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Avenir et justice du système de retraites – Table ronde sur la pénibilité

M. Serge Volkoff. – Sauf en consultation

Mme Catherine Génisson. – Ne faut-il pas restreindre les possibilités de compensation pécuniaire, et inciter les entreprises à se pencher davantage sur la qualité de l’organisation du travail ?

M. Jean-Pierre Godefroy. – Le rapport sénatorial sur le mal-être au travail insistait sur l’importance de la souffrance liée au trajet : la crainte d’être en retard, de perdre en salaire, a souvent des incidences sur les conditions de travail, les risques psychosociaux et l’état de santé. Nous avions pensé qu’il fallait prendre ces éléments en compte dans la mesure de la pénibilité.

Si le compte pénibilité consiste à cumuler des points afin de partir plus vite à la retraite, alors c’est le contraire de ce qu’il faut faire. Cela suppose une véritable révolution culturelle : dans l’entreprise où je travaillais, il n’était pas rare de revendiquer, avec le soutien des syndicats, le fait d’occuper un travail difficile ou insalubre pour obtenir des primes. Il faut au contraire s’efforcer de rendre le travail moins pénible.

Toutes les entreprises doivent participer à cet effort – rappelez-vous que nous avons dû revenir sur la participation au Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (Fiva) et au Fonds de cessation anticipé d’activité des travailleurs de l’amiante (Fcaata) des seules entreprises ayant exposé leurs salariés à l’amiante. Comment le compte de prévention de la pénibilité s’articulera-t-il avec les financements déjà engagés par les entreprises en matière de prévention dans le cadre de la branche AT-MP ?

Mme Isabelle Debré. – Certains critères de pénibilité sont correctement définis : c’est le cas du bruit, à partir de quatre-vingt-cinq décibels. Les autres critères sont-ils aussi précis et suffisamment uniformisés ? Quand les kinésithérapeutes revendiquent la pénibilité de leur travail, ne risque-t-on pas d’ouvrir une brèche dangereuse pour les finances de l’Etat ? Les personnes polyexposées – comment les définir ? – cumulent-elles les points ? Enfin, une première estimation du coût du dispositif l’a chiffré à 500 millions d’euros en 2020, et 2,5 milliards d’euros en 2040. Or depuis, de nombreuses professions se sont manifestées…

M. Jacky Le Menn. – J’ai présidé des CHSCT d’hôpitaux et d’établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) pendant de nombreuses années.

Prodiguer des soins à des personnes gravement atteintes est une tâche pénible. Les aides-soignants travaillent de nuit, et sont souvent victimes de lombalgies et de troubles musculo-squelettiques. Confrontés à la maladie et à la mort en permanence, certains tombent en dépression. Je vois mal dans ces conditions comment fonctionnera le système de décompte des points.

M. René-Paul Savary. – Le compte personnel de prévention de la pénibilité est une idée intéressante, mais potentiellement stigmatisante, par exemple pour ceux qui ont accumulé des points et sont à la recherche d’un emploi. Quel est précisément son champ d’application ? Le décompte serait fonction du nombre d’heures travaillées : il devrait donc être différent pour les salariés ou fonctionnaires d’une part, et pour les travailleurs indépendants d’autre part, qui choisissent leur volume de travail.

En tant que président de conseil général, je sais que le travail sur les routes est pénible et dangereux, que les travailleurs sociaux sont confrontés à l’agressivité de certains usagers, que le personnel des collèges fait face à l’indiscipline des collégiens, que les fonctionnaires subissent la pression de la réduction des dépenses... A l’échelle d’un département, tout le monde a un travail pénible. Comment va-t-on faire évoluer le dispositif ?

M. Jean-Noël Cardoux. – La sécurité sociale envisagerait d’accorder une prime de 5 000 euros aux artisans coiffeurs pour les aider à aménager leurs postes de travail.

Trouvez-vous normal que la sécurité sociale, censée couvrir des risques et bien qu’elle ait déjà diversifié ses missions, s’empare de questions sur lesquelles nous nous apprêtons à légiférer ?

M. Claude Domeizel. – Quelle différence faites-vous entre un travail pénible et un emploi dangereux ?

Mme Annie David, présidente. – Dans le dispositif, l’accumulation des points donnera droit à une formation. N’y a-t-il pas là transfert de responsabilité de l’entreprise sur le salarié ?

M. Serge Volkoff. – Ce dispositif n’a pas vocation à traiter exhaustivement la pénibilité au travail. Il ne concerne que les pénibilités qui ont un impact sur la santé au grand âge et la longévité. Les facteurs de risques psychosociaux ou les trajets pénibles ont un impact indéniable sur la santé à court terme, mais ils n’influent qu’exceptionnellement sur l’espérance de vie.

Le mécanisme qui nous est présenté incite sinon à rentrer dans la pénibilité, du moins à ne pas en sortir. Le doublement des points offerts aux personnes proches de la retraite est à cet égard éclairant : un fondeur ayant le choix entre une promotion à un poste de chef d’équipe et un départ anticipé n’hésitera pas une seconde.

Sur les seuils d’exposition, toutes les cartes ne sont pas sur la table. J’avais compris qu’ils seraient fixés par décret. Or le Gouvernement travaille sur des hypothèses précises puisque l’étude d’impact indique le pourcentage de salariés exposés à un ou plusieurs facteurs de pénibilité. Vous pourriez l’interroger sur ce point.

M. Serge Volkoff. – L’incertitude qui entoure la définition des seuils empêche d’être plus précis sur l’évaluation financière du dispositif. A quel niveau faut-il fixer la barre ? Il ne s’agit pas de cibler des métiers, car un métier n’est en rien un indicateur de pénibilité – c’est en cela un progrès par rapport aux régimes spéciaux. Partir des conditions de travail est une démarche plus intelligente. Préciser ces critères est à présent du ressort de la négociation.

