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Il est impossible de rattacher la nationalité des personnes morales à celles des

Section 1 Le siège social et l’incorporation: des critères de rattachement en concurrence

S- section 2 La distinction de la lex societatis et de la nationalité des sociétés

99. Il est impossible de rattacher la nationalité des personnes morales à celles des

personnes physiques lorsqu’on utilise le critère du lieu de naissance. Le domicile ne constate pas l'existence de ce lien, il ne constate que la présence d’une personne sur un territoire délimité. Il se caractérise par son unité et le fait que toute personne en a un ; il n'en va pas de même de la nationalité. Une personne peut aisément être domiciliée sur un territoire sans en être nationale. La nationalité des sociétés n’est pas non plus identique à celle qui se rapporte à un individu ; la force du lien politique dans le dernier cas s’amenuise au profit de l’enjeu économique dans le premier.

100. La jurisprudence a pendant longtemps jugé que les sociétés étaient soumises à leur “loi nationale“. Le problème de l’utilisation du concept de nationalité en matière de société et de la confusion de celle-ci a avec la loi applicable a pour point de départ l’arrêt

Mayol Arbona du tribunal des conflits du 23 novembre 195980.

101. À l’origine de cette affaire, une société espagnole, exerçant son activité commerciale en France, réclamait que la reconnaissance de sa nationalité étrangère afin d’éviter d’être assujettie à un prélèvement en France. Avant tout règlement au fond, le litige donna lieu à un conflit interne et négatif de compétence entre les juridictions administratives et judiciaires qui considérèrent alors qu’elles étaient incompétentes pour trancher la question de la détermination de la nationalité de la société Mayol Arbona. Le Tribunal des conflits, en ce qu’il raisonne par analogie avec l’article 3 du code civil et compare le problème posé par la nationalité des personnes morales au problème de l’état et de la capacité des personnes physiques. Le Tribunal rappelle que la nationalité des personnes morales est distincte de celles des personnes physiques, en précisant qu’à la différence de cette dernière, la nationalité des sociétés ne peut être analysée qu’au cas par cas en fonction de la question principale à propos de laquelle la question de la nationalité est rattachée. En d’autres termes, la question de la nationalité des sociétés ne peut être une interrogation à part entière, mais seulement une question subsidiaire ou accessoire à une question principale. En l’espèce, la question principale portant sur un problème d’assujettissement fiscal donc de la compétence des juridictions administratives, la question de la « nationalité » devait également être tranchée par elle.

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Tribunal des conflits, 23 novembre 1959, « Mayol Arbona », Rev. crit. DIP 1960, p. 180, note Loussouarn ; JDI 1961, p. 442, note B.G.V. ; D. 1960, p. 224, note R. Savatier.

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102. Cet arrêt, du fait de l’emploi du concept de nationalité en matière de société, ravive les discussions doctrinales initiées par Pillet dès 1914. Le débat prend d’autant plus d’importance que la jurisprudence réaffirme de façon quasi constante par la suite la solution selon laquelle une société est soumise à sa loi nationale, soit à la loi de l’État de sa nationalité. Il convient de noter à propos de cette jurisprudence qu’en l’espèce, la Cour de cassation connaissait, comme ce fut le cas dans l’affaire JP Mayol Arbona, au travers d’une question relative au droit fiscal international d’un problème d’allégeance étatique. La cour affirme que « le rattachement à un État (…) n'est autre que la nationalité, laquelle, pour une société, résulte, en principe, de la localisation de son siège réel, défini comme le siège de la direction effective et présumé par le siège statutaire ».

103. Dans un autre arrêt du 4 juillet 192381, la cour de cassation décidait que : « le statut personnel comprend les dispositions de la loi qui ont pour objet de régler la capacité des personnes, soit physiques, soit morales ».

104. L’analyse se résumait à une interrogation : à quelles conditions une société était-elle considérée dans un pays comme nationale ou étrangère ? Dès lors, déterminer la nationalité d’une société revient à rechercher le droit national qui régit son statut juridique. Ainsi, l’idée de rattachement législatif national a-t-elle très souvent été envisagée sous le couvert de la nationalité. Selon T. Tilquin le problème de la loi applicable aux sociétés a été abordé en terme de recherche de la nationalité des sociétés : par une sorte de réflexe anthropomorphique, chaque ordre juridique cherchait à définir quels étaient ses “nationaux “ en ce compris les personnes morales. »82 . Cette approche de la nationalité permettant de déduire la loi applicable à la société de sa loi nationale identifiée en amont a été finalement qualifiée de détour inutile par une large partie de doctrine

105. La nationalité n’a aucun rôle à jouer dans le conflit de lois et la recherche de la loi nationale de la société. Le critère de rattachement à avoir obtenu assentiment de l’ensemble de la doctrine à déterminer la lex societatis est le siège social. Mais, une autre difficulté survient quant à l’utilisation de ce critère de rattachement dans la mesure où le siège social sert aussi de critère de détermination de la nationalité. Ainsi, le siège social devient-il à

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Cass. civ., 4 juillet 1923, S. 1923, I, 81.

