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De l'invisible atome à l'immensité du cosmos : les sciences chez les Ursulines de Québec (1830-1910)

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De l’invisible atome à l’immensité du cosmos

Les sciences chez les Ursulines de Québec (1830-1910)

Mémoire

Mélanie Lafrance

Maîtrise en histoire

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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De l’invisible atome à l’immensité du cosmos

Les sciences chez les Ursulines de Québec (1830-1910)

Mémoire

Mélanie Lafrance

Sous la direction de :

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iii

Résumé

Les Ursulines de Québec ont offert des leçons de sciences à leurs élèves dès le début du XIXe siècle. À l’époque, les sciences sont populaires au sein de l’élite. L’ajout de cours de sciences au cursus dans les années 1830 – astronomie, botanique, minéralogie, chimie et physique – vise à attirer la clientèle et à rehausser le prestige du pensionnat. Quatre religieuses anglophones, dont trois étaient originaires des États-Unis, ont mis en place cet enseignement, avec l’appui de l’abbé Thomas Maguire, chapelain des Ursulines, et des professeurs de sciences du Séminaire de Québec. Au-delà du désir de transmettre aux élèves des connaissances scientifiques propres à agrémenter les conversations mondaines, les cours de sciences avaient pour finalités de révéler aux élèves l’œuvre du Créateur et de développer leur sens pratique, ce qui, aux yeux des éducatrices et éducateurs du XIXe siècle, convenait particulièrement aux filles. Sur certains aspects, néanmoins, les cours de sciences enseignés aux pensionnaires des classes terminales se distinguent du modèle général d’éducation des filles de l’époque. Dans les notes de cours, la science apparaît intimement liée au progrès et dépourvue d’applications ménagères. Les connaissances scientifiques transmises s’étendent de l’infiniment petit à l’immensité du cosmos en passant par les règnes animal, végétal et minéral. Leur acquisition implique une remise en question de conceptions usuelles. Un désir d’instruire, plus que modestement, les élèves et de développer leur rigueur intellectuelle se révèle. Dans l’historiographie, l’enseignement des sciences aux filles au Québec restait largement méconnu. Les résultats de la présente étude nous invitent à repenser le rapport que les femmes entretenaient avec les sciences au XIXe siècle. À l’époque où les filles n’avaient pas accès au cours classique, les cours de sciences pouvaient représenter une alternative moralement acceptable pour une maison d’éducation désireuse d’offrir à ses élèves un niveau plus relevé d’instruction.

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iv

Table des matières

Liste des abréviations ... vi

Liste des tableaux ... vii

Liste des figures ... viii

Remerciements ... ix

INTRODUCTION ... 1

1. LES SCIENCES CHEZ LES URSULINES : AU CARREFOUR DE L’HISTOIRE DES SCIENCES, DES FEMMES ET DE L’ÉDUCATION ... 3

a) Des scientifiques pionnières aux « mères scientifiques » : la porosité des frontières entre le savoir scientifique et le savoir profane ... 3

b) Femmes et sciences dans l’histoire du Québec : une absence narrative ou factuelle? ... 5

c) Les filles, l’éducation et les sciences : un rapport complexe ... 7

2. CADRE D’ANALYSE ... 11

a) Quel savoir scientifique? ... 12

b) Comment le savoir scientifique était transmis? ... 13

c) Les finalités : pourquoi enseigner les sciences? ... 14

3. DES SOURCES DE PREMIÈRE MAIN : LEURS LIMITES ET LEUR POTENTIEL ... 15

a) Les sciences dans le cadre général de l’enseignement ... 15

b) L’enseignement spécifique des sciences ... 18

4. SAISIR LA PORTÉE DE L’ENSEIGNEMENT DES SCIENCES CHEZ LES URSULINES 20 a) Critique et confrontation des sources ... 20

b) Recueil des données ... 21

c) Encodage et regroupement thématique ... 21

d) Mise en relation et comparaison ... 23

5. PLAN DU MÉMOIRE ... 24

CHAPITRE I - ESSOR DU PENSIONNAT: L’ATTRAIT DE L’ENSEIGNEMENT DES SCIENCES AU DÉBUT DU XIXe SIÈCLE ... 25

1. REHAUSSER L’ENSEIGNEMENT ET LE PRESTIGE DU PENSIONNAT ... 26

a) « L’appât » des « nouvelles branches » ... 27

b) Les sciences dans les stratégies publicitaires ... 29

c) Les sciences au goût du jour ... 33

2. LES PREMIÈRES MAÎTRESSES DE SCIENCES : VALORISATION DE L’INSTRUCTION, INFLUENCE AMÉRICAINE ET RÉSEAUX DE CONTACTS ... 35

a) Les initiatrices ... 36

(5)

v

3. DES SCIENCES POUR LES ÉLÈVES DES CLASSES TERMINALES : PRIX ET

CONCOURS ... 44

CHAPITRE II - TRANSMISSION D’UN SAVOIR SCIENTIFIQUE : ENTRE SPIRITUALITÉ ET SENS PRATIQUE ... 50

1. DE L’ATOME AU COSMOS : RÉVÉLER L’ŒUVRE DU CRÉATEUR ... 52

a) Des matières distinctes, un grand ensemble cohérent ... 52

b) La nature comme modèle ... 57

c) Un enseignement ancré dans la théologie de la nature ... 59

2. VOIR, ENTENDRE, SENTIR… DÉVELOPPER LE SENS PRATIQUE ET S’APPROCHER DU CRÉATEUR ... 63

a) Sciences et développement du sens pratique : les expériences en chimie et physique ... 63

b) Retracer le plan de la création : la classification des espèces ... 68

CHAPITRE III - LES « LUMIÈRES » DE LA SCIENCE TRANSMISES À LA « JEUNESSE » : UN MODÈLE ÉDUCATIF ORIGINAL ... 73

I - DES NOTIONS DE SCIENCES « PUREMENT ÉLÉMENTAIRES » AUX « BASES SOLIDES » ... 75

2. UNE SCIENCE « MODERNE » LIÉE AU « PROGRÈS » ET DÉPOURVUE DE REPRÉSENTATIONS FÉMININES ... 81

a) Une science « moderne » liée au « progrès » ... 82

b) Des sciences « pures » : non appliquées à la sphère ménagère ... 85

3. L’ENSEIGNEMENT DES SCIENCES : SOURCE DE SAVOIR ET DE RIGUEUR INTELLECTUELLE ... 91

a) La composante savante et désintéressée de la classification des végétaux ... 92

b) La variété des questions de sciences dans les concours ... 96

c) Remise en question des conceptions usuelles et rigueur intellectuelle ... 99

CONCLUSION GÉNÉRALE ... 102

BIBLIOGRAPHIE ... 106

ANNEXE I - Poème des élèves ... 114

ANNEXE II - Moments clés en lien avec l’enseignement des sciences selon les Annales ... 118

ANNEXE III - Origines et parcours de quatre religieuses impliquées dans l’enseignement des sciences ... 119

ANNEXE IV - Reconstitution d’un horaire hebdomadaire, 1ère classe, selon le Règlement des élèves de 1844 ... 120

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Liste des abréviations

MUQ : Monastère des Ursulines de Québec SLHQ : Société littéraire et historique de Québec

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Liste des tableaux

Tableau 1 : Cahiers de notes de sciences retenus pour l’analyse ……….. p.19 Tableau 2 : Aperçu des thématiques et sous-thématiques résultant de l’analyse

des Annales et des notes de cours ………... p. 22 Tableau 3 : Croissance du nombre d’élèves au XIXe siècle ……….. p. 33 Tableau 4 : Dénominations des niveaux scolaires au pensionnat des Ursulines

de Québec (1844-1911) .………. p. 46 Tableau 5 : Temps consacré aux différentes matières, 1ère classe, selon le

