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section 1 Les limites intrinsèques des critères de rattachements de la loi de la société

Section 1 Le siège social et l’incorporation: des critères de rattachement en concurrence

S- section 1 Les limites intrinsèques des critères de rattachements de la loi de la société

20. Le rattachement par le siège social (§1) comme le rattachement par l’incorporation

(§2) sont avantageux, car répondent aux conditions de simplicité et de prévisibilité que nécessitent un lien de rattachement. Ils n’en sont pas pour autant exempts de toutes critiques puisque n’étant pas toujours très objectifs.

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§1. Le rattachement par le siège social

21. Si la définition du siège social est problématique, voire incertaine (A), le conflit de

qualification du siège social n’en facilite pas non plus l’utilisation (B).

A. Une définition incertaine du siège social

22. Tantôt défini comme le principal établissement de la société (1) tantôt comme le centre

de décision de la société (2), il est pratiquement impossible d’aboutir à une constance de la loi applicable si l’élément qui est censé la déterminer est d’une inconstance notoire.

1. Le siège social comme principal établissement de la société

23. Est ici mis en avant le principe de territorialité30. La territorialité est un principe de solution fondé généralement sur la localisation réelle des objets ou des actes visés par le Droit. Dans cette logique, le domicile a été choisi comme référence territoriale des personnes physiques et aussi des personnes morales. Sauf que cette référence est inadaptée au rattachement des sociétés (a). De même, l’utilisation de la notion de “principal établissement“ pour définir le siège social convient mal (b).

a. La référence inadaptée au domicile des personnes physiques

24. Le critère du siège social a été choisi en suivant une analyse par analogie de la

méthode de détermination de la loi applicable à une personne physique. La loi applicable à une personne physique est celle du lieu de situation de son domicile. L’article 102 alinéa 1 du Code civil français prévoit que « le domicile de tout français, quant à l’exercice de ses droits civils, est au lieu où il a son principal établissement ». Pour les personnes physiques, le lieu de leur principal établissement est le lieu où ces personnes vivent véritablement, où leur présence

Page | 38 se manifeste, un lieu de présence permanente, leur résidence ordinaire, habituelle et permanente31. Ont été retenus pour ce faire par la jurisprudence32, les éléments de caractérisation suivants : l’habitation, le lieu de paiement des impôts, d’inscription sur les listes électorales, de réception de la correspondance, les attaches familiales et affectives, pour ne citer que ceux-là.

25. Pour respecter l’analogie des démarches, le domicile de la société, donc son siège

social, serait aussi le lieu de son principal établissement, le lieu où elle manifeste sa présence effective. C’est le lieu notoirement connu des tiers pour localiser une société. C’est l’élément matériel permettant de justifier l’existence d’une société, il exprime la réalité de la société. S. Boulin écrivait qu’il est indispensable de situer les intérêts d’une personne morale en un lieu déterminé, qui joue pour elle le rôle d’un domicile33. Ainsi, l’identification du domicile de la personne morale permettra de la localiser et donc de la rattacher à un territoire. Déjà en 1857, la jurisprudence française avait localisé le siège social au domicile de la société34. Le domicile, qui est déterminé par le lieu du principal établissement, est le siège légal de la personne, le lieu auquel la loi la rattache35. Le siège social est à la personne morale ce que le domicile est à la personne physique : c’est le lieu de son principal établissement36.

26. La compétence de la loi du domicile présenterait des avantages tant au moment de la

constitution qu’au cours de la vie de la société.

27. En ce qui concerne la constitution, les formalités de constitution doivent, pour

l’essentiel, s’effectuer au domicile social. Une entreprise doit obligatoirement avoir un siège social, siège qui est en quelque sorte son « domicile légal ». Il s’agit d’une condition essentielle de son existence ; le lieu de constitution de la société devant, selon certains auteurs37, coïncider avec le futur domicile de la société. Il était logique d’admettre la

31

V. N. RANDOUX, La résidence habituelle, Thèse Lille II, éd. 2009.

32 Civ. 13 janv. 1919, D. 1922, 150 ; Req. 29 juil. 1935, DH 1935, 556 ; Civ. 1ère, 25 juin 1980,

Bull. Civ. I, n°199.

33

Stéphane BOULIN, Le siège social, Thèse Paris II, 2 vol., 1985.

34 Cour de Bordeaux 11 août 1857, D. 1858, 2,60 ; Civ. 20 juin 1870, S 1870, I, 373 ; Lyon 7

janvier 1881, S. 1881, 2, 25 ; Chambéry 25 mai 1883, Clunet 1884, p. 192 ; Paris 26 juillet 1886, Clunet 1888, p. 668.

35 François TERRE, Dominique FENOUILLET, Droit civil, Les personnes, Personnalité- Incapacité-

Protection, Précis droit privé, Dalloz, 8ème éd. 2012, n°202, p. 201.

