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2.2 Les connaissances : médiation des connaissances techniques dans l’entreprise

2.2.2 Le savoir collectif dans l’information

2.2.2.1 De la médiation à l’information

Pour ne pas déroger à la règle, nous aurons d’abord recours à notre dictionnaire étymologique,

pour constater que le verbe « informer », du latin informare : « instruire » (sens qui ne nous

échappera pas dans un contexte de transfert des connaissances), prend successivement dans la

littérature, le sens de : « instruire de quelque chose » (J. de Meung, 1265), puis jusqu’au

XVII° s. « interroger » (1286), et enfin « mettre au courant » (première apparition :

Froissard, 1360). Mais c’est sa première apparition en 1190 (Garnier), sous le lexique de

« enformer » : « donner une forme », qui nous intéresse particulièrement. Comme le souligne

B. Lamizet, contrairement au substantif « communication »

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Les termes d’information et communication étant intimement liés dans leurs usages…

construit sur le préfixe

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racine « form » et connote donc un rapport à la forme. Il reste attaché au sens de donner une

forme, mettre en forme quelque chose. Pour B. Lamizet, cette mise en forme correspond à la

transformation d’un réel pour intégrer le champ des formes et donc celui de la

communication. Cette intégration est soulignée par le préfixe « in » : information = la

formation, soit donner une forme à quelque chose, dans

Ces formes prendront l’aspect dans le champ social, de formes d’échanges et de formes de

diffusions, soit des formes liées à des pratiques de relations sociales. La différence entre les

deux se situe dans la réciprocité [destinateur – destinataire]. Dans le cas de l’échange (où il y

a bien réciprocité), le champ social va impliquer comme nous l’avons vu plus haut, un

passage de l’intersubjectif au médiaté et va donc induire une notion économique de l’échange,

une notion de valeur. Dans le cas de la diffusion (non réciproque), le problème se situera

plutôt dans

une autre. La relation intime qui lie

information et communication est alors élucidée : « il s’agit de la relation entre le réel et la

forme qui permet au réel, une fois mis en forme, de circuler dans l’espace de communication

entre des partenaires qui, dès lors, assigneront un sens à la forme résultant du travail de

l’information. » (Lamizet, 1992). On est donc dans une sorte de prisme [réel - forme -

réactualisation dans un nouveau réel], où la forme est le maillon entre information et

communication. Le concept de communication va correspondre à un espace, une structure,

alors que celui d’information est plus un procès dynamique : le travail de mise en formes.

l’appropriation par le sujet, des formes de communication dans l’espace social,

soit l’acquisition d’un savoir

Nous parlions tout à l’heure de mise en forme, de l’accession au monde des formes. A partir

du monde réel, l’information nous introduit dans l’espace de la référence, axé sur la relation

. « Le savoir représente l’appropriation par le sujet de la

référence…., et, par conséquent, il sanctionne, pour le sujet, l’effectivité de la communication

à partir du moment où elle est revenue au sujet, sous la forme du savoir qu’il s’est approprié

par la médiation du procès symbolique d’échange. » (Lamizet, 1992). Ne dit-on pas que

l’information est l’apport d’une nouvelle connaissance qui va modifier notre champ de

savoir ? Le savoir a un double rôle : à la fois, c’est lui qui permettra de jauger la validité

(valeur) de la communication ; à la fois, c’est lui qui situera le sujet dans la communication

sociale (rôle, statut, aux yeux des autres acteurs). Le savoir est donc pour B. Lamizet, « l’issue

sociale de la communication ». C’est quelque part lui qui fonde l’identité du sujet dans la

communication sociale, au sens d’une légitimation. « En représentant l’ancrage du sujet dans

la référence et le rapport au réel, le savoir vient marquer, ainsi, l’effectivité de l’ancrage

social du sujet grâce à la communication. » (Lamizet, 1992).

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[référence - sujet – signifiant] : pour être intégré à l’espace de la communication sociale, le

sujet doit maîtriser les codes communs, les signes et leurs références, mis en place et partagés

selon une convention, le consensus établi. Par l’information, il y a bien ancrage de la

communication dans le réel des acteurs du champ social (contrairement à la communication

intersubjective qui ne nécessite pas ce rapport au réel : ici on dépasse le stade du miroir). Ce

champ de la référence va donc être structuré par les relations au réel qui sont, pour B.

