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SOCIOTECHNIQUE : VALEUR IMMATÉRIELLE ET

EXPÉRIENTIELLE

Le service est ici envisagé comme la mise à disposition temporaire d’une capacité sociotechnique. Cela souligne la nature immatérielle et expérientielle des services.

1/ Le service comme droit d’usage d’une capacité sociotechnique

Malgré les multiples définitions proposées des services, dont le tableau 1 donne un aperçu, on constate néanmoins un large consensus de l’idée qu’une activité de services consiste en une prestation, c’est-à-dire la mise à disposition de compétences (Maglio & Spohrer, 2013) ou d’une capacité (technique ou intellectuelle, INSEE3) au bénéfice d’un tiers.

De manière plus précise, on peut néanmoins considérer le service selon l’approche de Gadrey (2000) :

« Any purchase of services by an economic agent B (whether an individual or organization) would, there-fore, be the purchase from organization A of the right to use, generally for a specified period, a technical and human capacity owned or controlled by A in order to produce useful effects on agent B or on goods C owned by agent B or for which he or she is responsible” (Gadrey, 2000, p. 382–383). Cette définition permet en effet de considérer la relation triangulaire entre un prestataire de services, un utilisateur/ client, et la transformation d’une réalité (Gadrey, 2000) et d’envisager que le bénéficiaire du service acquiert un droit d’usage (défini et limité) d’une capacité sociotechnique

Plutôt que de considérer les services en opposition aux produits (comme dans l’approche « IHIP », Zeithaml et al., 1985) ou que toute activité est service (comme dans l’approche « SD Logic », Vargo & Lusch, 2004), cette définition nous permet en effet de considérer tous les types de services.

En effet, cette approche en termes de capacité sociotechnique nous permet d’envisager les diffé-rentes logiques de service : une logique d’intervention, une logique de mise à disposition et une logique de représentation (Callon et al. , 2000; Gadrey, 2000). Ces logiques sont bien évidemment des arché-types, et beaucoup de services hybrident deux voire trois de ces logiques :

- dans le cas de la logique de demande d’intervention, B (par exemple le propriétaire d’une voi-ture) adresse une demande d’intervention à A qui est propriétaire d’un ensemble de capacités humaines

3 http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=definitions/services.htm [consulté le 24/05/2015]

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et techniques (le garage ou l’atelier mécanique) dont la mobilisation va permettre la satisfaction de la demande de B. Par exemple, Über, le service de transport de particulier à la demande illustre bien ce type de logique où un utilisateur va demander à un chauffeur de le conduire d’un endroit à un autre. Le chauffeur du service mobilise alors ses propres capacités de conduite ainsi que son véhicule pour satisfaire la demande de transport de l’utilisateur.

- dans le cas de la logique de mise à disposition, B, à partir d’une simple décision d’usage, se sert d’une capacité technico-humaine, en état de marche, que A met à sa disposition dans des conditions convenues. Des illustrations de telles logiques sont les transports, le téléphone ou les laveries. Par exemple, dans le cas de Vélib, les utilisateurs ont accès à l’usage d'une flotte de vélos en libre-service qu’ils peuvent emprunter et ramener à différents points de rattachement dans la ville.

- dans le cas de la représentation (ou du spectacle), B décide d’assister dans les conditions pro-posées par A, ou négociées avec elle, à une représentation humaine (représentation théâtrale, parc d’at-tractions, croisière spectacle, etc.) généralement appuyée sur des dispositifs techniques. Par exemple, le service « Cook’n’go » est un service dans lequel des cuisiniers amateurs viennent apprendre à cuisi-ner en suivant les conseils du chef dans la boutique à un horaire auxquels ils s’inscrivent. Ils repartent ensuite avec le produit de leur travail, qu’ils peuvent déguster à la maison. Ici, l’utilisateur du service et le fournisseur (le cuisinier) doivent se déplacer dans l’espace où a lieu la formation.

