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UNE SCIENCE « MODERNE » LIÉE AU « PROGRÈS » ET DÉPOURVUE DE

CHAPITRE III LES « LUMIÈRES » DE LA SCIENCE TRANSMISES À LA « JEUNESSE » :

2. UNE SCIENCE « MODERNE » LIÉE AU « PROGRÈS » ET DÉPOURVUE DE

Et si les « bases solides » sur lesquelles s’appuyait le savoir transmis par les maîtresses ursulines étaient révélatrices d’un goût pour le savoir, d’un désir d’instruire, plus que modestement, les pensionnaires? Au XIXe siècle, les Canadiennes françaises n’avaient accès ni aux études supérieures ni aux professions libérales. Quelle place, alors, pour les femmes aux aspirations spirituelles et intellectuelles? Selon Marta Danylewycz, seules les communautés religieuses offraient à ces femmes une éducation plus poussée et des possibilités de « carrières » : enseignement, soins aux malades, fonctions administratives et postes de direction222.

221Archives du MUQ, Annales du MUQ, Tome III, 1896, p. 49.

222L’historienne Marta Danylewycz souligne également les efforts fournis par les religieuses de la Congrégation Notre-

Dame, - une communauté réputée à l’époque pour offrir aux jeunes filles « les études les plus avancées » - dans le but de susciter, chez les élèves les plus âgées « le goût de l’étude et de la connaissance ». Marta Danylewycz, Profession religieuse: un choix pour les Québécoises (1840-1920), Cap-Saint-Ignace, Boréal, 1988, p. 52, 148.

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Au-delà du discours conformiste entourant l’éducation des filles, les cahiers de notes des élèves et des maîtresses ursulines de la fin du XIXe siècle foisonnent de connaissances et témoignent d’une image de la science liée au progrès. Contre toutes attentes, ces connaissances sont exemptes de représentations féminines.

a) Une science « moderne » liée au « progrès »

Comme mentionné, l’ancrage des cours de sciences dans la théologie de la nature peut expliquer l’enthousiasme des maîtresses ursulines. L’image de la science véhiculée dans les notes de cours – une science intimement liée au progrès - nous apparaît aussi révélatrice d’une ouverture des religieuses ursulines à l’égard d’une certaine modernité. Cette attitude pourrait étonner dans le contexte ultramontain de la seconde moitié du XIXe siècle au Canada français, mais selon Richard A. Jarrell, l’attitude des ultramontains à l’égard de la science n’est pas homogène. De façon générale, le clergé catholique de l’époque se serait montré favorable à la science, tant qu’elle restait démonstrative et unie à la religion223. Dans la présente étude, l’analyse met en lumière une attitude semblable chez les maîtresses ursulines qui associent volontiers la science au progrès de la civilisation.

Dans leurs notes de cours, les maîtresses ursulines inscrivent la science dans le temps : passé, présent et futur. Le passé se résume, de façon générale, en deux temps : le temps des anciens et les temps modernes. La science enseignée aux pensionnaires relève de la « révolution scientifique » des « temps modernes » : « Cette science [la physique] n’était guère connue des anciens, ils attribuaient à la plupart des phénomènes de la nature une origine surnaturelle. […] la Physique ne s’est constituée à l’état de science que dans les temps modernes »224. Les connaissances des anciens sont fréquemment exposées dans les notes de cours. Elles servent, la plupart du temps, à mettre en valeur les avancées scientifiques des temps modernes : les anciens connaissaient sept métaux alors qu’on en « connaît aujourd’hui 60 »; ils « connaissaient selon eux quatre éléments : l’air, la terre, l’eau, le feu; mais il a été reconnu

223 Richard A. Jarrell, « L’ultramontanisme et la science, p. 65. Une étude de Frédéric Barriault, qui met en lumière

l’ouverture des milieux catholiques montréalais à l’égard de la technologie et du progrès dans la seconde moitié du XIXe

siècle, s’inscrit aussi dans la thèse de Richard A. Jarrell. Frédéric Barriault, Le goupillon et la machine : le catholicisme montréalais face au progrès technologique, 1847-1914, Mémoire de maîtrise, Université de Sherbrooke, 2004, 214 p.

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que ce ne sont pas des éléments »; ils ignoraient le principe des vases communicants à partir duquel « l’on construit aujourd’hui les aqueducs »225.

