• Aucun résultat trouvé

Conclusion du titre

Chapitre 1 L’encadrement juridique de l’expertise du risque biologique au niveau de l’Union européenne

1. Sens de la not ion d’indépendance

Dans un sens général, l’indépendance se définit comme « l’état de quelqu’un qui n’est tributaire de personne sur le plan matériel, moral ou intellectuel » ou encore comme « la qualité d’un groupe ou d’un pouvoir qui n’est pas soumis à un autre, qui est libre de toute sujétion »374 ou enfin comme l’état de quelqu'un, d'un groupe qui juge, décide, sans se laisser

influencer par ses appartenances politiques, religieuses, par des pressions extérieures ou par ses intérêts propres375.

La notion d’indépendance est communément définie comme « le fait de jouir d’une entière autonomie à l’égard de quelqu’un ou de quelque chose » 376.

En matière juridique, la notion d’indépendance est connue comme un principe encadrant les

rapports entre les pouvoirs. Cette notion est au cœur de la conception de la séparation des pouvoirs développée par Montesquieu. Selon lui, la séparation des pouvoirs doit permettre d’éviter la concentration de ceux-ci entre les mains d’une seule et même personne, d’un seul et même organe afin d’assurer le bon fonctionnement des institutions au service des citoyens. Montesquieu établissait l’existence de trois pouvoirs : le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir juridictionnel. Chaque pouvoir doit alors posséder des attributions propres sur lesquelles les autres pouvoirs ne peuvent exercer aucune autorité, aucune pression, aucune influence.

374 V. Indépendance, Larousse en ligne, consulté le 8 juin 2017, disponible sur :

http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/ind%C3%A9pendance/42534.

375 Ibid. 376 Ibid.

188

La définition la plus aboutie de la notion concerne l’indépendance du pouvoir juridictionnel

et a été établie de la façon la plus conséquente par la Cour Européenne des Droits de

l’Homme.

Pour la Cour, le principe d’indépendance du pouvoir juridictionnel est une garantie conventionnelle découlant de l’art 6§1 CEDH, consacrant le droit au procès équitable. Dans son arrêt de principe377, la Cour européenne relève qu’un tribunal au sens des articles 5 et 6 de

la convention est un organe établi par la loi, indépendant et impartial. La Cour reconnaît sa compétence pour le contrôle du respect du principe d’indépendance du tribunal.

Selon les juges de Strasbourg, les magistrats qui composent un tribunal doivent être indépendants. Le principe d’indépendance s’applique tant aux magistrats professionnels qu'aux magistrats non professionnels378.

La Cour EDH considère que l'indépendance des magistrats s'apprécie au regard de conditions objectives (a) et d’une condition subjective (b) qui permettent de valider la mise en œuvre du principe.

a. Les conditions objectives

Pour garantir l’indépendance des magistrats, les juges de Strasbourg ont établi des conditions379 permettant son contrôle. Sont pris en compte le mode de désignation, la durée du mandat, l’existence d'une protection contre les pressions extérieures, par des mesures telles

que l'inamovibilité ou la quasi-inamovibilité des magistrats, ou encore l'impossibilité de leur donner des instructions dans l'exercice de leurs fonctions.

Tout d’abord, le contrôle du mode de désignation des magistrats permet de s’assurer de

l’indépendance du pouvoir juridictionnel vis-à-vis des pouvoirs législatif et exécutif. Ainsi, s’agissant du pouvoir exécutif, dans un arrêt du 3 mars 2005, Brudnicka, la Cour européenne

377 CEDH 18 juin 1971, De Wilde et alii c/ Belgique.

378 V. en ce sens, CEDH ,21 juillet 2009, n° 34197/02, Luka c/ Roumanie, §48, p.9. Ainsi, dans cet arrêt, la Cour

a reconnu que constitue une violation de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, le fait de ne pas appliquer la garantie d'indépendance à des magistrats non professionnels dans un litige, ces derniers étant également vulnérables face à des pressions extérieures.

189 a jugé que les chambres maritimes polonaises n'étaient pas des tribunaux indépendants et impartiaux, car leurs Président et Vice-Président sont nommés par le Ministre de la Justice avec l’accord du Ministre de la Navigation380.

Ensuite, l’indépendance des magistrats doit s’apprécier selon la durée du mandat. Plus le

mandat est long, plus il confère aux magistrats une autonomie fonctionnelle. Cependant, la brièveté d’un mandat ne permet pas en soi de constater le manque d’indépendance des magistrats381. La Cour reconnaît qu’un mandat court, associé à une inamovibilité ou une quasi-

inamovibilité d’un magistrat durant l’exercice de son mandat, offre une garantie suffisante d’indépendance382.

Par ces deux premières conditions, il semble que la Cour retient une conception stricte du principe d’indépendance des magistrats. Cela se justifie aisément par le domaine dans lequel la Cour applique ce principe, à savoir la matière pénale, mettant principalement en jeu des peines privatives de liberté pour les justiciables.