Cette approche nous permet donc d’envisager les services comme la mise à disposition d’une capacité sociotechnique. Ce faisant, l’approche permet de montrer en quoi la valeur des services comporte des dimensions immatérielle et expérientielle. Elle permet en outre d’envisager le service comme un  sys-tème sociotechnique susceptible d’être conçu et organisé.

2/ La valeur intangible des services

La valeur des services est une valeur partiellement intangible.

D’une part, le produit d’une activité de service ne donne pas lieu à un transfert de propriété mais à un droit d’usage. Cela conduit Zeithaml et al. (1985) à identifier, dans leur approche « IHIP », l’intan-gibilité comme l’une des quatre caractéristiques majeures (et la plus fondamentale ; Gadrey, 2000). De cela découle en outre l’idée de « périssabilité » (perishability) : contrairement aux produits, les ser-vices ne peuvent pas être stockés (« mis sur des étagères »), revendus ou rendus (Zeithaml et al., 1985). Dans la mesure où la prestation ne peut souvent pas être perçue (vue, touchée, goutée, entendue, sentie) avant d’être consommée (comme dans le cas d’une consultation psychologique ou d’un coiffeur ,par exemple) et où le client ne repart pas avec la prestation dans les mains, le service est qualifié

Cependant, les caractéristiques identifiées par Zeithaml et al. (1985) ne correspondent pas à tous les services, d’une part, et correspondent à certains produits, d’autre part. L’importance croissante des services en ligne fondés sur la vente d’informations ou la consultation de bases de données conduit notamment à discuter l’idée que certains services peuvent en effet être stockés par le prestataire avant leur vente (par exemple, des services de formation en ligne avec des contenus mis à disposition des utilisateurs, ou l’accès à des bases de données). Néanmoins, un autre aspect, plus fondamental à notre sens, conduit à qualifier la valeur des services d’immatérielle.

Selon les définitions, une activité de service consiste en la transformation d’une chose ou d’une per-sonne (Hill, 1977), la transformation des « conditions d’activités » d’un bénéficiaire (Zarifian, 2000) ou la production « d’effets utiles » de différents registres (pas uniquement « fonctionnels » ; Gadrey, 2000). La difficulté concernant la valeur des services, est qu’elle repose donc sur une évaluation qui concerne une « transformation » ou des « effets utiles », c’est-à-dire une dimension « immatérielle » qui peut être difficilement perceptible, dans le cas d’une assurance-vie par exemple ou même d’une formation dont on ne percevrait pas nécessairement les effets immédiats.

Puisque la transformation porte sur les conditions d’activité du destinataire (Zarifian, 2000), l’effet du service est souvent difficile à distinguer des moyens par lesquels il est produit : le dispositif, quel qu’il soit est un moyen pour réaliser le service, mais il n’est pas le résultat du service. Par exemple, si une maladie est soignée et guérie, elle transforme les conditions du patient. Dans ce cas, le service rendu, ce n’est pas le traitement, c’est la santé retrouvée.

Le service comporte donc une dimension immatérielle de valeur. Mais celle-ci est également liée à la dimension expérientielle de la valeur des services

3/ la valeur expérientielle des services

La valeur des services est également une valeur expérientielle.

Zeithaml et al. (1985) ajoutent ainsi que l’une des caractéristiques des services est l’inséparabi-lité de la production et de la consommation : les services sont à la fois produits et consommés au même moment, c’est-à-dire lorsqu'un client interagit avec un prestataire de service (voir la figure 5).

Cette dimension est par ailleurs identifiée également par Vargo & Lusch dans leur approche « SD Logic » Service-dominant Logic»), qui considère que tout activité peut être envisagée comme un service, (Vargo & Lusch, 2004).