Lamizet, l’équivalent des « modes de constitution d’un espace social de l’information », et de

trois types. La première de ces relations [référence – réel] est relative au « manque ». Dans la

relation du sujet au signifiant, le manque est ce qui sépare la notion d’information de celle de

communication. Il est en quelque sorte, le champ des signifiants possibles et valides pour une

référence donnée, une délimitation des savoirs au sein du champ social. La deuxième relation

est celle de « l’assignation référentielle » : dans la communication, le signifiant énoncé est

associé à une référence. C’est donc le moment où le signifiant fait sens, où il prend sa

signification relativement aux consensus posés entre les acteurs de l’échange et donc, où il

s’ancre au réel du champ social et s’y stabilise. La troisième relation est le « savoir » : le

retour au sujet dans la communication et nous avons déjà évoqué son double rôle,

d’évaluation de la communication et de situation du sujet dans le champ social.

Le champ de l’information nous fait dépasser le rapport à l’autre, pour se concentrer sur le

rapport à la référence. L’information, dans le cadre de la communication médiatée, est en

effet, à situer dans un rôle allant au-delà de la relation de communication intersubjective, où

les acteurs sont nettement identifiés l’un pour l’autre. Elle rentre dans un champ où les acteurs

de la communication sont abstraits. Par conséquent, outre cette concentration sur la référence,

l’identité du sujet avec lequel on échange est aussi assimilable à « une consistance sociale

construite dans les rapports sociaux dont le savoir est la trace. » (Lamizet, 1992). En effet,

l’information se déploie dans le champ social qu’est l’institution, dans notre cas, une

entreprise ou à moindre échelle une unité d’EDF, un domaine métiers (groupe d’individus

formant une compétence spécifique autour de références communes), et est le mode de

production et de diffusion des savoirs portés par les sujets. L’information apparaît alors

comme un champ de pratiques où vont se construire, par la communication, les références qui

formeront le savoir, la culture collective d’un groupe donné. L’information, mode de diffusion

de ces savoirs, rend communicable le réel. La référence au réel est alors l’axe central de

structuration de l’information, puisque c’est elle qui fait sens : c’est sur ces références

reconnues au sein du champ social de façon consensuelle, que s’organise l’énonciation et la

réception de l’information, soit, les modes de transmission des savoirs et leur compréhension

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entre acteurs. Les références échangées au sein d’un groupe doivent être légitimes pour les

acteurs, sans quoi l’information elle-même ne sera pas valide. Ces faits sont tout à fait

observables dans l’entreprise, par exemple, dans les différences de terminologies entre

communautés de métiers, même proches, pour référer au même concept ou objet. Les termes

utilisés par les autres communautés, bien que connus des métiers, ne trouvent pas leur

légitimité (cf. différence entre valeur d’échange et valeur d’usage).

2.2.2.2 Le savoir diffusé

Nous abordons depuis déjà quelques temps, le fait que l’information et la communication,

dans notre cadre, ne relèvent pas d’autre chose que des savoirs ou cultures dont sont porteurs

et auxquels se réfèrent les sujets, et qui sont véhiculés dans l’échange. Ce que B. Lamizet

présente sous le terme de « science » (que nous rapprocherions de « l’art » d’Aristote), est

bien cette culture collective, construite et validée au sein de l’institution, et sur laquelle le

sujet s’appuie pour authentifier son discours dans le champ social. Dans ce cadre, l’individu

n’est plus vraiment identifiable comme tel (comme c’est le cas dans la communication

subjective), mais perd quelque part son identité pour n’être reconnu dans l’espace social de la

diffusion d’information que comme porteur de savoir. Cette vision peut paraître exagérée : un

document, une information est toujours reconnue comme émanent d’un auteur ; mais il est

vrai que cet auteur n’est reconnu que dans son champ institutionnel et que sa production

d’information n’est justifiée que par le savoir dont il est porteur et qui lui est reconnu (cf. au

point relatif aux compétences). Il parle bien « au nom de » l’institution. Dans l’échange

d’information, le savoir émane d’un individu, pour être ensuite réapproprié par un autre, et par

la diffusion de ce savoir, il entre dans un champ collectif où il devient science.

Le savoir est donc approprié par et attribué à un sujet. Il s’agira bien dans notre travail d’avoir

conscience de ces trois étapes où, dans l’information diffusée, le savoir part d’un sujet pour

rentrer dans le domaine institutionnel sous forme de science (ou savoir collectif) et pour être

ensuite réapproprié par un sujet autre, n’ayant pas forcément de rapport direct avec le premier.

Dans la longue tradition de compagnonnage dont faisait l’objet la transmission de savoir au

sein de l’institution qui nous intéresse (la DIN), le savoir n’était en quelque sorte pas médiaté

et passait directement d’une personne à une autre (ex : d’un expert vers un nouvel arrivant).