Règlement des élèves de 1844 ………. p. 46

Tableau 6 : Proportions des prix attribués par matière, 1ère classe, 1844 ……….. p. 47 Tableau 7 : Proportions des prix attribués par matière, classe supérieure, 1905… p. 48 Tableau 8 : Organisation des cours et sommaire des notions par matière ………. p. 54 Tableau 9 : Expériences de physique et de chimie tirées des notes d’une élève… p. 66 Tableau 10 : Expériences de physique tirées du cahier d’une maîtresse …………. p. 67 Tableau 11 : Questions d’examen liées aux expérimentations ……... p. 67 Tableau 12 : Sommaire des applications traitées dans les cours de sciences …….. p. 87 Tableau 13 : Classification des végétaux tirée du cahier de notes d’une élève …... p. 93 Tableau 14 : Notions d’anatomie et de physiologie des végétaux tirées du cahier

de notes d’une élève (1903) ……… p. 94 Tableau 15 : Terminologie de l’anatomie et de la physiologie des plantes

employée dans la classification des végétaux ………. p. 95 Tableau 16 : Analyse des questions de sciences, classes supérieures, concours de

1886 et 1910 ………... p. 98 Tableau 17 : Remise en question de conceptions usuelles par les sciences ……… p. 100

(8)

viii

Liste des figures

Figure 1 : Monastère des Ursulines de Québec au XIXe siècle…... p. 11 Figure 2 : Cadre d’analyse………... p. 12 Figure 3 : Prospectus de 1847………. p. 30 Figure 4 : Classe de sciences en 1867………. p. 36 Figure 5 : Portrait de sœur Saint-Henri McLaughlin………... p. 40 Figure 6 : Salle de sciences à la fin du XIXe siècle ……… p. 65 Figure 7 : Un herbier « œuvre d’art » ………. p. 71 Figure 8 : Les « Catéchismes de Pinnock » ……… p. 90

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ix

Remerciements

Je remercie chaleureusement ma directrice de recherche Johanne Daigle pour sa confiance indéfectible, sa générosité et son enthousiasme contagieux.

Je n’aurais pu réaliser cette étude sans l’appui du personnel des archives du monastère des Ursulines de Québec (MUQ). Je tiens aussi à remercier sœur Diane Gagnon et ses consœurs ursulines pour leur accueil et leur écoute lors de la présentation des résultats de mon étude. Ce fut une belle rencontre!

J’ai bénéficié, pour la réalisation de cette étude, du soutien financier du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) et du Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC).

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1

INTRODUCTION

« Without examining the practices of knowledge production occurring at the margins, scholars lack a comprehensive understanding of how science itself works, that is, how it is created, consumed, and disseminated »1

Un prospectus publié en 1847 par les Ursulines de Québec révèle l’inclusion de cours de sciences dans le curriculum des jeunes pensionnaires: géographie, astronomie, chimie, physique, botanique2. Dans le contexte général de l’éducation des filles au Québec à l’époque, cet enseignement paraît inusité. D’aucuns pourraient présumer de la superficialité de ces cours et remettre en question le caractère scientifique des leçons offertes par des religieuses à de futures épouses et mères de famille. Les propos de l’abbé Thomas Maguire, aumônier des Ursulines et auteur, avec sœur Marie-Louise McLaughlin dite Saint-Henri3, du

Règlement des élèves du pensionnat des Dames Ursulines de Québec en 1844, confortent ces

idées :

Il est évident, que dans une académie de demoiselles, l’enseignement de la chimie, de la physique, et de l’histoire naturelle, ne peut s’étendre qu’aux portions faciles, et purement élémentaires, de ces branches, par la raison toute simple que les connaissances nécessaires pour approfondir ces matières, sont étrangères aux études des personnes du sexe4.

Pour comprendre les composantes et les finalités de l’enseignement des sciences chez les Ursulines de Québec au XIXe siècle, il nous paraît essentiel de dépasser ce discours

1 Christine von Oertzen et al., « Finding Science in Surprising Places : Gender and Geography of Scientific Knowledge,

Introduction to “Beyond the Academy: Histories of Gender and Knowledge” », Centaurus, 55, 2 (2013), p. 77.

2 Archives du MUQ, Prospectus du Pensionnat des Ursulines, 1847-1960, fonds 1/K.5.4.2.13.0; SR-1-1-7.

3 Marie-Louise McLaughlin dite sœur Saint-Henri (1780-1846). Dans les sources, les noms des religieuses sont énoncés de

façons diverses. Dans le présent travail, nous présentons le nom complet de la religieuse (nom de jeune fille et nom de religieuse) lorsqu’elle est nommée une première fois. Dans le but d’alléger le texte, nous avons convenu de l’identifier, subséquemment, par son nom de religieuse suivi de son nom de famille, par exemple, sœur Saint-Henri McLoughlin. Cette façon de faire, observée à quelques reprises dans les Annales, nous permet de rester fidèle, par le recours au nom de religieuse, à la dénomination usuelle de l’époque. L’ajout du nom de famille évite la confusion (les noms de saints étaient repris par d’autres religieuses au fil du temps) et nous renseigne sur l’origine de la religieuse.

4 Archives du MUQ, Règlement des élèves du pensionnat des Dames Ursulines de Québec, rédigé en 1844 par Thomas

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2

conformiste et d’éviter de le confondre avec le discours sur l’enseignement ménager du tournant du XXe siècle. Lorsque l’abbé Maguire rédige son Règlement des élèves en 1844, les Ursulines ne garnissent pas leur salle de sciences d’un four à pain, mais bien d’une machine pneumatique servant à faire le vide dans un contenant.

Les femmes sont quasi absentes de l’histoire des sciences au Québec et leur intérêt pour les sciences est largement ignoré dans l’historiographie sur les femmes, particulièrement pour le XIXe siècle5. Dans l’interprétation courante, jusqu’à la Révolution tranquille, le contact des femmes avec les sciences paraît limité aux sciences dites ménagères. La présente étude sur l’enseignement des sciences chez les Ursulines de Québec entre 1830 et 1910 jette un éclairage nouveau sur cette trame historique et révèle un rôle méconnu joué par les femmes dans la transmission du savoir scientifique au XIXe siècle au Québec.

Au début du XIXe siècle, les Ursulines de Québec cherchent à donner un nouvel essor à leur pensionnat. Pour attirer la clientèle, elles rehaussent le niveau de leur enseignement et intègrent, notamment, des cours de sciences dans leur cursus. À l’époque, les sciences sont populaires au sein des milieux de recrutement des Ursulines, particulièrement dans les milieux anglophones. L’apport de religieuses d’origine américaine semble d’ailleurs avoir joué un rôle déterminant dans la mise en place de ces cours. Au-delà de la transmission de connaissances propres à agrémenter les conversations mondaines, nous posons l’hypothèse que ces cours visaient à révéler aux élèves l’œuvre du Créateur et à développer leur sens pratique. À cet égard, ils apparaissent conformes au modèle général d’éducation des filles de l’époque. Ils s’en distinguent néanmoins par l’étendue des notions scientifiques transmises – de l’infiniment petit à l’immensité du cosmos, en passant par les trois règnes de la nature –, par l’absence d’applications ménagères, par une volonté d’instruire les jeunes filles et de développer leur rigueur intellectuelle. Ce modèle original d’enseignement des sciences développé par les Ursulines de Québec nous invite ainsi à repenser le rapport que les femmes entretenaient avec les sciences au XIXe siècle.

5 La période couverte par notre étude (1830 à 1910) recoupe les entités Bas-Canada, Canada-Est et Québec. Pour plus de

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1. LES SCIENCES CHEZ LES URSULINES : AU CARREFOUR DE L’HISTOIRE DES SCIENCES, DES FEMMES ET DE L’ÉDUCATION

Les premières études historiques sur les femmes et la science ont été réalisées dans les années 1980. La majorité des travaux sont issus des milieux « anglo-saxons » (États-Unis, Angleterre, Canada anglais). Les approches des auteures6, initialement axées sur les scientifiques pionnières, ont évolué au fil du temps pour inclure des femmes ayant œuvré en marge des milieux scientifiques formels. Les études sur l’enseignement des sciences aux filles, récentes et peu nombreuses, s’inscrivent dans cette évolution.

a) Des scientifiques pionnières aux « mères scientifiques » : la porosité des frontières entre le savoir scientifique et le savoir profane

Dans les années 1980, l’objectif des historiennes est d’identifier les femmes qui auraient œuvré dans le domaine des sciences. Qui sont ces femmes? Où se trouvent-elles? Quelles sont leurs contributions à la science? Deux ouvrages phares sont alors publiés : celui de l’historienne américaine Margaret W. Rossiter intitulé Women scientists in America :

struggles and strategies to 19407 et celui de Marianne G. Ainley, chimiste d’origine

hongroise formée à Montréal en littérature et en histoire, intitulé Despite the odds : essays

on Canadian women and science8. Ces premières études révèlent qu’au tournant du XXe siècle, les scientifiques américaines et canadiennes-anglaises restaient confinées dans des fonctions subalternes et sous-payées. Surchargées de travail, elles publiaient peu.Depuis les années 1990, les historiennes mettent l’accent sur les trajectoires personnelles de ces femmes et sur les stratégies qu’elles ont déployées dans le but de poursuivre leurs études et leurs carrières en sciences9.

