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De Charles Robert Cockerell à Guillaume-Abel Blouet

B. La couleur retrouvée, objet de fantasme des antiquaires et architectes

2. De Charles Robert Cockerell à Guillaume-Abel Blouet

Charles Robert Cockerell s’est rendu à Egine en 1811 mais ses recherches ne seront publiées que bien plus tard, en 1860. The temples of Jupiter Panhellenius at Aegina and of Apollo Epicurius at Bassae near Phigaleia in Arcadia fait notamment l’état du travail de recherches sur la polychromie. Il s’est intéressé en particulier à cette coutume qu’est la peinture et la dorure extérieure en architecture, si extraordinaire à nos yeux […] »53. Nous retiendrons de cet ouvrage un extrait de son chapitre III intitulé Details of

the temple. Il y fait une longue description très rigoureuse d’une planche de recherche qu’il a lui-même réalisée présentant des croquis, figures et autres dessins. Il propose une restitution de la frise intérieure du temple et expose les différents aspects de la couleur :

« Les feuilles, alternance de bleu et de rouge (ici les couleurs les plus importantes en proportion), sont admirablement renforcées par le pourpre et le vert pomme, effaçant toute rugosité qui pourrait être autrement contestée ; lorsque l’on considère que celles-ci étaient révélées par la réflexion de la lumière et qu’elles ne formaient qu’un petit enrichissement sur une grande masse de surface murale, la vivacité des couleurs peut en être déduite. Les mêmes couleurs sont visibles sur nombre de monuments égyptiens. Les moulures en forme de lit de la corniche frontale présentent trois variétés de feuilles, bleues, rouges et vert pomme. Le tympan lui-

52 Antoine Chrysostome Quatremère de Quincy, Le Jupiter Olympien ou l’art de la sculpture considéré sous un

nouveau point de vue, Paris, 1815, p. 29.

53 Charles Robert Cockerell, The temples of Jupiter Panhellenius at Aegina and of Apollo Epicurius at Bassae near

32 même était bleu clair. L’ornement de l’antéfixe et le chèvrefeuille de la

cimaise étaient dorés, de même que de nombreuses parties de la sculpture, une technique de décoration apparemment limitée au marbre ; et notable seulement de nos jours grâce à un petit relief des ornements, à l’origine peint à l’aide d’une certaine technique qui avait pour effet de préserver la surface du marbre, alors que les espaces non décorés, exposés à l’air marin ont été corrodés au fil des siècles, ce qui a eu pour effet de polir les zones ornées et de les faire ressortir par un subtil relief.[…] » 54

Bleu, rouge, vert pomme, pourpre et bleu clair sont autant de couleurs que Charles Robert Cockerell a relevées sur le motif de la frise. Il a également souligné l’application de la dorure sur la sculpture architecturale55. La vivacité des couleurs

semble donc accentuée par la brillance et l’éclat de la feuille d’or. L’architecte pousse plus loin ses affirmations concernant la présence des surfaces peintes du marbre. Il ne limite pas l’usage de la polychromie à cette île du golfe saronique qu’est l’île d’Egine. Il étend l’utilisation de la couleur jusqu’à Athènes et son acropole : « Cette manière d’utiliser l’or était fréquente à Athènes et on l’observe au niveau de nombreuses parties du Parthénon et du temple de Minerve Polias »56. Cependant, il ne s’appuie sur aucune

source pour affirmer ses dires. L’or était-il employé sur de si nombreux édifices ?

