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La perception de la douleur chronique : analyse sociologique du vécu douloureux au quotidien

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Academic year: 2021

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LA PERCEPTION DE LA DOULEUR

CHRONIQUE

Analyse sociologique du vécu douloureux au quotidien

Mémoire

EDITH POULIOT

Maitrise en sociologie Maître ès Arts (M.A.)

Québec, Canada

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Résumé

La douleur chronique est une expérience subjective et unique. Les récits de onze répondants permettent de voir cette singularité, tous étant pourtant atteints d’un même mal.

Chaque individu vit sa douleur à sa façon. Plusieurs facteurs déterminent et influencent ce vécu au fil du temps. Le sens donné à la douleur est central dans cette analyse pour comprendre l’identité du malade douloureux chronique et l’impact de la douleur sur sa vie, ses relations sociales, son statut social… bref, dans toutes les sphères de son existence.

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Abstract

Chronic pain is a subjective and unique experience. The story of 11 respondents reveals its singularity, even though they all suffer from the same pain.

Each individual feels pain their own way. Several factors define and influence this experience through time. The significance of pain is at the core of the present analysis, to understand the suffering chronic pain patients’ identity and the impact of pain on their lives, their social relations and status… in other words, on all the aspects of their existence.

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Table des matières

RÉSUMÉ ... III ABSTRACT ... V TABLE DES MATIÈRES ... IX

INTRODUCTION ... 1

REVUE DE LA LITTÉRATURE ... 5

Représentation sociale de la maladie ... 5

La douleur ... 8

Théories de la douleur ... 10

L’ordre négocié des maladies chroniques ... 12

Souffrance et douleur ... 13

David Le Breton ... 15

MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE ... 19

PRÉSENTATION DES RÉSULTATS ... 25

ANALYSE : VIVRE AVEC UNE DOULEUR CHRONIQUE ... 49

Le sens de la douleur ... 49

Identité et sens de la vie ... 53

Croyances et spiritualités ... 55

L’importance d’un diagnostic ... 59

Perception du corps, du temps et de l’espace ... 61

Effets de la douleur (travail, vie quotidienne, relations) ... 68

Composer avec la douleur ... 76

La réadaptation en institution ... 79

CONCLUSION ... 85

BIBLIOGRAPHIE ... 89

ANNEXE 1 : SCHÉMA D’ENTREVUE SEMI-DIRIGÉE ... 91

Informations générales ... 91

Avant l’apparition de la douleur ... 91

Au moment de l’apparition de la douleur ... 91

Au moment du diagnostic ... 93

Durant le traitement, le suivi ... 93

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Introduction

Comme le suggère le concept de neutralité axiologique de Max Weber, il est possible pour un chercheur de traiter d’un sujet dont l’inspiration vient de sa vie personnelle sans que celui-ci soit empreint de jugements de valeurs. Le « rapport aux valeurs » indique qu’il peut prendre ses valeurs en objet d’étude pour autant que son analyse soit exempte de jugements personnels sur celles-ci. La motivation pour l’étude de la douleur chronique me vient de mon expérience familiale. Très peu de temps après le début de mes études en sociologie, je me suis mise à vouloir analyser et comprendre les effets de la douleur chronique que vivaient mes deux parents (mais surtout ma mère) sur leurs vies. Mon intérêt est demeuré vif et j’en fais maintenant le thème principal de ce texte.

Les études en sociologie de la santé portent souvent sur les déterminants sociaux, la médicalisation et les inégalités face à la santé. L’intérêt est ici plutôt d’analyser sociologiquement l’expérience de la douleur chronique chez les malades eux-mêmes. Il s’agira, en quelques mots, de comprendre l’influence de l’environnement social d’un individu souffrant sur sa perception de sa douleur.

La douleur est un phénomène physiologique qui vise à garantir la survie de l’organisme humain. Elle cesse généralement lorsque la guérison de l’organisme est terminée. C’est ce qui se produit lorsqu’on se fait percer une oreille, qu’on se cogne un orteil contre la table basse du salon ou encore au moment d’accoucher. Mais la douleur chronique est différente. La douleur et les maladies chroniques ont acquis une place prédominante au rang des problèmes de santé les plus préoccupants. La limite des connaissances et de l’efficacité des traitements pour y faire face ajoutent à ce caractère préoccupant. La chronicité implique souvent qu’une guérison médicale ne soit plus possible. Pour les personnes atteintes de douleur chronique, le symptôme de la douleur devient souvent une maladie en elle-même, c’est-à-dire que c’est la douleur qui les rend malades et non plus la cause première de cette douleur. Les maladies dites chroniques ont ceci de particulier qu’elles posent un problème de gestion de la maladie. En effet, le modèle médical traditionnel qui vise la guérison n’est pas adapté à ce genre de maladie (Baszanger, 1995). L’objectif est d’essayer de « vivre

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avec », d’organiser sa vie pour faire en sorte qu’elle soit facilitée en dépit de la douleur. C’est parfois possible grâce, entre autres, aux médicaments, aux traitements et à la réadaptation.

Le traitement et la gestion de la douleur sont difficiles puisque la douleur est vécue de façon différente selon chaque individu. Depuis les années 1980, des centres multidisciplinaires de traitement de la douleur sont nés aux États-Unis et se sont progressivement développés au Canada et au Québec. Ces centres tentent de créer un modèle de médecine de la douleur. Or, le traitement de la douleur doit se faire au cas par cas, de sorte qu’un tel modèle est difficile à établir.

La société doit pourtant faire face à ces maladies qui coûtent socialement et économiquement très cher. Mais surtout, c’est pour les personnes atteintes et leurs proches que la douleur est la plus éprouvante. Comme on pourra le constater, la douleur change souvent plusieurs aspects de la vie de l’individu touché, dont ses relations sociales.

Même si la douleur chronique est de plus en plus étudiée depuis quelques décennies et que les ouvrages abondent désormais, l’objectif de ce mémoire est de décrire et de comprendre le vécu de ceux et celles qui vivent avec de la douleur quotidiennement. Comprendre comment ils et elles vivent avec cette douleur pourrait permettre de saisir la place qu’occupe la douleur dans leur vie, faire tomber plusieurs préjugés entretenus au sujet des personnes douloureuses chroniques mais aussi aider à comprendre certains comportements et attitudes que la douleur peut provoquer chez les malades.

Comme dans toute recherche scientifique, le point de départ consiste à présenter l’état des principales recherches faites sur le sujet, c’est-à-dire l’étude de la douleur dans le champ des sciences sociales.

Les bases de la présente recherche sont ensuite établies dans la méthodologie à partir d’une sélection de concepts permettant de comprendre la réalité des sujets à l’étude. Bien sûr, afin d’accéder au vécu des personnes atteintes de douleur chronique, l’entrevue est la technique de cueillette toute indiquée.

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Le troisième chapitre présente les résultats de la cueillette qui sont les résumés des onze récits effectués à l’été 2008. Sept hommes et quatre femmes ont accepté d’en parler.

De larges extraits de leur vie donnent corps à la dernière section, celle de l’analyse et l’interprétation. Nous y verrons comment la douleur les atteint dans leur personnalité, dans les activités de leur vie quotidienne, mais également dans leurs rapports avec les autres, que ce soit les gens très près d’eux ou encore les intervenants du domaine médical ou de purs inconnus. La douleur a des répercussions jusque dans le rapport à l’espace, mais surtout dans le rapport au temps. Elle peut transformer le sens que l’on donne à la vie, à sa vie, à celle des autres. Elle modifie parfois aussi les croyances, religieuses ou non, que l’on entretenait avant. C’est de cet univers profond et personnel à chacun qu’il sera question.

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Revue de la littérature

Sans vouloir remonter aux premières traces d’un intérêt sociologique pour la santé, il est néanmoins utile de mentionner que c’est l’effort pour enrayer les épidémies et autres maladies infectieuses qui a permis à des gens des sciences sociales de se greffer à des équipes de médecins et d’infirmières. Après la Seconde Guerre mondiale, des sociologues (Parsons, Freidson) commencent à s’intéresser à la spécialisation et à la complexification en cours de la médecine. Dans la continuité de ces travaux innovateurs, on a vu se développer une sociologie de la santé, une sociologie de la souffrance et éventuellement une sociologie de la douleur. D’où l’intérêt, si l’on veut traiter de la douleur, de comprendre d’abord les concepts de santé et de maladie.