Elle sera plus complexe pour certains facteurs, comme les postures pénibles, que pour d’autres, mais toujours intéressante.

M. Christian Jacques. – La pénibilité est ce qui empêche de rester en bonne santé le plus longtemps possible après le départ à la retraite. Parmi les dix critères retenus, il manque les rayonnements ionisants et les travaux extérieurs soumis aux intempéries.

Pour répondre à la présidente Annie David, la formation est toujours a priori positive. Il faudrait inciter l’employeur à proposer au salarié une reconversion professionnelle bien en amont au lieu de laisser le soin à ce dernier d’en faire la demande. On peut s’interroger sur l’efficacité du mécanisme proposé : les points accumulés offriront-ils de véritables opportunités de formation aux travailleurs titulaires de métiers pénibles, qui sont souvent les moins qualifiés ?

J’ai récemment rencontré des représentants syndicaux qui se réjouissaient d’avoir obtenu une prime de bruit – de surdité, ai-je rectifié. Ce n’est en effet pas la même chose. Les salariés sont souvent demandeurs de postes exposés à la pénibilité car les compensations financières ne sont pas négligeables, surtout au regard des niveaux actuels de pouvoir d’achat.

Il faut un large débat sur ces questions, comme celui auquel a donné lieu le problème de l’amiante. Rappelons-nous qu’a longtemps perduré un consensus social sur son utilisation. La contribution complémentaire des entreprises pourrait être mieux articulée avec les mesures décidées pour lutter contre la pénibilité du travail, afin non pas d’interdire les compensations financières, mais d’en rendre la négociation moins aisée.

M. Hervé Lanouzière. – Le système de cotisation doit en effet être vertueux. Un mécanisme incitatif de type bonus-malus, favorisant la prévention, sans exclure la compensation, est une bonne idée. Le passage du travail de nuit au travail de jour peut être accompagné financièrement de manière dégressive. Les conventions collectives affichent parfois ce principe sans qu’il soit mis en œuvre.

Je me réjouis que la sécurité sociale ne soit pas qu’un guichet et s’attaque à la prévention. Après avoir rencontré la commission Moreau, nous avons fait, conjointement avec la direction des risques professionnels de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts), une offre de service aux entreprises afin que les caisses nationales vieillesse et maladie, les caisses régionales et nous-mêmes les aidions à réaliser un diagnostic organisationnel et technique de la pénibilité. Conditionner la cotisation à la branche AT-MP aux efforts de prévention va dans le bon sens. J’ai travaillé dans le privé, où rien n’est plus convaincant que le coût de la non-prévention : dire à un chef d’atelier que la compensation d’un trouble musculo-squelettique coûtera 97 000 euros, soit la totalité de sa production mensuelle, c’est l’inciter à faire de la prévention.

Nous pourrions débattre des heures de l’uniformisation des critères. En toute hypothèse, ils conserveront une part d’arbitraire. En matière de bruit, l’employeur est en infraction au-delà de quatre-vingt-cinq décibels, et le seuil d’action, à partir duquel on considère qu’il faut commencer à se protéger, est fixé à quatre-vingts décibels. Fixer le seuil de pénibilité en deçà n’a guère de justification : on ne peut le situer qu’entre quatre-vingts et quatre-vingt-cinq décibels. Autre exemple : selon la position du corps, la déclivité du sol, la température et mille autres facteurs, porter une charge de cinq kilos sera plus ou moins pénible. Nous avons d’ailleurs mesuré les efforts accomplis par les ouvriers d’une entreprise agro-alimentaire : mettre des olives sur des pizzas revient à porter plus de trois tonnes en une journée. Est-ce moins pénible que de soulever 25 kilos par jour en une seule fois ?

Dans le même ordre d’idées, la polyexposition ne se mesure pas. La notion peut en revanche favoriser le débat dans l’entreprise et aider à établir des priorités. Mais

l’appropriation de ces sujets prend du temps et il y aura nécessairement des mécontents. Bref, le consensus sur un seuil est impossible.

La question des équivalences n’est pas simple : les points accumulés par un fondeur valent-ils ceux du salarié de l’usine de pizzas ? A nouveau, il ne peut y avoir de fondement scientifique aux critères de distinction.

Les notions de dangerosité, de pénibilité, de risque et d’usure ne sont pas interchangeables, ni même superposables. Le danger, c’est la capacité intrinsèque d’un objet, d’une situation ou d’un produit à provoquer des nuisances. Le risque est l’exposition de l’homme au danger. Une mer démontée est un danger, mais le risque n’apparaît que lorsque vous allez surfer. La pénibilité suppose que les nuisances ont un effet différé dans le temps : c’est pourquoi l’on raisonne sur l’espérance de vie à partir de la retraite. Soyons clairs, ne créons pas la confusion !

Enfin, les comptes de prévention de la pénibilité devraient être, autant que possible, des comptes vides. Il convient pour cela que les entreprises préviennent l’usure au travail, ce qui suppose une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences qui n’est pas toujours facile à mettre en œuvre.

Mme Isabelle Debré. – Avez-vous eu une étude sur le coût ?

M. Serge Volkoff. – Tant que les seuils ne sont pas sur la table, le chiffrage est difficile. J’imagine toutefois que les estimations du Gouvernement sont cohérentes avec les pourcentages de personnes concernées qu’il indique. Je fais confiance aux statisticiens des ministères pour cela.

M. Georges Labazée. – J’ai assisté hier à la réunion de la Commission consultative d’évaluation des normes. Comment allons-nous concilier toutes ces questions avec la volonté de simplification ?