• Aucun résultat trouvé

Sensibilité des citoyens aux problématiques des PMA (V2.2)

Hypothèse 4 Priorité à la science

2.2. Sensibilité des citoyens aux problématiques des PMA (V2.2)

Composante : Demande de recherche et expertise (France - Europe) Rédacteur : Eric Rochard (relecture Gérard Castelnaud)

Mise à jour : 10 juin 2014

1) Définition et indicateurs

1.1) Définition de la variable

La sensibilité des citoyens aux problématiques des PMA est définie ici comme la capacité des citoyens et des collectifs de citoyens à se sentir concernés/intéressés par certains ou tous les PMA, ou par les enjeux associés à ces PMA.

Elle intègre les facteurs patrimoniaux ou culturels associés à cette sensibilité et les conséquences en matière de gestion de ces espèces.

1.2) Indicateurs de la variable Quatre indicateurs peuvent être considérés :

• La couverture médiatique des PMA

• Le nombre et l’importance des structures et agences s’intéressant à cette thématique

• La place des PMA dans les annonces et les programmes des collectivités

• Les financements accordés aux travaux de recherche sur les PMA 2) Rétrospective

2.1) Un intérêt multiforme pour ces espèces L’intérêt pour les PMA est clairement multiforme.

Ils représentent tout d’abord des ressources alimentaires (cf. fiche V2.3.) surtout en Afrique (e.g. cas des aloses du genre Ethmalosa avec 175 000 t/an pour Ethmalosa fimbriata ; Charles Dominique et Albaret, 2003) ou en Asie du sud-est (e.g. genre Tenualosa qui représente 25% des protéines consommées au Bengladesh ; Blaber, 2001).

Ils sont également le support de traditions locales en France et ailleurs. On peut citer :

• Les confréries et les fêtes, y compris quand l’espèce est devenue rare (e.g. persistance de la fête de l’alose à Cologne encore 50 ans après sa disparition, la fête de l’alose encore cette année 2014 à Lormont, St Pierre d’Aurillac, Macau etc.)

La gastronomie (Figure 6) à laquelle des activités festives sont liées, basée sur des plats régionaux, souvent en association avec les vins régionaux en France (e.g. lamproie à la bordelaise, alose aux pruneaux, matelote d’anguille au riesling, friture d’éperlan de la Seine, saumon fumé, caviar de Gironde). Elles ont contribué au maintien d’une activité économique en zone rurale en lien avec des pêches commerciales (phénomène des tapas d’angulas en Espagne), mais aussi de loisir. Par exemple, à l’échelle de l’aire de distribution de ces espèces avec un lien également très fort avec la période de remontée, la pêche du poulamon atlantique (Microgadus

tomcod) dans la rivière Sainte-Anne au Québec, ouvrant les activités plus

62

Figure 6: Illustrations de la place des PMA dans la Société : carte postale avec la recette de la lamproie à la

Bordelaise, publication présentant la pêche du poulamon atlantique, fête de l’alose à Audon (plus de 800 participants, source Sud-Ouest du 17/05/2014)

Les PMA sont le support d’activités de loisir, comme :

• la pêche du saumon Atlantique (Scandinavie, Russie, Alaska, etc.) avec, par exemple, pour le Québec des retombées importantes (40 M$ et plus de 980 emplois)

• l’écotourisme avec, par exemple, la visite des frayères d’esturgeons dans la Wisconsin, ou encore la remontée des saumons de la rivière Adams

(500 000 visiteurs en 2002,

http://www.youtube.com/watch?feature=player_detailpage&v=hBwCFOasI iY ou encore les chambres de vision installées dans les passes à poissons pour montrer au public des enregistrements de passage de PMA (par exemple sur le site de l’EPTB Vilaine http://www.eptb- vilaine.fr/site/index.php/les-migrateurs/les-passes-a-poissons/video-

passes-a-poissons ). Certains site vont plus loin avec des webcams permettant en direct de suivre ce qui se passe (ex la shadcam installée au barrage de Bosher http://www.dgif.virginia.gov/fishing/shadcam/ pour suivre le passage des aloses)

Ces PMA ont, enfin, des valeurs symboliques :

• Symbole historique (Figure 7) avec les traces laissées par les hommes préhistoriques (saumon atlantique gravé de 25 000 ans),

• Symbole de prestige (Figure 7) avec les éperlans sur les armoiries de Caudebec-en-Caux, source de richesse pour la commune transformés en saumons atlantiques par décret royal, avec les nombreuses représentations dans les blasons des communes (ex esturgeon à Isle- St- Georges et Bonnetan, lamproie à Ste-Terre) et plus récemment au milieu des ronds-points (ex alose à Agen et Macau, esturgeon à St-Georges-de- Didonne ou au bord de l’Oste).

