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L’orientation privilégiée par les éditions scolaires des œuvres complètes

2. D ES PISTES DIDACTIQUES POUR ENSEIGNER LA LECTURE DE L ’ ŒUVRE LITTÉRAIRE

2.3 L’orientation privilégiée par les éditions scolaires des œuvres complètes

Au-delà du programme d’études auquel ont accès les professeurs du collégial, l’édition de l’œuvre littéraire complète retenue peut aussi orienter les pratiques. À cet égard, le livre en tant qu’objet matériel est l’un des neuf supports recensés par Thévenaz- Christen et Leopoldoff Martin (2014) pour l’enseignement de la lecture en classe de français. Un accès à certaines données non publiées de l’analyse de plans de cours réalisée par l’équipe de la recherche source (Dezutter et al., 2009-2012) nous a permis de connaitre le type de livres utilisés, à savoir les éditions des œuvres complètes retenues (n = 380) pour plusieurs cours d’Écriture et littérature (n = 189). Il ressort de ces données que les professeurs du cours prescrivent près d’une fois sur deux (47,9 %) l’achat d’une œuvre littéraire dans son édition régulière, à savoir celle offerte au tout-venant à la librairie. Ce type d’édition présente diverses factures, les moins chères n’offrant souvent que le texte intégral de l’œuvre. L’autre moitié de professeurs du cours d’Écriture et littérature (47,9 % également) privilégient des éditions scolaires des œuvres, publiées spécifiquement à l’intention des étudiants du lycée (par les éditeurs français) ou du collégial (par les éditeurs québécois), comme ceux de la collection Grands textes, décrite par l’éditeur québécois CEC comme « la collection de classiques à teneur pédagogique (sic) adaptée pour les étudiants d’ici. Des classiques français et québécois vus et analysés par des professeurs du CEGEP » (Les Éditions CEC, 2016, n.p.). Des éditions similaires sont publiées dans les collections québécoises Littérature (ERPI, 2016), Parcours d’une œuvre (Groupe Beauchemin) et Parcours63

(Chenelière éducation, 2016), de même que dans la collection

Pocket Classiques en France, qui se veut « une nouvelle manière de lire et de comprendre

les classiques en un seul volume » (Charbonnier, 1998, quatrième de couverture).

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À la suite de l’achat du Groupe Beauchemin en 2005 (Nadeau, 2005), Chenelière éducation a renommé

Dans la mesure où ces œuvres peuvent orienter aussi le travail des professeurs du collégial qui les imposent, il convient de présenter leurs caractéristiques et les pistes didactiques qu’elles sous-tendent, d’autant que certaines publications tablent sur un appareillage didactique particulièrement adapté aux étudiants de FLL. La collection

Grands textes (ci-après GT), par exemple,

[p]ropose une section d’étude de l’œuvre par acte [ou par chapitre] en s’appuyant sur des extraits. Cela convient particulièrement bien à la clientèle des cours obligatoires de français. Propose une section d’étude de l’œuvre par approche globale. Les questions sont alors organisées en tenant compte des étapes de l’analyse et sert (sic) de modèle de démarche autonome. (Les Éditions CEC, 2016, n.p.)

Notre regard d’ensemble sur trois éditions scolaires d’œuvres complètes différentes64 nous permet d’observer que deux appareillages didactiques sont généralement offerts : l’un au fil du texte et l’autre, en annexe (que ce soit au début ou à la fin). Dans la première catégorie, on retrouvera au fil du texte des notes de bas de page, des images ou des photographies qui pourraient être exploitées par les professeurs en modelant leur utilisation de ces ressources ou en incitant les étudiants à y recourir lorsqu’ils posent des questions. Les inférences ainsi produites mobiliseraient des connaissances sur le monde ou sur la langue. Une édition de Dom Juan de la collection GT, par exemple, inclut ici et là des photos de différentes productions de la pièce au Québec (Thérien, 2008, p. 42, 49, 54, 55, 66, 83, 95, 123, 124) et une reproduction du tableau Don Juan et la statue du commandeur (Fragonard, c. 1830-1835 dans Thérien, p. 111). Quant aux notes de bas de page, celles dans Micromégas – L’Ingénu (Charbonnier, 1998) paru dans la collection Pocket