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T. TILQUIN, « L’incorporation comme facteur de rattachement de la lex societatis », Revue

Page | 62 la fois le critère de rattachement de la lex societatis et de la nationalité, une unité de critère qui n’est pas sans conséquence83.

B. L’unité du critère de rattachement de la lex societatis et de la nationalité

106. Ce rattachement est tiré de l’article 1837 du Code civil qui dispose qu’« une société dont le siège est situé sur le territoire français est soumise aux dispositions de la loi française ». Ainsi, l’installation en France du siège social entraîne-t-elle la compétence de loi française en tant que loi nationalité de ladite société. Or, cet article ne fait d’aucune façon allusion au concept de nationalité.

107. De plus, lorsque le siège social constitue un élément déterminant de la nationalité, le transfert de ce siège à l’étranger se répercute automatiquement sur la nationalité de la société. L’article L. 225-97 du Code de commerce prévoit que « L'assemblée générale extraordinaire peut changer la nationalité de la société, à condition que le pays d'accueil ait conclu avec la France une convention spéciale permettant d'acquérir sa nationalité et de transférer le siège social sur son territoire, et conservant à la société sa personnalité juridique ». Donc, en déplaçant son siège, la société perdrait sa nationalité d’origine et aussi sa loi, applicable du fait de la localisation de ce siège sur ce territoire, pour se soumettre à la nationalité de l’État d’accueil. Cette dernière remarque permet donc de comprendre l’importance du risque de dénaturation inhérent à l’emploi de ce concept en matière de loi applicable aux sociétés. Il importe donc de dissocier les critères de rattachement de la loi applicable à la société et de la nationalité si l’on veut distinguer les deux notions.

108. Il faudra que la référence législative de la nationalité soit autonome de celle de la loi applicable puisque l’article 1837 détermine la loi applicable et non la nationalité au sens stricte.

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V. not. P. LOUIS-LUCAS, « Remarques relatives à la détermination de la nationalité des sociétés », JCP 1953, I, 1104 ; P. MAYER et V. HEUZÉ, Droit international privé, Domat droit privé, 10ème éd., Montchrestien, Paris, 2010. ; B. Oppetit, note sous l’arrêt « CCRMA », Cass. civ. 1 ère, 30 mars 1971, JCP 1972, II, 17101 ; Ph. Francescakis, « Lueurs sur le droit international des sociétés de capitaux », Rev. crit. DIP 1970, p. 609 ; J. FROSSARD, « Un vide législatif : la nationalité des sociétés »,

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109. Même si cette question de la loi applicable à la société peut se rapprocher de la question de la nationalité, elles doivent néanmoins être distinguées.

§2. L’autonomie du concept de lex societatis par rapport à celui de la nationalité des sociétés

110. La loi applicable à la société et la nationalité sont régulièrement assimilées l’une à l’autre, toutefois elles ne présentent pas le même intérêt, et ne concerne pas le même champ d’application juridique. Ces deux notions répondent à des réalités différentes, de sorte que la nationalité s’attribue un critère de rattachement différent de la loi de la société.

A. Des champs distincts de compétence entre la lex societatis et la nationalité

111. La notion même de nationalité appliquée aux personnes morales en général et aux sociétés en particulier est contestée et renvoie à la controverse qui oppose les partisans de la théorie de la fiction et les défenseurs de la théorie de la réalité de la personne morale. Sans revenir ce débat, une distinction peut cependant être faite entre ces deux notions84.

112. La première raison procède de la possibilité offerte aux tiers par l'article 1837 alinéa 2 du Code civil de se prévaloir à leur choix du siège statutaire ou du siège réel de la société suppose que le rattachement juridique peut changer au gré de la volonté des tiers, ce qui serait inconcevable pour la nationalité de la société. Une autre raison, d'ordre pratique, tient aux effets attachés à l'un et à l'autre. On rappelle que le rattachement juridique permet de déterminer le régime de la société en fonction de la loi qui lui est applicable, la lex societatis. Quant à sa nationalité, pour les auteurs qui en admettent le principe, desquels nous suivons l’approche, elle répond à un tout autre objectif, celui de la détermination de l’étendue de la jouissance des droits de ladite société, les traités internationaux dont elle peut revendiquer le

84 La doctrine en faveur de la distinction entre la lex societtais et la nationalité : H. Synvet,

L’organisation internationale du groupe de sociétés, thèse Rennes, 1979 ; P. Mayer et V. Heuzé, Droit international privé, Domat droit privé, 11ème éd., Montchrestien, Paris, 2014, v. spéc. p. 767, n° 1048.