6 La vaste majorité des auteures ayant écrit sur le sujet étant des femmes, nous employons le genre féminin.

7 Margaret W. Rossiter, Women scientists in America : struggles and strategies to 1940, Baltimore, Johns Hopkins

University Press, 1984, 439 p.

8 Marianne G. Ainley a été la chef de file en histoire des sciences et des femmes au Canada anglais jusqu’à son décès en

2008. Aux dires de Ruby Heap, son ouvrage Despite the odds n’a pas encore de successeur au Canada, les travaux sur le sujet ayant progressé relativement lentement depuis sa publication en 1990. Ruby Heap, « Introduction : Women and Gender in Canadian Science, Engineering and Medicine », Scientia Canadensis: Canadian Journal of the History of Science, Technology and Medicine / Scientia Canadensis : revue canadienne d'histoire des sciences, des techniques et de la médecine, 29, 2 (2006), p. 5; Marianne G. Ainley, Despite the odds : essays on Canadian women and science, Montréal, Véhicule Press, 1990, 452 p.

9 Marianne G. Ainley, «Une nouvelle optique concernant la recherche sur l’histoire des femmes canadiennes et les sciences»,

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Les perspectives des historiennes ont évolué dans d’autres directions. En 1990, Patricia Phillips se détourne des scientifiques pionnières pour se concentrer sur des femmes anglaises « unexceptional and usually unambitious », mais intéressées par les sciences depuis le XVIe siècle10. Selon l’auteure, puisque les classiques étaient réservés aux hommes, plusieurs femmes auraient trouvé leur compte dans les sciences qui étaient alors perçues comme inoffensives pour les femmes, bonnes à développer leur sens pratique et leur modestie. Des ouvrages, des magazines et des instruments scientifiques étaient mis sur le marché, spécialement à leur attention. Or, au tournant du XXe siècle, Patricia Phillips observe un renversement : alors que les hommes se tournent vers les sciences, de plus en plus prestigieuses, les femmes s’investissent dans les classiques, oubliant au passage « a three-centuries-old tradition » en sciences11.

Dans un recueil publié quelques années plus tard, l’histoire des sciences et des femmes se conjugue à l’histoire littéraire12. Les études révèlent le rôle, longtemps dévalorisé, que des femmes anglaises, américaines et canadiennes-anglaises ont joué depuis la fin du XVIIe siècle dans la transmission du savoir scientifique, notamment par leurs écrits : ouvrages de vulgarisation, guides pratiques, magazines féminins traitant de découvertes scientifiques et technologiques, manuels scolaires, œuvres de fictions, illustrations.

Enfin, l’adoption d’une définition plus inclusive des sciences amène les chercheuses à explorer les rapports entre les femmes et les sciences dans des contextes de plus en plus variés13. Le titre du texte d’introduction d’un numéro spécial de la revue Centaurus, publié

10 Patricia Phillips, The Scientific Lady: A Social History of Woman’s Scientific Interests, 1520-1918, London, Weidenfeld

and Nicholson, 1991, p. ix et xi.

11 Phillips, The Scientific Lady, p. xi. L’historienne Londa Schiebinger a étudié la « révolution scientifique » des XVIIe et

XVIIIe siècle en Europe sous l’angle du genre. Elle s’est intéressée aux rapports que les femmes entretenaient avec les

sciences et aux « circonstances » ayant mené à leur exclusion des milieux scientifiques formels. Son propos rejoint celui de Patricia Phillips à l’égard du caractère « inoffensif » des sciences pour les femmes à l’époque : « the cardinal virtues of ladies – modesty and religious reverence – were thought to be promoted by the study of natural philosophy ». Londa Schiebinger, The Mind Has no Sex, Cambridge, Massachussetts, Harvard University Press, 1989, p. 39.

12 Barbara T. Gates et Ann B. Shteir, Natural Eloquence : Women Reinscribe Science, Madison, University of Wisconsin,

1997, 280 p. ; D’autres études explorent la vulgarisation des sciences par les écrits des femmes, notamment : Jan Pilditch, « "Fashionable Female Studies": the Popular Dissemination of Science in 'Godey's Lady's Book,' 1830-60 », Australasian Journal of American Studies, 24, 1, 2005, p. 20-37; Alan Rauch, « Mentoria: Women, Children, and the Structure of Science », Nineteenth-Century Contexts, 27, 4 (2005), p. 335-351.

13 Marilyn Bailey Ogilvie, « Sciences: Natural sciences », Bonnie G. Smith dir., The Oxford Encyclopedia of Women in

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en 2013, est révélateur: « Finding Science in Surprising Places »14. Parmi ces lieux inattendus de production et de transmission du savoir scientifique, il y a les musées, lieux de jonction entre les scientifiques et le public, et les ménages. À titre d’exemple, une étude porte sur la transmission écrite, de génération en génération, d’un savoir médical et culinaire en Angleterre aux XVIIe et XVIIIe siècles. Une deuxième étude lève le voile sur un réseau de « scientific mothers », des mères de famille californiennes recrutées par Milicient Shinn à la fin du XIXe siècle pour observer et rendre compte par écrit du développement de leurs enfants15. En somme, plus les chercheuses explorent l’histoire des femmes et des sciences, plus les frontières entre le savoir scientifique et le savoir profane se brouillent.

b) Femmes et sciences dans l’histoire du Québec : une absence narrative ou factuelle?

Les femmes sont quasi absentes de l’ouvrage phare Histoire des sciences au Québec de la

Nouvelle-France à nos jours, réédité en 200816. L’intérêt des femmes pour les sciences est aussi largement ignoré dans l’historiographie sur les femmes17. Un rapport réalisé en 2008 par Nadia Ghazzali et Mélanie Lanouette souligne cette absence et met en exergue le décalage entre les scientifiques anglophones et francophones18. En effet, c’est avec la Révolution tranquille qu’émergent véritablement les premières femmes diplômées en sciences au Québec. Pour leur part, les Américaines et les Canadiennes anglaises accèdent aux études supérieures en sciences dès la seconde moitié du XIXe siècle. En 1912, Carrie Derick est nommée professeure titulaire en sciences botaniques à l’Université McGill.

14 Ces travaux sont le fruit d’un groupe de recherche interdisciplinaire créé en 2010 au Max Planck Institute for the History

of Science; Oertzen, « Finding Science in Surprising Places », p. 73-80.

15 Sally Gregory Kohlstedt, « Innovative Niche Scientists: Women's Role in Reframing North American Museums,

1880-1930 », Centaurus, 55, 2 (2013), p153-174; Elaine Leong, « Collecting Knowledge for the Family: Recipes, Gender and Practical Knowledge in the Early Modern English Household », Centaurus, 55, 2 (2013), p. 81-103; Christine von Oertzen, « Science in the Cradle: Milicent Shinn and Her Home-Based Network of Baby Observers, 1890-1910 », Centaurus, 55, 2 (2013), p. 175-195.

16Luc Chartrand, Raymond Duchesne et Yves Gingras, Histoire des sciences au Québec: de la Nouvelle-France à nos

jours, Montréal, Boréal, 2008 (1987), 535p.