Classiques (ci-après PK) réfèrent le plus souvent à des savoirs sur le monde (explication

du contexte historique permettant de comprendre le dialogue ou la situation) ou à des savoirs sur la langue (synonyme ou définition d’un mot). Parfois, la note de bas de page rappelle aussi au lecteur le lien à faire avec d’autres passages de l’œuvre, forçant ainsi

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Il s’agit en l’occurrence des œuvres utilisées en classe par les professeurs ayant accepté de participer à notre étude, à savoir Dom Juan de Molière (Thérien, 2008), Le Mariage de Figaro de Beaumarchais (Bourbonnais, 2001), Micromégas et L’Ingénu de Voltaire (Charbonnier, 1998).

l’inférence rétrospective. C’est le cas dans Le Mariage de Figaro, publié dans la collection

PO, où le personnage de Chérubin fait référence, à la ligne 1003, à un évènement qui lui

avait été prédit; en note de bas de page, on trouve ce rappel au lecteur : « Figaro avait dit que Chérubin courait le risque de mourir frappé d’“un bon coup de feu” (lignes 627-628) « (Bourbonnais, 2001, p. 59). À d’autres endroits, les notes de bas de page renvoient aux textes d’accompagnement en annexe.

La deuxième catégorie d’appareillage didactique regroupe les textes et exercices fournis en annexe des œuvres intégrales. De nature variable et tant avant (coll. GT) qu’après le texte de l’œuvre (coll. GT et PK), ces appareillages peuvent être constitués d’une « présentation » de cette œuvre (coll. GT et PO), d’un résumé simple (coll. PK), d’une biographie de l’auteur (coll. GT et PO), d’une ligne du temps présentant les principaux évènements contemporains à l’œuvre (coll. GT, PO et PK), d’un texte décrivant ces principaux évènements et l’influence qu’ils ont pu avoir sur l’œuvre (coll. GT, PO et

PK). Dans les deux ouvrages québécois (coll. GT et PO), on trouve enfin une série de

questions et de consignes pouvant mener à une analyse de l’œuvre. Ces items invitent les étudiants tantôt au repérage, tantôt à la compréhension du propos du texte, tantôt encore à l’interprétation de certains passages. L’ouvrage édité en France (coll. PK) fournit pour sa part cette interprétation aux lecteurs. Il n’est donc pas exclu que les professeurs du cours d’Écriture et littérature s’inspirent de ces différentes ressources pour planifier les activités entourant la lecture de l’œuvre complète ou pour choisir un angle d’entrée.

Notre conclusion à l’égard des approches d’enseignement de la lecture de l’œuvre intégrale en Écriture et littérature met en lumière les enjeux émanant de la formation des professeurs en études littéraires, des savoirs didactiques auxquels ces derniers pourraient avoir accès, des prescriptions du programme d’études et des pratiques encouragées par les éditions scolaires des œuvres. Or, la complexité de l’acte d’enseigner fait en sorte qu’il est peu probable que les professeurs du collégial s’orientent vers une approche exclusive, ce qui s’avère de toute façon peu souhaitable dans l’enseignement de la lecture (Giasson, 2003; Lebrun, 1990; Sabouret, 1998). Cette complexité ouvre donc en classe à une mixité variable des modèles didactiques et pédagogiques, comme l’affirment d’ailleurs Bru (1998)

et Altet (2003) à l’égard de toute pratique enseignante. Nous proposerons ainsi dans la prochaine partie un cadre de définition des pratiques et une réflexion sur les manières possibles de les étudier.

3. L’ÉTUDE DES PRATIQUES D’ENSEIGNEMENT DE LA LECTURE DE