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5. Cadre théorique

5.8 Rapport des professionnels face à l’intimité des jeunes en

5.8.5 La sexualité en institution

L’auteur Martin (2003, p. 38) constate, d'après son étude dans le foyer de Vitry, que les équipes éducatives supposent beaucoup plus de passages à l'acte que les jeunes n'en font véritablement. Les premières personnes visées sont les minorités et les marginaux qui sont associés à une sexualité et c’est bien cette hyper-sexualité effrénée que les professionnels ne peuvent se permettre. L'auteur mentionne dans son expérience que certains éducateurs apeurés ou alors envieux informaient d’autres collègues ou la direction des jeunes dormant de manière « illégale » à trois ou quatre dans une chambre. Pour Martin, cette attitude est plus dans le but de se connaître entre jeunes, de retrouver cette convivialité, l'ambiance d'une bande que de s'abandonner à des débauches sexuelles.

Dans l'institution de Vitry, les relations sexuelles sont interdites mais ce qui est aberrant pour l'auteur c'est qu'à l'extérieur les jeunes font, de toute manière, ce qu'ils désirent. L'institution est ici comparée à une famille moyenne. Si le garçon révèle son homosexualité, cela sera scandaleux, car elle met en danger la notion du pouvoir que représente la virilité. Par contre, l'homosexualité chez la fille est davantage tolérée, car elle ne perturbe pas la procréation, la filiation et l'héritage (Martin, 2003, p. 38).

L'institution gère la prise en charge des jeunes au sein du foyer et leur propose plusieurs activités, mais fait souvent l'impasse sur la notion de la sexualité. En effet, celle-ci est peu abordée, parfois on peut trouver quelques brochures sur la contraception et l'avortement, quelques informations mais rien de très concluant. Comme si le fait de ne pas dialoguer sur le sujet de la sexualité ou de l'interdire mettait à l'abri les adolescents et protégeait les professionnels de toute responsabilité. L'auteur, a fait l'expérience d'enfermer les jeunes le soir et la nuit dans le foyer et a remarqué que la situation se détériorait. En effet, ceci aboutissait aux relations sexuelles dans la journée, à l'extérieur, aux fugues, à l'homosexualité et tout ceci accompagné de drogues et de tentatives de suicide. L'auteur se demande pourquoi interdire ces écarts si aucun substitut ne les remplace. D'ailleurs, ne vaut-t-il pas mieux laisser disparaître petit à petit un comportement défiant les règles afin de faire tomber une certaine résistance ? Puis, après cela, pouvoir mettre en place une véritable prise en charge ? Il est important, par la suite, de travailler ensemble entre éducateurs et jeunes afin de trouver un style éducatif qui ne soit ni trop permissif ni trop autoritaire. Pendant cette phase de recherche, il y aura évidemment des abus d'un côté ou de l'autre, mais l'essentiel, à terme, est de trouver un style éducatif qui soit opérant. Dans la réalité, le problème est un peu plus complexe. En effet, soit l'institution est totalement « carcérale » où tout est interdit et tout est surveillé, soit à l'image d'une famille, elle interdit mais ne souhaite en aucun cas savoir ce qui se passe à l'extérieur ou encore l'institution reste ouverte sur le sujet mais rationalise et se donne un caractère plutôt libéral tout en appliquant l'interdiction des relations sexuelles (Martin, 2003, p. 38-39).

Cependant, les professionnels doivent se rendre à l'évidence que, quelles que soient les règles mises en place, les jeunes auront des relations sexuelles et ceci dans des circonstances parfois inadéquates. Un sentiment de culpabilité se fera alors ressentir chez les adolescents. Il est intéressant de relever que si les relations hétérosexuelles deviennent impossibles, l'homosexualité ou un comportement agressif ressurgira. Par ailleurs, contrairement à ce que l’on peut penser, les adolescents en foyer ne recherchent pas des personnes du même établissement et ayant les mêmes difficultés qu'eux, mais préfèrent se diriger vers d’autres individus. De plus, une relation entre deux jeunes ayant des problématiques similaires pourrait engendrer des comportements pathogènes réciproques (Martin, 2003, p. 39).