63

Figure 7 : Saumon gravé à l’abri du poisson (Dordogne), blason d’Isle-St-Georges (Gironde) et esturgeon en bois

au milieu d’un rond-point à St-Georges-de-Didonne (Charente maritime)

• Symbole de qualité d’eau, de nature, de saison (Figure 8) et utilisé comme tel par les publicitaires (e.g. publicité de la RATP ou de Décathlon)

Figure 8 : Campagne de la RATP, la grande alose poisson de l’année 2004 en Allemagne, publicité pour

Décathlon

Espèces Nombre d’articles

Aloses 30 Truite 17 Anguille 16 Esturgeon 15 Saumon 12 Lamproies 11 Eperlan 4 Mulet 3 Flet 0

Figure 9 : Nombre d’articles consacrés aux PMA dans le journal Sud-Ouest depuis 2010 (source Google), tous angles d’approche confondus

Ces espèces migratrices, de par leur rôle de symbole et indicateur de qualité de l’eau, de par leur statut sauvage et migratoire (qui, pour certaines les fait comparer par les praticiens à du gibier), de par leur valeur gastronomique, font ressortir les dérives de l’aquaculture intensive (saumon en particulier), les questions de qualité nutritionnelle et gustative, de qualité sanitaire (de certains animaux d’élevage mais aussi des animaux sauvages contaminés, impropres à la consommation et révélateurs de la pollution et dégradation du milieu naturel).

64 2.2) Dispositifs réglementaires et de gestion

En France, ils résultent des Ministères, des collectivités territoriales, des associations de pêcheurs professionnels et amateurs et donc en partie d’une pression et d’une volonté citoyennes (Figure 10) :

• De 1976 à 1981, la mise en place d’un Plan saumon visant à restaurer et réintroduire si besoin le saumon atlantique Salmo salar et la truite de mer Salmo trutta.

• De 1981 à 1986, la mise en place d’un plan « migrateurs » élargi à la grande alose

Alosa alosa, l’Alose feinte Alosa fallax, la lamproie marine Petromyzon marinus,

lamproie de rivière Lampetra fluviatilis, l’anguille européenne Anguilla anguilla et esturgeon européen Acipenser sturio.

• De 1991 à 1995, le Contrat retour aux sources dans le prolongement direct du plan « migrateurs ».

• Création en 1994 des Comités de Gestion des Poissons Migrateurs pour décider de la gestion des PMA à travers un plan de gestion PLAGEPOMI établi à l’échelle des bassins. En fait il ne considère que 8 espèces : l’anguille européenne, la grande alose, l’alose feinte, le saumon atlantique, truite de mer, lamproie marine, lamproie de rivière.

• La création des associations « migrateurs » (statut association loi de 1901) à l’initiative du Ministère chargé de l’Environnement et du Conseil Supérieur de la Pêche (actuellement ONEMA). Actuellement, MIGADO (Migrateurs Garonne Dordogne), LOGRAMI (Loire Grands Migrateurs), Migradour (migrateurs Adour) Saumon Rhin, Seinormigr (Seine Normandie Migrateurs) et BGM (Bretagne Grands Migrateurs). Elles consacrent une partie importante de leur temps à la communication et à la sensibilisation (séminaires, plaquettes, lobbying etc.) (Figure 10).

Figure 10 : Exemples de couvertures des journaux diffusées par des associations « migrateurs » ou des plans

d’action

• Le lancement, en 2009, d’une réflexion pour la mise en place d’une stratégie nationale concernant les PMA (STRANAPOMI) avec comme objectif de donner un cadre national pour les priorisations d’action, de revoir la gouvernance (intégration de nouveaux acteurs) et d’articuler ces décisions dans les SDAGE. Différents scénarios ont été proposés.

• Le plan de gestion européen sur l’anguille, règlement CE du 18 septembre 2007, avec déclinaisons nationales (PGA France du 15 février 2010).

65 2.3) Implication des chercheurs

En 1986 est créé le Groupe Permanent de concertation « poissons amphihalins » qui se transformera en 1993 en Groupe d’Intérêt Scientifique GIS « poissons amphihalins » (GRISAM). Ces groupes rassemblaient des chercheurs de l’INRA, l’Ifremer, le Cemagref (devenu Irstea) et le Conseil Supérieur de la Pêche (CSP devenu ONEMA). Très actif dans les années 1990-2000 avec la gestion d’un appel à projet dédié (financement Ministère chargé de l’environnement), l’organisation de séminaires, journées techniques, il a été par la suite, à l’exception de ce qui concerne l’anguille, moins actif. A noter toutefois depuis quelques temps, les demandes de plus en plus fréquentes d’expertises collectives sollicitées par l’État ou des opérateurs.

3) Prospective

Le statut des espèces migratrices (cf. V1.4) et donc leur prise en charge par des instances réglementaires reflète autant l’intérêt porté par les citoyens aux différentes espèces que leur statut réel. Sur ce point, peu de changement est à attendre. Les espèces phares demeureront car l’intérêt est profondément ancré, en lien avec la pêche de ces espèces, sa « sportivité » (cf. la distinction entre « game fish » et « coarse fish ») ou l’intérêt gastronomique associé. On peut juste imaginer que l’intérêt pour certaines espèces peu prisées comme le mulet porc (Liza ramada) par exemple progresse.