17La rareté des travaux conjuguant l’histoire des sciences et des femmes au Québec se répercute dans les synthèses

historiques. Dans sa récente synthèse sur l’histoire des femmes au Québec, Denyse Baillargeon souligne l’investissement des femmes dans le champ de la santé au fil du temps. Elle reste cependant silencieuse sur le rapport que les femmes entretiennent avec les sciences jusqu’aux années 1980, alors qu’elle évoque des associations dont l’objectif est d’encourager les filles à s’engager dans les sciences. Denyse Baillargeon, Brève histoire des femmes au Québec, Montréal, Boréal, 2012, p. 197.

18 Ce rapport offre une mise en contexte historique ainsi que des données sur l’admission des femmes en sciences à

l’Université Laval. Nadia Ghazzali et Mélanie Lanouette, Les femmes en sciences et en génie à travers l’histoire au Québec, Chaire CRSNG-Industrielle Alliance pour les femmes en sciences et génie au Québec, 2008, www.chaire-crsng-inal.fsg.ulaval.ca, consulté le 23 octobre 2015.

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Ce « retard » des Canadiennes françaises en sciences mérite d’être remis dans son contexte. Au Canada français, la première faculté des sciences n’est fondée qu’en 1920, à l’Université de Montréal. Les collèges féminins, incontournables pour accéder à l’université, n’en sont alors qu’à leurs balbutiements. Par ailleurs, la présence des femmes anglophones dans les milieux scientifiques connaît un recul au début du XXe siècle : « many men who were interested in upgrading science were afraid that the presence of women would lower standards and lessen prestige. […] the gains that women had previously attained were negated. »19. Aujourd’hui encore, bien que les femmes soient présentes dans les milieux scientifiques, leur contribution reste effacée, moins valorisée20.

L’historiographie sur les sciences et les femmes soulève des questions propres au contexte québécois. Que révéleraient les archives de l’Institut botanique de Montréal (1920-1962) sur le rôle des femmes de l’entourage du frère Marie-Victorin ? Adelcie Kirouac, dite sœur Marie-des-Anges, fondatrice du collège classique au couvent Jésus-Marie à Sillery en 1925 et sœur du botaniste, reste peu connue, mais des extraits de correspondance avec son frère témoignent, à tout le moins, d’un intérêt pour les sciences21. Que dire de Marcelle Gauvreau, mieux connue pour sa relation épistolaire « intime » avec Marie-Victorin que pour sa contribution à l’avancement et à la vulgarisation des sciences22?

19Marilyn Bailey Ogilvie, « Sciences: Natural sciences », sp; Selon Kim Tolley, la proportion de femmes américaines

complétant un doctorat en sciences passe de 14% en 1920 à 5% en 1960. Kim Tolley, The Science Education of American Girls: A Historical Perspective, New York and London, RoutledgeFalmer, 2003, p. 206-207.

20 Un rapport récent révèle la persistance d’inégalités entre les hommes et les femmes en sciences à l’échelle mondiale. Ces

dernières publient moins et œuvrent dans des champs d’études moins financés, moins prestigieux. Vincent Larivière, Ni Chaoqun, Yves Gingras, Blaise Cronin et Cassidy R. Sugimoto, « Global Gender Disparities in Science », Nature, 504 (2013), p. 211-213.

21 Dans cette correspondance, il est question, entre autres, de la théorie de l’évolution, de cours de sciences, de l’École de

l’Éveil et d’un plan de jardin botanique. D’autres femmes botanistes restent méconnues, dont Marie Jean Eudes, promotrice des Cercles des jeunes naturalistes, et Cécile Lanouette, assistante au Jardin botanique de Montréal, active à l’ACFAS entre 1934 et 1946; Frère Marie-Victorin, Confidence et combat : lettres (1924-1944), présentation et notes du frère Gilles Beaudet, Montréal, Libec, 1969, 251 p.; Yves Gingras, Pour l’avancement des sciences : histoire de l’ACFAS 1923-1993, Montréal, Boréal 1994, 268 p.

22 Dans un récent recueil de correspondance du frère Marie-Victorin, le botaniste André Bouchard consacre une page à un

article de Luc Chartrand publié en mars 1990 dans l’Actualité sur les « tourments sexuels » de Marie-Victorin révélés par une correspondance avec son « assistante », identifiée comme Marcelle Gauvreau. André Bouchard, Marie-Victorin à Cuba : correspondance avec le frère Léon, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2007, p. 24. Marcelle Gauvreau a fait l’objet d’un mémoire de maîtrise, dont l’accès est particulièrement restreint. Louise Chauvette, Marcelle Gauvreau (1907-1968), Biographie d’une québécoise scientifique au milieu du XXe siècle, Mémoire de maîtrise en histoire,

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Andrée Lévesque rapporte qu’Éva Circé-Côté avait « foi en la science et en l’industrie » et qu’elle accueillait avec « enthousiasme » les innovations technologiques, exprimant néanmoins des craintes quant à leur usage militaire23. Est-ce que cet enthousiasme était partagé par d’autres femmes de lettres de l’époque? Qu’en est-il des religieuses investies dans les œuvres de charité? Leurs actions, axées sur les soins, devaient bien reposer sur un savoir24. Lequel? Finalement, lorsque notre regard se détourne des milieux scientifiques formels, plusieurs questions sur les rapports entre les femmes et les sciences dans l’histoire du Québec émergent. L’enseignement des sciences par les religieuses s’inscrit dans ce pan inexploré de l’histoire25.

c) Les filles, l’éducation et les sciences : un rapport complexe

Des études sur l’histoire de l’enseignement des filles ont été réalisées dans les années 1980 et 1990 au Québec. De façon générale, il y est peu question de sciences. De la lecture de l’ouvrage de Micheline Dumont et Nadia Fahmy-Eid sur les couventines se dégage une impression qu’entre les milieux des XIXe et XXe siècles au Québec, le contexte social et pédagogique était peu favorable à l’intégration des sciences dans les curriculums26. L’objectif des maisons d’enseignement était d’éduquer autant que d’instruire. Le savoir pratique était privilégié par rapport au savoir théorique, la culture générale l’emportait sur les connaissances techniques et scientifiques. Les auteures soutiennent que la formation offerte aux filles au XIXe siècle repose sur l’étude des langues, particulièrement le français, et que les « sciences exactes sont presque absentes de cette formation : seules les mathématiques sont enseignées de façon constante »27. Les formations de niveau « secondaire » mises sur pied au début du XXe siècle ne semblent pas plus propices à l’enseignement des sciences :

23 Andrée Lévesque, Chroniques d'Éva Circé-Côté : lumière sur la société québécoise, 1900-1942, Montréal, Éditions du

Remue-ménage, 2011, p. 23.

24 Par exemple, dans leurs efforts visant à contrer la mortalité infantile au début du XXe siècle, les femmes auraient cherché

à adapter leurs interventions en fonction des connaissances scientifiques. Collectif Clio, L’histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles, Montréal, Le Jour, 1992, p. 278.

25De façon générale, les études axées sur les communautés religieuses enseignantes sont peu abondantes. Dans un essai

historiographique sur le rôle des religieuses catholiques dans l’éducation aux XIXe et XXe siècles en Amérique, en Europe

de l’Ouest, en Australie et en Nouvelle-Zélande, les auteurs constatent les limites des études réalisées sur le sujet : peu nombreuses, trop souvent descriptives et limitées à une seule école ou congrégation. Ils concluent à la nécessité de nouvelles études éclairantes sur les philosophies d’éducation, les curriculums des écoles et les pratiques quotidiennes d’enseignement. Bart Hellinckx, Frank Simon et Marc Depaepe, The Forgotten Contribution of the Teaching Sisters, Leuven, Leuven University Press, 2009, p. 55-56.

26 Micheline Dumont et Nadia Fahmy-Eid, dir., Les Couventines : l'éducation des filles au Québec dans les congrégations

religieuses enseignantes 1840-1960, Montréal, Boréal Express, 1986, 315 p.

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Les programmes d’études qui étaient offerts aux couventines leur étaient spécifiquement destinés. On se refusait avec obstination à les orienter vers les mêmes études que celles des garçons. On leur disputait le droit à la trigonométrie, au grec, au latin, à la philosophie, à la science. On rêvait pour elles d’un cours… classico-ménager, d’un baccalauréat… féminin; on leur proposait un institut… familial28.