Représentation sociale de la maladie

Le concept de représentation sociale présenté par Durkheim renvoie à un savoir de sens commun, à une pensée sociale. En parallèle, le concept de théories subjectives acquiert de plus en plus de crédibilité dans la recherche sur la santé et la maladie (Flick, 1992). L’anthropologie américaine a introduit l’utilisation des Folkmodels axés sur les perceptions individuelles plutôt que collectives. Si les représentations sociales sont partagées socialement, on peut dire que les théories subjectives s’appuient, elles, sur la perception individuelle. L’interprétation des données recueillies par l’analyse de contenu permet de reconstruire la perception quotidienne de la santé et de la maladie. C’est ainsi seulement que les chercheurs pourront agir sur les maladies, leurs symptômes et leurs théories subjectives (Flick, 1992).

Claudine Herzlich (1969) fut l’une des pionnières dans l’étude des représentations sociales de la santé et de la maladie. C’est en interrogeant 80 personnes, 40 intellectuels (cadres, membres de professions libérales) et 40 individus de classe moyenne (employés, petits fonctionnaires, artisans, commerçants) qu’elle a voulu en arriver à l’image de la santé et de la maladie véhiculée dans la société française de l’époque.

Pour se faire une idée de ce que sont la santé et la maladie, l’individu se fie à son expérience vécue. À partir des informations recueillies, Herzlich remarque que la santé est,

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pour les répondants, un donné, on la constate, on n’a pas conscience de sa santé. Janine Pierret exprimait la même idée ainsi : « […] la santé se caractérise par l’absence de maladie : c’est la maladie qui a un sens, et on ne prend conscience de la santé que lorsqu’on l’a perdue » (Pierret : 1984 : 217). Leriche parlait d’ailleurs de la santé comme « le silence des organes ».

La maladie est donc acquise et relève du domaine de l’interprétation. La majorité des gens considère que la maladie relève autant du comportement que de l’organique, mais ce sont l’expérience et le comportement qui importent dans la décision de ce que sera pour l’individu la maladie ou la santé.

L’activité ou l’inactivité nous permettent donc de définir santé et maladie comme conduites et non plus comme états. Ce sont essentiellement les conduites du malade et du bien-portant qui ont une unité de signification (Herzlich, 2005 : 113).

Définir la maladie par l’inactivité qu’elle engendre signifie que c’est bel et bien à travers la relation aux autres que les symptômes de la maladie prennent sens. Par son comportement, l’individu devient « un malade pour l’autre […] et pour la société » (Herzlich, 2005 : 115) . Se comporter comme un malade rend l’individu malade. De même, l’individu qui, dans le même état, ne se comporte pas en malade, sera considéré comme un bien-portant.

Dès 1951, Talcott Parsons avait lui aussi traité la maladie comme une conduite sociale. Celui-ci considérait que «quelqu’un est perçu comme malade uniquement quand il se dit malade ou se comporte à la façon d’un malade (selon les normes sociales) » (Renaud, 1985 : 6). Son concept de rôle de malade renvoie d’ailleurs à l’idée que « le rapport d’un individu à sa maladie est, d’une certaine manière, la manifestation que cet individu entretient avec les valeurs de sa société » (Renaud, 1985 : 7). Mais l’analyse de Parsons, tout comme celle d’Herzlich d’ailleurs, s’applique d’abord à la maladie aiguë et n’est pas tout à fait adaptée à l’analyse de la maladie chronique.

Conceptions de la maladie et conduites du malade

En se servant de l’analyse de Parsons qui considérait la maladie comme une déviance, Herzlich tente de découvrir les normes de conduites propres aux malades. Elle propose trois conceptions de la maladie. La première, elle l’appelle la maladie destructrice. La maladie

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semble destructrice particulièrement pour les personnes actives et engagées. Pour elles, l’inactivité prend la forme de « l’abandon du rôle professionnel et familial, problèmes financiers, exclusion du groupe » (Herzlich, 2005 : 141) . Bref, tout ce qui renvoie à la désocialisation du malade. L’inactivité imposée par la maladie est vue comme une violence qui lui est faite et elle symbolise la rupture des liens avec les autres. La solitude et la dépendance envers autrui semblent insupportables pour le malade. Elles engendrent des sentiments d’angoisse et d’anéantissement. L’anéantissement, ici, n’est pas la conséquence de la maladie mais sa réalité immédiate.

Le malade peut aussi concevoir sa maladie comme libératrice. Elle commence elle aussi par l’inactivité, à la différence que celle-ci est désormais considérée comme un « allègement des charges et à l’abandon des responsabilités » (Herzlich, 2005 : 151). Il y a ici aussi un processus de désocialisation du malade, l’exclusion de la société est simplement perçue différemment. Le malade est exclu, mais pour voir apparaître de nouvelles libertés ou possibilités. Il voit positivement le fait de se retrouver dans une situation de solitude, elle signifie alors le repos, une « défense contre les exigences de la société » (Herzlich, 2005 : 156).

Dans la maladie-métier, contrairement aux deux autres conceptions, le malade reste actif dans la société en acceptant sa maladie. Il n’y a pas ici d’anéantissement. Ceux qui ont fait l’expérience de la maladie affirment qu’on apprend à vivre avec sa maladie. Les relations avec les autres ne sont pas transformées aussi profondément que dans les autres conceptions. Loin de se sentir isolé, de nouvelles relations s’instituent au contraire avec d’autres malades.

Le malade et son identité

Aux différentes conceptions de la maladie qui viennent d’être décrites, Herzlich associe des attitudes et des conduites qui forment l’identité du malade. Dans la maladie destructrice, on valorise l’activité et l’autonomie du bien-portant. Alors que dans la maladie libératrice, le malade restreint ses intérêts et opère une introversion, ce qui lui fait voir la maladie comme un moyen d’évasion. La maladie-métier est associée au malade actif qui coopère avec le médecin et qui met toutes les énergies nécessaires pour guérir.

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La notion d’identité est importante car c’est à travers son identité que le sujet fait l’expérience de la maladie. Bien que les données recueillies ne lui permettent pas d’étudier le lien qui unit les conceptions de la maladie aux comportements effectifs, Herzlich propose quelques suggestions. Elle remarque que les gens qui ont décrit la maladie comme étant destructrice ou métier avaient généralement déjà fait l’expérience de la maladie alors que ceux qui l’ont décrite comme étant libératrice n’avaient jamais eu de maladie grave. De plus, les conceptions de la maladie semblent correspondre aux étapes de la maladie, c’est-à-dire que la maladie destructrice est souvent la perception immédiate au début de la maladie. Et après un certain temps d’expérience d’une maladie, on la décrit plutôt comme maladie-métier.

La douleur

Les chirurgies sans anesthésie ont existé jusqu’au milieu du 18e siècle. Cela fait en sorte que depuis le médecin n’a plus à « se battre » contre un patient qui est retenu pendant la torture de la chirurgie. Mais plus encore, l’anesthésie modifie les mentalités collectives : il n’est désormais plus nécessaire ou utile de souffrir. Graduellement le seuil de tolérance à la douleur s’est abaissé au point où la moindre souffrance est aujourd’hui perçue comme une torture. On veut être soulagé immédiatement et complètement. Par conséquent, les techniques culturelles de gestion de la douleur ont disparu au profit des techniques médicales (Le Breton, 1995 : 165).

