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2.2 Véhicules lourds

2.4.3 Les 4 scénarios de la mobilité durable interurbaine des personnes

Poser les bonnes questions et envisager des expérimentations à vocation pédagogique : l’objectif est le même dans le champ de la mobilité interurbaine des personnes que dans le domaine de la mobilité urbaine. Là aussi, il faut ouvrir le champ des possibles et entrer de plain pied dans diverses logiques de rupture. Reprenons pour cela la même progression que dans les pages qui précèdent en prenant au sérieux les différences, voire le fossé, qui séparent les diverses conceptions du développement durable. En reprenant le même schéma analytique, nous retrouvons quatre scénarios de référence pour lesquels on remarquera que les ruptures sont encore plus clairement marquées que dans le groupe de BATZ. Le scénario 3 par exemple n’est pas seulement celui de l’homo contractor, il est surtout (cf l’école de Londres), celui du rationnement de la mobilité. Dans le même ordre d’idées, le scénario 4 cherche à rompre avec le productivisme qui domine aujourd’hui l’organisation de la société en général et de nos budgets temps en particulier.

Graphique 10 : Grille de lecture de la mobilité durable interurbaine de personnes

Bien commun

multidimentionnelBien commun

multidimensionnel

Bien commun

unidimentionnelBien commun

unidimensionnel

Action sur

les quantitésAction sur

les quantités

Action sur

les prix

Action sur

les prix

Scénario 4

Promotion des activités de proximité

Scénario 3

Rationnement raisonné de la mobilité

Scénario 2

Nouvelle donne économique de la mobilité

Scénario 1

Frontière technologique

Le scénario 1 "frontières technologiques", ne doit pas seulement être vu comme la continuation des

tendances passées. Il l’est d’une certaine façon puisqu’il s’agit de permettre de poursuivre la croissance de la mobilité interurbaine. Mais comme cela doit se faire en limitant autant que possible les atteintes à l’environnement, il peut nécessiter des ruptures technologiques. Par ce terme nous ne désignons pas des changements radicaux comme on les introduit trop souvent, et trop naïvement, quand on parle du futur. Ne tablons donc pas sur les scooters volants ou le moteur fonctionnant à l’eau, faisons plutôt fond sur des changements apparemment mineurs mais qui peuvent modifier sensiblement notre façon d’organiser la mobilité interurbaine. Ainsi, les nouvelles technologies de motorisation (PAC, moteurs hybrides…) sont souvent évoquées comme la solution aux problèmes environnementaux. Mais il ne faut pas oublier d’autres changements technologiques, notamment avec les TIC embarquées dans les véhicules particuliers, qui peuvent modifier assez largement la conduite et même le choix d’itinéraire. Technologie moderne ne signifie pas pour les VP vitesse accrue mais fiabilité et régularité des temps de parcours, ce qui supposera bien sûr des investissements nouveaux, et coûteux sur les infrastructures. Les questions financières ne sont donc pas absentes. Elles sont aussi très importantes dans le champ des transports collectifs interurbains. Qu’il s’agisse du train classique, du TGV ou de l’avion, mais aussi des bus, des évolutions techniques sont possibles dans de nombreux domaines (bruit, motorisation, accès aux gares et aéroports) qui peuvent changer assez nettement la donne en la matière. Les expérimentions prennent ici des formes connues comme les interconnexions entre avion et TGV dans les aéroports, mais aussi des formes moins connues comme la régulation et l’homogénéisation des vitesses sur les autoroutes en voie de saturation. Il serait aussi intéressant de tester les effets du développement de réseaux interurbains de bus sur autoroutes. Si leur taux de remplissage est convenable, ils peuvent, grâce aux vitesses permises sur autoroute, offrir une vraie alternative à l’automobile et au train classique, souvent très coûteux pour la collectivité. L’idée générale est bien ici de profiter des progrès techniques des différents modes pour redéfinir la zone de pertinence économique et environnementale de chacun d’entre eux. Dans ce cas comme dans d’autres, ce sont les expérimentations qui permettront de faire prendre conscience des changements possibles.

Le scénario 2, dominé par une vision économiste des choses, invite à trois types de rupture que résume

l’idée de fin du subventionnement de la mobilité. Ce dernier n’est pas toujours explicite mais il est toujours présent dans les discours sur le développement économique dont on ne cesse de répéter qu’il exige au préalable des investissements dans les infrastructures de transport. De même que l’on souligne le rôle clé des chemins de fer ou de la marine à vapeur au XIX° siècle, de même on se polarise aujourd’hui sur la nécessité ici d’un aéroport, là d’une nouvelle autoroute ou d’une LGV. Le problème est que cela se fonde systématiquement sur des financements publics. La mobilité interurbaine s’inscrit donc dans une logique non marchande73 et fait appel à une fiscalité globale pour son financement, comme on

le voit aujourd’hui très clairement dans le budget des Conseils généraux. Rompre avec le subventionnement systématique revient donc à inscrire la mobilité dans le champ de l’économie marchande qui est aussi celui de la couverture des coûts. Il en résulte trois ruptures :