54 Charles Robert Cockerell, The temples of Jupiter Panhellenius at Aegina and of Apollo Epicurius at Bassae near

Phigaleia in Arcadia, op. cit, p. 28. Traduction libre de Sylvain Fardeau : “The leaves, alternate blue and red

(as are the greatest proportions of colour throughout) are wonderfully tempered by the purple and apple- green, removing all the harshness which might otherwise be objected; and when it is considered that these were seen by reflected light, and forming but a small enrichment to a great mass of wall surface, the vivacity of the colours may be understood. The same colours will be observed in many Egyptian monuments. The bed-moulds of the pediment cornice had leaves of three varieties, blue, red, and apple- green. The tympanum itself was of light blue. The ornament of the antefix, and the honeysuckle of the cymatium were gilt, as also many parts of the sculpture, a mode of decoration apparently confined to the marble; and discoverable only at the present by a small relief of the ornaments, painted originally in some medium which has had the effect of preserving the polished surface of the marble, while the intermediate spaces corroded by the action of the sea-air for so many centuries, have left the ornament polished and relieved. [...]”. Voir annexe 4 pour le passage dans son intégralité.

55 Cette technique, limitée au marbre d’après l’auteur, apparaît, d’après Brigitte Bourgeois et Philippe Jockey, comme « un ultime cas de figure [témoignant] d’un emploi plus inattendu [encore] de l’or, celui des statues que nous pourrions qualifier de "chrysochromes", associant l’or […] et la couleur » : Brigitte Bourgeois, Philippe Jockey, « Le marbre, l’or et la couleur. Nouveaux regards sur la polychromie de la sculpture de Délos », dans Sophie Descamps-Lequime (sous la direction de), Peinture et couleur dans le

monde grec antique, Paris, Musée du Louvre Editions, 2007.

56 Charles Robert Cockerell, op. cit. Traduction libre de Sylvain Fardeau : « Gold applied in this manner was frequent at Athens, and is observed in many parts of the Parthenon and of Minerva Polias »

33 G.-A. Blouet, toujours à propos de ce temple nous informe dans son Expédition de Morée du rôle joué par la couleur :

« Quant aux nuances de ces couleurs, elles n’avaient pas pour but l’imitation de la nature ; elles étaient vives, franches, et donnaient pour résultat un effet piquant qui relevait en enrichissant les formes architecturales et sculpturales, de manière à les faire ressortir suivant leur degré d’éloignement et la place plus ou moins obscure qu’elles occupaient. […] » 57.

La prise en compte du degré d’éloignement a-t-elle dès le début été pensée par les Anciens ? Pline, Vitruve et Pausanias ne semblent guère l’évoquer dans leurs écrits. Ce qui n’est au départ que déduction devient dès lors une affirmation presque irréfutable à partir de l’instant où la communauté scientifique la reconnaît :

« Ce qui vient encore ajouter à cet intérêt, c’est le soin et la conscience qui ont été apportés par les archéologues et les architectes qui, réunis ensemble, ont examiné et étudié avec le plus grand scrupule tous les documents recueillis sur les lieux, et en ont déduit les conséquences qui peuvent être regardées comme l’opinion de l’Allemagne sur ce monument ; ce qui n’était pas approuvé par toute l’assemblée était rejeté comme ne présentant pas un caractère suffisant d’authenticité. »58

Blouet nous informe également dans son Expédition de Morée des protagonistes qui ont joué un rôle majeur dans ce domaine de recherche et qui, de fait, se posent des questions sur l’utilisation de la couleur :

« La question de la peinture sur les monuments d’architecture et de sculpture a été le sujet de recherches de beaucoup de savants, parmi lesquels nous devons citer M. Quatremère de Quincy et MM. Raoul Rochette, Letronne et Hittorf ; et nous renverrons à leurs ouvrages pour connaître les développements dont cette question est susceptible. Les faits observés par des artistes et des archéologues prouvent d’une manière incontestable qu’assez généralement beaucoup de monuments d’architecture et de sculpture chez les Grecs, et jusqu’à une certaine époque chez les Romains,

57 Guillaume-Abel Blouet, op. cit.., Chapitre 24 « Temple de Jupiter Panhellénien ».

34 étaient ornés de couleurs. Ces couleurs couvraient-elles entièrement les

monuments ? et dans quelles mesures y étaient-elles appliquées ? C’est ce que l’on trouvera dans les ouvrages mentionnés ci-dessus »59.