Au XIXe siècle, les découvertes scientifiques ne cessent de progresser, particulièrement dans les domaines de l’électricité, du magnétisme, de la chaleur et de l’acoustique : « les lois en sont plus connues et les théories sont établies sur des bases plus solides »226. Toujours selon les maîtresses, dans le domaine de l’histoire naturelle, les systèmes de classification des botanistes Tournefort et Linné continuent d’être bonifiés par des botanistes comme Jussieu, Candolle, Provancher et Gray227. Aux yeux des religieuses ursulines, la science est en constante évolution. Les religieuses semblent, en outre, confiantes dans son avenir. Elles précisent, par exemple, au sujet des molécules « d’une petitesse extrême » composant les minéraux : « la chimie continuera probablement d’agrandir le domaine »228.

La science apparaît aussi intimement liée au progrès. Les métaux, objets d’étude de la minéralogie, sont présentés comme « une des causes les plus actives du progrès des sciences et de la civilisation »229. Dans ses notes de botanique, l’élève Antoinette Landry écrit : « Les lumières de la botanique servent au progrès de la médecine, de l’agriculture, de l’économie rurale et domestique »230. La multiplicité des applications associées à la science dans les notes de cours s’avère particulièrement révélatrice des liens entre la science et le progrès. Chaque discipline contribue, d’une manière ou d’une autre, au progrès : la chimie et la fabrication d’engrais, la physique et l’invention du télégraphe, la botanique et l’usage des narcotiques, la minéralogie et la construction d’infrastructures durables, la zoologie et la confection de textile avec la soie, l’astronomie et la création de calendriers, etc. (tableau 13).

Les Ursulines semblent, par ailleurs, accueillir d’un bon œil les nouvelles technologies, qu’il s’agisse de l’appareil photo, du phonographe, du clavigraphe, du gramophone, d’une

225 Archives du MUQ, Travaux d’élèves/Antoinette Landry; -, Planification de cours par sœur Pamela Roy dite Saint-Louis. 226 Archives du MUQ, Planification de cours par sœur Pamela Roy dite Saint-Louis.

227 Joseph Pitton de Tournefort (1656-1708), Carl von Linné (1707-1778), Antoine-Laurent de Jussieu (1748-1836),

Augustin Pyrame de Candolle (1778-1841), Léon Provancher (1820-1892) et Asa Gray (1810-1888). Selon Mère Marie- de-l’Incarnation, ce dernier aurait offert aux Ursulines de Québec son ouvrage intitulé « First Lessons in Botany » (1857). Mère Marie-de-l’Incarnation, o.s.u, « L’enseignement des sciences », p. 47.

228 Archives du MUQ, Préparation de cours de sœur Saint-Alphonse dite Clarisse Hudon. 229 Archives du MUQ, Travaux d’élèves/Antoinette Landry.

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« usine » pour chauffage, d’une « machine » de buanderie, etc. L’annaliste fait part de « quelques réticences » face à l’installation d’un hydromètre qui, finalement, aurait permis de faire des économies231. En 1887, alors que la lumière électrique remplace l’éclairage au gaz dans la ville de Québec, elle note : « Notre Naturaliste canadien, M. l’Abbé Laflamme, disait, ces dernières années que la science faisait un si grand progrès que nous ne serions pas longtemps avant de voir la ville éclairée à la lumière électrique. Or ce savant abbé ne se trompait pas »232.

Dans les sources analysées, nous avons trouvé un seul « bémol » au progrès. Il concerne l’exploitation minière. L’extrait est tiré des notes de la maîtresse sœur Saint-Alphonse Hudon. Nous ne savons pas si les élèves en étaient informées. La contribution de la science à l’amélioration de la sécurité des mineurs, notamment par l’invention de la lampe de Davy ou de la toile métallique, paraît bien mince face aux conditions de vie déplorables des mineurs :

En usant de ce combustible [la houille] devenu si commun et si peu dispendieux, bien peu de personnes se doutent de l’existence misérable de ceux qui l’exploitent. Le mineur doit quelques fois descendre jusqu’à 2000 pieds de profondeur, pour atteindre ces immenses forêts primitives ensevelies sous terre et changées en houille. Il est même des familles qui se transmettent ce triste héritage d’existence souterraine et où bien souvent, on naît, on vit et l’on meurt sans avoir jamais vu l’azur du ciel. L’air confiné de ces galeries souterraines, où se meut un monde d’ouvriers, et dont les parois émettent sans cesse des gaz malsains, ne serait pas longtemps respirable si l’on avait soin de le renouveler au moyen de cheminées d’appel établies au-dessus des puits qui conduisent aux mines. On doit à Davy, illustre physicien anglais, l’invention d’une lampe de sureté destinée à éclairer le travail des mineurs tout en le protégeant contre les accidents épouvantables des explosions233.