„ Une rupture dans le monde de l’automobile par un mécanisme simple : l’affectation des

recettes de la TIPP aux seuls coûts externes (insécurité, bruit, pollution, changement climatique) afin que ceux ci soient enfin internalisés. Une fois cette logique établie, il devient clair que d’autres recettes sont nécessaires pour couvrir l’entretien et le développement des infrastructures. Cela signifie, à l’échelle des départements, dont le rôle vient d’être renforcé dans ce champ, la nécessité de développer une vignette ou des péages. Même s’il ne s’agit pas à proprement parler d’une marchandisation de la route, il y a rupture au sens où

certaines dépenses sont explicitement couvertes par des recettes spéciales comme on peut le voir dans le cas du traitement des ordures ménagères par exemple.

Tableau 18 : Tableau synoptique des quatre scénarios de la mobilité interurbaine

Ruptures Objectifs majeurs Outils principaux Transition

Frontière Techno lo gique Nouvelles technologies orientées vers la massification et la sécurité (VP, train, avion..) mais aussi vers les télécommunications

substitutives

Obtenir un découplage entre croissance des trafics et coûts externes

par la baisse des coûts unitaires et éventuellement la substitution entre télécommunications et mobilité Dépenses de recherche et incitations réglementaires et financières à la diffusion du progrès technique Expérimentation de nouveaux produits (PAC, véhicules intelligents, swissmetro,

TERGV, avions gros porteurs…) plus expériences de télétravail… N o u velle Lo gique Economique de la mobilité En finir avec le subventionnement systématique de la mobilité interurbaine Réduction et internalisation des coûts internes et externes par

la transparence des subventions et la vérité

des prix

Sortir les transports du champ de la péréquation budgétaire

pour en faire le lieu d’une tarification spécifique à chaque

mode. D’où une tendance à la hausse du coût de la mobilité interurbaine… Expérimentations de tarification de la route dans certains départements (vignette, péage ?), contrainte à la baisse des coûts dans le

ferroviaire, vers des taxes

environnementales pour l‘aérien

Rationnement Raisonné de la

mobilité

Se donner des objectifs quantitatifs de réduction de la consommation de

pétrole (et autres énergies non renouvelables ?) par les

transports

Vers des plafonds de consommation pour les

énergies non renouvelables, notamment pour la

route et l’aérien

Mettre en place des permis d’émission (ou

de consommation) négociables dans le champ des carburants

Expérimenter, d’abord virtuellement, un marché des PEN entre

les grands pétroliers, mais aussi dans le

transport aérien

Promotion d

es

activités de proximité

Afficher une volonté de réduction de la mobilité car la fuite en avant

dans l’activisme est considérée comme

néfaste pour la collectivité et pour les

individus

Valoriser les activités de proximité (culture, loisir, tourisme, vie sociale) et les déplacements de faible portée utilisant les

modes doux

Proposer aux citoyens des programmes d’activités types pour

sortir de l’activisme chronophage et énergivore. Mettre en place les équipements

collectifs en correspondance (voies vertes, parcs naturels et centres de loisir locaux)

Transposer au monde des loisirs et de la culture l’expérience des

"maisons du temps". Les collectivités locales

avec le soutien de l’ADEME, deviennent les organismes tutélaires de

nos programmes d’activités.

„ Une autre révolution apparaît aussi dans le domaine des transports collectifs interurbains,

radical consiste à remettre en cause les subventions généreuses versées au secteur ferroviaire. Evoquer la connaissance des coûts suppose que l’on s’interroge aussi sur les surcoûts internes du transport ferroviaire et sur la meilleure façon de les réduire, soit pour en faire profiter les usagers par une baisse des prix propice au développement du trafic, soit pour en faire bénéficier les contribuables via une baisse des subventions.

„ La troisième rupture concerne le transport aérien qui utilise aujourd’hui un carburant détaxé.

Face à la rareté des ressources pétrolières, le transport aérien ne pourra durablement (à tous les sens du terme…) s’exonérer des questions de l’internalisation des coûts externes (bruit, pollution, changement climatique) et de la prise en compte de l’impôt rareté (règle d’Hotelling) qui s’impose logiquement pour les ressources rares.

Ces trois changements de cap apparaîtront évidemment très radicaux aux défenseurs de l’un ou l’autre de ces modes. Au point que leur avènement n’est pas une chose probable à court terme. Mais comme il peut être graduel, partiel, il est tout sauf impossible, d’autant qu’il découle simplement d’un traitement économique standard des problèmes posés par une pression croissante de la mobilité sur l’environnement et les ressources énergétiques.

