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Partie I: Contexte des connaissances et Cadre conceptuel

Chapitre 7 : Intérêts d'un score socio-économique au niveau individuel

7.2 Score individuel de précarité socio-économique

Joseph Wrezinski et Peter Townsend s'accordent pour identifier 12 domaines, afin d'appréhender de façon statistique la précarité socio-économique (PSE) : Conditions matérielles et événements graves de l’enfance, Niveau d’étude, Situation professionnelle, Revenus , Composition du ménage, Logement, Protection sociale, Liens sociaux, Loisirs et culture, Difficultés financières, Recours au soins et la Santé perçue. C'est d'ailleurs, à partir de ces domaines qu'une équipe française a produit un score de précarité sociale, appelé EPICES.

Le score EPICES

Le score EPICES, où l'acronyme signifie Évaluation de la Précarité et des Inégalités de Santé pour les Centres d'Examens de Santé (CES) est le fruit du travail collaboratif entre le Cetaf (Centre Technique et d'Appui et de Formation des CES), les CES de l’assurance maladie, et l’École de santé publique de Nancy qui avait pour objectif d’identifier les populations en situation de difficulté sociale ou matérielle, en tenant compte de toutes les dimensions de la précarité.

Depuis 1946, le code de la sécurité sociale fait obligation aux caisses d’assurance maladie de proposer à l’assuré du régime général et aux membres de sa famille un examen de santé gratuit. C’est ainsi que pour remplir leurs missions, les organismes de sécurité sociale ont progressivement créé des Centres d'Examens de Santé (CES) qui proposent des bilans de santé à leurs ayants droit. À l’origine, les examens de santé étaient destinés à répondre aux priorités sanitaires d’après-guerre (lutte contre le développement des maladies infectieuses telles que la tuberculose et la syphilis, la prévention des maladies carentielles génératrices d’une grande morbidité) et ont peu évolué dans le temps, jusqu’à la parution de l’arrêté du 20 juillet 1992 qui prend en considération les nouveaux besoins de santé de la population, notamment en situation de précarité. Désormais, les examens de santé doivent être tournés prioritairement vers les assurés en situation de précarité définis sur des critères plutôt socio-administratifs comme : être chômeurs, bénéficiaires du RMI, SDF, jeunes 16-25 ans en insertion professionnelle. Du fait du caractère multidimensionnel de la précarité, les critères socio-administratifs sont insuffisants pour un large repérage des populations en difficultés. C’est dans ce contexte qu’un score individuel de précarité, appelé score EPICES, a été créé [133, 134].

Pour rendre compte de la méthodologie employée pour créer ce score, il faut distinguer la phase de création du score de celle de la validation. Pour la phase de construction du score, 7208 personnes âgées de 16 à 59 ans, examinées dans l’un des 18 CES volontaires au cours de l’année 1998, ont répondu à l’issue de la consultation, à un questionnaire composé de 42 items binaires (questionnaire étant utilisé pour l'analyse des populations, lors des enquêtes INSEE), explorant les différentes dimensions de la précarité telles que définies par Joseph Wrezinski et Peter Townsend.

Une analyse factorielle de correspondances multiples (AFCM) a permis, dans un premier temps, d’identifier un axe majeur le long duquel s’ordonnaient les caractéristiques allant de l’aisance sociale à la situation la plus défavorisée. Cet axe a été interprété comme le reflet du gradient social lié à la précarité, et la position d’une personne sur cet axe constituait un indicateur quantitatif de son degré de précarité. Dans un second temps, des scores bruts ont été calculés pour chaque individu. Ceux-ci correspondaient à la somme des coordonnées des modalités observées par l’individu sur cet axe majeur. Par la suite, la sélection d’un sous-ensemble d’items contribuant à expliquer au mieux la position sur l’axe majeur a été possible à l’aide de modèles de régressions linéaires multiples où la variable à expliquer était « le score brut sur l’axe majeur » et les variables explicatives les 42 items. C'est alors qu'un sous-ensemble réduit de 11 questions expliquant 91 % de la variance du facteur « précarité » a été sélectionné. De nouveaux scores individuels « score-11-Brut» calculés à partir des coefficients de régression de la sélection du sous-ensemble d’items ont été attribués à chaque individu et normalisés pour varier entre 0 (absence de précarité) et 100 (précarité maximale). Enfin, une dernière régression multiple avec comme variable à expliquer « le score-11-Normalisé » et comme variables explicatives les 11 items retenus, a permis de déterminer les « poids » de chaque question (tableau 1), donnant la règle de calcul du score au niveau individuel. Les propriétés psychométriques du score n’ont pas été explorées en détail. Seule la cohérence interne du score a été évaluée à l’aide de l'alpha de Cronbach et qui s’élevait à 0.410.