Enfin, en regard du modèle général d’éducation des filles, les progrès que les maîtresses ursulines attribuent à la science ont une particularité étonnante, considérant l’historiographie : ils concernent rarement la sphère ménagère.

231 Archives du MUQ, Annales du MUQ, Tome III, 1895, p. 23-24. 232 Archives du MUQ, Annales du MUQ, Tome II, 1887, p. 561.

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b) Des sciences « pures » : non appliquées à la sphère ménagère

La première école qualifiée de ménagère au Canada français est fondée en 1882, à Roberval, par les Ursulines de Québec. Confrontée aux rudes conditions de vie en milieu de colonisation, sœur Malvina Gagné dite Saint-Raphaël, supérieure et fondatrice de la nouvelle maison d’éducation, reconnaît les besoins particuliers des familles de la région. Dans le but de mieux préparer ses jeunes élèves « au métier de femmes de défricheurs et d’agriculteurs », elle adapte son programme d’enseignement en y ajoutant une formation pratique en sciences et en agriculture, jetant les bases de la première école ménagère234. Au début du XXe siècle, cet enseignement ménager et agricole offert en milieu rural s’étend aux milieux urbains et, dans les années 1930, sous l’égide de Mgr Albert Tessier, il se transforme en éducation familiale et féminine : « Les matières au programme sont "féminisées" : la chimie devient chimie alimentaire, la spiritualité se concentre sur la spiritualité féminine, la comptabilité est domestique, etc. »235. Les recours au vocable « science » ménagère ou « économie » domestique visent à légitimer la formation236.

Les programmes de sciences dites ménagères du début du XXe siècle sont assez bien documentés dans l’historiographie, contrairement à l’enseignement des sciences dans les maisons d’éducation pour filles au XIXe siècle, ce qui peut entraîner une certaine confusion entre les deux types de formation. Comme dans les autres institutions, les pensionnaires des Ursulines de Québec sont destinées à devenir des épouses et des mères de famille (ou des religieuses). Considérant le discours conformiste de l’abbé Thomas Maguire à l’égard de l’enseignement des sciences aux filles et l’accent mis sur son caractère pratique, il pourrait tomber sous le sens que les cours de sciences des Ursulines soient appliqués à la sphère domestique. L’analyse réalisée dans le cadre de la présente étude dément cet a priori.

234 Le parcours de Malvina Gagné illustre bien les possibilités de « carrières » offertes par la vie religieuse (comme suggéré

par Marta Danylewycz). La fondatrice du monastère de Roberval a enseigné à l’Île d’Orléans avant d’entrer chez les Ursulines (en 1861) où elle tient les rôles de responsable de la pharmacie et de l’infirmerie, de maîtresse (de classe et de division), de sacristine, d’assistante dépositaire à Québec puis de maîtresse des novices à Chatham en Ontario. À titre de supérieure, elle se rend à Roberval pour y fonder une maison d’enseignement. L’institution fait figure de modèle jusqu’en Europe. Aux dires de son biographe, Alphonse Désilet, sœur Saint-Raphaël Gagné collaborait avec les agronomes du Département de l’Agriculture et de la Colonisation et elle conseillait les cultivateurs. Nicole Thivierge, « Gagné, Malvina, Saint-Raphaël », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003, consulté le 22 mars 2017, http://www.biographi.ca/fr/bio/gagne_malvina_14F.html.