Dans l’historiographie, l’enseignement des sciences aux filles se confond avec l’enseignement domestique. Les dénominations de ces programmes de sciences dites ménagères, mis sur pied à la fin du XIXe siècle pour contrer l’exode rural et sauver les familles, évoluent au fil du temps : science du ménage, enseignement domestique, économie familiale, instituts familiaux29. Les recours aux vocables « science » et « économie » ne sont pas anodins. Ils ajoutent du prestige à un programme inspiré de la méthode scientifique valorisant l’ordre, la propreté et la méthode dans les tâches ménagères. La future maîtresse de maison est appelée à acquérir des notions de sciences appliquées : des notions de chimie en lien avec les aliments et les textiles, des notions de biologie en lien avec les soins à promulguer à domicile30.

Ce pourrait-il que les jeunes Québécoises aient été initiées aux sciences autrement que sous l’aura ménagère ? Les filles qui, à partir des années 1910, ont suivi les cours « Lettres-Sciences » (affilié à l’Université Laval de Montréal) ou « Primaire supérieur » (affilié à l’Université Laval de Québec) auraient eu accès à une formation plus poussée en mathématiques31. Selon Andrée Dufour, le manuel Connaissances scientifiques usuelles produit par les sœurs de Sainte-Anne (1920 à 1950) traite d’aspects pratiques liés aux travaux ménagers, alors que les manuels de sciences destinés aux garçons font plus de place aux notions théoriques complexes. L’auteure conclut néanmoins que les enseignantes cherchaient à transmettre des connaissances scientifiques récentes à leurs étudiantes, « un fait

28Dumont, Les Couventines, p. 20.

29 Nicole Thivierge, Histoire de l’enseignement ménager-familial au Québec 1882-1970, Québec, Institut québécois de la

recherche sur la culture, 1982, 475 p.; Jocelyne Mathieu, « L'éducation familiale et la valorisation du quotidien des femmes au XXe siècle », Les Cahiers des dix, 57 (2003), p. 119-150.

30 Jocelyne Mathieu, « L'éducation familiale », p. 130, 144.

31Dans le cours Lettres-Sciences de 1917, selon les points accordés à chaque matière, l’étude des langues prédominent

(français 32%, anglais 12,5%, latin, 12,5%), suivi des mathématiques (14%), de la religion (10,1%), des sciences (7,8%) et de la géographie-histoire (7,0%). En 1943, dans le contexte d’une réforme de l’enseignement ménager, la proportion des points accordés aux mathématiques diminue (10,5%) alors que le poids de la religion augmente (14,3%) et que l’enseignement familial est ajouté. Josée Lebrun, Le cours Lettres-Sciences, 1916-1960, Mémoire de maîtrise, Université de Sherbrooke, 1985, cité dans Dumont, Les Couventines, p. 106-109.

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remarquable compte tenu des préjugés qui prévalaient concernant la formation que devaient recevoir les filles »32. Pour sa part, Dominique Laperle montre comment les sœurs des Saints Noms de Jésus et de Marie ont intégré des cours d'histoire naturelle à leur curriculum dès les années 1850 et ont su créer plusieurs musées d’histoire naturelle au tournant du XXe siècle33.

À l’époque de la rédaction des Couventines, les chercheuses n’avaient pas accès aux archives des Ursulines de Québec, laissant un trou béant dans l’historiographie34. En 1999, l’historien Dom Guy-Marie Oury, o.s.b., publiait une synthèse de l’histoire de la communauté. Après un XVIIIe siècle assombri par la guerre de la Conquête et la Révolution française, la communauté et son pensionnat connaissent un essor au XIXe siècle. En nous appuyant sur l’ouvrage d’Oury et sur deux études publiées dans les années 196035, plusieurs facteurs peuvent être avancés pour expliquer cet essor : a) l’ouverture du couvent aux élèves anglophones, même protestantes, élargissant le bassin de recrutement au sein d’une élite fortunée, b) l’arrivée de nouvelles communautés religieuses au Canada français, créant une concurrence, c) l’entrée au monastère de religieuses d’origine irlandaise et américaine ayant bénéficié d’une instruction aux États-Unis et en Europe, d) la nomination de Thomas Maguire à titre d’aumônier des Ursulines en 1832, e) la proximité du Séminaire de Québec, f) les contacts familiaux privilégiés de certaines religieuses, g) l’appui de membres du clergé.

Considérant le rôle joué par des religieuses d’origine américaine dans le rehaussement de l’enseignement chez les Ursulines et l’inclusion des sciences dans le cursus, l’ouvrage de Kim Tolley36 sur l’enseignement des sciences aux filles américaines entre la fin du XVIIIe et le milieu du XXe siècle est particulièrement éclairant. L’auteure compare les cours de

32 Andrée Dufour, « Les manuels de Connaissances scientifiques usuelles des sœurs de Sainte-Anne », Monique Lebrun

dir., Le manuel scolaire d'ici et d'ailleurs, d'hier à demain, Québec, Presses de l'Université du Québec, 2007, p. 13.

33 Dominique Laperle, « "Une parole de dieu fraîchement exprimée" : Fondements, usages et représentations du musée

scolaire dans les pensionnats de filles des Sœurs des Saints Noms de Jésus et de Marie (1843-1981) », Historical Studies in Education / Revue d’histoire de l’éducation, 19, 1 (2007), p. 54-79.

34 Nadia Fahmy-Eid, « L’histoire de l’éducation des filles au Québec, la pointe de l’iceberg », Historical Studies in

Education/Revue d’histoire de l’éducation, 3, 2 (1991), p. 224-236.

35 Mère-de-l’Incarnation, o.s.u, « L’enseignement des sciences aux Ursulines d’après les annales », L’Enseignement

secondaire, Québec, 39, 4, (mars-avril 1960), p. 43-48; Marie-Emmanuel Chabot, « Les Ursulines de Québec en 1850 », Session d’étude – Société canadienne d’histoire de l’Église catholique, 36 (1969), p. 75-92; Dom Guy-Marie Oury, o.s.b., Les Ursulines de Québec, 1639-1953, Sillery, Septentrion, 1999, 370 p. Nous avons aussi consulté une brochure de Micheline Dumont dans laquelle il est question des Ursulines de Québec. L’enseignement des sciences n’y est pas abordé. L’instruction des filles au Québec (1639-1960), Société historique du Canada, Brochure historique no. 49, 1990, 32 p.

36 Kim Tolley, The Science Education of American Girls: A Historical Perspective, New York and London,

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sciences offerts aux filles à ceux offerts aux garçons américains. Faisant écho à la thèse de Patricia Phillips, elle constate qu’aux XVIIIe et XIXe siècles, le curriculum des filles inclut plus de matières scientifiques que celui des garçons, axé sur les classiques. Or, au tournant du XXe siècle, les sciences gagnent en prestige et se professionnalisent. Les garçons se tournent vers les sciences alors que les filles optent pour les lettres, le cours commercial et les home economics37.

En résumé, notre étude se situe au carrefour de l’histoire des sciences, des femmes et de l’éducation. Concentrées au départ sur les scientifiques pionnières, les chercheuses posent aujourd’hui leur regard sur des femmes ayant œuvré en marge des milieux scientifiques formels, brouillant les frontières entre le savoir scientifique et le savoir profane. Notre étude sur l’enseignement des sciences aux jeunes filles s’inscrit dans cette évolution. L’inclusion de cours de sciences dans le curriculum des Ursulines de Québec au XIXe siècle contraste avec le discours dominant sur l’éducation des filles révélé par l’historiographie. Elle apparaît moins inusitée lorsque comparée à l’enseignement des sciences aux filles dans les «higher

schools »38 américains à la même époque. L’étude proposée ouvre ainsi une fenêtre sur un volet méconnu de l’histoire du Québec et remet en question cette idée, largement répandue, que les sciences n’ont jamais été une « affaire » de filles.

