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Sebastião Salgado Chantier du canal du

Dans le document Quelles(s) image(s) de la migration ? (Page 48-52)

1.1 Être réfugié.e syrien.ne au Liban et dans L’Essonne

8. Sebastião Salgado Chantier du canal du

Rajasthan,

Inde, 1990 50 x 60 cm.

LES INFORMATIONS ÉCRITES ET ORALES

Le film démarre sur un écran noir avec ma voix off qui pose le

contexte : « Nous sommes en août 2018 dans la Plaine de la Be-

kaa au Liban. » J’identifie ensuite le personnage qui apparaît seul

et de dos. Voici mes premières paroles : « Abdalah est employé

dans une ferme dans laquelle se trouve aussi sa maison. Aupara- vant vivement impliqué dans l’opposition au régime de Bachar El Assad, il étouffe le cri de son combat sous celui de sa moto, aux déplacements d’ailleurs bien limités. Avec lui je me dirige vers

des camps […] » La première personne du singulier indique mon

implication et rompt avec la déontologie du journalisme. Cela se confirme par un timbre de voix affecté. Un deuxième mode d’énonciation fait la transition entre le premier et le deuxième plan. Un texte s’affiche et dit : « Un million et demi de réfugiés syriens vivent au Liban et malgré leur absence de droit, ils parti- cipent à l’économie du pays. » Tout en prenant position, ce texte reste neutre. Il se rapproche de l’écriture journalistique.

DE L’IMAGE AU SON

À aucun moment le film n’est plongé dans un silence total. Les

images fixes conservent le son d’ambiance enregistré au même moment. Toutefois la première partie se focalise sur le visuel, ne

pouvant pas moi-même toujours comprendre les conversations.

Je les imagine alors par l’image. On entend les enfants crier et les

plus grands au loin. Dans la dernière partie de la vidéo, l’image

s’assombrit et perd en précision. En même temps que l’on passe

du jour à la nuit, de la couleur au gris, l’image s’abîme. D’abord en haute définition elle finit brouillée et pixellisée. L’imaginaire doit reconstituer cette perte d’informations visuelles. Pour gagner son terrain j’applique un son de fond qui pour la première fois ne correspond pas à l’image. Il s’agit d’enregistrements d’avions au

décollage et à l’atterrissage empruntés sur internet. Ce son évolue crescendo. Il intervient d’abord comme un vrombissement puis prend de l’ampleur avec les images d’enfants captés en plein saut. Son niveau sonore atteint son seuil lorsqu’ils feignent de s’envoler avec leurs bras battant comme des ailes.

MONTAGE CHRONOLOGIQUE

Le montage suit un fil chronologique, fidèle à celui de mon dé- placement. Pour donner une sensation d’avancée, j’ai sectionné un plan tourné en moto dont on retrouve trois fragments dans la première partie. On y voit la caméra opérer un travelling vers l’avant, obtenu par la trajectoire du véhicule.

Le conducteur de la moto se retrouve dans une image fixe au milieu du film. Il se tient à côté du véhicule à l’arrêt en pleine nuit. Cette image annonce implicitement un changement d’es- pace. Elle se recouvre de galets tressautant par un effet de fon- du-enchaîné, le seul du film. On se retrouve ensuite dans une usine de découpe de marbre.

Le montage réintègre l’émulation collective des enfants, en lais- sant entendre leurs cris et leur agitation par des séries d’images successives. Cela se ressent par des effets de contraste notamment lorsqu’un plan d’une petite fille calme s’encastre avec celui d’une bagarre entre des garçons.

DRAMATISATION

La complexité de la situation est gérée par les réfugiés eux-

mêmes, par des initiatives locales et par des associations hu-

manitaires internationales. Je tente de saisir l’évolution de ces

gens et de ces lieux. Dans le film on peut voir des matériaux de construction, des câbles qui se renforcent, des regards fiers por- tés vers l’horizon, des ventres en phase de création et des corps

qui se soulèvent.

L’image tente d’intégrer l’état ambiant. Quand je filme des in- dividus dans un environnement faiblement éclairé, je ne cherche pas à intervenir sur la lumière pour rester fidèle au contexte. Cela induit des images pixelisées dont la baisse de qualité, de netteté et la pauvreté tonale correspond à la monotonie de l’espace. A

contrario,« l’exaltation des couleurs vives qui nappent les corps

des Syriennes », pour reprendre une phrase de l’un de mes films,

s’explique par la présence du soleil. J’ai rencontré des situations de grand soleil dans les camps de réfugiés syriens. Et les images hautes en couleur que j’en retire conservent la chaleur ressentie.

Deux types de techniques interviennent pour sonder le mou- vement des objets et des corps. Elles me servent d’intermédiaires

entre les images fixes et en mouvement. À la deuxième minute

du film, j’emploie le procédé du slow-motion. En ralentissant l’image, il permet d’attirer l’attention sur les matériaux com-

posites qui revêtent une bâtisse dans un camp. À trois reprises

j’utilise la technique du stopmotion. Par exemple à la troisième

minute, une image fixe s’anime par une série d’images rapides. Elle montre des enfants jouant avec des petits véhicules, en partie conçus à partir d’objets recyclés. La dernière séquence du film montre un stop motion de trente secondes. Il représente des en- fants qui prennent leur élan pour s’envoler. Leurs silhouettes en contre-jour s’élancent dans un ciel anthracite et nuageux. Dans

l’arrière-plan en contrebas, la cime des arbres se dessine. Ces

photos convoquent un registre pictural qui dépeint la tentative de produire des “tableaux instantanés”, pour reprendre l’expre-

sion du photographe reporter Luc Delaye21.

21 DELAHAYE Luc, « Les “tableaux d’histoire” contemplatifs de

Luc Delahaye », propos recueillis par Michel Guerrin, Le Monde, 3 mars 2003, in DAGHIGIAN Nassim, dossier sur Luc Delahaye, p. 17, acces- sible en ligne sur https://issuu.com/photo-theoria/docs/luc_delahaye (consulté le 29/12/2018).

1.2 Des jeunes Algériens à Barbès

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