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2. L ES DIFFICULTÉS LIÉES À L ’ ENSEIGNEMENT DE LA LECTURE DE L ’ ŒUVRE LITTÉRAIRE

2.2 Les spécificités des textes littéraires étudiés

2.2.2 Les savoirs convoqués par les œuvres spécifiquement imposées en Écriture

littérature

Les orientations prises par une majorité de cégeps quant aux choix de textes et au contenu du cours d’Écriture et littérature exacerbent les difficultés vécues par les étudiants lors de la lecture des œuvres complètes, lesquelles sollicitent déjà des savoirs sur les processus de lecture particuliers en raison de leur ampleur. De surcroit choisies dans le corpus de la littérature française du Moyen Âge à la fin du XVIIIe siècle, les œuvres sont en général l’occasion d’initier les étudiants à de nouveaux savoirs sur la langue, sur le monde et sur la littérature nécessaires à leur lecture16

.

Une liste des œuvres les plus souvent proposées dans le cours d’Écriture et

littérature issue d’une analyse de plans de cours17

(Goulet, Dezutter, Maisonneuve et Babin, 2010) permet de présumer de certains défis de lecture exigeant nombre de savoirs sur la langue en raison de formes langagières propres à chaque époque de création. En effet, plus d’un enseignant sur cinq impose la lecture de Candide; d’autres titres comme Le

Dernier jour d’un condamné, Dom Juan ou Tristan et Iseult se démarquent dans 15 % des

plans de cours. Sans les citer ad litteram, Voltaire, Hugo ou Molière ont employé un vocabulaire et une syntaxe propres au siècle qui les a vus naitre, susceptibles de faire obstacle à la lecture des cégépiens : un tel usage de la langue s’écarte de celui auquel sont

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Au terme d’une synthèse portant sur le concept de savoirs, Barbier et Galatanu (2004) ont défini globalement les savoirs comme des énoncés correspondant à des représentations reconnues et validées socialement, qui peuvent être réinvesties (notamment) dans la pensée et dans la communication. Une définition plus exhaustive des savoirs sera toutefois présentée dans la section 1.4 (p. 96).

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Le plan de cours est un document officiel remis par le professeur aux étudiants au début du cours de 60 heures. Il présente « les objectifs du cours, son contenu, des indications relatives aux méthodes, une médiagraphie, les modalités de participation au cours et les modalités d’évaluation des apprentissages » (Gouv. du Québec, 2007, p. 4).

exposés les jeunes québécois d’aujourd’hui. On peut supposer que c’est la situation que rencontrent aussi les professeurs de lycée en France si certains sentent le besoin de proposer un Projet de programme de français (seconde et première) et d’y prescrire « l’utilisation intensive du dictionnaire de langue, notamment à des fins d’enrichissement du vocabulaire » (Buttet, Joste, Le Quéré et Vassevière, 2007, n.p.). À tout le moins, ceux rencontrés par Renard (2011) « pointent [tous] le vocabulaire comme obstacle à une juste compréhension des textes » au niveau de la seconde (p. 154).

Bien que le repérage de « manifestations thématiques » fait appel à des savoirs sur le monde, ces savoirs en tant que tels ne doivent pas être évalués en Écriture et littérature18

. Ils s’ajoutent pourtant aux savoirs nécessaires au travail sur les œuvres imposées, ces dernières étant choisies dans un corpus de textes datant de plusieurs siècles. Dans l’enquête par questionnaire de Dezutter, Maisonneuve, Goulet et al. (2011), par exemple, les professeurs interrogés (n = 98) déclarent presque tous (entre 94 % et 97 %) qu’ils situent en classe l’œuvre obligatoire dans un courant littéraire, dans son contexte sociohistorique, dans la vie de son auteur. « Les lecteurs contemporains ne disposent pas, et ne disposeront jamais, de l’ensemble des connaissances présupposées » pour la lecture d’une œuvre longue comme le roman du XIXe siècle dans les classes belges et françaises (Waszak et Dufays, 2015, p. 227); il est justifié de penser qu’il n’en va pas autrement dans les cégeps du Québec pour les œuvres du Moyen Âge ou des Lumières. Les étudiants du cours d’Écriture et littérature ne pourraient aborder, par exemple, les tribulations médiévales de

Tristan et Iseult sous la loupe des années 2000 sans en occulter le sens original, dont les

valeurs religieuses ou les règles de courtoisie ont posé les assises.

Les données collectées par l’équipe de Dezutter ne nous renseignent pas sur le moment où les savoirs sur le monde sont partagés aux étudiants en classe d’Écriture et

littérature, ce qui soulève la question de l’importance des trois temps autour de la lecture :

l’avant, le pendant et l’après (Dezutter et Falardeau, 2015; Giasson, 2003). Pour

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Les éléments de l’œuvre relatifs au contexte culturel et sociohistorique font partie des critères de performance de l’Ensemble 2.

comprendre les références liées au contexte social, culturel ou politique de création de l’œuvre intégrale qu’ils doivent lire (Falardeau, 2002b), il est souhaitable que les étudiants du collégial soient au préalable mis en contact avec les savoirs sur le monde nécessaires dans le cadre d’une activité de « précadrage », essentielle au travail autour de l’œuvre complète en contexte scolaire (Waszak et Dufays, 2015) et sans laquelle un manque important de connaissances antérieures pourrait affecter sérieusement la compréhension et l’interprétation du texte pendant la lecture (Coutant et Perchemlides, 2005).

Des savoirs sur la littérature, comme les caractéristiques génériques, entrent enfin en jeu dans la lecture de l’œuvre littéraire complète. Canvat (1999b) et Falardeau (2002a) – pour ne nommer que ceux-là – ont en effet montré la pertinence de prévoir une prise de contact avec le genre de l’œuvre à étudier avant de la faire lire aux apprenants. Dans les choix d’œuvres faits par les professeurs en Écriture et littérature, les genres narratif et dramatique se démarquent particulièrement : dans une large majorité de plans de cours recensés à l’automne 2009 (Babin, Dezutter, Goulet et Maisonneuve, 2012), un roman et une pièce de théâtre sont mis à l’étude. Or, si l’on en croit les données de Morissette et Dezutter (2005) sur les choix des enseignants du secondaire en matière d’œuvres complètes, les jeunes ne semblent pas avoir une grande expérience du genre dramatique à la fin de leur scolarité obligatoire. Il ressort que seul le roman est abordé comme œuvre complète au premier cycle du secondaire. Et au deuxième cycle, même si le PFEQ impose la lecture d’au moins une pièce de théâtre, elle n’est recensée que chez une faible proportion des enseignants interrogés par Morissette et Dezutter (2005); le texte dramatique est plutôt abordé en extraits. Les œuvres narratives dominent encore largement en termes d’œuvres intégrales (Ibid.). On peut supposer dans ce contexte que plusieurs étudiants qui commencent le cégep n’ont qu’une connaissance limitée du genre dramatique, ce qui met en exergue la pertinence d’aborder les savoirs sur la littérature minimalement indispensables à la lecture des œuvres complètes travaillées en Écriture et littérature. Par ailleurs, il semble que ces savoirs ne soient pas tous également traités.