Vargo et Lush (2004) aboutissent à huit propositions permettant de décrire cette « Service-Dominant Logic », qu’ils ont ensuite mis à jour avec deux autres propositions (Vargo & Lusch, 2008) :

“FP1: Service is the fundamental basis of exchange

FP2: Indirect exchange masks the fundamental basis of exchange FP3: Goods are a distribution mechanism for service provision

FP4: Operant resources are the fundamental source of competitive advantage FP5: All economies are service economies

FP6: The customer is always a cocreator of value

FP7: The enterprise cannot deliver value, but only offer value propositions FP8: A service-centered view is inherently customer oriented and relational FP9: All social and economic actors are resource integrators

FP10: Value is always uniquely and phenomenologically determined by the beneficiary » (Vargo & Lusch, 2008, p. 7)

Ici, les FP1 et FP5 posent les fondations decette approche et expliquent pourquoi celle-ci est qualifiée de « Service-Dominant Logic» (Logique dominante de service, par opposition à une logique dominante produit). Vargo & Lusch (2004) établissent ensuite (avec la proposition FP3) pourquoi la dichotomie

PRODUIT

Production Consommation

Consommation Production

SERVICE

Figure 5 : Inséparabilité de la consommation et de la production d’un service, contrairement à une logique produit traditionnelle.

pour les clients. Les propositions FP6 et FP7 affirment alors que cette valeur est co-créée : elle émerge d’interactions entre le client et des ressources que l’entreprise propose. La valeur de ces interactions est définie par le bénéficiaire en contexte, ce que montrent les propositions FP8 et FP10.

Néanmoins, ces deux approches soulignent le fait que les services sont délivrés à travers une expérience : les services sont constitués d’un ensemble de rencontres entre un fournisseur et un client. Bitner (1992) affirme en effet l’importance de ce qu’elle appelle les servicescapes (ou paysages ou scènes de service), c’est-à-dire l’environnement physique dans lequel le service est fourni et expérimenté, dans la qualité perçue du service pour le client (Kimbell, 2011). Dans le même esprit, Stuart & Tax (2004) parlent par exemple de « théâtre » et d’expériences mémorables. Dans ces servicescapes, les comportements et les expériences des clients et des prestataires sont influencés à la fois par les conditions ambiantes, l’or-ganisation spatiale, la typologie de service, les conditions environnementales et les signes, symboles et artefacts (Bitner, 1992), d’où la notion d’hétérogénéité de Zeithaml et al. (1985).

La valeur des services réside alors autant dans le résultat de la prestation, la transformation, l’ef-fet « utile » de l’activité de service, que dans les conditions de sa réalisation, c’est-à-dire l’expérience, la relation avec le fournisseur à travers différents canaux (Zarifian, 2000). Aussi, Edvardsson & Olsson (1996)distinguent-ils le résultat client (customer outcome), c’est-à-dire le résultat de l’activité de services pour un client (une voiture réparée, par exemple) et le processus client (customer process), c’est-à-dire la manière dont le service se déroule pour le client, notamment dans son expérience.

En outre, cette approche met en lumière la nature relationnelle des services, et notamment la participa-tion des clients à la  prestala participa-tion de services (Eiglier & Langeard, 1987), c’est-à-dire à la créala participa-tion de valeur. Les auteurs insistent alors sur les enjeux du service autour de la création de valeur : celle-ci arti-cule des ressources tangibles et intangibles pour co-créer, avec le client, et de manière contextualisée, de la valeur (valeur en usage, Vargo & Lusch, 2008 ; voire valeur en contexte, Chandler & Vargo, 2011). Dans ce cadre, les fournisseurs de services ne sont pas pourvoyeurs de valeur, mais pourvoyeurs des conditions dans lesquelles la co-création de valeur pourra avoir lieu. Edvardsson & Olsson (1996) dis-tinguent ainsi le customer process du service process, c’est-à-dire l’organisation de la capacité socio-tech-nique du service à même de le délivrer. Autrement dit, le prestataire de service ne fournit pas le service, il ne fournit que les prérequis pour qu’un service ait lieu (Blomkvist, 2014), c’est-à-dire un système socio-technique (Gadrey, 2000).

La valeur des services réside à la fois dans le résultat (parfois) intangible de l’activité de service et les conditions de sa livraison c’est-à-dire son expérience. Elle revêt donc à la fois un aspect immatériel et un aspect expérientiel, et ceux-ci sont supportés par un système sociotechnique.

B/ LA CONCEPTION D’UN SYSTÈME