37 En ce qui concerne l’enseignement des sciences aux filles en France, la perspective et la thèse de la physicienne Nicole

Hulin se distinguent de celles de Kim Tolley. L’auteure a centré son étude sur l’enseignement des sciences aux filles au secondaire dans le système public d’éducation français en s’appuyant essentiellement sur les plans d’études. Elle met en relief le décalage entre l’éducation scientifique des filles et des garçons à la fin du XIXe siècle et l’uniformisation qui

s’effectue graduellement au cours du XXe siècle. Nicole Hulin, Les femmes et l’enseignement scientifique, Paris, Presses

universitaires de France, 2002, 227 p.

38 L’auteure inclut dans son étude les « higher schools », i.e. les maisons d’enseignement accueillant des « adolescentes »,

généralement âgées entre 12 et 18 ans. Ces institutions – private venture schools, incorporated seminaries and academies, boarding schools, publicly funded high schools, etc. – se situent entre le common school level et les collèges ou universités. Kim Tolley, The Science Education, p. 6.

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© Archives du MUQ, Dessin du Monastère, 1879, 1/P,3,15,38.

Figure 1 : Monastère des Ursulines de Québec au XIXe siècle

2. CADRE D’ANALYSE

L’objectif de la présente étude est de saisir les finalités de l’enseignement des sciences chez les Ursulines de Québec au XIXe siècle. L’approche générale adoptée est inspirée de celle proposée par Chantal Savoie dans son étude intitulée Les femmes de lettres

canadiennes-françaises au tournant du XXe siècle. Dans son analyse, l’auteure a cherché à dépasser la

dualité de deux types d’analyses : une analyse idéologique, féministe, révélant dans les œuvres de l’époque un certain mérite, voire un progressisme, et une analyse littéraire se butant généralement au conformisme. Dépassant ce dernier préjugé, Chantal Savoie est parvenue à déceler, dans les écrits des femmes, certains accrocs au discours attendu et l’expression d’une solidarité féminine39. Dans la présente étude, les sources analysées nous orientaient, tour à tour, vers le caractère novateur de l’enseignement des sciences chez les Ursulines et son caractère conformiste. Nous avons cherché, au fil de l’analyse, à faire la part des choses entre ces deux conceptions en apparence contradictoires afin de rendre compte, le plus justement possible, de la multiplicité des finalités poursuivies par les maîtresses ursulines.

39 Chantal Savoie, Les femmes de lettres canadiennes-françaises au tournant du XXe siècle, Montréal, Nota bene, 2014,

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En regard du modèle général d’éducation des filles au XIXe siècle40, l’inclusion des sciences dans le curriculum des Ursulines de Québec à partir des années 1830 soulève de nombreuses interrogations. Trois questions principales ont guidé nos recherches : 1) Quel savoir scientifique était enseigné aux jeunes filles? 2) Comment ce savoir était-il transmis? 3) Pourquoi, à quelles fins, les Ursulines ont-elles opté pour l’enseignement des sciences? Les balises chronologiques de l’étude, 1830 à 1910, incluent la période de mise en place des cours de sciences jusqu’à la période précédant l’affiliation du pensionnat à l’Université Laval41.

Figure 2 : Cadre d’analyse

a) Quel savoir scientifique?

De façon générale, les sciences peuvent être définies comme les « modes d’interrogation de la nature fondés sur la raison, l’observation ou l’expérimentation »42. Elles sont aussi fréquemment désignées par disciplines : mathématiques, astronomie, physique, chimie, botanique, géologie, minéralogie et zoologie. Dans son étude sur l’enseignement des sciences

40 Le modèle général d’éducation des filles au XIXe siècle auquel nous référons dans cette étude est tiré des travaux publiés

dans l’ouvrage Les Couventines. De façon générale, dans les couvents au XIXe siècle, l’objectif est de former de futures

épouses et mères de famille (ou des religieuses) : 1) l’éducation apparaît autant sinon plus importante que l’instruction, le savoir transmis reste modeste, 2) le savoir pratique, souvent lié à la sphère ménagère, l’emporte sur le savoir théorique, seuls les garçons sont habilités à philosopher dans les collèges, et 3) la culture générale l’emporte sur les connaissances dites techniques ou scientifiques. Dumont, Les Couventines.

41 L’enseignement des sciences au XIXe siècle nous paraissait particulièrement méconnu. Par la réalisation d’un inventaire

des sources accessibles aux archives du MUQ, nous avons identifié des sources relatives aux années d’introduction des cours de sciences (années 1830 et 1840), une période cruciale pour comprendre leurs finalités. Les principaux documents relatifs à l’enseignement, concret, des sciences (notes de cours, questions de concours, etc.) se rapportent par ailleurs aux années 1880 à 1910. Nous avons ainsi fixé les balises chronologiques : 1830 à 1910. Des indices suggèrent par ailleurs une certaine continuité dans l’enseignement des sciences au cours de cette période. En 1912, l’affiliation du pensionnat à l’Université Laval laisse présager des changements. Nous ne pouvions, réalistement, dans le cadre d’un projet de maîtrise, étendre notre étude à cette période.

42 Yves Gingras, Sociologie des sciences, Paris, Presses universitaires de France, 2013, p. 3, Coll. Que sais-je? Sciences Quel savoir scientifique? Transmission du savoir Comment ce savoir était transmis? Finalités

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aux filles américaines, Kim Tolley inclut la géographie parmi les sciences43. La hiérarchisation entre le savoir scientifique et le savoir profane, aujourd’hui perçue comme une évidence, demeure une construction de la fin du XIXe siècle associée à la professionnalisation des sciences44. À travers l’histoire, les frontières entre ces « types » de savoirs étaient plus poreuses.

Dans les sources consultées, les sciences sont généralement désignées par disciplines. Pour dresser un portrait général de l’enseignement des sciences chez les Ursulines, nous avons pris en compte un éventail assez large « d’objets d’études » : géographie, usage de globe et de cartes, astronomie, calendrier, arithmétique, tenue de livres, géométrie, algèbre, mathématiques, botanique, zoologie, minéralogie, géologie, chimie et physique. Pour l’analyse spécifique du contenu des cours, nous avons restreint notre recherche aux sept matières désignées par les maîtresses ursulines sous le vocable « sciences » dans les concours de fin d’année et les cahiers de notes des élèves : astronomie, botanique, minéralogie, géologie, zoologie, chimie et physique. Les questionnements relatifs au savoir scientifique transmis par les maîtresses ursulines étaient les suivants : quelles notions scientifiques étaient enseignées? Quelle était la nature du savoir scientifique transmis (descriptif, déductif, empirique, avec ou sans représentations mathématiques)? Sur quelles bases reposaient les cours de sciences (savants, ouvrages de référence)? Comment, enfin, les maîtresses ursulines se représentaient les sciences?

b) Comment le savoir scientifique était transmis?

Au XIXe siècle, les maisons d’éducation pour filles s’inspiraient des pédagogues reconnus, recommandés par l’Église, tout en développant leur propre méthode45. Nous nous sommes ainsi interrogée sur la « méthode » développée par les Ursulines en ce qui a trait à l’enseignement des sciences : quelle place occupaient les cours de sciences dans l’ensemble du curriculum des Ursulines (selon les niveaux et par rapport aux autres disciplines)? Quand

43 Selon Kim Tolley, la géographie relève aujourd’hui des « social studies », mais à la fin du XVIIIe siècle, cette discipline

incluait les aspects physiques, politiques et astronomiques de la géographie, voire l’histoire naturelle et la philosophie naturelle. Tolley, The Science Education, p. 14.

44 Nous partageons cette conviction du groupe de travail de l’Institut Max Planck : « that divisions between so-called

authorized science and popularized science are status-laden and confining constructions that need to be broken down », Oertzen, « Finding science in surprising places », p. 74.

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et comment ont-ils été intégrés au cursus? Qui était chargé de l’enseignement des sciences? Quelles méthodes didactiques étaient privilégiées? Comment les connaissances et les habiletés acquises par les pensionnaires étaient évaluées?