36

Voir en ce sens Maurice COZIAN, Alain VIANDIER et Florence DEBOISSY,, Droit des sociétés, LexisNexis, 27ème éd. 2014, n°224, p. 128.

Page | 39 compétence de la loi locale, ou loi du domicile, puisque lors de la constitution de la société la plupart des formalités doivent nécessairement s’effectuer au domicile social. Le siège social est l’un des attributs fondamentaux de toute personne morale ainsi que le prévoient les articles 1835 du Code civil et L. 210-2 du Code de commerce38. Cet attribut a pour fonction de localiser la personne dans l’espace et constitue donc le critère principal pour déterminer le lieu de la juridiction compétente en procédure civile, le lieu où sont centralisées les mesures de publicité qui la concernent, la loi qui lui est applicable39. Par contre, il est illusoire de croire que tous les titres40 de la société seront souscrits dans le pays du domicile de la société et par les nationaux de ce pays uniquement. Cette présomption est une présomption simple à l’époque actuelle de la mondialisation. Il est possible qu’une société érige son domicile sur un territoire sans que les investisseurs locaux participent à son capital ; elle peut être entièrement constituée par des souscripteurs étrangers, ou si l’occasion se présente, pour une fraction pas forcement majoritaire, par des souscripteurs locaux.

28. Les avantages de l’application de la loi du domicile étaient censés ne pas se limiter à la

période de constitution, mais s’étendre à la vie de la société. En effet, comme l’écrivait le professeur Loussouarn41, « si le domicile de la société est situé sur le territoire d’un État, c’est vraisemblablement que cette société doit exercer dans ce pays la majeure partie de son activité. En conséquence, elle doit chercher à s’intégrer dans l’économie de ce pays de la façon la plus étroite. La soumission du statut juridique de la société à la loi du domicile facilitera cette intégration et augmentera le crédit de la société ». Il en ressort que la société devrait s’intégrer pleinement au territoire sur lequel elle a son domicile, en y accomplissant son activité. Cet avantage était encore justifié lorsque les sociétés se constituaient et exerçaient dans les limites d’un seul territoire. Avec le développement du commerce international, il n’y a pas toujours correspondance entre le lieu du domicile et le lieu d’exploitation de société.

29. En effet, aujourd’hui, les sociétés exercent la plupart de leurs activités en dehors du

territoire de leur constitution, ou plus précisément du lieu de situation du siège social. La

38 A. Bougnoux, J.-Cl. Sociétés, Traité, voir « Siège social », fasc. 28-30, n°1 39

Jean-Marc Bahans, « L'opposabilité du siège social », Bulletin Joly Sociétés, novembre 2001, n°11, P. 1112, note arrêt CA Paris 2e ch. sect. B, 22 mars 2001, n° 1999/17120, Sté Le Paradis c/ Syndicat Copropriété, 68, Rue J.-J. Rousseau et autres.

40

Avantage qu’invoquait Loussouarn.

41

Yvon LOUSOUARN, Les conflits de lois en matière de sociétés, Thèse, Université de Rennes, rec. sirey 1949, n°48, p. 99.

Page | 40 dissociation du lieu d’exploitation de l’activité et du territoire sur lequel est situé le domicile social ne facilite pas la localisation de la société par les tiers. Si l’activité des sociétés est étendue au plan international, détachant la société du lieu de son domicile, la loi du domicile, ne serait-elle pas limitée dans son efficacité, puisque la même société pourra être localisée sur différents territoires simultanément ? Selon nous, la loi du domicile n’est pas la plus recommandée, dans la mesure où cette loi n’assure pas la protection des intérêts des tiers étrangers au territoire du domicile ; il y aura une discordance entre la loi du domicile de la société et la loi nationale des tiers sur le territoire national duquel se développent les activités de la société. Il serait extrêmement préjudiciable pour un État de tolérer l’empire d’une loi étrangère sur une société qui possède sur son territoire le centre de ses intérêts. Par l’application de cette loi du domicile telle qu’identifiée, les intérêts des États ne sont pas objectivement protégés.

30. Si la détermination de cet élément est relativement aisée pour les personnes physiques,

elle est plus complexe en ce qui concerne les sociétés. De plus, un doute s’installe quant à la nature de principal établissement du siège social.

b. Les inconvénients de l’utilisation de la notion d’établissement principal

31. Comme le domicile des personnes physiques42, la matérialisation du principal établissement des personnes morales tient compte de différents critères, la loi ne donnant aucune définition de la notion de siège social.