Pour la position de principe de la jurisprudence française, v. Ass. plén., 21 décembre 1990, Rev. crit.

Page | 64 bénéfice et enfin l’État habilité à exercer la protection diplomatique. Et quoi qu'il en soit des débats théoriques, cette notion a bien son utilité

113. La lex societatis régit essentiellement l'organisation interne de la société, « ce qui n'a aucun sens pour une personne physique faite de chair et de sang »85. De plus, la similitude des textes n'est qu'apparente, car à la notion personnelle de nationalité de l'article 3 du Code civil, les articles 3 de la loi 1966 et 1837 du Code civil substituent un critère spatial, le siège social. Si l'on doit établir une analogie entre personnes physiques et sociétés, à l'évidence, le siège social se rapproche plus du domicile des individus que de leur nationalité, en raison de ses caractères volontariste et objectif. Il est donc erroné de vouloir faire dépendre la lex societatis de la nationalité, sauf à confondre domicile et nationalité. La lex societatis doit en conséquence être directement désignée par le siège social, pris comme facteur de rattachement.

114. Concernant la détermination de la nationalité d’une société, il s’agit de l’expression d’une compétence de l’État à l’égard de son national se traduisant par l’existence d’un lien d’allégeance entre l’État et la société, source de droits et d’obligations. Loin d’être un simple lien juridique, la nationalité est aussi et surtout un lien politique unissant une personne à un État. Elle peut être envisagée sous l’angle de la jouissance des droits et de l’exercice des obligations de la personne morale ; pour savoir si une société est imposable dans tel pays, si elle est en droit de revendiquer la protection diplomatique, si elle peut librement y exercer le commerce, y importer ou exporter des devises, conclure des marchés avec l’État considéré comme sujet ennemi, on recherche sa nationalité. En effet, la nationalité obéit, en droit international privé, à des règles unilatérales qui présentent deux caractéristiques essentielles que sont : l’unité et l’indivisibilité, parce que la nationalité constitue un lien juridique et politique permettant de rattacher un individu à un État souverain. Ainsi, l’État français décide qui peut obtenir la nationalité française, et ne prend jamais partie sur l’attribution d’une nationalité étrangère. L’utilisation de ce concept, non plus de façon unilatérale, mais de façon bilatérale en matière de loi applicable aux sociétés conduit donc implicitement à reconnaître à une personne morale une pluralité de nationalités possibles, voire même de conférer à la société une nationalité étrangère alors même que l’État concerné

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Cass. com., 9 avril 1991, Rev. sociétés , 1991, p. 750, note R. Libchaber ; H. Synvet,

L'organisation juridique du groupe international de sociétés, thèse Rennes, 1979, p. 161, remarque

Page | 65 ne la lui reconnaîtrait pas dès lors qu’il n’y aurait plus concordance entre le siège social statutaire et le siège réel.

115. Dès lors, un État serait dans l’impossibilité d’attribuer à une société une nationalité étrangère, mais il pourrait a contrario décider en se conformant à sa règle de conflit de lois d’appliquer à une société est soumise à une loi étrangère déterminée sa loi. Comme le dit Béguin, rompre le lien entre loi applicable et nationalité signifie qu’à la première question, on répond par le choix d’une loi qui peut être la loi française ou une loi étrangère, tandis qu'à la seconde, on répond en qualifiant la personne morale de française ou d’étrangère.

116. Cette rupture du lien entre nationalité et loi applicable induit une différence entre règle de conflit et attribution de nationalité. La France se reconnaît la faculté de décider que la loi américaine ou japonaise est applicable à une société et de la lui appliquer. Elle se reconnaît aussi, bien entendu, le droit de décider si une société a la nationalité française ou non. Elle n'a pas, en toute rigueur, à décider qu'une société, à laquelle elle n'attribue pas la nationalité française, a la nationalité américaine ou japonaise.

117. La jurisprudence a pris la bonne habitude de mentionner les sociétés comme étant des sociétés de droit étranger et non comme des sociétés étrangères, ce qui dénote une fois de plus l'inadéquation de la notion de nationalité des sociétés. À titre d'exemple, dans l’un des arrêts, il est fait mention d'une « société de droit espagnol » et non pas d'une société espagnole. Ceci permet de mettre en évidence que la question porte sur la loi applicable et non sur la nationalité de la société. Il est d'ailleurs, à notre avis, infondé que le professeur Libchaber vienne remettre en question l’utilisation de cette terminologie. Selon lui, on ne peut pas savoir si la Cour de cassation française a entendu affirmer que les sociétés en question sont soumises au droit de l'État où leur siège social se situe, ou si elles doivent être considérées comme des sociétés disposant de la nationalité de l'État où leur siège social se situe. Certes, on peut estimer que la formulation de la Chambre commerciale est un peu confuse avec la référence qu’elle fait à la notion de loi nationale, il nous paraît cependant inapproprié de vouloir complexifier la compréhension de l'arrêt de cette manière. Lorsque la Cour de cassation française utilise la notion de société de droit espagnol, elle le fait volontairement au détriment de l’expression de société espagnole utilisée auparavant. Elle opère donc une modification dans sa formulation, et dans son approche, qui au regard de ces précédents arrêts nous indique la manière selon laquelle elle doit être interprétée, alors,

