseau de communicants et d’acteurs engagés dans la lutte contre la propagande djihadiste. Pour ce faire, elle doit être dotée de moyens financiers suffisants pour agir de manière autonome et pour soutenir également les

1 Pierre Conesa, François-Bernard Huyghe et Margaux Chouraqui. Op. cit, p. 93. 2 Jean-Marie Bockel, Luc Carvounas. Op. cit., p. 30.

3 Jean-Marie Bockel, Luc Carvounas. Op. cit., p. 36

4 Henry Tuck, Tanya Silverman.The counter-narrative handbook. Londres : ISD, 2016.

5 Initiative pour le Courage Civique en Ligne (OCCI). Dossier d’informations sur l’engagement de contre-discours. Londres :

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initiatives de la société civile qui servent ses opérations. Dans ce cadre, il s’agit de cibler ses investissements en fonction de ses intérêts opératifs et non de garantir une rente à des associations ou des acteurs engagés. La dotation de la fondation pourrait être abondée par le FIPD, celui-ci disposant, en 2017, de 15,1 millions € pour la prévention de la radicalisation, dont 3 millions destinés aux plans de lutte contre la radicalisation, annexés aux contrats de ville1. Par ailleurs, grâce à son statut de droit privé, la

fondation serait à même de collecter des fonds, sous forme de fundraising. Elle serait aussi en mesure d’appuyer ses interlocuteurs locaux pour obtenir le soutien de fonds internationaux tels que le GCERF.

Enfin, le cas échéant, elle doit pouvoir apporter le soutien technique nécessaire pour garantir la sécurité informatique des petits acteurs locaux qu’elle met à contribution. En effet, comme l’indique un rapport d’Hedayah et de l’ICCT2, les risques encourus en s’opposant au djihadisme pourrait décourager la plupart

des initiatives locales, en particulier lorsqu’elles font intervenir le témoignage d’un repenti. Il ne s’agit donc pas de se priver d’une source crédible de communication contre-djihadiste par négligence de la menace ou par la confrontation de ce genre de témoin avec ce qui a pu le traumatiser. De la même manière, les djihadistes repentis ne doivent pas être réduit au silence par les craintes qu’ils suscitent dans la société, à l’image de Mourad Benchellali qui a passé deux ans à Guantanamo après un séjour en Afghanistan : « J’ai encore beaucoup de difficultés à intervenir dans les écoles ou les prisons. Les

rectorats freinent, l’administration pénitentiaire dit que c’est compliqué avec mon casier judiciaire. C’est bizarre, parce que c’est précisément ce qui donnera de la légitimité à mon discours »3.

PAR AILLEURS, LA COMMUNICATION CONTRE-DJIHADISTE DEVRA CONTRIBUER A MIEUX DEFINIR LA PLACE DE L’ISLAM EN FRANCE

Issue de la matrice salafiste, donc wahhabite et moyen-orientale, la propagande djihadiste trouve en France un prolongement du contexte islamique mondial. Afin d’établir leur hégémonie sur les musulmans français, le courant des Frères musulmans et celui des salafistes se livrent à une lutte d’influence basée sur une surenchère de revendications fondamentalistes destinées à tester la tolérance de notre société. Selon Gilles Kepel4, ces deux mouvances souhaitent imposer progressivement en France la possibilité,

pour les musulmans qui le souhaitent, d’appliquer la loi islamique, dans une logique transactionnelle avec le pouvoir politique. En 1989, les Frères musulmans tiennent la tête dans cette compétition. Ils opèrent, à cette occasion, un changement de paradigme majeur : la France, tenue jusqu’alors pour une terre d’impiété, devient désormais un espace où la charia peut s’appliquer également. L’UOIF, émanation française des Frères musulmans, change donc symboliquement son nom d’Union des Organisations Islamiques « en France » en « de France ».