32. En appliquant à la société l’idée de principal établissement, une confusion a

naturellement été faite entre approche économique et approche juridique de la question. Selon la première, le siège social serait matérialisé par l’établissement ; ce dernier étant entendu comme centre d’exploitation matérialisant au mieux l’existence de la société. L’établissement est un lieu d’exploitation commerciale, et donc rattaché à un fonds de commerce ou à une activité. Dans cette logique, le critère du siège social (réel) ne tient pas compte de la loi en vertu de laquelle la société a été constituée, mais de la loi sur le territoire duquel la société

42 Le titre juridique selon lequel un individu occupe un lieu n’intervient pas dans la définition

du domicile. Pour déterminer le lieu du principal établissement, les juges peuvent tenir compte de différents critères : résidence habituelle de la personne, siège des intérêts familiaux, siège des intérêts pécuniaires, lieu d’exercice de l’activité principale…

Page | 41 déploie ses activités. En ce sens, le rattachement de la société était à l’espace dans lequel se réalise l’objet social ou encore celui sur lequel se déploie l’activité sociale. Il devrait être l’expression de l’implication économique d’une personne morale dans un marché national.

33. Pourtant, ces deux notions sont bien distinctes. Définir ainsi le siège social sera mettre

en avant le lieu d’exercice de l’activité de la société et donc l’aspect économique dans lequel s’exploite la société. Cette définition s’accordait aux impératifs d’une époque antérieure puisque le lieu où s’exerçait l’activité économique portait la même adresse que le centre de décision. Le lieu de l'établissement principal était dans la majorité des cas le même que celui du siège social pour les sociétés ; mais ce n'est en rien une obligation, il peut être situé à une adresse différente de celle du siège. De plus, la société vit par l’intermédiaire de ses organes, elle peut donc agir en des lieux différents, en ouvrant notamment des agences ou des succursales, à tel point qu’il devient mal aisé de savoir où se situe l’établissement principal43.

34. Une deuxième difficulté apparaît lorsqu’aucune activité n’est exercée dans l’État dans

lequel se trouve le siège social, puisqu’il est censé être le centre du principal établissement. Quelle loi faudra-t-il appliquer en ce cas de fixation de siège fictif? Il faudra dans ce cas sans doute appliquer la loi de l’État dans lequel l’activité réelle est exercée. La recherche de la loi applicable sera faite au regard de l’effectivité de la situation du siège social. Mais la recherche de cette loi risque d’être compliquée si la société exerce son activité réelle sur plusieurs territoires. Dans ce cas, il conviendrait de se référer au siège statutaire, dont l’identification a permis l’immatriculation de la société. Au moins, ce dernier reste saisissable aisément par les tiers. Sera ainsi rejetée toute considération du centre d’activités principal de la société, donc du siège réel ; ce qui était l’inverse dans le cas précédant. Nous pouvons donc en tirer que l’application du critère du siège social n’interdit pas aux entreprises d’exercer leurs activités principales en dehors du pays dans lequel elles ont fixé leur siège social. La conséquence directe de cette conception du siège social est qu’elle autorise les fondateurs à choisir le droit national dont les règles de constitution sont les moins contraignantes pour ensuite étendre l’activité de la société dans plusieurs autres États44.

43

Y. GUYON, Droit des affaires, tome 1 : Droit commercial général et Sociétés, Economica 2003, n°179, p. 186.

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35. Il y a aussi le risque d’un rattachement national purement artificiel. La jurisprudence a

introduit une nuance en précisant que le siège s'entend comme le lieu où sont prises les décisions à caractère stratégiques pour l’entreprise, notamment là où se tiennent les assemblées générales et où sont signés les contrats importants. Cette définition purement juridique ne permet pas d’identifier à coup sûr le lieu où les personnes impliquées dans les décisions de l’entreprise exercent leurs fonctions au quotidien. Le siège juridique peut n'être qu’une adresse abritant au mieux un secrétariat et des salles de réunion. La nécessité d’une attache sérieuse avec le pays dans lequel se trouve le siège social n’est donc pas forcement respectée. Le siège social n’est pas situé nécessairement au lieu du principal établissement de la société. Le siège peut donc se résumer à une adresse, la domiciliation fictive des états- majors.

36. Ce qui confirme le recul de l’identification du siège social au principal établissement

de la société. Le principal établissement, qui représente plutôt le lieu où la société exerce sa principale activité d’exploitation, son industrie ou son commerce, peut se distinguer du lieu où sont prises les principales décisions de la vie de la société, d’où la nécessité de redéfinir le siège social et de repréciser le sens de la notion autour de l’idée de “centre de décision“ de la société.