Mais la médecine ne parvient pas encore à soulager toutes les formes de douleur humaine. L’Association internationale pour l’étude de la douleur (IASP) définit la douleur comme « une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable liée à une lésion tissulaire existante ou potentielle ou décrite en termes d’une telle lésion (trad.) (iasp.org) ». Cette définition insiste sur le caractère subjectif de la douleur. La douleur a ainsi la même valeur que son origine soit clairement organique ou non. De plus, peu importe son origine, toute douleur a des conséquences multidimensionnelles. Les répercussions de la douleur sont effectivement physique, psychique, sociale et même spirituelle (Verspieren, 1998 : 26). Dans le cas d’une douleur chronique, l’IASP la définit comme « une douleur persistant au-delà du délai normal de guérison des tissus, généralement fixé à trois mois (trad.) »

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(iasp.org). La douleur chronique ne sert donc à rien biologiquement puisqu’elle continue malgré l’absence de possibilité de guérison ou longtemps après que la guérison soit terminée. Puisqu’elle résiste souvent aux traitements médicaux, elle devient en elle-même un problème social qui devient très coûteux.

Si ces définitions sont reconnues dans le domaine de l’étude sur la douleur, l’idéologie médicale en place depuis plusieurs décennies résiste encore à s’adapter. L’étude du DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) est, selon l’IASP, peu adaptée à l’étude de la douleur. En 1980, la dénomination « douleur psychogène » est exclue pour faire place à « douleur somatoforme » en 1987, qui est à son tour changée en 1994 pour « trouble douloureux avec présence ou non de facteurs psychologiques ou physiques » (Verrier, 2003 : 55). Ces modifications montrent les difficultés de l’idéologie médicale et du DSM qui en découle de traduire la douleur sans renier leur traditionnelle dichotomie corps-psyché (Verrier, 2003).

La douleur pose aussi un problème quand vient le temps de la mesurer. Plusieurs auteurs tentent d’établir des échelles de mesure unidimensionnelles ou multidimensionnelles de l’intensité de la douleur. Mais toutes ces échelles ont leurs limites car la douleur ressentie et vécue ne se mesure pas.

Selon des données de 2005, 16% des personnes âgées entre 18 et 64 ans souffrent de douleur chronique. Chez les personnes âgées, 38% des gens vivant en résidence avaient une douleur chronique contre 27% des gens vivant dans des ménages. Dans les deux populations, les taux étaient plus élevés chez les femmes que chez les hommes1.

Plusieurs études ont montré que la douleur chronique est « liée à une prévalence accrue d’anxiété ou de troubles dépressifs [Mc Williams et al., 2003; Blyth et al., 2001; Gureje et al., 2001; 1998] surtout lorsqu’elle limite de façon importante les activités quotidiennes (AETMIS, 2006 : 6) ». En effet, « […] la dépression a été diagnostiquée par un psychiatre chez 4% des patients ne ressentant aucune douleur, comparativement à 25% des patients souffrant de douleurs graves [Schoplocher, 2003] » (AETMIS, 2006 :6).

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Les personnes atteintes de douleur chronique grave avaient consulté un médecin plus souvent (moyenne : 12,9 versus 3,8 consultations) et avaient été hospitalisées plus longtemps (durée moyenne : 3,9 jours versus 0,7 jour) que celles qui ne souffraient pas de douleur chronique l’année précédente (Enquête nationale sur la santé de la population canadienne de 1994-1995, AETMIS, 2006 : 5).

Au Québec, les malades souffrant de douleur chronique doivent d’abord consulter leur médecin de famille pour avoir accès aux niveaux de soins supérieurs, c’est-à-dire aux spécialistes (centre de réadaptation, physiothérapeute, psychologue, etc.). Mais l’accès difficile à un médecin de famille crée des délais d’attente variables. Selon une étude effectuée au Québec auprès de 4500 patients (Veillette et al., 2005), la période d’attente pour voir un omnipraticien ou un spécialiste était de 9 mois ou plus pour 67% des gens. « Pour certains types de douleurs chroniques, attendre trop longtemps avant d’obtenir un diagnostic et un traitement adéquats contribue à l’évolution vers une incapacité de longue durée » (AETMIS, 2006 : 35).

Théories de la douleur

Les premières théories à être élaborées précisément sur la douleur remontent à 1842 avec Müller (théorie de la spécificité) selon lequel les messages douloureux sont gérés par un système spécifique à la douleur (des nerfs sensoriels) qui diffuse les messages de la peau au centre de la douleur dans le cerveau (Baszanger, 1995 : 86). Melzack et Wall, ainsi que Marshall vont ensuite proposer d’autres théories, tous sensiblement en accord avec ce grand principe que la douleur est un influx nerveux qui vient de l’extérieur (la peau) pour se rendre jusqu’au cerveau.

Mais c’est à la théorie de la porte à laquelle on se réfère le plus souvent dans l’étude de la douleur. Melzack et Wall avancent une théorie améliorée qui tient compte cette fois non seulement des variables physiologiques mais aussi des variables psychologiques. La douleur ne constitue pas seulement un signal d’alarme. Une fois que le système a réagi par des réponses réflexes, des stratégies complexes sont mises en œuvre dans le but de faire cesser la douleur. C’est tout ce processus d’interaction sensoriel qui doit être pris en compte.

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En 1974, lors du Congrès sur le soulagement de la douleur à Seattle, John Bonica soutient qu’il est grand temps de s’intéresser aux malades douloureux chroniques pour des raisons économiques et surtout humaines. La solution qu’il entrevoit est d’établir des cliniques de la douleur pour promouvoir une recherche interdisciplinaire. Ce qui sera fait surtout à partir des années 1980.

Du côté de la psychologie, on privilégie le conditionnement opérant de Skinner sur le conditionnement répondant de Pavlov pour expliquer la douleur chronique. Selon le conditionnement opérant, l’accent est mis non pas sur la douleur mais sur le comportement de douleur. Dans la même lignée, Fordyce soutient que le comportement de malade est un comportement appris. Il peut donc être renforcé par des facteurs comme le repos, l’attention ou les médicaments. « […] les comportements de douleur sont plutôt des comportements qui ont été développés à la longue et qui ne requièrent pas la présence de la douleur pour continuer d’intervenir » (Baszanger, 1995 : 130).

En psychologie sociale, Fisher recense les principaux déterminants psychiques de la réaction à la maladie et nous informe que la façon de réagir à la maladie dépend d’une part de nos attitudes face à la vie, comme le sentiment de contrôle sur notre vie, l’engagement envers des projets et le défi. D’autre part, cela dépend de la « façon de conceptualiser la maladie elle-même » (Fisher, 1997 : 276), ce qui correspond à l’interprétation des symptômes, de l’évolution de la maladie, de ses causes. Toutes ces conceptualisations changeront la façon de voir les traitements. Selon Fisher, le sentiment d’efficacité personnelle est le plus important, car « quelqu’un qui se sent capable aura tendance à adopter un comportement qui lui montre qu’il est réellement capable » (Fisher, 1997 : 279). Plusieurs études ont néanmoins montré le rôle non moins important du soutien social dans l’adaptation à la maladie. Le fait de pouvoir compter sur quelqu’un, que ce soit un soutien affectif (réconfort, compréhension, amour), un soutien d’évaluation (interpréter, comprendre ce qui arrive aux gens), un soutien matériel (aide matérielle, assistance pratique) ou un soutien d’information (conseils, suggestions) est cher au malade (Fisher, 1997). L’important n’est pas dans la quantité de relations entretenues mais dans la qualité du soutien. Celui-ci devient alors un moyen non-médical d’aider le malade.

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L’ordre négocié des maladies chroniques

Isabelle Bazsanger est l’auteure de la théorie selon laquelle les maladies chroniques constituent un monde spécial où l’ordre est négocié. Autrement dit, un monde où malades et médecins sont appelés à redéfinir la répartition des statuts sociaux et des tâches entre eux, sous la forme de négociations.

Elle emprunte la théorie de l’ordre négocié élaborée par Strauss (1978). Celui-ci voulait répondre au modèle parsonien bien adapté aux maladies aiguës, mais pas aux maladies chroniques. En effet, ces dernières sont surtout gérées par le malade parce qu’il passe plus de temps avec lui-même qu’avec le personnel soignant, il est son propre soignant à domicile. Cette théorie, d’abord appliquée aux organisations, soutient que tous les acteurs ont un rôle actif et conscient dans l’élaboration de l’ordre social. Le malade devient acteur d’une construction négociée de la maladie chronique. Le diagnostic, par exemple, s’établit généralement par consensus des médecins. Il a une valeur institutionnelle puisque c’est lui qui autorise les arrêts de travail et les prises en charge. Il engendre donc de lourdes conséquences sociales. C’est pourquoi, dans le cadre des maladies chroniques, il résulte parfois d’un long processus de négociations auquel le malade participe activement.