Page | 66 pourquoi vouloir lui faire dire ce qu'elle ne dit pas. D'autant que la Cour de cassation française a, dans le passé, utilisé cette notion de société de nationalité X ou Y, et qu'elle a donc changé pour reprendre celle de société de droit X ou Y. Le législateur pourrait donner droit de cité légale à la sémantique adoptée par la cour de cassation qui apparaît à tous égards excellente et qui consiste, non à dire « sociétés de nationalité française ou de nationalité britannique », mais : « société de droit français ou de droit britannique ». Cette sémantique a, en effet, l’avantage d’éviter toute confusion entre le concept de nationalité appliqué aux personnes physiques et le concept de nationalité étendu aux sociétés commerciales. Elle met opportunément l’accent sur l’essentiel : s’agissant des sociétés, l’essentiel est leur rattachement à un système juridique et non à une citoyenneté86.

118. Le détachement de la nationalité se traduit aussi par son rattachement à un critère différent de celui de la lex societatis.

B. Le rattachement de la nationalité à un critère diffère de celui de la lex societatis

119. Il nous paraît important et déterminant, pour l'avenir, que la Cour de cassation française harmonise sa jurisprudence pour clarifier une situation juridiquement erronée et qui n'a plus lieu d'être, celle de la confusion entre nationalité des sociétés et lex societatis. Si la distinction est acquise en doctrine, il convient de s'interroger sur sa réalisation en matière législative, car celle-ci nécessitera sûrement une modification profonde des textes.

120. Pour assurer la distinction entre nationalité des sociétés et lex societatis, il convient de leur fixer des critères de rattachement distincts à l’une et l’autre des deux notions. Puisque la recherche du rattachement idéal de la lex societatis fera l’objet de développement postérieur, nous nous attarderons à ce niveau uniquement à la recherche du rattachement de la nationalité des sociétés. Quel pourrait donc être le critère de rattachement de la nationalité des sociétés ?

121. De prime abord, nous ne retiendrons pas le rattachement par le seul critère de l’incorporation parce qu’elle présente l’inconvénient de créer un lien de rattachement très

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Jacques BÉGUIN, « L’évolution de l’environnement international et communautaire de la loi du 24 juillet 1966 », Rev. Sociétés Juill.- sept. 1996, p. 516.

Page | 67 mince, voire artificiel. En effet, le lien entre la société et l’État peut se limiter à l’enregistrement des statuts et l’existence d’une adresse postale. Nous proposons donc a priori un rattachement par le siège social.

122. En restant sur un rattachement par le siège social, la première solution serait de préciser le siège à retenir entre siège réel et siège statutaire. Il faut d’abord préciser le siège social le plus adéquat pour répondre aux besoins de rattachement à une nationalité. Il est possible de certifier le rattachement de la nationalité au siège réel uniquement, idée que nous partageons. Pourquoi choisir de rattacher la nationalité des sociétés par le lieu de situation de leur siège réel ? Le siège réel correspond au lieu où est exercée la direction effective de la société, soit au lieu de résidence des organes de direction, soit au lieu de tenue des assemblées. Le critère du siège réel exige donc que la direction de la société soit assurée effectivement sur le territoire d’un État pour pouvoir acquérir sa nationalité. L’impulsion de la société vient de ce lieu. Il crée donc un lien suffisant avec le territoire pour bénéficier de sa nationalité.

123. Si sa nationalité est tributaire du lieu du siège réel de la société87, la loi qui lui est applicable dépendra quant à elle de son siège social statutaire, car en tant que critère de rattachement de la loi applicable le siège réel contribue à dissuader le maintien de centres de décision sur le territoire français.

124. La seconde solution serait une combinaison des deux sièges, c’est-à-dire qu’une société sera nationale de l’État dans lequel elle a son siège réel et selon la loi duquel elle s’est constituée. Certains traités exigent d’ailleurs ce rattachement combiné. Par exemple, l’article 1.2.b du traité bilatéral d’investissement Gabon – Belgique (1998) considère comme national d’une Partie, « toute personne morale constituée conformément à la législation de