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À 18 ans, Étienne mène une vie bien remplie. Il est à terminer ses études secondaires dans un programme pour adultes tout en travaillant dans un moulin à bois. Il s’entraîne physiquement presque quotidiennement et pratique de nombreux loisirs (chasse, pêche, sorties) avec ses nombreux amis. Il est particulièrement proche de son père : « Mon père, c’est mon meilleur chum. On faisait plein d’affaires ensemble. On faisait du bois de poêle, on allait à la chasse au bout […] ».

Le jeune homme a une attitude très détachée, voire nonchalante. Du moins, c’est ce qu’il veut laisser paraître. « C’est bizarre mais moi, je me suis toujours sacré de tout. Par exemple, quand j’allais à la Polyvalente, j’ai souvent été changé d’école… j’étais vraiment tannant […] Je perdais tous mes amis, mais je m’en foutais. J’ai toujours été de même… Je ne sais pas… Il n’y a rien qui me dérange. » Cette explication revient constamment dans le récit qu’il me livre. Selon lui, « quand on ne peut rien changer à une situation, ça ne vaut pas la peine de s’en faire avec ça ».

À l’été 2003, Étienne survit à un grave accident de voiture. Au moment de l’entrevue, Étienne est paralysé depuis cinq ans. Il décrit la façon dont il a vécu son accident avec la même insouciance.

Dans l’auto, je savais ce qui m’arrivait. Je l’avais pressenti d’avance […] depuis que j’étais jeune. Je ne sais pas pourquoi. Ma mère aussi est comme ça, elle ressent toutes sortes de choses […] J’en parlais avec mes chums. J’avais demandé à un de mes chums « Qu’est-ce que tu ferais si je tombais paralysé? » […] Mais tout ça pour dire que quand j’étais dans l’auto, je savais ce qui m’arrivait. Je me sentais engourdir. Je le savais que ça arrivait.

Entre les moments d’inconscience, Étienne tente de sortir de la voiture en bougeant. Il est conscient que ces tentatives lui ont probablement nui. « J’avais le cou tordu et j’ai bougé donc ça n’a pas dû m’aider. J’avais les bras qui marchaient encore. Finalement ça a tout engourdi tranquillement pas vite. » À l’arrivée des secours, il blague : « ils passaient les pinces de désincarcération et je disais que j’avais toujours rêvé d’avoir une décapotable… » En lui demandant s’il a paniqué un moment à la pensée qu’il serait peut-être paralysé, il me répond : « Je le savais que j’allais être paralysé… ça ne me dérangeait pas tant que ça. » Une fois à l’hôpital, Étienne est opéré et hospitalisé pendant quelques semaines. À part une douleur à l’épaule, Étienne ne souffre pas réellement à ce moment. Il a par contre une sensation étrange aux jambes : « Il y avait mes pieds que je sentais… je ne savais plus où ils étaient. Des fois j’étais couché et je sentais mes pieds en dessous de moi, comme dans mon dos. Je trouvais ça bizarre. Je ne comprenais pas trop. Je les voyais là et je les sentais dans mon dos. »

Ses parents particulièrement, mais aussi sa sœur, son frère et ses amis ont été très présents dans la convalescence d’Étienne, bien que la nouvelle eut été difficile à accepter pour certains. « Mon père, ça l’a affecté beaucoup beaucoup. Ma mère elle, vu que je prenais ça bien, elle l’a pris bien aussi. Ma sœur [alors âgée de 15 ans] ça l’a affecté. C’était l’été et elle est restée tout le reste de l’été à côté de moi dans la chambre. Ma mère aussi. »

Après quelques semaines, il est transféré au Centre François Charon où il restera pendant neuf mois. Il fait des progrès impressionnants. Il reprend assez de mobilité et de force dans les bras pour pouvoir « battre un de mes chums au tir au poignet en sortant du centre. » C’est au bout d’un mois que la douleur survient.

C’est apparu dans l’après-midi et c’est resté le soir. C’était vraiment comme si je m’étais sacré des coups de marteaux sur le pied. […] Les premiers soirs, je n’avais rien pour me changer les idées. J’étais dans mon lit et je n’étais pas capable de m’endormir avec ça. Je n’étais pas habitué donc je ne m’endormais pas […] et eux ils ne voulaient pas me relever. Finalement j’ai tiré mes affaires plusieurs fois par terre. Là ils sont venus et ils m’ont relevé.

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En posant des questions sur l’origine de sa douleur, Étienne comprend que les médecins n’en savent pas très long. « Ils m’ont dit que ce sont des douleurs neurologiques. Mais eux ne connaissent rien pour contrer ça… Donc après ça, j’ai arrêté de poser des questions… Ils ne le savent pas, donc moi non plus je ne le sais pas. »

Il écoute les conseils du personnel du centre et décide de s’abonner à la télévision. Cela lui change effectivement les idées et « fait des petits miracles » dans son cas. On lui prescrit aussi des médicaments pour la douleur. Le problème, c’est qu’après un certain temps (deux mois) il s’habitue aux médicaments et la douleur revient. « À un moment donné, j’ai compris que même si je prenais tous les médicaments possibles, j’allais finir par m’habituer. Donc je l’endure. » Les médicaments ne sont pas la meilleure solution : les effets secondaires (perte de mémoire et somnolence) l’incommodent, mais sans une dose minimale, il lui serait impossible de fonctionner. Mais le prix est lourd à payer. Les effets secondaires de ses médicaments le mènent à l’échec dans une tentative de retour aux études. « J’avais des pilules à prendre le matin, donc j’arrivais à l’école et je m’endormais. »

En plus des « pilules », Étienne prend des médicaments naturels. « Ma mère croit à ça dur comme fer. Avec mes pilules, elle me donne un paquet de choses. Moi je ne suis pas pour ça, j’arrêterais tout ça. Mais je ne pourrais pas… Tant qu’elle va être dans la maison, je ne pourrai pas arrêter ça (rires) ».

Un médecin lui dit un jour que sa douleur allait probablement rester présente. Face au diagnostic de douleur chronique, Étienne réagit fidèle à son attitude. Effectivement, il opère un tri dans ce qui est prescrit par les intervenants. Il dit avoir bien participé à ses traitements de physiothérapie et d’ergothérapie, mais pour ce qui est du reste, il en est autrement : « Quand elle m’a dit que je ne pourrais plus jamais virer de brosse, le soir je suis parti et je suis allé virer une grosse brosse. »

Durant le récit, on voit pourtant Étienne se montrer touché par sa douleur.

Ben… au début ça ma dérangeait quand même beaucoup. J’aurais aimé ça trouver un moyen. Peu importe le moyen, j’aurais aimé ça en trouver un. Mais maintenant je suis habitué avec et ça ne me dérange pas.

Résigné à endurer sa douleur, Étienne affirme maintenant bien la gérer. Il se dit à l’aise avec cette dernière même s’il tente de l’éviter en demandant de l’aide à ses proches.

Il faut souvent que j’enlève mes chaussures parce que mes pieds enflent et ça fait mal en tabarnouche […] Mais j’en parle, je leur demande d’enlever mes souliers. D’habitude je n’aime pas me plaindre, mais quand je peux faire quelque chose pour avoir moins mal, je le demande.

Aujourd’hui, Étienne décrit sa douleur « comme une brûlure. Ça dépend des jours. Il y a des jours que c’est pire que d’autres… Mais le plus souvent, j’ai mal aux pieds et aux mains, et dans le dos et sur le ventre… Pas mal toute la peau finalement. »