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Les scènes de genre romano-pompéiennes

Les scènes de genre ou plus communément les peintures de genre sont, d’après la définition faite par Denis Diderot des peintures dont les artistes « […] ne s’occupent que des fleurs, des fruits, des animaux, des bois, des forêts, des montagnes, et [ce] qui empruntent leurs scènes à la vie commune et domestiques »145. Antoine Chrysostome

Quatremère de Quincy élargit la notion en évoquant le « genre proprement dit, ou celui des scènes bourgeoises » au sein de ses Considérations sur les arts du dessin en France146. L’univers bourgeois » se retrouve dans les peintures L. Alma-Tadema,

influencé très certainement par ses contemporains de l’époque victorienne.

144 L’Aesthetic Movement est un courant à la fois artistique et littéraire qui s’est développé en Angleterre dans les années 1880. Les principaux représentants que sont Oscar Wilde, Max Beerbohm ainsi que les artistes préraphaélites rejettent l’idée que l’art doit avoir un but moral ou social. Ils envisagent, en quelque sorte, un « art pour l’art ».

145 Denis Diderot, Essais sur la peinture, 1766, édition critique établie par J. Assézat, Paris, Garnier Frères Editions, vol. 10, p. 508.

146 Antoine Chrysostome Quatremère de Quincy, Considération sur les arts du dessin en France, Paris, Desenne Editions, 1791.

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1. De l’intimité….

Nombreuses sont les scènes représentées dans des intérieurs de type pompéien où les murs rouges viennent raviver les sujets. La délicatesse des poses et les couleurs douces presque « parfumées » des tableaux créent des ambiances calmes où règnent la plénitude et l’apaisement. Ce bien être visuel » qui amène à la contemplation est accentué par des jeux de regard et de gestuel. Exit la violence dans les œuvres d’Alma- Tadema. Même un sujet tragique tel qu’Agrippine rendant visite aux cendres de Germanicus (ill. LXXIX) devient poétique. Allongée sur un lit, Agrippine tient dans ses mains l’urne cinéraire contenant les cendres de son défunt époux. Le drapé rouge qui l’entoure, fluide et léger vient adoucir cette scène douloureuse de vie privée.

Un autre point ne doit pas être négligé. Il s’agit bien évidement du titre donné par l’artiste aux tableaux. Les intitulés qui accompagnent les peintures sont parfois suggestifs mais toujours en délicatesse à l’instar de N’insistez pas, pour un toucher, je cède (ill. LXXX). La frivolité n’est qu’évoquée et la retenue est de mise dans la mesure où l’artiste produit ses œuvres dans une Angleterre puritaine où la Reine Victoria gouverne d’une main de fer dans un gant de velours » pour pasticher le propos tenu par Jean-Baptiste Bernadotte. De fait, la nudité des personnages est totalement absente. Elle n’est tolérée et acceptée que si les figures féminines et masculines représentent des dieux et des déesses de la mythologie. Or, ici ce ne sont que des simples mortels. Nous retiendrons tout de même la nudité d’un nourrisson jouant avec sa mère dans l’intimité du cocon familial. Le nouveau-né est allongé sur lit dont la forme a été dessinée par l’artiste. Encore une fois, le titre est évocateur : Le Paradis terrestre est un tableau réalisé en 1891 (ill. LXXXI).

Les thématiques du sentiment amoureux et de la galanterie sont également prépondérants l’œuvre de L. Alma-Tadema. Nombreux sont les têtes à têtes, les rendez-vous et les discussions sur un banc de marbre à l’ombre des arbres. Les jeux de regards des personnages figurés convient le spectateur à rentrer dans la scène. Transporté dans le passé, il devient observateur et participe au moment présent. Alma-

87 Tadema nous immerge le temps de quelques secondes dans la vie romaine et c’est cela qui fait toute la différence avec ces contemporains qui privilégient une Antiquité hermétique et impénétrable. Lawrence Alma-Tadema nous ouvre les portes de riches appartements pompéiens aux murs fraichement peints, aux mobiliers d’intérieur précieux, aux sols recouverts de peaux de bête et aux vêtements raffinés et légers.