Lorsque la perception du patient est différente de celle du médecin, il arrive que le patient entame un long travail pour obtenir le diagnostic qui mènera à la reconnaissance de son état. Si sa démarche est peu satisfaisante avec le médecin, plusieurs techniques de négociations s’offrent à lui. Il va d’abord harceler son médecin en se rendant régulièrement le voir pour l’amener à poser d’autres diagnostics. Ce dernier peut ensuite être tenté de changer de médecin, jusqu’à ce qu’il trouve le bon, c’est-à-dire celui qui lui dira ce qu’il veut entendre. Finalement, un troisième procédé est la tentative de se diagnostiquer soi-même. Cette façon de faire touche une corde sensible du médecin, car son expertise est pour lui non négociable. Le malade en prend vite conscience et comprend qu’il doit utiliser autrement ses informations et son savoir : « […] il organise ses symptômes de telle sorte qu’ils soient reconnaissables par le médecin » (Baszanger, 1986 : 14).

Toutefois, ce n’est pas lors du diagnostic mais bien durant le traitement que l’on voit le mieux cette négociation entre médecin et malade. Certaines maladies chroniques

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demandent aux patients « d’exercer directement des fonctions diagnostiques et thérapeutiques généralement réservées aux médecins » (Baszanger, 1986 : 17-18). Cette nouvelle division du travail, possible uniquement après que le médecin ait enseigné au malade comment faire, est susceptible de générer des conflits. En effet, les traitements sont acceptés et mis en application par le malade seulement après que celui-ci ait évalué les conséquences de ce traitement.

Le traitement s’oriente donc autour de deux logiques différentes. Le malade pense généralement plus au court terme et opte pour une meilleure insertion sociale, alors que le médecin maintient des visées à long terme, mesures plus conservatrices. Même s’il est vrai que la maladie chronique désorganise souvent la vie, Baszanger vient montrer que les différents univers sociaux de l’individu sont recomposés à partir des négociations qu’il peut faire avec les intervenants du domaine de la santé.

Souffrance et douleur

Dans le vécu d’une personne souffrant de douleur chronique, souffrance et douleur semblent être deux concepts indissociables. Ils renvoient toutefois à des réalités différentes que Paul Ricoeur insiste à distinguer. Si la douleur est « ressentie comme localisée dans des organes particuliers du corps ou dans le corps tout entier » (Ricoeur, 1994 : 1), la souffrance est elle, l’ensemble des « affects ouverts sur la réflexivité, le langage, le rapport à soi, le rapport à autrui, le rapport au sens, au questionnement » (Ricoeur, 1994 : 1). Selon ces conceptions, il est évidemment possible de souffrir sans avoir de douleur, mais aussi (bien que plus rarement), il est possible d’avoir une douleur sans souffrir. La souffrance consiste pour Ricoeur dans la diminution de la puissance d’agir tant au niveau de l’action, que de la parole, de l’estime de soi.

Jean Foucart part plutôt de l’hypothèse que la souffrance est une rupture transactionnelle. Elle se caractérise, pour l’individu en souffrance, par l’angoisse de perdre le contact avec les autres, voire même de perdre confiance en lui-même et dans le monde. C’est ce qui arrive à Job.

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Le récit biblique de Job est cité par plusieurs auteurs pour décrire l’expérience de la souffrance. Il soulève la notion de l’injustice de la souffrance de l’homme honnête. Job est l’homme honnête qui a toujours été près de Dieu et qui a aidé son prochain tout au long de sa vie. Soudainement, le sort s’acharne sur lui. Ses enfants meurent et Job est atteint d’une maladie qui le fait grandement souffrir. L’épreuve que Dieu lui envoie lui paraît insensée. Foucart insiste sur le fait que ce n’est pas tant la souffrance physique qui est intolérable pour Job, mais bien l’angoisse qui y est reliée. L’angoisse c’est l’impossibilité de se projeter dans le futur puisque la fin est désormais envisagée. Construire des projets dans la quotidienneté est absurde parce que l’individu est affaibli, fragile et menacé.

Les maladies chroniques sont justement caractérisées par ce sentiment d’angoisse. Elles forcent souvent à abandonner le marché du travail, ce qui confine les malades à l’espace familial. Il en résulte une sorte de non-maîtrise de la temporalité. Comment se projeter dans l’avenir si la vie quotidienne se résume à attendre que le temps passe? Le malade doit parvenir à maintenir un certain ordre malgré les désordres introduits par la maladie. On pourrait voir là de grandes ressemblances avec la théorie de l’ordre négocié de Baszanger. Toutefois, Foucart la remet en cause. Le concept d’ordre négocié proposé par Baszanger suppose de la part de l’acteur du calcul et de la rationalité. Or, dans les récits de malades chroniques, la dimension affective est centrale. Selon Foucart, le concept de transaction permet d’intégrer ces notions de rupture de la confiance, de perte de sens.

La transaction se base en effet sur cette idée de conflits et de tensions à solutionner. En effet, lorsque l’on observe la vie quotidienne, « on ne peut que reconnaître qu’elle est faite de constants accommodements, de tolérances réciproques, de compromis et d’ententes tacites » (Foucart, 2003 : 57). S’élaborent alors des compromis qui font que nous pouvons compter les uns sur les autres.

Ce qui distingue la transaction (Foucart) de la négociation (Baszanger), c’est la notion de confiance. La négociation consiste en des procédures explicites entre acteurs. La transaction est une action réciproque qui implique de la confiance, car c’est dans cette action réciproque que l’individu peut se construire. Et cette construction se produit à travers les tensions paradoxales d’ouverture et de fermeture, de la socialisation et de

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l’individuation. Foucart base d’ailleurs son ouvrage Sociologie de la souffrance sur cette hypothèse que la souffrance est une rupture de la confiance ou, dans d’autres mots, une impossible gestion des paradoxes. La transaction est impossible parce qu’elle nécessite de la confiance en soi et dans les autres. L’individu souffrant éprouve une profonde difficulté à trouver des compromis pour coexister avec son entourage. Il en résulte souvent une sorte de déliaison sociale.

David Le Breton

Dans Anthropologie de la douleur et Expériences de la douleur, Le Breton tente de décrire les liens entre souffrance et douleur. Selon les expériences de douleur, la souffrance sera plus ou moins intense, voire absente ou remplacée par le plaisir ou la réalisation de soi. L’auteur décrit ainsi différentes figures de la douleur à travers les exemples du malade, du sportif pour qui la douleur accompagne ses performances, de l’adepte qui, suspendu à des crochets, cherche une expérience spirituelle, de la femme qui accouche dans la sérénité ou l’extrême douleur, du masochiste qui cherche plutôt la jouissance dans la douleur.