Au début du XIXe siècle, les Ursulines ne peuvent compter sur des manuels de sciences canadiens-français pour développer leurs cours de sciences. D’où provenait leur savoir scientifique? Nous nous sommes, dans un premier temps, intéressée à la circulation du savoir scientifique entre le monde extérieur et le cloître : les actrices et acteurs impliqués (religieuses, professeurs, membres du clergé, « amis » de la communauté), les modes de communication (conférences au parloir, dons d’ouvrages, correspondance, publicité), les objets d’échanges (notes de cours, manuels, spécimens, instruments scientifiques) ainsi que l’étendue du réseau de contacts (Québec, Canada, États-Unis, Europe) 46. Devant l’abondance des données recueillies et leur potentiel, nous avons centré notre exploration sur les parcours de quatre religieuses impliquées dans l’émergence de l’enseignement des sciences au pensionnat au début du XIXe siècle47 : Elizabeth Dougherty dite Saint-Augustin (1780-1814), Marie-Louise McLaughlin dite Saint-Henri (1780-1846), Cecilia O’Conway dite Marie de l’Incarnation (1778-1865) et Marie Suzanne Josephine Holmes dite Sainte-Croix (1817-1910).

c) Les finalités : pourquoi enseigner les sciences?

La pédagogie peut être définie comme « un art d’éduquer », voire « un art de la cité »48. Les méthodes didactiques privilégiées par une maison d’éducation s’inscrivent dans une approche éducative plus large, dans un contexte socioculturel et politique particulier. En

46 Nous nous sommes inspirée, pour l’élaboration des questions relatives à la circulation du savoir, de trois textes : James

A. Secord, « Knowledge in Transit », Isis 95 (2004), p. 654-672; Pierre-Yves Saunier, « Les régimes circulatoires du domaine social 1800-1940 : projets et ingénierie de la convergence et de la différence », Genèses, 71 (2008), sp.; Deirdre Raftery, « Teaching Sisters and transnational networks : recruitment and education expansion in the long nineteenth century », History of Education, 44, 6 (2015), p. 717-728.

47 Les objectifs poursuivis se sont précisés au fil de la recherche. Au départ, nous avions envisagé d’étudier le réseau de

contacts des Ursulines en lien avec la circulation du savoir scientifique. Lors de l’examen des Annales (1822 à 1910), première source explorée, nous avons colligé les données relatives à cette thématique. Or, l’analyse des cahiers de notes de sciences s’est avérée beaucoup plus riche que nous ne l’avions prévu. Nous avons fait le choix d’axer notre étude sur ces documents et de restreindre l’analyse du réseau de contacts. En regard de l’objectif général de l’étude – saisir les finalités de l’enseignement des sciences chez les Ursulines – les parcours des quatre religieuses impliquées dans l’introduction de ces cours au début du XIXe siècle nous semblaient particulièrement éclairants.

48 Pierre Gréco, « Pédagogie : Les problèmes de l'éducation scolaire », Encyclopædia Universalis [en ligne],

http://www.universalis-edu.com.acces.bibl.ulaval.ca/encyclopedie/pedagogie-les-problemes-de-l-education-scolaire/, consulté le 7 février 2016.

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regard de l’historiographie, l’enseignement des sciences chez les Ursulines au XIXe siècle peut sembler inusité. Comment expliquer l’inclusion de cours de sciences dans le curriculum des Ursulines dès les années 1830 ? Quelles pouvaient être les motivations des maîtresses ursulines ? Que révèle le discours entourant cet enseignement des sciences destiné à des jeunes filles ? Quelle image de la science était véhiculée par les maîtresses enseignantes ? Est-ce qu’une conscience du genre se révèle ? Enfin, dans quelle mesure le modèle original d’enseignement des sciences développé par les Ursulines de Québec apparaît conforme au modèle général d’éducation des filles au XIXe siècle ?

3. DES SOURCES DE PREMIÈRE MAIN : LEURS LIMITES ET LEUR POTENTIEL

Un ensemble de sources en lien avec l’enseignement des sciences est aujourd’hui accessible au centre d’archives du MUQ. Ces documents nous renseignent sur le cadre général de l’enseignement et sur l’enseignement spécifique des sciences.

a) Les sciences dans le cadre général de l’enseignement

Les cours de sciences des Ursulines ne représentent qu’une portion du curriculum qui, lui-même, s’inscrit dans un contexte éducatif plus large. Diverses sources consultées nous informent sur le cadre général de l’enseignement chez les Ursulines de Québec entre 1830 et 1910 : les règlements, les Annales, les prospectus, les listes de prix et les questions des concours.

La mission et le fonctionnement d’une communauté religieuse ne sont pas laissés au hasard49. L’ouvrage intitulé Règlements des religieuses ursulines de la Congrégation de Paris, édité en 1845, nous informe sur la hiérarchie au sein des maîtresses et sur les règles entourant les différents aspects de la vie des pensionnaires. Ces règles ne sont pas spécifiques au monastère de Québec. Les matières à enseigner, à l’exception de la lecture, de l’écriture et du catéchisme, n’y sont pas explicitées. À cet égard, un document manuscrit intitulé Règlement

des élèves du pensionnat des Dames Ursulines de Québec, rédigé en 1844 par l’abbé Thomas

49 En 1682, les Ursulines de Québec ont adopté la Constitution de la congrégation des Ursulines de Paris. Elles ont été liées

à leurs consœurs françaises jusqu’à la création de l’Union canadienne des Ursulines en 1953. Oury, Les Ursulines de Québec, p. 10-11, 100.

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Maguire, avec la collaboration de sœur Saint-Henri McLaughlin, témoigne des intentions pédagogiques de la maison d’enseignement50. Les règles explicitées concernent l’horaire de la journée, les matières enseignées, les approches pédagogiques privilégiées, les devoirs des maîtresses et les mesures d’hygiène (propreté, alimentation, récréations). Les cours de sciences y sont brièvement décrits et commentés.

Chaque année, depuis la fondation de la communauté à Québec, une religieuse nommée « annaliste » consigne les informations jugées dignes de mention dans un grand cahier intitulé Annales du Monastère des Ursulines de Québec51: événements (fêtes religieuses, rituels, célébrations de profession, décès), visites, missions, travaux de construction, acquisition de matériel, état des finances, aumônes, etc. Les informations relatives au pensionnat y occupent un espace relativement restreint. Un examen attentif nous a néanmoins permis de relever certains événements marquants du pensionnat (agrandissement, ajout de matières, visite de l’inspecteur ecclésiastique, etc.) et d’identifier les actrices et acteurs clés52. Des extraits retenus sont aussi évocateurs de l’attitude des religieuses à l’égard de la science et des avancées technologiques.

Au sujet des Annales du MUQ, Christine Cheyrou précise avec justesse que « le souci d’authenticité et de fidélité, au sens où les événements et les informations sont tels qu’ils ont été vécus ou observés, triomphe sur celui d’objectivité et d’exhaustivité »53. Ce souci de mémoire, plus que de rigueur historique, vaut également pour deux ouvrages sur l’histoire des Ursulines de Québec publiés au XIXe siècle par des religieuses de la communauté54. Ces

50 Selon Oury, l’approche établie par l’abbé Thomas Maguire en 1844 a prévalu jusque dans les années 1930; Oury, Les

Ursulines de Québec, p. 321-322.

51 Il s’agit de manuscrits originaux. Le contenu, facilement lisible, suit un ordre chronologique, par année. Chaque volume

compte entre 700 et 800 pages. Des titres inscrits dans les marges facilitent le repérage des informations pertinentes. Les volumes des Annales inclus dans l’analyse couvrent la période de l’étude : tome II (1822-1894), tome III (1894- 1907) et tome IV (1907-1913). Des recherches ponctuelles ont été effectuées dans le tome V (1913-1921).

52 Les notices nécrologiques (aussi désignées « biographies » dans les sources) représentent une importante source

d’information relative aux actrices et acteurs. Au-delà du caractère élogieux, voire hagiographique, de certaines d’entre-elles, des informations factuelles (lieu de naissance, famille, fonctions occupées au sein du pensionnat, etc.) y sont colligées. Ces notices sont aussi révélatrices du regard porté par les religieuses sur la vie de la défunte, ses caractéristiques, ses goûts, ses apports à la communauté, etc. L’importance du corpus nous a contrainte à reporter l’analyse de la correspondance des religieuses à une étude ultérieure.

