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1.1.1.2 Le photomaton : une fabrique à docu ments subjectifs

Dans le document Quelles(s) image(s) de la migration ? (Page 109-113)

Jouer dans le hors-champ

Mathieu Pernot joue avec la prétendue transparence de la pho- tographie qu’il pousse à l’extrême en révélant le dispositif de monstration. Dans la série des Photomatons (1995 - 1997, Arles) il fait apparaître l’outil cadrant des portraits hors-normes, dispo- sés à proximité de portraits d’identités. Il démontre la puissance de contradiction de la photographie en en faisant un document

auto-réflexif. Dans son exposition Traversée présentée au Jeu de

Paume en 2014, il aligne une série de portraits d’enfants tsiganes

faits à partir de photomatons.

Le procédé du photomaton91, comme le rappelle Olivier Lugon,

se substitue à l’art du portrait qui nécessite l’assistance d’un pho- tographe. Il marque cette arrivée de la photographie, conservée par l’élite bourgeoise, dans les milieux populaires. Tout le monde

91 Le photomaton, tel qu’on le connaît aujourd’hui, se développe à partir de 1926 sous le nom d’ « automate à portrait ».

21. Mathieu Pernot, Sans titre, Arles, 1995-1997 (à gauche), série Photomatons, 1995-1997, Photomaton couleur, 4,8 x 4 cm / Priscillia, Arles, 1995 (à droite), série Cabine du photomaton, 1995, 180 x 70 cm

peut décider de sa propre image, jusqu’à devenir « maître de son

destin92 ».

L’écho aux portraits signalétiques, anthropométriques, de face

et de profil, imposés aux gens du voyage, a disparu. Il se défait

de ces systèmes de représentation par une prise de recul sur ce dispositif normatif et identitaire. Il instaure un rapport de dis- tance prononcé par l’ajout de larges marie-louise encadrant les portraits. Par la répétition du protocole, apparaît la mobilité des sujets. Avant de se rapprocher pour mieux les voir, les visages ressemblent à des dessins faits à l’encre de chine cherchant à s’ex- traire du cadre. Ces petites vignettes vibrent par l’agitation des sujets en quête d’une liberté maximale devant cet appareil for- matant. Le protocole devient un jeu pour les enfants, un espace pour leur imaginaire. Aucun portrait ne respecte la norme. Les cheveux et les mains dissimulent parfois son identité visuelle. Quand le visage apparaît avec une expression neutre, il s’oriente de trois quart ou de profil. On peut observer des grimaces avec des yeux écarquillés ou crispés par les pleurs. Mathieu Pernot montre d’autres manières de détourner le photomaton. Dans une photographie de Mickael prise en 1996, le garçon attrape la barre soutenant les rideaux pour faire des tractions.

Arrêtons-nous rapidement sur une série de photographies présentes dans son livre Les Gorgan (1995-2015), édité en 2017, éclairant la notion de contre-champ.

92 MENTE Otto , « Rund um die neuen Photo-Automenten », Das

Atelier des Photographen, vol.35, n°9, 1928, p.108, trad. française in LU- GON Olivier, Paris, Macula, p. 195.

Mettre en page le hors- champs

Sur une double page de l’« album de famille », pour reprendre l’expression de Mathieu Pernot dans l’introduction du livre, on voit une petite fille représentée sous plusieurs angles, à gauche par celui du photomaton et à droite par celui du photographe. Il s’agit de Priscilla, dans la Série des Photomatons. En regardant la totalité du catalogue, on devine que c’est elle, l’aînée des trois sœurs, qui est la plus timide des enfants. Ce photomaton lui per- met de se cacher tout en exposant son image. Cet espace intime la laisse en pleine possession de ses moyens. Elle choisit de don- ner l’image d’elle-même qu’elle souhaite dans la limite d’un cadre. Ce n’est plus le photographe qui prend mais le sujet qui donne via un outil de photographie objectif. Pourtant le sourire crispé de

la petite fille laisse transparaître une gêne. L’ironie est qu’elle se

cache les yeux. Elle signifie peut-être là le malaise de répondre à la commande de l’artiste, dont l’impact sur la photo reste iné- luctable.

Incorporer l’image de Priscilla à cet ensemble, la fait passer du stéréotype à l’individu identifié. On ne projette plus nos fan- tasmes sur une image. C’est elle qui nous renvoie sa personnalité, qu’elle contrôle en choisissant ou non de se présenter à la caméra. Les cheveux hirsutes de Priscilla ne renvoient plus à une hygiène

maltenue mais s’imposent tel un marqueur de distinction iden-

titaire. L’image de l’indigène vu comme un paria prend ici une dimension rebelle.

Le photomaton intervient comme un prétexte participant à la déclinaison du portrait. L’image sur la page de droite de la petite fille perchée sur le tabouret réglable nous donne à la fois accès au point de vue du photographe et du sujet lui-même. Mathieu Pernot pousse ici la notion de hors-champ à l’extrême. Pernot

trant le cadre de l’entrée comme espace de contrainte. En faisant disparaître la structure externe de la cabine, le regardeur a accès uniquement à ce que la fillette peut voir. La composition laisse

penser que toutes ces photos ont été prises dans un même laps

de temps. En regardant de plus près, on observe une différence dans ses habits et dans la teinte des images. L’avant-dernière pho- to de la bande est la seule qui corresponde à l’image de la petite fille sur la page de droite. L’écart temporel entre les autres images se confirme avec la dernière photo. Par l’expression identique du

sourire crispé sur un visage plus mûr, on comprend qu’il s’agit

de la même petite fille quelques années après. En considérant la période de prise de vue, on sait que Mathieu Pernot utilise des pellicules argentiques noir et blanc. Contrairement aux autres,

la première photo de la bande semble incolore, laissant imaginer

qu’elle n’a pas été prise par ce photomaton. Le visage de profil contredit l’attitude que l’on a généralement devant cette machine qui ne cadre pas. Dans l’objectif de se dissimuler, on suppose que l’enfant n’est pas responsable de la photo. Ces indices amènent à penser que Mathieu Pernot a lui-même pris et intégré cette pho- to à la composition pour recouvrir tous les angles. Un rapport de dépendance s’installe entre ces photos, pourtant toutes diffé- rentes.

1.1.1.3 Un album de famille produit par un «

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