La réforme des COGEPOMI et leur mise en cohérence avec les SDAGE devrait un peu rationaliser les actions (le changement climatique pourrait également y aider) et donner de la cohérence au niveau national. Des opérateurs souhaitent aussi bénéficier d’une analyse des actions financées et des résultats obtenus, le GRISAM est la structure la mieux placer pour coordonner ces expertises collectives.

Les approches autour de la biodiversité (intégrant les PMA dans des approches plus globales) sont actuellement plutôt des approches « en plus » que des approches « à la place de ». Elles se développent mais les financements sur cette thématique sont limités au niveau national (ex arrêt des appels à projet de la FRB en 2013 faute de fonds), ils existent à l’échelle européenne mais aussi à l’échelle de certaines collectivités (e.g. Pas de Calais ;

http://www.pasdecalais.fr/Developpement/La-Biodiversite-dans-le-Pas-de-Calais).

Avec la montée des considérations éthiques envers les animaux (cf. fiche V4.1 sur les outils de mesure), on peut imaginer une augmentation de l’intérêt porté aux PMA : on voit, par exemple, des personnes se mobiliser pour le sauvetage de l’ours « machin » dans telle ou telle région, ce type d’évènement permet d’interpeller sur la disparition de telle ou telle espèce. On peut imaginer que des évènements similaires se produiront avec les PMA dans quelques années (on le voit déjà avec les baleines, les dauphins). On peut en faire l’hypothèse mais sans plus.

4) Hypothèses

Hypothèse 1 (moyenne)

L’intérêt du grand public pour les espèces migratrices est maintenu entrainant la poursuite du soutien des collectivités locales et des opérateurs de l’État. On assiste à une prise en compte globale des PMA dans le cadre des politiques liées à la biodiversité (ex trame verte et bleue). Sur les autres sujets, la focalisation sur certaines espèces phares se poursuit.

66 Les espèces déclinant et les plans de restauration échouant, la Société se détourne se détourne des PMA. Les moyens anciennement affectés aux PMA sont mis sur d’autres sujets de préoccupations.

Hypothèse 3 (haute)

Les PMA sont sacralisés et minutieusement comptabilisés, protégés, valorisés, suite à une mobilisation irrationnelle pour leur valeur patrimoniale et gastronomique. D’une manière générale la sensibilité environnementale de la Société augmente et les PMA deviennent des indicateurs du vivant et à forte valeur symbolique.

5) Références

Balland P., Manfredi A., 2006. Le devenir des programmes de restauration en faveur des poissons migrateurs. Paris: Ministère de l'écologie et du développement durable, Rapport de l’inspection générale de l’environnement 90 pp.

Blaber S.J.M., Milton D.A., Brewer D.T., Salini J.P., 2001. The shads (genus Tenualosa) of tropical Asia: an overview of their biology, status and fisheries. In: Proceedings of the International Terubok Conference, Sarawak, Malaysia (Eds. S.J.M. Blaber, D.T. Brewer, D.A. Milton, C.H. Baiano). Sarawak Development Institute, 9-17.

Bonnieux F., 2001. Évaluation de l'impact sur l'économie régionale de la pêche amateur : l'exemple des salmonidés migrateurs. Bulletin Français de la Pêche et de la Pisciculture 357/360: 421-437.

Charles-Dominique E., Albaret J.-J., 2003. African shads, with emphasis on the West African shad Ethmalosa

fimbriata. American Fisheries Society Symposium 35: 27-48.

Pellegrini P., Rochard E. 2008. Les poissons migrateurs des indicateurs de la qualité des relations des humains entre eux et avec leur milieu. In : L'après développement durable, espace nature, culture et qualité (Eds. A. Da Lage, J.-P. Amat, A.-M. Frèrot et al.). Ellipses, 277-284.

Pellegrini P., Rochard, E., 2008. Gouvernance et poissons migrateurs : analyse de l'outil COGEPOMI. Appel à projet interne "Maitrises". Bordeaux, Cemagref, Muséum National d'Histoire Naturelle: 38.

Rochard E., et al. 2007. Identification éco-anthropologique d'espèces migratrices, emblématiques de la reconquête d'un milieu fortement anthropisé, la Seine. Programme Seine aval, Cemagref Bordeaux, Rennes Agrocampus, Muséum National d'histoire Naturelle: 143.

Rochard E., et al. 2009. Identification of diadromous fish species on which to focus river restoration: an example using an eco-anthropological approach (the Seine basin, France). In: Challenges for Diadromous Fishes in a Dynamic Global Environment (Eds. A. J. Haro, K. L. Smith, R. A. Rulifson et al.). Bethesda (MD, USA), American Fisheries Society 69: 691-711.

Site web de la FGRSQ https://www.saumonquebec.com/QuiSommesNous/QuiSommesNous.aspx

Mission d'animation des Agrobiosciences INRA (www.agrobiosciences.org)

Burgat F., 2014. « ANIMALITÉ », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté septembre 2014. URL :

http://www.universalis.fr/encyclopedie/animalite/

67