Mais la rigueur du contrôle du principe d’indépendance des magistrats est atténuée par une dernière condition objective : l’existence de garanties contre les pressions extérieures. De fait, l’indépendance se caractérise par l’autonomie décisionnelle. Si un magistrat se situe dans un rapport de subordination, et dès lors, est en situation de recevoir des instructions, de subir l’influence d’autres pouvoirs juridiques (pouvoirs législatif et exécutif) ou de fait (telles que les associations, les groupes d’intérêts ou lobbyistes, les médias), il ne peut être qualifié d’indépendant.

L’absence de garanties contre des pressions extérieures permet pour la Cour de retenir le manque d’indépendance des magistrats. C’est ce qu’elle a jugé à plusieurs reprises à l’égard

des magistrats du parquet, membres du ministère public car ils sont assujettis aux instructions du pouvoir exécutif. Selon la Cour, l’existence d’un rapport hiérarchique entre les magistrats du parquet et le pouvoir exécutif, sans garanties d’indépendance, exclut la qualité d’autorité judiciaire au sens de l’article 5§3 et de l’article 6§1 CEDH, à l’égard des magistrats du

380 CEDH, 3 mars 2005, n°54723/00, Brudnicka et a. c/Pologne.

381V. en ce sens CEDH, 28 juin 1984, Campbell et Fell c/ Royaume-Uni, préc. 382 CEDH 22 oct. 1984, Sramek c/ Autriche.

190 parquet383.

En revanche, l’existence de garanties contre l’influence du lien hiérarchique, telle une

disposition statutaire interdisant au pouvoir exécutif de donner des instructions aux magistrats du parquet dans l’exercice de leur fonction juridictionnelle, suffit à garantir leur indépendance384. Ainsi, la Cour européenne ne considère pas dans ce cas que l’existence d’un

rapport hiérarchique entre les magistrats dans un même litige constitue un manque d’indépendance.

L'indépendance des magistrats peut prendre aussi une dimension interne, c'est-à-dire qu'elle doit se manifester également au sein du pouvoir juridictionnel, induisant qu'aucun magistrat ne doit subir de pressions exercées par un autre magistrat qui lui est hiérarchiquement supérieur. Par conséquent, sont contraires à l'article 6 CEDH, les pressions exercées par un président de juridiction sur un magistrat au cours d'une procédure385.

Concernant la condition subjective, « l'apparence d'indépendance aux yeux du justiciable » doit être mise en exergue386.

b. La condition subjective ou la théorie de l’apparence

La mise en œuvre du principe d’indépendance à l’égard des magistrats se traduit essentiellement par la reconnaissance d’une présomption d'indépendance des juges. Cette présomption a pour conséquence de faire supporter la charge probatoire du défaut d'indépendance des magistrats au seul justiciable. A la faveur de ce dernier, la jurisprudence européenne sanctionne le défaut d'indépendance sur le fondement de la théorie de l'apparence.

383 V. en ce sens CEDH, 26 nov. 1992, Brincat c/ Italie, n° 13867/8,, à l’égard du procureur de la République

italien ; CEDH, 28 oct. 1998, Assenov c/ Bulgarie, n° 24760/94, pour le procureur bulgare ; CEDH, 23 nov. 2010, Moulin c/ France, n° 37104/06, § 59, pour les magistrats du parquet français. V. aussi CEDH 24 nov. 1994, Beaumartin c/ France. Défaut de la qualité de magistrat à l’égard du juge administratif lequel sollicite l’interprétation d’une convention internationale par le Ministre des Affaires étrangères, pour ensuite s’y conformer.

384CEDH 23 avr.1987, Ettl c/ Autriche.

385CEDH, 6 octobre 2011, Agrokompleks c/Ukraine, n°23465/03. 386CEDH, 25 février 1997, Findlay c/Royaume-Uni, n°22107/93.

191 En effet, selon la Cour de Strasbourg, le justiciable peut ainsi se prévaloir de constatations de faits vérifiables laissant craindre un défaut d'indépendance. Dès lors, dans un arrêt rendu le 9 novembre 2006, la cour européenne a estimé que la section contentieuse du Conseil d'État manquait d’indépendance dès lors que l’un de ses membres ayant siégé lors du délibéré d'un arrêt rendu dans le cadre d'une procédure dirigée contre le ministère de l'Économie, a été nommé un mois plus tard secrétaire général de ce ministère387.

La Cour européenne se livre à une appréciation globale, transversale des conditions objectives et subjective du principe d’indépendance. Elles ne sont donc pas cumulatives. Le but poursuivi, soit la garantie d’indépendance des magistrats, doit pouvoir être validé.

La notion d’indépendance prend des sens divers. Mais la notion s’unifie autour de l’autonomie décisionnelle d’un organe ou d’une personne. La prise de décision en toute liberté à l’abri de toute instruction ou pression388caractérise la notion d’indépendance. A l’inverse, l’influence

du contexte institutionnel met en évidence un manque d’indépendance. En matière d’expertise scientifique, l’indépendance prend un sens spécifique qui se cristallise autour de l’indépendance de l’expertise vis-à-vis du contexte institutionnel.