235 Dumont, Les Couventines, p. 103. 236 Mathieu, « L’économie familiale », p. 130.

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L’usage des poils de blaireaux pour la fabrication de petites brosses, l’effet détachant de l’acide sulfurique et de l’ammoniaque, les noms scientifiques du vinaigre, du jus de citron et de la crème de tartre et le mouchage d’une chandelle de suif, voilà l’essentiel des applications liées à la sphère ménagère identifiées dans les notes de cours de sciences analysées237. En effet, les usages par l’homme des ressources naturelles (végétales, animales, minérales), des substances chimiques (chlore, soufre, azote, etc.) ou l’application des principes de physique (principe d’Archimède, vases communicants, etc.) sont traités dans les cours de sciences des Ursulines, mais ce sont les applications liées aux domaines de l’industrie, de la construction, de la médecine et de l’art qui prédominent (tableau 12). Dans ce large éventail, les applications domestiques apparaissent pratiquement négligeables.

237 Les élèves apprennent aussi, en botanique, que les végétaux rejettent du CO2 la nuit et qu’il est, pour cette raison,

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Tableau 12 : Sommaire des applications traitées dans les cours de sciences Domaines

d’application Exemples

Industrie Textile : étoffes, tannage des cuirs, pelleterie, soie, duvet, parapluies Militaire : canons et poudre à canon

Transport : aérostats, bateaux

Machinerie : matériaux, fonctionnement

Chimie : allumettes, caoutchouc, térébenthine, goudron, poix, résine, décolorants et dissolvants

Mines : toile métallique, lampe de Davy

Construction Infrastructures : ponts, quais, édifices, pavage des rues, aqueducs, puits artésiens

Habitations : doublage de baignoires, murs intérieurs Combustibles : bois, charbon, houille, coke, tourbe Outils : niveau à bulles d’air

Éclairage : huile de lampe, becs de gaz, gaz d’éclairage Ébénisterie : érables, conifères

Médecine Propriétés des végétaux : émollients, toniques, purgatifs, narcotiques Traitement des verrues

Pommades Désinfectants Arts Bijoux et ornements

Poterie et faïence Statues, moulages

Peinture, teinture, pinceaux, crayons, pastels, pierres à aiguiser Feux de Bengale

Alimentation Végétaux comestibles : crucifères, graminées, herbes, etc. Conservation des aliments et purification de l’eau

Vins mousseux

Ménage Noms scientifiques du vinaigre, du jus de citron et de la crème de tartre Détachants

Fabrication de brosses et savonnettes Chandelle de suif versus bougie Agriculture Engrais

Fertilité des sols Communications Télégraphes électriques

Nous avons constitué les catégories d’analyses (domaines d’application) au fil de l’analyse des cahiers de notes des maîtresses et de l’élève.

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Un extrait du cahier de notes de l’élève Antoinette Landry témoigne de l’entendue des usages des végétaux et des progrès résultant de leur étude en botanique :

Il [le règne végétal] rend de grands services au commerce. De tous les tissus qui nous servent de vêtements, la plupart nous viennent du règne végétal si ce n’est la laine et la soie qui nous viennent du règne animal. Notre nourriture se compose en grande partie de végétaux. L’industrie en tire aussi un grand profit; le bois qui sert à la construction de nos maisons, des meubles et des objets d’art. Les lumières de la botanique servent au progrès de la médecine, de l’agriculture, de l’économie rurale et domestique. Les plantes intéressent l’existence de l’homme en venant au secours de tous ses besoins. Les fleurs s’associent à toutes les circonstances de la vie; autant celles qui nous attristent que celles qui nous réjouissent.238

Dans cet extrait, l’économie « rurale et domestique » est évoquée, mais de façon générique. Dans les notes de botanique, comme dans les autres disciplines, les mentions des applications des végétaux complètent les notions scientifiques explicitées. Une fois détaillées les caractéristiques anatomiques des diverses familles de plantes, les élèves apprennent que l’on compte, parmi les crucifères, des « éléments sains et nourrissants », que certaines ombellifères ont des « usages culinaires », que l’olivier est cultivé pour son huile, que les graminées ont des propriétés nutritives, etc. Elles apprennent à reconnaître et à classer les végétaux comestibles, mais pas à les cultiver, encore moins à les apprêter. Les applications médicinales des végétaux présentent ce même caractère général. Les propriétés toniques, émollientes, purgatives ou narcotiques de diverses plantes sont évoquées, mais il n’est nullement question de leur usage domestique. Ce n’est donc pas dans ces cours de sciences que les futures épouses et mères de famille apprennent à tenir leur maison ou à soigner leurs enfants.