Dans les établissements, il faudrait réfléchir à la possibilité de procéder à partir d'une sexualité agie, car il paraît irréel de simplement tolérer et de prendre en charge au fur et à mesure les relations sexuelles qui auront lieu dans le foyer. En attendant, beaucoup de questions subsistent et restent sans réponse. Actuellement, les manières de procéder sont moindres. De plus, ces dernières nous renvoient sur notre ensemble de représentations personnelles (Martin, 2003, p. 39).

D'après l'étude menée par Moulin (2007, p. 67-81), toute sexualité qu'elle soit exercée entre professionnels et usagers « sexualité exogroupe » ou entre usagers eux-mêmes ou professionnels eux-mêmes « sexualité endogroupe » paraît déplacée, d'autant plus que les professionnels ont un devoir de protection envers les jeunes considérés comme fragiles. La « sexualité exogroupe » sert à érotiser ou « désérotiser » la relation socio-éducative considérée comme un problème si elle émane du résident. Le rôle et l’identité de l’éducateur sont remis en question. De plus, cette relation est vue comme un danger et est perturbante pour l’intervenant. Bien souvent, les adolescentes érotisent la relation socio-éducative et cherchent à séduire les hommes en trouvant des moyens pour se rapprocher d'eux. Ce comportement peut traduire soit de réels sentiments de la part de la jeune fille à l'égard du professionnel ou soit de la manipulation pour, par exemple, se venger d'une forte sanction et l'accuser ensuite d'avoir abusé d'elle. Face à ce genre d'accusation, les conséquences peuvent être graves pour les travailleurs sociaux (licenciement, procès, etc.). C'est pourquoi, ceux-ci adoptent une certaine distance et évitent des contacts trop rapprochés. En ce qui concerne les rapports sexuels entre les usagers eux-mêmes « sexualité endogroupe », l'interdiction est clairement mentionnée. Par cet interdit, l'institution cherche, entre autres, à éviter des grossesses indésirées chez des adolescentes mineures. Cependant, ceci n'évite pas d'autres aspects de la sexualité comme le voyeurisme, la masturbation, la naissance de relations amoureuses, etc. Tous ces comportements sont sanctionnés par les éducateurs en fonction de leur degré de gravité. Néanmoins, les professionnels ont également un autre rôle que celui de « punir » ces actes, comme celui d’accompagner le jeune aux notions de sexualité. En effet, l'équipe éducative a également une fonction d'accueil, d'écoute et essaie de favoriser, au mieux, le dialogue afin que les jeunes puissent verbaliser leurs ressentis, leurs émotions et leurs problèmes. Cependant, si la situation demeure trop complexe pour eux, ils réorientent les jeunes vers des spécialistes (gynécologues, psychologues, etc.). À la suite de ces rencontres avec les différents professionnels, les représentations de la sexualité, les normes et les valeurs faussées et propagées par les adolescents peuvent être déconstruites par le biais de discussions. Effectivement, la sexualité ne doit pas être vécue comme honteuse mais plutôt comme un acte tout à fait normal et agréable.

Selon les diverses difficultés pouvant survenir dans chacune des deux sexualités ("endogroupe" ou "exogroupe"), les travailleurs sociaux essaient d'amener différentes astuces telles que les mises à distance que cela soit au niveau spatiale, psychologique, symbolique, moral (rappel des lois, normes) ou encore sociales. En ce qui concerne la sexualité « exogroupe », qui se passe entre usagers eux-mêmes mais également entre professionnels, ceux-ci se doivent d'appliquer le principe de stricte séparation entre la sphère privée et la sphère professionnelle ceci afin d'éviter le risque de l'érotisation de la relation usager/intervenant. Moulin cite ainsi :

« […] cette norme de la séparation entre sphères publiques et privées

redouble celle de la séparation entre réel et imaginaire qui est mentionnée par différents professionnels qui se montrent souvent conscients des "fantasmes que les "client(e)s" nourrissent à leur égard (et réciproquement) dans les situations de soins ou d'aide socio-éducative. »