Le scénario 3, rationnement raisonné de la mobilité, se fonde sur la même vision réaliste des

choses, en la durcissant. La poursuite des tendances actuelles va conduire à des changements majeurs qui pourraient être moins graduels que dans le scénario précédent. L’idée est donc ici de partir du principe que des raretés manifestes pourraient survenir et imposer des contraintes plus fortes. Evoquer le rationnement ne consiste donc pas ici à dire ce que l’on souhaite mais seulement à se préparer à des chocs auxquels il faut se préparer. Dans cette perspective, l’Ecole de Londres nous enseigne qu’il vaut mieux agir explicitement sur les quantités pour que les effets qui en résultent sur les prix apparaissent bien comme la résultante d'une rareté absolue et non comme une simple volonté de matraquage fiscal. D’autant que ce que nous ont appris les quelques expériences nord américaines de marchés des permis négociables (notamment sur le plomb dans l’essence ou les émissions de soufre) est que cette régulation par les quantités ne se traduit pas forcément par un rationnement féroce. Rendre explicite un plafond d’émission ou de consommation de carburant, c’est se donner les moyens de faire apparaître les préférences des individus et des firmes en matière de réduction de la consommation de carburant. En ce sens, les expérimentations sont indispensables. Ce qui est train de se mettre en place pour les sites industriels les plus émetteurs de CO2 mérite d’être examiné de très près pour en tirer des enseignements

dans le champ des transports. Le recours à l’économie expérimentale pourrait d’ailleurs être un moyen de tester virtuellement le comportement des acteurs (groupes pétroliers, transporteurs aériens, particuliers…) devant un tel système. Ce serait notamment l’occasion de mesurer la valeur implicite de la tonne de CO2 dans le secteur des transports, qui diffère sans soute sensiblement de la sa valeur dans le

secteur industriel où la substitution d’autres énergies au pétrole est plus commode. Ce n’est donc pas parce que le scénario 3, qui évoque le rationnement, semble très dur et très improbable, qu’il faut se priver d’expérimentations.

Le scénario 4, promotion des activités de proximité, mérite une attention particulière car c’est sans

doute celui qui se rapproche le plus du sens commun tout en s’éloignant le plus des pratiques individuelles et sociales. Le sens commun s’exprime clairement, sous la forme d’une crainte généralisée, dans tous les sondages sur l’environnement, les OGM ou la protection des sites naturels. Dans tous les cas la vox populi met en cause les risques, voire les dégâts du progrès technique. En matière de mobilité interurbaine, tout projet d’aéroport, de ligne TGV ou d’autoroute, voit surgir des opposants (majoritaires le long du tracé !) qui fustigent la fuite en avant que représente cette nouvelle infrastructure. Derrière cette attitude, se cache un raisonnement plus élaboré, rarement explicite, mais nettement anti- productiviste. Car l’habitant des pays industrialisés reste au fond de lui très méfiant à l’égard de la

même pour des économistes célèbres74. Ensuite parce que cette pérennité même, si elle se traduit par

l’avantage de la hausse constante des revenus, comporte de multiples inconvénients comme les suppressions d’emploi, l’évolution des qualifications et, plus fondamentalement dans le thème qui nous occupe, le risque de déboucher sur un productivisme sans signification pour les individus75 et menaçant

pour les générations futures. C’est pourquoi René Passet et l’Ecole française ont proposé de saisir la question du développement durable pour interroger les implications du développement économique sur les relations sociales et l’environnement naturel. La question de la qualité de vie devient ici centrale pour remettre en cause tant les grands choix de société que les comportements individuels. Transposée au champ spécifique de la mobilité durable, la question de la qualité de vie conduit à s’interroger sur les programmes d’activité. Car ce que l’on constate dans tous les pays du monde, est un couplage entre croissance économique et distances moyennes parcourues annuellement par les individus.

Graphique 11 : Evolution des distances parcourues par personne depuis 1800 aux Etats-Unis

Source : AUSUBEL J.H., C. MARCHETTI, P.S. MEYER, (1998),

Toward green mobility : the evolution of transport, European Review, Vol. 6, N. 2, pp.137-156.

Si la hausse des revenus se traduit mécaniquement par une hausse tendancielle des distances parcourues, et la part croissante dans le total, des modes de transport les plus rapides, la question de la soutenabilité, collective et individuelle, de nos programmes d’activité est posée. Il faut donc rechercher ce qui pourrait infléchir la tendance et pour cela chercher non pas seulement du côté de la mobilité mais principalement dans la construction de nos programmes d’activité. Si nous devons, par choix ou par contrainte, nous habituer à des programmes moins gourmands en transports et en énergie, ce ne peut être par le biais d’une décision individuelle. Les collectivités locales doivent prendre en charge cette

question et proposer des activités de proximité, avec des déplacement de faible portée, recourant systématiquement aux modes doux. Sans se leurrer sur les effets concrets, à court et moyen terme de telles expérimentations, il est important qu’elles aient lieu pour en tirer des enseignements, dussent ils aller à l’encontre des hypothèses de l’Ecole française sur les relations contradictoires entre "l’économique et le vivant".