Construction sociale de la douleur

Pour maintenir son identité, l’individu doit donner un sens à sa douleur. Le Breton démontre bien que ce sens est une construction sociale. Au fil des expériences vécues au sein de son groupe social d’appartenance, l’individu apprend dans quelles limites sa souffrance peut être affichée. L’expression de la douleur est ritualisée et doit rester dans ces balises si l’individu ne veut pas avoir l’air de trop en mettre et perdre la face. À l’inverse, certaines personnes ont tellement intégré ces ritualisations qu’ils souffrent en silence et intériorisent une peine alors que la dramatisation serait de mise. « Même dans l’horreur de ce qu’il éprouve, l’homme souffrant suit la voie que les traditions lui tracent » (Le Breton, 1995 : 109)

Pour Zborowski les attitudes face à la douleur sont acquises à travers la socialisation opérée par les parents et les proches de l’enfant. Des modèles de comportement s’imprègnent par intériorisation ou imitation, renforcées par les encouragements ou les réprobations des parents (Le Breton, 2010 :79)

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Culture et douleur

La douleur, en plus d’être un signe d’une blessure tissulaire quelconque, doit aussi être définie en termes social et culturel. Comme le souligne Ronald Melzack (1977), les antécédents culturels influencent le niveau de tolérance à la douleur. Il cite en exemple une étude où Zborowski (1952) a découvert que

[…] les Américains de longue date l’acceptaient [la douleur] avec réalisme. Ils se replient sur eux-mêmes quand la douleur est intense, et ne pleurent ou ne gémissent que lorsqu’ils sont seuls. Les Juifs et les Italiens, par ailleurs, ont tendance à se plaindre à voix haute et à chercher ouvertement soutien et compassion. […] Les Juifs s’inquiètent en général du sens et des implications de la douleur tandis que les Italiens expriment d’ordinaire le désir d’un soulagement immédiat. (Melzack, 1977: 977)

Au-delà de la culture, l’expérience antérieure, notamment l’attitude des parents face à la douleur réelle ou potentielle, influence grandement la façon dont les enfants vont réagir à cette douleur (Melzack, 1977 : 977).

Melzack ajoute que la perception de la douleur dépend aussi de l’interprétation de la situation. Durant la Deuxième Guerre mondiale, Beecher (1959) avait eu l’occasion d’observer ce phénomène en comparant la réaction de soldats et de civils face à la douleur. Il avait alors conclu :

[…] il n’y a pas de relation directe simple entre la blessure proprement dite et la douleur ressentie. Celle-ci est en partie déterminée par d’autres facteurs, et l’interprétation de la blessure est d’une grande importance. […] Pour le soldat blessé, (la réaction à la blessure) était le soulagement, le bonheur d’être sorti vivant du champ de bataille, voire l’euphorie; pour le civil, l’opération chirurgicale était un événement déprimant, désastreux (Beecher, 1959 :165).

Beecher ajoute que l’interprétation de la douleur change aussi selon les personnes devant qui la personne souffrante se trouve. Le souffrant agira différemment devant sa mère, ses collègues ou face à l’infirmière. L’individu gère son identité en fonction des situations. Une autre étude portant sur 69 opérés concluait que « les patients dont la fenêtre de leur chambre porte sur des arbres consomment deux fois moins d’analgésiques que ceux dont la fenêtre s’ouvre sur un mur de brique » (Uhrich, 1984 : 141).

L’intensité de la douleur ressentie dépend aussi de l’attention qu’on lui porte ou de la distraction. Melzack donne en exemple des boxeurs ou des joueurs de hockey qui, dans le feu de l’action, ne se rendent parfois pas compte qu’ils ont été blessés. Mais si au contraire,

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notre attention se porte sur un événement qui pourrait être douloureux, la douleur sera plus intense.

Zola (1966) a montré que contrairement aux Italiens qui expriment plus leur douleur, les Irlandais ont plutôt tendance à minimiser leur souffrance. Zborowski (1952) avait également noté ces différences entre Italiens et Irlandais en plus de constater que les Juifs faisaient face à la douleur avec une grande émotivité et une tendance à dramatiser alors que les Américains de souche, pour leur part, attendaient longtemps avant de consulter un médecin.

Ces études, d’une autre époque, montrent de grandes tendances en matière de culture, mais il ne faut pas sous-estimer qu’il existe des disparités au sein d’une même culture, notamment en ce qui concerne les classes sociales. Plusieurs études montrent que peu importe la culture, les gens des milieux populaires sont plus tolérants à la douleur que les classes moyenne ou privilégiée (Le Breton, 2010 :77). Les milieux défavorisés accordent généralement moins d’importance à la santé et à la prévention. Le corps est perçu comme un outil, souvent un outil de travail et on tente d’oublier la douleur jusqu’à ce qu’on ne puisse plus l’éviter (Le Breton, 1995 : 132). Dans les classes sociales moyenne et aisée, on prête plus d’attention à la santé, à la prévention et au maintien du corps en santé. On écoute les conseils des professionnels de la santé et la maladie est perçue comme une dégradation progressive de la santé et non comme un accident.

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Méthodologie de recherche

Les assises théoriques présentées précédemment dressent un portrait de la façon dont la douleur est comprise et analysée dans le domaine des sciences sociales. C’est aussi à partir de ces assises théoriques qu’il est maintenant possible d’établir les bases méthodologiques de la présente étude.

La prétention ici n’est pas d’aller au-delà de ces explications mais plutôt de les confronter à des observations concrètes. La question de recherche à laquelle il est tenté de répondre est la suivante : Comment les gens qui vivent avec une douleur chronique perçoivent-ils leur douleur et leur vie? Et plus encore, est-ce que cette perception varie dans le temps? L’objectif de recherche est donc simple : décrire le vécu des personnes douloureuses chroniques.

La douleur est un phénomène universel. À part quelques exceptions où des individus naissent avec une incapacité neurologique à ressentir la douleur, il est possible d’affirmer que tous ont fait ou feront l’expérience de la douleur au cours de leur vie. Il s’agit la plupart du temps de douleurs aiguës. C’est le cas d’un accouchement, d’une fracture à la jambe ou d’un orteil cogné contre une patte de table. Mais, lorsque la douleur perdure, c’est une tout autre réalité. On distingue la douleur chronique de la douleur aiguë par sa durée dans le temps. Plusieurs estimations sont avancées pour déterminer le moment où la douleur aiguë devient chronique. L’IASP (International Association for the Study of Pain) définit la douleur chronique comme « […] une douleur qui persiste au-delà du temps normal de guérison. En pratique, cela peut être moins d’un mois et, plus souvent plus de six mois » (Baszanger, 1995 :155). La définition retenue ici sera celle de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui fixe à six mois le moment où une douleur aiguë peut être considérée comme chronique.

La revue de la littérature a permis de cibler certains concepts qui doivent être analysés. Ces concepts retenus serviront de base et se concrétiseront en thème à aborder avec les répondants afin de répondre à la question de recherche. Le premier concept, celui de la douleur, se décompose en plusieurs dimensions comme la gestion de la douleur qui permet

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de connaître les moyens utilisés par l’individu pour contrôler sa douleur, son degré d’ouverture aux différents traitements et aux aides techniques qui lui sont proposés. La capacité à parler de sa douleur renseigne également sur la gestion de la douleur. Une deuxième dimension concerne les effets de la douleur d’abord sur la vie quotidienne de la personne, mais aussi sur son travail et sur ses relations interpersonnelles en général. Le sens que la personne donne à sa douleur constitue une troisième dimension qui se traduit par la perception que la personne a de son corps, les peurs et les craintes qu’elle peut avoir mais aussi ses espoirs. Enfin, pour répondre à notre question de recherche, une quatrième dimension de la douleur est évaluée, à savoir si la perception de la douleur change dans le temps. Plus précisément il s’agit de voir la perception des répondants avant l’apparition de la douleur, au moment où elle apparaît, durant les traitements ou le suivi et enfin aujourd’hui (c’est-à-dire au moment de la collecte des données).

Le deuxième concept central pour décrire le vécu des personnes douloureuses chroniques est la perception de leur vie. Au plan social, cela implique les relations avec les proches, celles entretenues avec les intervenants ainsi que celles avec les autres malades. Perception de la vie veut aussi dire le sens donné à sa vie, qui pourra être étudié à travers l’impression de contrôle sur sa vie, la croyance en Dieu ou autres formes de spiritualités et la perception du temps (le passé, le présent et l’avenir).

Évidemment, pour compléter ces observations et leur donner sens, il est utile de connaître certaines caractéristiques du répondant dont : son sexe, son âge, au niveau social : ses passe-temps, ses loisirs, ses activités sociales; et au niveau médical : le ou les diagnostics ainsi que son ou ses stigmates et si ceux-ci sont visibles.