La phase de validation du score a été menée sur 197 386 âgées d’au moins 18 ans, consultant dans l’un des 113 CES de France en 2002, et ayant répondu aux 11 items du Scores EPICES, lors d’une procédure standardisée dans tous les centres participatifs qui comprenait : Questionnaire Epices + examen médical et dentaire + tests fonctionnels. La validation du score se résume à l’étude des liens, à l’aide des tests de chi-2 et estimation des OR, entre Quantile de score EPICES et indicateurs socio- administratifs, de mode de vie, d’accès aux soins et de santé récupérés durant la consultation. Les résultats de la validation du score montrent que le score EPICES est lié au niveau d’études et à la catégorie socioprofessionnelle (CSP).

En effet, le score moyen augmente avec les positions socio-économiques les plus favorisées (licence ou plus /cadre ) aux moins favorisées (illettrés / Inactifs ). De plus, ce score est lié de façon statistiquement significative à tous les indicateurs de mode de vie (Tabagisme, sédentarité, prise de psychotropes) , d’accès aux soins (Absence de suivi médical, dentaire et gynécologique ) et de santé (Maigreur/obésité, anémie, santé perçue, caries dentaires, HTA) par une relation « score- dépendantes ». C'est-à-dire que le risque de survenue de ces événements ajusté sur les CSP et indicateurs administratifs, augmente du quantile 1 (absence de précarité) au quantile 5 (précarité maximale).

Tableau 9: Liste des 11 questions du score EPICES et les coefficients attribués selon la modalité de la réponse

Questions Coefficients selon

la réponse Oui Non

1 Rencontrez-vous parfois un travailleur social ? + 10.06 0

2- Bénéficiez-vous d’une assurance maladie complémentaire ? -11.83 0

3 Vivez-vous en couple ? -8.28 0

4- Êtes-vous propriétaire de votre logement ? -8.28 0

5- Il y a-t-il des périodes dans le mois où vous rencontrez de réelles difficultés financières à faire face à vos besoins (alimentaires, loyer, EDF…) ?

+14.80 0

6- Vous-est-il arrivé de faire du sport au cours des 12 derniers mois ? -6.51 0

7- Êtes-vous allez au spectacle au cours des 12 derniers mois ? -7.10 0

8- Êtes-vous parti en vacances au cours des 12 derniers mois ? -7.10 0

9- Au cours des 6 derniers mois, avez-vous eu des contacts avec des membres de votre famille autres que vos parents ou vos enfants ?

-9.47 0

10- En cas de difficultés, il y a-t-il des personnes de votre entourage sur qui vous puissiez compter pour vous héberger quelques jours en cas de besoin ?

-9.47 0

11- En cas de difficultés, il y a-t-il des personnes de votre entourage sur qui vous puissiez compter pour vous apporter une aide matérielle?

-7.10 0

CONSTANTE 75.14

Pour le calcul du score, les 11 questions doivent être renseignées. Chaque coefficient est ajouté à la constante si la réponse à la question est cochée « oui ». Pour une personne qui n'a répondu que par la négative, la constante n'est pas prise en compte et son score vaut 0. Prenons l'exemple d'une personne qui a répondu « oui » aux questions 1, 2 et 3, et « non » aux autres questions, le score EPICES = 75,14 +10,06 - 11,83 - 8,28 = 65,09.

Le Score EPICES permet un repérage plus fin des individus précaires pour le domaine de la santé. En effet, les populations « précaires » selon des critères socio-administratifs et « non précaires » selon le score EPICES ont en moyenne un bon niveau d’accès aux soins et un bon état de santé. En revanche, les populations « non précaires » selon critères socio-administratifs et « précaires » selon le score EPICES présentent un manque d’accès aux soins et un état de santé plutôt médiocre d'après les résultats publiés en 2002 [133]. D’autres éléments de validité du score ont été explorés dans l'étude publiée en 2015 [134]. Cette étude, qui incluait 183 670 personnes ayant consulté dans un des sept CES du Nord-Pas-de-Calais entre janvier 2002 et décembre 2007, avait pour objectif d'évaluer la fiabilité du score EPICES. Cette étude a montré que les scores EPICES, et les deux principaux indices écologiques de défavorisation de Townsend et Carstairs-Morris étaient fortement corrélés entre eux et que ces trois indicateurs, pris séparément, étaient corrélés avec des caractéristiques sociales, des indicateurs de morbidité, l'utilisation des soins de santé, et la mortalité.

Nous retiendrons qu'il s'agit d'une proposition de score qui quantifie la précarité individuelle, qui prend en compte différentes dimensions de la précarité (avec une dimension sociologique et matérielle), qui repose sur 11 questions oui/non et qu'il est validé sur un échantillon de taille très importante. Il permet d’identifier des populations fragilisées socialement et/ ou médicalement qui n’étaient pas détectées par les critères socio-administratifs. Bien que l'utilisation du score EPICES soit courante dans l'ensemble des CES de France, son introduction dans les autres services médicaux prend du temps et son utilisation dans des travaux de recherche reste limitée. Toutefois la publication récente de janvier 2015 dans une revue européenne [134], devrait aider à une meilleure visibilité et une plus large diffusion de cet outil.