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À l’approche de ses 70 ans, Sheila pouvait faire le bilan d’une vie très active. Gâtée par la vie d’une santé de fer, elle fait du bénévolat dans une douzaine d’organismes depuis sa retraite en 1992. La magnifique maison ancestrale léguée par la famille de son mari l’occupe aussi grandement. On pourrait jardiner à temps plein sur ce terrain et manquer de temps pour tout faire. Elle adore décaper des meubles, faire des activités en plein air et inviter des gens à souper. L’ancienne enseignante est très fière de dire qu’elle n’a jamais manqué l’école pour des raisons de santé. « Le 22 septembre 2006, après mon accident, j’ai suivi des semaines et puis des mois de réadaptation. Là je me suis rendue compte de ce que

c’est la douleur ». Avant ça, elle affirme qu’elle avait de la difficulté à comprendre comment quelqu’un pouvait avoir mal constamment.

Cet accident, ce n’est pas son premier, mais bien le sixième qu’elle a eu dans sa vie. À toutes les fois, elle s’en était tirée indemne. Mais pas cette fois-ci. En se réveillant à l’hôpital, elle demande qu’on cherche son sac à main et qu’on sorte le rôti de bœuf du four. Elle n’est pas consciente de ce qui lui arrive et elle s’inquiète pour la visite qui doit se rendre chez elle pour souper. Grâce aux médicaments, elle ne sent presque pas de douleur. Pourtant, elle a trois vertèbres d’éclatées dans le dos et trois vertèbres cervicales qu’on lui a soudées. Deux ou trois jours après l’opération, on l’oblige à se lever. Elle demande alors pourquoi elle a autant de douleur au bassin et elle apprend qu’il est cassé.

Mais elle est convaincue qu’elle quittera bientôt l’hôpital. Quand on lui dit qu’elle va devoir rester à l’hôpital une dizaine de jours pour ensuite aller passer trois à quatre mois au Centre François-Charon, elle tente de négocier. « Impossible, j’ai des choses à faire, mon mari est malade, il faut que j’en prenne soin. » Pour elle c’est un échec. Elle avait promis à son mari qu’elle allait s’occuper de lui. « C’est ça qui me faisait le plus pleurer dans la réadaptation, d’avoir perdu l’habileté, la capacité de tenir ma parole. C’était très important de tenir ma parole. Il était mourant ». À son retour à la maison le 14 janvier 2007, elle retrouve son mari, mais il décède trois semaines plus tard. Sheila le sentait que c’est ce qui allait se produire.

À l’hôpital, sa douleur est contrôlée par les médicaments.

Même si ma dose n’était pas due, je leur demandais des entre-doses. Non, je ne suis pas quelqu’un qui endure ma douleur à tout prix. J’ai laissé ma pudeur et ma fierté à la porte. Je suis rendue là, alors ce qui pouvait m’aider, je l’acceptais.

Elle reçoit énormément de visite qui la couvre de cadeaux et de gâteries qu’elle partage sur tout l’étage avec les autres patients et le personnel. Elle apprécie beaucoup ces attentions, mais cela lui rappelle sans cesse sa situation. « Ceux qui venaient me voir, ça paraissait dans leurs visages que j’étais pas mal maganée. Le personnel, naturellement, était toujours très professionnel ».

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À son arrivée à François-Charon, les physiothérapeutes découvrent que son bras était cassé. On lui met un plâtre, trois semaines après l’accident. C’est l’algodystrophie de ce bras qui la fait souffrir. « C’est un syndrome de la douleur. Ils ne savent pas trop mais ça existe. Les nerfs… Quand ça va partir? Ils ne le savent pas. » Elle a espoir.

Après trois mois de réadaptation, Sheila est prête à retourner chez elle. Mais elle est inquiète au sujet de sa propre prise en charge. « Tu sais, là-bas, tu es 24 heures sur 24 entourée de personnel, structurée. Tu as un petit bobo, tu demandes à quelqu’un de te donner une pilule ». Mais l’ergothérapeute est déjà chez elle pour adapter le plus possible la maison à ses besoins. À son arrivée, elle prend conscience de son état. Elle est plus faible qu’elle ne le pensait, elle a des douleurs et elle ne peut presque rien faire. Son mari a un choc de la voir ainsi après plusieurs mois. Elle a perdu plusieurs kilos et est très affaiblie. À cause de sa situation et de celle de son mari, plusieurs personnes vont les aider pendant tout l’hiver. Ils engagent aussi des auxiliaires qui passent la nuit chez eux. Après la mort de son mari, elle doit s’occuper de la succession. Une période très mouvementée. Au début, elle ne veut pas rester seule dans la maison, mais au bout de quelque temps, elle prend son courage à deux mains et demande à ses amis de la laisser s’occuper d’elle-même. Elle reprend aussi le bénévolat pour s’occuper l’esprit.

Ça, la douleur, je ne sais pas comment on peut l’enlever. On a tout essayé. Le matin je commence ma journée, c’est pesant, c’est raide. Avec les activités de la journée ça devient plus lourd et plus raide le soir un peu. […]Quand j’ai mal au dos le soir, on me dit « étends-toi sur le plancher ». C’est ça que je fais.

Son objectif est de rester dans sa maison le plus longtemps possible. Aller vivre en établissement l’inquiète beaucoup. Pour cela, elle est consciente qu’elle va devoir ralentir le rythme. Pour l’instant, elle vit « un jour à la fois en me disant : ce que je fais aujourd’hui, c’est ça que je veux vouloir faire le restant de mes jours. Si je vis encore un autre dix ans, c’est beaucoup. Tu sais, 80, ça va aller vite. » Sheila a une attitude très positive. Peut-être est-ce dû à la vie qu’elle a vécue?