Afin de répondre à la question de recherche qui porte sur des perceptions, la méthode de recherche la plus appropriée est celle de l’entrevue semi-dirigée. Les données qualitatives qui en ressortent permettent de comprendre le vécu des personnes interrogées. Plus précisément, la méthode utilisée est à mi-chemin entre une entrevue et un récit de vie (qui se veut plus ouvert et où la personne discourt librement). Dans le schéma d’entrevue développé, les indicateurs décrits plus haut sont ainsi des thèmes sur lesquels les répondants sont invités à parler plutôt que formulés comme des questions.

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Par le récit de vie, le chercheur a accès à une vision unifiée de la vie du sujet et à ses représentations sociales. Et comme on le sait, la perception de la maladie dépend fortement des représentations sociales apprises dans différents milieux. Les positions adoptées face au contrôle, l’engagement, le défi aident à comprendre la façon de réagir à la maladie. Les attitudes face à la vie en général permettent de connaître les attitudes face à la maladie. Ainsi, à l’aide des notions de sentiment d’impuissance, de contrôle sur sa vie et d’efficacité personnelle, on pourra expliquer pourquoi l’individu adopte des comportements défaitistes ou combatifs.

Plusieurs facteurs peuvent influencer les perceptions, les jugements, les attitudes ou les comportements d’un individu et donc la façon dont il pourra se raconter dans un récit. Parmi ces facteurs se trouvent les effets de distorsion que Grell (1986) définit comme la tendance à aller dans le sens de l’opinion de l’intervieweur en répondant ce qu’il croit que le chercheur veut entendre. Dans la construction de ce récit, il se peut que l’individu rencontre des blocages comme la gêne, la peur, la pudeur, la difficulté de nommer les choses telles qu’elles sont, un accès difficile à la mémoire. C’est au chercheur d’aider l’individu à dépasser ces limites. La souffrance est un autre facteur qui peut constituer un enjeu central dans des récits de vie sur la douleur chronique. En effet, la souffrance est parfois difficile à raconter, car souvent elle isole l’individu. Il peut donc arriver que le répondant évite de s’étendre sur un thème à cause de la souffrance qu’il pourrait engendrer. Dans d’autres cas, le récit peut devenir le lieu idéal pour guérir sa souffrance. Dans son ouvrage autobiographique, Marie-Sissi Labrèche soutient que « par le récit, une souffrance partagée devient une demi-souffrance » (Emond, 2007 : 121).

Le schéma d’entrevue comme tel est construit selon une logique chronologique où la personne est invitée à parler des différents thèmes concernant sa douleur et sa vie. Concrètement, les personnes passent facilement d’un thème à l’autre et cela est tout à fait permis pour respecter l’aspect semi-dirigé et laisser la personne faire son récit comme elle l’entend. C’est au chercheur de renouer le fil narratif du récit. Car si l’individu se perçoit dans une suite narrative qui fait sens, il n’en va pas nécessairement de même pour le chercheur.

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La population à l’étude est celle des personnes qui vivent avec une douleur chronique. Pour constituer un échantillon, le Centre de réadaptation en déficience physique Chaudière-Appalaches (CRDP-CA), où sont hébergés des gens en processus de réadaptation, se révèle riche en références humaines et intellectuelles. Le psychologue de l’organisme a fourni une liste d’une vingtaine d’individus reconnus pour vivre avec une douleur chronique ayant déjà utilisé les services du centre. Afin de pouvoir déterminer s’il y a une évolution de la perception de la douleur dans le temps, une des conditions pour participer à la recherche est que la douleur soit apparue à l’âge adulte. Ainsi, les personnes pourraient parler de leur vie avant l’apparition de la douleur par rapport à après l’apparition de celle-ci. La liste fournie par le CRDP-CA respecte cette condition et contient seulement des gens qui ont ressenti une douleur apparaître à la suite d’un accident (du travail ou de la route). En termes plus précis, il s’agit de douleurs musculo-squelettiques, post-opératoires ou post-traumatiques. Toutes ces personnes proviennent de la région de Chaudière-Appalaches.

Parmi les personnes ayant accepté d’être contactées, certaines ont refusé en prenant connaissance des conditions de la recherche. Pour quelques-uns, ce serait trop difficile de parler de leur accident, pour d’autres, le temps leur manque. Douze acceptent finalement d’être rencontrées. Un prétest du schéma d’entrevue est effectué avec une première personne et les onze autres constituent l’échantillon final. L’objectif de la recherche étant de décrire le vécu des personnes souffrant de douleur chronique, il n’est nul besoin d’avoir un échantillon plus grand qu’il n’est nécessaire pour en arriver à une saturation dans les récits.

Le portrait des onze participants n’est pas homogène. Sur les sept hommes, six sont en fauteuil roulant alors qu’aucune des quatre femmes ne l’est (ce qui ne veut pas dire que les personnes qui ne sont pas en fauteuil roulant n’ont pas une autre forme de stigmate comme il sera traité plus loin). En ce qui concerne leur âge, deux hommes sont dans la vingtaine alors que tout le reste de l’échantillon a entre quarante et soixante-douze ans. Ils vivent avec une douleur chronique depuis en moyenne un an ou deux à l’exception d’un homme pour qui la douleur existe depuis près de vingt ans.

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Lors d’un premier entretien téléphonique avec chacun d’eux, le contexte de la recherche est expliqué et un rendez-vous est fixé avec eux. Toutes les entrevues sont effectuées chez les participants à l’été 2008. Les entrevues se déroulent généralement dans la cuisine ou sur la terrasse extérieure. Dans la plupart des cas l’entrevue se déroule uniquement entre la chercheure et le participant, mais il arrive parfois que des personnes (femme, enfant ou aidant naturel) soient présentes pour une petite partie de l’entrevue. À quelques reprises, ces personnes sont intervenues d’elles-mêmes ou à la demande du participant pour l’aider à répondre à une question sur laquelle il avait un blanc de mémoire.

Au moment de commencer l’entrevue, une sorte de gêne s’installait généralement, sans doute à cause de l’énumération des conditions de l’entrevue, de la signature du formulaire de consentement et de l’apparition d’une machine enregistreuse. Mais les premières questions parvenaient rapidement à dissiper cette gêne. Le premier thème, très objectif, concerne leurs activités avant l’accident, c’est-à-dire leur santé, leur travail, leurs loisirs. Ensuite vient la description de l’accident. Même si les détails concrets de l’accident ne sont pas très utiles à l’analyse, ce récit permet de mettre en confiance le répondant et de faciliter par la suite, l’entrevue. Puis, viennent les thèmes plus délicats de l’apparition de la douleur, de sa signification pour lui, de ses relations avec ses proches et avec les intervenants du système de santé. Même si pour certaines personnes ces souvenirs sont visiblement douloureux, les entrevues se déroulent toutes très bien dans les circonstances. Après l’entrevue, plusieurs me font visiter les lieux avec enthousiasme, me montrent les modifications qu’ils ont apportées à leur maison pour l’adapter à leur nouvelle situation, leur cour arrière, entre autres.

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Présentation des résultats

Les entrevues effectuées ont duré entre une heure et trois heures. L’une d’elles s’est même échelonnée sur quatre heures. Tout le contenu de l’entrevue n’était bien sûr pas en lien direct avec la douleur de la personne. Certains passages étaient quand même importants et utiles pour saisir le sens que l’individu donne à sa douleur. La section qui suit présente un résumé de chacun de récits et des éléments de discours sélectionnés qui permettent de connaitre en quelque sorte chacune de ces personnes.

Pierre, 40 ans

Pierre a vécu sa « vie de jeunesse ». Il n’est d’ailleurs pas très fier de cette période de sa vie. Et elle a pris fin abruptement à 21 ans. C’était en 1989. Une soirée bien arrosée où il a pris le volant et qui s’est terminée dans un poteau de téléphone. Son passager portait sa ceinture de sécurité, mais Pierre a été éjecté du véhicule. Il survit malgré deux arrêts cardiaques, et restera 13 jours aux soins intensifs. À son réveil, il comprend par lui-même que quelque chose ne va pas. « Tu viens pour bouger mes jambes, mais ça ne bouge pas. Tu finis par comprendre que tu es fait. » Il vivra en fauteuil roulant pour le reste de ses jours. La douleur apparaît pour la première fois après une opération en 1991, mais ce n’est qu’au bout de 4 ans, Pierre accepte une autre opération où on lui installe une machine, une pompe pour régler les spasmes. C’est un succès et sa vie reprend, il se trouve un emploi, se fait une copine.