2. Le siège social, centre de décisions de la société

37. La loi ne définissant pas la notion de “centre de décisions“ plusieurs approches

permettent, au moyen d’un faisceau d’indices, d’identifier ce lieu. En pratique, le lieu de l’établissement principal se rapprochant de l’idée du centre d’exploitation a été remplacé par le lieu de l’existence juridique de la société ; une approche plus juridique du siège social est mise en avant. Le siège social est défini45 désormais plutôt comme le centre de l’entreprise où sont prises les décisions essentielles relatives à l’ensemble de la société. Le siège social a été finalement, par la jurisprudence, défini comme le centre de la vie juridique de la société, le lieu unique où, en principe, fonctionnent les organes de direction et les principaux services de la société. Le siège social est le cerveau et le cœur de la société46. Dans une affaire dans laquelle la société était immatriculée, pour des raisons fiscales, aux Iles Vierges, mais dont le

45

Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, 10ème éd. 2014.

Page | 43 centre de décisions était situé en France au domicile de son dirigeant, et que les opérations commerciales et financières étaient engagées de la France, la Cour de cassation47 a estimé que la société avait son siège social en France. Il s’appréhende dans ce cadre comme le lieu où la société a son principal centre de décisions. Ainsi, est-il pris en compte le lieu où la société est administrée. C’est le lieu où fonctionnent les organes d’administration, où se réunissent les assemblées générales48. C’est au siège que sont prises les décisions essentielles intéressant la société et que se produisent les manifestations principales de son existence juridique.

38. De quels types de décisions s’agit-il ? Le lieu du siège social est en règle générale

celui où l’entreprise a principalement sa direction juridique, financière, administrative et technique49 . Ce critère part du principe qu’une société ayant dans un pays ses organes directeurs peut être présumée y avoir ses préoccupations et ses intérêts principaux. Il ne s’agit en effet que d’une présomption simple. Il s’agirait, par l’utilisation du “et“ du lieu où s’exécutent toutes ces taches à la fois ; mais qu’en sera-t-il si ces directions sont situées sur différents territoires, laquelle sera la plus déterminante ? Il s’agit là de l’une des limites de cette définition du centre de décisions.

39. Dans la réalité des sociétés à rattachement multinational, il n’est pas exceptionnel de

trouver les différents éléments éparpillés sur plusieurs pays, la direction financière dans un pays A, la direction administrative dans un pays B, le bureau technique dans un État C. Par exemple, alors que les assemblées se tiennent en France où se trouve la filiale, les directives émanent de Californie. Il faudra dans ce cas rechercher l’élément le plus objectif ce qui n’est pas évident vu l’importance presque équivalente des deux aspects en cause dans notre exemple. Cette possible dispersion des éléments de définition du siège a été constatée dans une décision du 22 avril 199850 dans laquelle le tribunal a précisé que le siège social « est généralement situé dans le pays où la direction ou le conseil d’administration se réunit et prend les décisions. Cet endroit coïncidera généralement avec le pays où l’assemblée générale des actionnaires se réunit et où les bureaux sont établis. Lorsque ces trois éléments sont dispersés dans différents pays, la localisation de l’établissement principal devient plus difficile. Dans ce cas, il convient de donner la préférence à l’endroit où le conseil d’administration ou la direction se réunit» ; ce qui n’est pas non plus évident puisqu’il nous

47 Cass. Com., 6 janv. 1993, Bull. Joly sociétés 1998, note R. ROUTIER. 48

Civ. 15 juin 1957, D. 57, 596.

49

Civ. 7 juil. 1947, JCP 1947, II, 2871.

Page | 44 est encore donné le choix entre deux éléments. Le lieu d’implantation du siège social ne coïncide pas toujours avec l’endroit où l’entreprise a principalement sa direction juridique, financière et administrative.

40. De plus, le développement des nouvelles techniques d’information et de

communication, avec la vidéoconférence par exemple, complique l’identification du siège social au lieu où sont prises les décisions puisque les administrateurs n’ont pas obligation de se réunir physiquement en un endroit pour tenir une réunion.

41. La notion de siège social reste trop vague pour servir de critère général ; il serait

commode d’éviter d’utiliser une notion fourre-tout51. Ne faudrait-il pas carrément se détacher de cette notion de domicile de la société, centre de la vie juridique, pour la rattacher par l’idée de centre des intérêts principaux. Une société n’est pas qu’une administration. Certes, le centre juridique donne l’impulsion à la société, mais les idées et les décisions prises n’ont qu’un objectif celui de permettre la réalisation, dans les conditions optimales, de l’objet social ; ainsi cet aspect ne peut être mis à l’écart pour ne se cantonner qu’au lieu où fonctionnent les organes de direction. Le siège social devrait être considéré plutôt comme la résidence, puisque lieu de rencontre ponctuelle, de réunions, d’assemblées générales. Dans un contexte où les sociétés ont des actionnaires dans plusieurs pays, ils ne se retrouvent pas à travailler tous ensemble, tout le temps au siège social ; même si celui-ci reste animé de façon