Ce constat ne signifie pas que l’enseignement domestique n’avait pas sa place dans l’éducation chez les Ursulines de Québec. Il signifie simplement que les cours de sciences n’en étaient pas le véhicule. Nous retrouvons, sur les prospectus du pensionnat, la mention : « L’économie domestique, dans ses différentes branches, est un objet auquel on exerce les élèves avec soin »239. Il est possible que cet enseignement ait été transmis de façon transversale, à travers le cadre de vie des pensionnaires, plutôt que dans un cours formel, du

238 Archives du MUQ, Travaux d’élèves/Antoinette Landry. 239 Archives du MUQ, Prospectus du Pensionnat des Ursulines.

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moins avant le début du XXe siècle. Parmi les listes de distribution de prix attribués aux élèves des classes supérieures auxquelles nous avons eu accès, couvrant les années 1867 à 1914, les premiers prix pouvant être associés à « l’enseignement domestique », un prix d’hygiène et un prix de coupe de vêtements, n’apparaissent qu’en 1898240. Ce n’est, par ailleurs, qu’en 1909 qu’un cours d’art culinaire est mis sur pied au pensionnat.

Les cours de sciences des Ursulines ont une composante pratique indéniable, mise en lumière au chapitre 2. Il ne faudrait toutefois pas confondre caractère « pratique » et applications « ménagères ». Les élèves des Ursulines ne reproduiront pas les expériences de chimie et de physique à la maison241. Plus largement, les notes de cours de sciences des Ursulines n’apparaissent pas destinées spécifiquement aux filles. Aux dires de soeur Saint-Louis Roy, les expériences scientifiques démontrant les lois de la physique ne sont pas l’apanage des garçons ou des filles, mais bien de la « jeunesse »242. Par ailleurs, les exemples employés pour illustrer des énoncés scientifiques ou des applications sont « masculins » : un cavalier, un mineur, un agriculteur, un marin, etc. Au fond, les cours de sciences des Ursulines véhiculent une image particulièrement masculine des sciences et de ses applications.

Les cours de sciences des Ursulines de Québec se distinguent ainsi des sciences ménagères caractéristiques du tournant du XXe siècle. Plusieurs explications peuvent être proposées. Premièrement, les cours de sciences des Ursulines sont créés dans les années 1830, plusieurs décennies avant l’éclosion des écoles ménagères au Canada français. Selon Kim Tolley, aux États-Unis, avant l’émergence des home economic à la fin du XIXe siècle, les parents qui inscrivaient leurs filles dans des institutions d’enseignement ne voyaient pas l’intérêt de payer pour des cours de cuisine ou de couture : « The social and cultural context of the early nineteenth century led middle- and upper-class Americans to prefer a pure rather than and applied science for their daughters »243.

240 C’est du moins ce que révèle l’analyse des listes de distribution de prix qui ont été conservées aux archives des Ursulines

de Québec. Nous ne pouvons exclure la remise de prix en économie familiale non répertoriés ou attribués lors des années manquantes.

241 La liste des expériences de chimie et de physique présentée en annexe V est aussi révélatrice de leur caractère « non

ménager ».

242 Archives du MUQ, Planification de cours par sœur Pamela Roy dite Saint-Louis. 243 Tolley, The Science Education, p. 61.

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Le caractère urbain et élitiste du pensionnat de Québec apparaît ainsi comme une deuxième source d’explication. Nous pouvons présumer que les jeunes filles issues des milieux aisés n’étaient pas destinées à travailler au potager et qu’elles allaient bénéficier d’aides ménagères lorsque mariées. Enfin, les cours de sciences des Ursulines étaient fondés sur des notes des professeurs du Séminaire de Québec, destinées aux garçons, ainsi que sur des manuels de sciences qui n’étaient pas conçus spécifiquement pour les filles, comme le seront les manuels des sœurs de Sainte-Anne dans les années 1920-1940244.

© Archives du MUQ, A Cathechism

of Chemistry, Londres, Whittaker &

co., 1829, BA-4-2-3.

Figure 8 : Les « Catéchismes de Pinnock »

Finalement, l’analyse des notes de cours révèle qu’au XIXe siècle, les maîtresses ursulines enseignaient à leurs élèves une science moderne liée au progrès, une science « pure », c’est-