En 2000, il commence à avoir des problèmes de colonne vertébrale : une hyper lordose. « Les vertèbres sont toutes coincées et ça fait mal ». Il arrête de travailler et on l’opère à nouveau. Selon lui, cette opération est un échec et depuis ce temps, Pierre vit avec de la douleur chronique. Et cette douleur a eu de nombreuses répercussions dans sa vie : isolement, relations parfois difficiles avec ses proches, dont une rupture amoureuse.

La personnalité de Pierre a changé davantage à cause de la douleur qu’à cause de l’handicap. Il affirme avoir vécu des moments plus heureux en fauteuil que debout. Mais

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avec la douleur, non. Le récit de Pierre est celui du combat qu’il mène depuis plusieurs années pour faire diminuer sa douleur. Notamment Pierre « se bat » contre sa physiatre qui considère qu’il n’est pas opérable. Il est prêt à faire le tour des spécialistes pour entendre ce qu’il veut entendre, c’est-à-dire que son cas n’est pas peine perdue et qu’il y a encore quelque chose à faire.

Pour le moment, je n’ai pas le choix, il faut que j’endure. Ça prend du nerf. Ce n’est pas parce que je veux me vanter mais ça prend du nerf pour passer à travers de ça. Je ne sais pas où je vais chercher ça. Des fois je m’épate. Des fois je ne suis plus capable. Il y en a d’autres qui lâchent pour moins que ça.

Cet espoir est nécessaire pour Pierre, même si ses médecins sont sceptiques à propos du dénouement de la future opération. « Ils ne sont pas sûrs que ça va marcher. On ne la voit pas de la même façon. Pour eux, c’est une opération de plus. Je trouve ça plate, je les comprends. C’est sûr, ils ne peuvent pas le savoir. » Il n’est pas prêt à abandonner la partie parce que si l’espoir disparaît, Pierre a peur de la réaction qu’il pourrait avoir. C’est pourquoi il se garde toujours une porte de sortie, ce que quelqu’un lui a dit un jour : « Il paraît qu’il y a un neurochirurgien qui fait des miracles à Denver au Colorado. » Ensuite, il aimerait reprendre une vie normale, travailler, avoir une blonde.

En 2010, deux ans après l’entrevue, j’ai su que l’opération de Pierre n’avait finalement pas fonctionné comme il l’espérait. Il vivait des moments très difficiles.

Diane, 46 ans

Diane était une femme très active. Elle préférait le quart de nuit à l’usine pour pouvoir aller aider son conjoint à bûcher dans le bois le jour. Elle était particulièrement forte et en santé. « Même que j’ai eu deux enfants et j’ai vu le médecin seulement la journée de l’accouchement et je ne l’avais jamais vu avant. Les médecins ont dit qu’ils n’avaient jamais vu une affaire de même. » Elle ne connaissait pas vraiment la douleur. Diane avait également une vie sociale bien remplie : petite bière entre amis, sorties au restaurant. En rentrant du travail le matin du 4 avril 2005, elle se fait percuter par un jeune homme au comportement téméraire.

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Ce petit gars-là, je le voyais à tous les matins. Je me disais à un moment donné il va se faire pogner. Et c’est arrivé avec moi. Lui, il n’a rien eu. […] Même si j’allais le battre le petit gars, ça ne m’enlèvera pas mon mal. Mais peut-être que s’il s’était sonné, il y penserait plus.

Elle est retenue dans l’auto par le coussin gonflable et craint que le feu ne prenne. Les ambulanciers finissent par la sortir de sa fâcheuse position. Elle s’en sortira avec une hanche refaite et des plaques le long de la jambe. « C’est certain qu’ils ont fait une belle job, mais j’ai du mal. » À son réveil, sa première réaction est de penser à sortir de l’hôpital.

Ils ne me garderont pas ici une semaine, je vais retourner travailler. C’est la première chose que j’ai dit. Je suis restée là un mois et je voulais me sauver. […] Quand j’ai vu des béquilles dans ma chambre, j’ai dit à mon chum « ce soir tu viens me chercher ». Mais il l’a dit aux infirmières. J’étais insultée. Je lui ai dit « moi aussi je vais te dénoncer quand tu vas être à l’hôpital. » Il riait.

À l’hôpital, la douleur est contrôlée par les médicaments. Même si elle sait qu’elle en a besoin, elle a un certain malaise à en prendre autant et tente d’en prendre le moins possible. « Ils ont voulu me donner des pilules pour dormir et j’ai dit non. J’ai tellement vu ma mère en prendre des pilules que je ne veux pas avoir à prendre ça. »

Diane considère qu’elle a plus de douleur aujourd’hui qu’elle en a eue lors de son accident, mais c’est probablement dû à sa médication qui a diminué ou qui fait moins effet. Son mal ne la lâche plus. « Je le donnerais à n’importe qui le voudrait mon mal, n’importe qui. » Beaucoup de choses ont changé. Elle doit demander de l’aide de son entourage et son mari a eu du mal à s’adapter à sa nouvelle condition dans leurs moments d’intimité. Lorsqu’elle a mal, elle a tendance à s’isoler et ne veut pas en parler. Ses enfants le savent et essaient de lui laisser ces moments de solitude pour qu’elle puisse aller s’allonger et se reposer. Mais une grande peine demeure, celle de ne plus être capable de prendre ses petits enfants dans ses bras. Elle doit aussi accepter les cicatrices que les opérations ont laissées le long de sa jambe. L’image qu’elle projette la gêne, au point où elle ne veut pas utiliser la canne et la vignette de stationnement qui lui ont été données.

Avant son accident, Diane avait toujours eu horreur des médecins. « J’en ai vu plus depuis mon accident que j’ai pu en voir dans ma vie. […] Aujourd’hui, je n’ai pas le choix d’aller les voir. En tout cas celui que j’ai pour l’instant, il ne fait pas grand-chose. Pour en avoir des bons, il faudrait que j’aille en ville ». Diane a effectivement une mauvaise relation avec

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son médecin de famille. Lorsque celui-ci la voit en béquilles à sa première visite après son accident, il lui lance : « Voyons! Au bout d’un mois un joueur de hockey est sur la glace après un accident comme toi ». Lors d’une autre visite, elle lui parle de son orteil qui ne plie plus et qui est toujours froid. Elle n’apprécie pas plus la réponse : « Tu n’en a pas besoin, c’est pour les hommes préhistoriques pour monter dans les montagnes. As-tu l’intention de monter dans les montagnes? »

Ses traitements de physiothérapie, d’ergothérapie la rendent parfois lasse, mais quand elle voit que son état s’améliore et qu’elle boite moins, elle se met à participer davantage. Mais depuis le temps, les choses n’avancent plus. Devant cette stagnation, les physiothérapeutes cessent les traitements.

Moi je pensais que je reviendrais comme j’étais. […] Je disais à mon chum « Laisse-moi un an ou deux et je vais courir aussi vite que je courais avant ». Il disait que non et il avait ben raison. […] Mes accouchements, j’en aurais eu dix comme ça, mais des accidents comme ça, je n’en veux pas d’autres. Il y a des journées où je me dis que j’aurais dû rester dans l’auto, je n’aurais pas dû en sortir vivante. Mais en même temps, je n’aurais pas connu mes petits-enfants. Je m’accroche beaucoup à mes petits-enfants.

Diane affirme qu’elle a quand même espoir de retrouver toutes ses capacités « parce que je veux guérir, je veux bouger. À force d’avoir de l’espoir, il y a de l’espoir. Peut-être que s’ils me disaient qu’il n’y a plus d’espoir, je ne ferai plus d’efforts ».

