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Portrait type d’un travailleur de la construction, Dominic n’est plus l’ombre de lui-même depuis son accident de la route, il y a un an. L’ex-entrepreneur général avait toujours été en parfaite santé, « aucune allergie, aucun médicament. J’allais très bien. » Il est donc difficile pour lui de comprendre ceux qui vivaient avec une douleur. « J’avais de la misère à le comprendre parce que je ne le vivais pas personnellement. […] et en même temps, je ne cherchais pas à comprendre. Il a mal, ce n’est pas de ma faute. »

Le 5 juin, en revenant d’aller reconduire les enfants chez leur mère, il fait 5 tonneaux. « Moi j’ai repris conscience, j’étais rendu dans un corset. J’étais opéré et ça faisait à peu près 5 jours. » Diagnostic : des vertèbres et des côtes cassées, le ligament du genou étiré, le poumon perforé, une épaule coincée, et une jambe qui ne remarchera peut-être jamais.

C’est un choc quand même. Tout ce qui m’arrivait là. […] Je ne pensais pas être magané du tout. C’est tout le temps bête un accident. Ah, j’étais bien accablé de ça… Là, je commence à me remettre de ça, malgré que ça vienne me chercher psychologiquement pareil… moralement. Je ne suis plus capable de rien faire la moitié du temps.

L’annonce qu’il ne marchera peut-être plus lui fait peur. « J’ai eu peur qu’il ait raison. Je ne voulais pas le croire au complet. Il n’était pas question… Comment je ne le savais pas, mais je savais que je remarcherais»

Les fortes doses de médicaments le font délirer. Croyant à tort qu’une infirmière se fait agresser par un infirmier, il saute de son lit et empire l’état de son genou déjà très mal en point. À la suite de cet épisode, on l’attache dans son lit par crainte de récidive. « Je pense que ça aurait été moins pire aller en prison qu’être là ».

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Dominic qui a toujours été fonceur et rebelle affirme donner du fil à retordre aux intervenants. « Je n’ai pas écouté ben ben ce qu’ils m’ont dit. Je voulais marcher… » Il veut aller aux toilettes par ses propres moyens. Il demande donc avec insistance une marchette. « Ils ont accepté pour la chambre. Mais moi c’était rendu que je me promenais partout avec ma marchette… Là ils voulaient me l’enlever, ils couraient après moi… »

Après avoir passé un mois à l’hôpital et un mois au Centre François-Charon, Dominic est de retour dans sa maison. La SAAQ paye un aidant naturel pour l’aider dans les tâches quotidiennes. « Je ne travaille plus, surtout que j’étais habitué de travailler 50, 60 heures par semaine. Là je suis pogné… Je me sens quasiment inutile dans la vie. C’est tannant… » Selon lui, c’est la plaque de métal qu’on lui a posé dans la colonne vertébrale qui lui occasionne les douleurs. Il décrit comme une torture les 3 mois où il a dû porter son corset. Parfois, le soir, il l’enlève quelques instants et c’est « une vraie jouissance ». Mais quand Dominic est autorisé à l’enlever pour de bon, le 1er novembre, ce n’est plus une jouissance. Les douleurs deviennent intolérables. Il multiplie les doses de calmants.

C’est le mal qui me tanne le plus. […] Que je sois limité sur bien des affaires, c’est acceptable. J’ai juste à orienter ma vie autrement, mais de là à avoir toujours mal, ça c’est tannant. Le soir des fois je me couche à 8 heures. Ce n’est pas parce que je suis fatigué, c’est parce que je suis tanné d’avoir mal. Et la seule place où je n’ai pas mal, c’est dans le lit. Une fois couché, c’est fini, je n’ai plus mal.

C’est comme si dans le jour j’ai 40 ans et le soir j’en ai 80.

À d’autres niveaux, il note les progrès, comme pour son épaule qui avait perdu toute mobilité. Après plusieurs mois d’efforts, il peut enfin manger de la main droite et lever son bras.

Une autre opération est prévue pour se faire enlever sa plaque. L’espoir qu’il a déjà eu de retrouver la totalité de ses capacités est désormais plus mince. Il doit revoir ses priorités et faire son deuil de certaines choses. Selon lui, ce que la douleur change le plus dans sa vie c’est la fierté qu’il allait chercher dans toutes sortes de réalisations manuelles. « C’est la fierté. Moi je bâtissais des maisons… c’est moi qui a fait ça. »

Ses enfants sont la seule famille qui est proche de lui et d’ailleurs la seule à être allée le visiter à l’hôpital. En revenant à la maison, il obtient leur garde. « Ç’a été une bonne affaire parce que ça m’a occupé le moral, l’esprit. » Il lui arrive de parler de sa douleur, lorsqu’il a mal et qu’il en ressent le besoin. Ses proches, dont sa nièce qui habite avec lui, sont là pour lui, pour ramasser les objets avant qu’il n’ait à se pencher pour le faire. Il apprécie cette attention mais « des fois, je trouve ça trop. Je me sens trop protégé ».

Son côté fonceur n’est pas disparu. Il trouve les moyens d’atteindre ses objectifs. Bien sûr, il s’agit de moyens différents d’avant. « Avant je le faisais moi-même, maintenant je le fais faire ». Il apprécie les progrès faits jusqu’à maintenant et ne s’attarde pas aux aspects négatifs. « Ce sont des sentiments inutiles. Le fait de marcher et d’être en vie c’est déjà pas mal. »