Toutefois, si la richesse et l’abondance des biens dominent, c’est qu’encore une fois, l’artiste s’inspire d’une classe sociale qu’il connait et à laquelle il appartient : la bourgeoisie. Les riches pompéiens et romains représentés ne sont que le reflet de ses contemporains, même si Helen Zimmern affirme le contraire. Pour elle, « les tableaux que le maître nous donne ne sont pas des scènes modernes travesties en scènes classiques à l’aide de vêtements et d’accessoires, ni des imitations serviles de peintures pompéiennes, comme on en voit tant, aujourd’hui que l’Orient est à l’ordre du jour »147.

Cette approche intimiste de la peinture de genre d’Alma-Tadema se caractérise aussi par le cadrage resserré de la scène et par des petits formats ; petits formats qui viendront orner les murs des riches demeures londoniennes. Une promiscuité se créée dès lors avec le spectateur qui est invité à se rapprocher au plus près de la peinture pour y observer la touche picturale ainsi que les très nombreux détails.

2. …Aux festivités

Nous reconnaissons les tableaux de l’artiste par la douceur des poses et des couleurs mais aussi par le nombre restreint de personnages représentés. Cependant, ses scènes de genre ne sont pas sans nous rappeler les fêtes galantes si chères à Antoine Watteau.

Les Femmes d’Amphissa (ill. LXXXII) qui valut à l’artiste une récompense à l’Exposition universelle de Paris en 1889 présente les Thyades au lendemain des fêtes de débauches. Ces jeunes femmes, qui composent dans la mythologie gréco-latine le cortège du dieu de la fête et du vin Dionysos sont ici représentées alanguies sur le sol.

88 Elles se réveillent sous un jour éclatant. Leurs poses lascives et leurs vêtements froissés témoignent de la nuit d’ivresse passée. La scène est exclusivement féminine et les couleurs employées viennent comme l’affirmer : l’artiste use de teintes claires et pastelles. Les Bacchanales sont une des rares thématiques abordées par l’artiste pour évoquer et proposer des scènes de genre festives de l’Antiquité. En effet, ce sont dans ces fêtes religieuses en l’honneur de Dionysos-Bacchus que l’artiste a puisé ses idées. Ivresses, débauches et débordements sont les maitres mots pour décrire ces évènements dionysiaques et qui seront réinvestis dans des scènes de genre de plus grand format. Sont à noter ici les effets de groupes et de détails. Cette grande scène joue sur les échelles, entre regard éloigné, et regard approché. Pour autant, si Alma- Tadema présente des scènes fortement érotiques, il arrive à les doser de sorte que tout est représenté en subtilité : la nudité n’est nullement figurée. Nous retiendrons aussi, daté de 1870 La Fête des vendanges (ill. LXXXIII), Les Bacchanales (ill. LXXXIV) réalisé un an plus tard ainsi que l’Hommage à Bacchus (ill. LXXXV) ponctuant cette série en 1889.

Dans un autre registre, la Danse pyrrhique (ill. LXXXVI) présente, quant à elle, deux fantassins armés et appelés hoplites. Datée de 1869, c’est une des toutes premières peintures présentant une scène d’action. Également nommée danse en armes , c’est cette danse religieuse que l’artiste reprend et nous présente. Nombreuses sont les lignes de force et les diagonales qui viennent dynamiser le tableau.

Les fêtes sont presque toujours en lien avec la religion et la mythologique dans l’œuvre de l’artiste. Presque » car Le Printemps (ill. LXXXVII), peint en 1894, est inspiré d’une fête britannique : the May Day. Le 1er mai, les parents britanniques

envoient leurs enfants chercher des fleurs en cette journée célébrant la fertilité des terres. Cet évènement a été re-transposé par Alma-Tadema dans la civilisation passée. Architectures, vêtements et instruments de musiques sont tous fortement inspirés de l’Antiquité.

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