Paulette, 47 ans

Paulette vit avec sa fille et sa mère de 80 ans dans un petit appartement de la rive sud. Son physique athlétique laisse entrevoir la femme qu’elle a déjà été. En plus de son travail dans une usine, elle menait sa vie « comme tout le monde » tout en pratiquant des loisirs comme la marche, la bicyclette, le « roller blade » et la danse. Elle est reconnue pour ne pas se laisser marcher sur les pieds.

En 2005, elle est victime d’un accident de la route avec un poids lourd. Elle s’en sort avec un traumatisme crânien, un pneumothorax, les cordes vocales paralysées, deux côtes fracturées, l’omoplate décollée, une fracture cervicale, six fractures du bassin et une fracture à la hanche. « J’aurais pu paralyser de la tête aux pieds… ou bien péter au frète. Je ne sais pas pourquoi je n’ai pas pété au frète. J’ai tellement regretté de ne pas péter au frète.

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Ça n’a pas de bon sens. Je l’ai demandé souvent ». Une fois son état stabilisé, on l’envoie en réadaptation à son grand désarroi.

À son arrivée au centre de réadaptation elle est épuisée et tourne le dos à la travailleuse sociale et au psychologue qui l’accueillent. Elle ne va pas bien, ne coopère pas et son médecin doit la convaincre de prendre ses médicaments. Le début de son séjour en réadaptation sera très difficile jusqu’à ce qu’une infirmière lui remette les idées en place. Elle prend alors part aux traitements et accepte de recevoir sa visite. Mais elle est quand même très accablée de ne plus pouvoir prendre de décisions par elle-même et d’avoir perdu autant de contrôle sur sa vie.

Durant l’entrevue, parler de sa douleur lui fait revivre des émotions douloureuses. Même si cela l’aide de parler de sa douleur à son entourage, Paulette dit ne plus en parler chez elle, ni à ses amies. « De toute façon je ne sors plus ben ben […] À cause de la douleur et parce que ça ne me tente pas. Je n’ai plus vraiment d’intérêt pour grand-chose. » Mais ce n’est pas parce qu’elle n’a pas essayé de diminuer sa douleur : massothérapie, acupuncture, kinésithérapie, ostéopathie, hypnose…

Paulette cherche un sens à sa douleur et finit par se dire qu’elle devait faire des prises de conscience dans sa vie. Selon elle, son accident est arrivé pour lui faire comprendre qu’elle avait eu tort de quitter le père de ses enfants pour partir avec l’ancienne conjointe de son frère. Elle se rend compte de la peine qu’elle a causée et vit des moments difficiles.

Maintenant, son état s’améliore un peu, mais elle a encore tendance à s’isoler avec sa douleur et sa souffrance par manque de compréhension des autres. Paulette qualifie son quotidien de « petite vie plate ». Le travail est une grande source de préoccupation pour Paulette. Lorsque la SAAQ la déclare apte au travail, elle retourne à son ancien emploi. La fonctionnaire qui s’occupe de son dossier trouve qu’elle ne progresse pas assez rapidement, qu’elle ne participe pas assez et qu’elle en met un peu trop au sujet de sa douleur. Après plusieurs mois de déboires, Paulette se fait remercier de son emploi. Elle est maintenant à la recherche d’emploi qui lui permettrait de boucler les fins de mois, mais cela risque d’être très difficile considérant toutes les limites auxquelles elle doit faire face.

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Marguerite, 59 ans

Infirmière à la retraite, elle est d’un tempérament très calme et prend la vie avec un grain de sel. Même avant son accident, Marguerite n’était pas une femme très sportive, ses passe-temps étant plutôt calmes : lecture, marche, yoga ainsi que du bénévolat.

Marguerite a un accident de voiture en février 2006. « Je ne sais pas ce qui s’est passé. Ça s’est mis à tourner. […] Quand on a arrêté de tourner, ma porte était arrachée et j’étais pendue par ma ceinture à l’extérieur du camion. J’avais tellement peur de me faire écraser. » Heureusement, les services d’urgence arrivent rapidement. Tout son côté gauche est atteint : l’épaule, la main, le pied. « Dieu merci, la hanche n’a pas été touchée ». Elle vit depuis son opération à l’épaule avec une douleur chronique à la main, de l’algodistrophie. Marguerite qualifie son retour à la maison de très difficile, physiquement et moralement. « Pas capable de se laver… Tu sais l’hygiène personnelle, c’est dur. Ça touche les points sensibles. Je n’ai jamais rien demandé à personne, donc se mettre à demander, ne serait-ce que pour faire sa toilette, j’ai trouvé ça dur. » Elle apprécie donc grandement l’aide que son mari et sa fille lui apportent. Elle consulte également une psychologue pour l’aider à accepter sa douleur. Cela l’aide beaucoup et elle a d’ailleurs l’intention de continuer d’aller consulter comme elle le fait depuis un an. « Ça m’a donné de l’espoir, en mes capacités personnelles. »

La deuxième année après l’accident, Marguerite est réopérée dans son épaule. Selon elle, c’est la première opération (le jour de l’accident) qui a mal tourné. « Probablement qu’il [le médecin] pensait que ça allait reprendre. Il a fait pour le mieux. Je ne lui en veux pas parce que à la suite de l’accident, il a fait ce qu’il a jugé bon de faire ». La deuxième opération fait diminuer la douleur d’environ la moitié, mais elle ne s’en va pas complètement.

La douleur est quand même présente, persistante. « Ils disent que je vais avoir de la douleur, que la douleur ne partira jamais complètement. Elle va toujours être là. » Marguerite croit qu’elle seule peut gérer sa douleur. Elle utilise ses moyens pour la gérer : sa médication, mais aussi le yoga, des techniques de respiration, de relaxation. « Face aux autres, ça m’appartient cette douleur-là. J’essaie de garder ça pour moi. »

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Marguerite mène ses activités quotidiennes dans la maison, mais en s’accordant des moments de repos. Avant, elle s’en voulait de se reposer alors qu’il y avait encore des tâches à accomplir. Maintenant, elle s’accorde ce droit et ne se sent plus mal de le faire. Contrairement à d’autres personnes, elle parle de sa douleur comme une maladie à part entière, c’est-à-dire qu’elle lui attribue le statut de maladie.

Marguerite a travaillé comme infirmière auprès des personnes âgées; on serait donc porté à croire que son contact prolongé avec le système de la santé et la bonne compréhension qu’elle en a l’ont sûrement aidée à accepter sa douleur. Sa facilité à en parler s’explique peut-être aussi à cause du contact avec ce milieu qui lui permet de comparer sa situation à celles des autres. À l’inverse de plusieurs qui disent utiliser cette technique pour se remonter le moral, cela semble réellement fonctionner dans son cas.

Selon elle, le présent passe trop vite parce qu’elle a le sentiment de profiter de belles choses et de chaque moment. « J’essaie de vivre le moment présent beaucoup. Il y a des journées que c’est facile, d’autres journées c’est plus difficile, mais j’essaie. »

Marcel, 57 ans

Avant son accident, Marcel avait une santé « normale ». Il était un peu dépressif et était fragile de l’estomac, mais dans l’ensemble, « c’était quand même pas pire ». Racleur d’asphalte, il devait se déplacer sur les chantiers routiers pour de longues journées de travail. Il prend quand même le temps de pratiquer les sports qu’il apprécie comme le ski de fond, le hockey et la balle. Il est aussi bénévole dans plusieurs comités et y mène plusieurs projets.

En se rendant au travail un matin de l’automne 2005, Marcel capote avec sa voiture. Il garde conscience. « Il n’y avait plus rien qui grouillait nulle part. Je me suis dit « Ma vie est finie » ». Il a dès le départ un mauvais rapport avec les ambulanciers.

C’était assez rough. Eux autres ils lèvent quelqu’un comme s’ils levaient une vache. […]La civière était loin. Bading badang, ça brassait en tabarnache. Je n’ai pas trouvé ça correct. Pour des ambulanciers je n’ai pas trouvé qu’ils étaient forts. Si c’était à recommencer je pense que je les poursuivrais. Là il est trop tard.

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Grisell Var- gas et collaboratrices nous font part de leur expérience cana- dienne dans la création d ’ un programme d ’ éducation théra- peutique pour tous patients