53 Christine Cheyrou, Les Ursulines de Québec : espaces et mémoires, Québec, Fides, 2015, p. 18.

54 Les auteures de Les Ursulines de Québec depuis leur établissement jusqu’à nos jours posent un regard lucide sur leur

ouvrage qu’elles décrivent comme : « une espèce d’encyclopédie monastique, qui peut au besoin suppléer aux manuscrits de nos archives. Ce sont encore des faits intimes, des détails familiers, des légendes, de ces choses que la grande histoire oublie ou néglige, mais qui cependant ont quelquefois de l’importance et toujours de l’intérêt…. ». Sœurs Adèle Cimon dite

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documents nous renseignent sur les préoccupations des religieuses et le regard qu’elles posent sur leur communauté. Ils nous donnent aussi accès à un savoir transmis oralement. Nous y avons déniché des informations relatives aux actrices, complémentaires aux notices nécrologiques. En ce qui a trait au XIXe siècle, période de notre étude, l’auteure sœur Sainte-Croix Holmes évoque son rôle de témoin : «we can now tell of "what we have seen and testify to what we have known" »55. À ces sources s’ajoute un document manuscrit intitulé Notes

sur le Pensionnat depuis 180056, un complément aux Annales dans lequel les principaux événements relatifs au pensionnat (création du demi-pensionnat, examens publics, enrichissement du musée, etc.) sont colligés de façon assez succincte. Une liste des maîtresses de sciences nous a été utile.

Nous avons eu accès aux prospectus publiés par les Ursulines de Québec entre 1847 et 1960. Ces documents annoncent les cours offerts, les coûts, le matériel nécessaire et les principaux règlements de l’institution. Ils permettent, entre autres, de suivre l’évolution de l’offre de cours au fil du temps57. L’intention des auteures, les Ursulines de Québec, doit être prise en considération dans l’analyse. Les prospectus s’inscrivent dans une stratégie publicitaire visant à recruter des élèves58. Ils ne nous informent pas sur le contenu des cours. Enfin, des documents complémentaires nous ont permis de situer les cours de sciences dans l’ensemble du curriculum, particulièrement les cahiers de distribution de prix et les questions des concours59.

Sainte-Marie et Catherine Burke dite Saint-Thomas, « Le Monastère au dix-neuvième siècle », Les Ursulines de Québec depuis leur établissement jusqu’à nos jours, tome 4, livre sixième, Québec, C. Darveau, 1866, p. 739; Sœur Suzanne Josephine Holmes dite Sainte-Croix, Glimpses of the monastery, scenes from the history of the Ursulines of Quebec during two hundred years, 1639-1839, second edition revised, augmented and completed by Reminiscences of the last fifty years, 1839-1889, Québec, L. J. Demers, 1897, 418 p. (Glimpses) et 184 p. (Reminiscences).

55 En lien avec notre étude, cette assertion de sœur Sainte-Croix Holmes vaut, notamment, pour le chapitre qu’elle consacre

à sa maîtresse de sciences, sœur Marie-de-l’Incarnation O’Conway. Sœur Sainte-Croix Holmes, Reminiscences, p. 1.

56 Petit cahier comprenant une vingtaine de pages manuscrites. Archives du MUQ, Annales du Pensionnat des Ursulines de

Québec depuis 1800, 1800-1941, fonds 1/K,1,1,3,11,0, SR-1-1-6.

57 Par exemple, les sciences sont annoncées dès 1847 et la sténographie est ajoutée en 1902.

58 Christine Hudon, « De la retraite romantique à la citadelle assiégée : la représentation des collèges à travers les prospectus

des XIXe et XXe siècle », Louise Bienvenue, Ollivier Hubert et Christine Hudon dir., Le collège classique pour garçons :

études historiques sur une institution québécoise disparue, Anjou, Fides, p. 327;

59 Les listes de distribution de prix prennent la forme de cahiers manuscrits dans lesquels sont consignés les noms des

récipiendaires pour chaque matière ou les prix attribués par élève. Ces listes semblent avoir servi à l’élaboration des cérémonies de remises. Plusieurs prix pouvaient être attribués pour une seule matière et une même élève pouvait recevoir plusieurs prix. Nous avons eu accès à treize cahiers dont les dates s’étendent de 1864 à 1924. Pour les années 1839 à 1845, nous avons eu accès aux listes de prix publiées dans le journal Le Canadien. Les prix peuvent témoigner des matières qui « méritent » d’être récompensées. Plusieurs années nous échappent, d’où l’intérêt de croiser les données avec celles tirées d’un document manuscrit identifié par l’archiviste « Préparation de programme ». Nous y retrouvons une description du

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b) L’enseignement spécifique des sciences

Le cœur du corpus de sources est composé de cahiers de notes de cours de sciences : des cahiers de planification rédigés par des maîtresses et des cahiers de notes d’une élève. Ces documents de première main offrent un accès privilégié à la matière scientifique enseignée. Tous les documents mis à notre disposition (13 cahiers) ont été examinés et un échantillon a été constitué. Les cahiers retenus pour l’analyse couvrent les matières désignées sous le vocable « sciences » dans les programmes et les concours : astronomie, botanique, zoologie, minéralogie, géologie, chimie et physique60. Les cahiers de notes de sciences d’une élève ont été inclus dans l’analyse. Ils ont l’avantage de nous informer sur le contenu réellement transmis aux élèves.

Cet échantillon (tableau 1) apparaît représentatif du contenu des cours de sciences enseignés entre les années 1880 et 1900. La période comprise entre les années 1830 et 1870 nous échappe cependant. Nous devons, pour cette période, nous rabattre sur le Règlement des

élèves de 1844, qui fournit quelques informations quant au contenu des cours de sciences à

l’époque. Un autre document singulier comporte un intérêt. Il s’agit de notes manuscrites d’un cours de chimie et de physique donné par l’abbé et professeur au Séminaire de Québec Edward John Horan en 1834, probablement au parloir des Ursulines61. La comparaison de ce document, bien que limité à la chimie et à la physique, avec les cahiers de notes des Ursulines de la fin du XIXe siècle, nous a permis d’apprécier la pérennité de l’influence des professeurs du Séminaire dans l’enseignement des sciences chez les Ursulines.

curriculum suivie d’une section intitulée « Modèles de concours pour les élèves du cours supérieur », incluant les questions des concours (septembre et juin) des classes supérieures entre 1881 et 1917.

60 L’importance du corpus nous a contrainte à limiter l’analyse du contenu des cours à ces sept matières et à exclure les

cahiers de notes de mathématiques (2 cahiers) et de géographie (2 cahiers). Trois cahiers postérieurs à 1910 ont aussi été exclus. Parmi les huit cahiers de planification de cours de sciences restants, cinq ont été retenus pour l’analyse. Il est en effet apparu que le contenu était quasi identique d’un cahier à l’autre, souvent au mot près. Nous avons privilégié, lorsque possible, les cahiers datés et signés. Deux extraits contenant des informations non traitées dans les autres cahiers ont aussi été retenus. Nous nous sommes assurée d’avoir en main des notes pour chaque discipline. Nous avons par ailleurs eu accès aux cahiers de notes de sciences de deux élèves (devenues par la suite religieuses ursulines) : Antoinette Landry (cahiers datés de 1902 et 1903) et Cécile Savard (date de rédaction estimée entre 1900 et 1906). Cette fois encore, le contenu des cahiers des deux élèves était pratiquement identique, au mot à mot. Nous avons retenu les cahiers d’Antoinette Landry, datés et plus complets. Les notes de zoologie n’apparaissent pas dans les cahiers des élèves auxquels nous avons eu accès. La discipline devait néanmoins être enseignée puisque les concours de 1902 et 1903 comportent des questions de zoologie. Toujours en raison de l’importance du corpus, nous avons restreint notre recherche aux élèves pensionnaires et exclu l’enseignement aux élèves externes ou de l’École Normale.

61 Le document, incomplet, est intitulé « Traité par M. l’abbé Horan ». Ces notes, manuscrites, pourraient avoir été prises

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Figure 1 : Monastère des Ursulines de Québec au XIX e  siècle
Figure 2 : Cadre d’analyse
Tableau 1 : Cahiers de notes de sciences retenus pour l’analyse 62 Auteure  Date  Disciplines  (nombre  de
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