La chose est très importante ici puisque, la tradition de compagnonnage étant remise en

question par les changements internes à l’institution, la transmission du savoir devra beaucoup

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plus reposer sur cette étape transitoire, jusque là quasi inexistante, de passage dans l’espace

public sous forme de « science », décorrélée d’un sujet, avant d’être réappropriable par un

autre. La question de l’identification des partenaires de l’échange est remise en cause aussi

par ces mutations internes : les échanges très informels qui avaient cours jusqu’à présent,

grâce à une identification claire des partenaires de la communication, vont être petit à petit

troublés et amenés progressivement vers des modes de communication de plus en plus

médiatés. C’est toute une culture, des structures d’échange et transmission des savoirs établies

au sein d’une communauté d’usage, qui vont être modifiées progressivement.

La notion de science telle qu’utilisée ici est très importante puisque c’est en quelque sorte sur

elle que nous nous appuierons dans nos travaux : le savoir médiaté par les textes techniques

produits par les ingénieurs. Sa situation collective sous entend un consensus fort sur les

références qu’elle véhicule. C’est donc elle qui va porter les références que l’ont peut

considérer comme étant les plus stabilisées au sein d’une communauté. Nous parlions tout à

l’heure de « valeur » : c’est donc la science qui devrait contenir les références collectives

ayant la plus haute valeur, puisque fondées sur des usages sociaux et ayant acquis une

légitimité institutionnelle au cours de ces usages (construction et stabilisation au cours du

temps). La science en cela même qu’elle est du domaine collectif, est basée sur le principe de

diffusion au plus grand nombre. Outre les références, elle est aussi porteuse, dans ce principe

de diffusion au collectif, des règles, des normes établies de transmission de ces références.

Ces normes sont également fixées par l’usage social. Le fait que ces références et leurs

normes soient portées dans le discours de la science, démontre qu’elles ont été éprouvées dans

leur potentiel de réappropriabilité. C’est ce qui fera leur intérêt pour nous.

2.2.2.3 Le langage

Nous présentions plus haut l’information comme une « mise en forme du réel », et évoquions

les notions de transmission, diffusion de savoirs, de références collectives. Tout ceci fait

évidemment appel au langage. Comment pourrait-il en être autrement ? Pour ne pas reprendre

les définitions habituelles de cette notion vaste, voyons celle donnée par B. Lamizet :

« Le langage est un code de signification : il s’agit d’un système qui produit des

représentations du réel et qui met en œuvre des significations dans le cadre de relations

d’équivalence et de représentation, conventionnellement établies et stabilisées. Les langages

de l’information vont occuper, au sein de la communication, la place d’une médiation

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généralisée

La mise en œuvre des langages passe bien évidemment par l’énonciation, qui couvre deux

caractéristiques : l’individualisation, partant d’un sujet et reçue par un autre ; l’actualisation,

puisqu’émetteur et récepteur lui donnent sens par des références à leur réel. En ce qu’il est,

par l’information, la mise en forme du réel dans le champ du symbolique (la communication),

le langage est un sujet d’étude particulièrement intéressant pour les sciences de l’information

et de la communication. Puisqu’il est relatif à un réel donné, il sera représentatif de la

structure sociale dans laquelle il aura été énoncé. Le langage est en quelque sorte le témoin

d’un champ social défini et de sa culture, puisqu’il est la matérialisation de l’information qui

y circule. Si le savoir représente la trace d’un champ social, le langage est la cristallisation de

cette trace.

. Les langages de l’information constituent le lieu de la communication où s’opère

la médiation qui donne lieu, à partir du réel dont elle se soutient, à l’avènement de la

symbolisation qui rend possible la structuration des échanges de sens. » (Lamizet, 1992).

Selon les situations de communication durant lesquelles ils sont actés, les langages de

l’information peuvent prendre trois formes.

- Les langages de représentation rendent compte du réel. Cela peut être sous la forme de

la description (ex : dans le discours scientifique) pour décrire le réel, ou pour aller vers

une sorte de consensus symbolique dans l’information diffusée dans le champ social.

Cela peut être sous la forme de l’appropriation de l’information par les partenaires de

l’échange. Ce sont donc eux qui vont faire émerger l’opinion et le savoir. Cela peut

être enfin sous la forme de l’idéologie (qui nous intéresse moins), dans un cadre

politique, de choix ou d’engagement.

- Les langages d’opération sont les principaux langages que nous trouverons dans

l’entreprise et qui s’expriment dans les textes techniques. Ils font de la référence un

outil opératoire puisqu’ils visent, grâce à cet outil, l’obtention de résultats et de

nouvelles références. Ce sont donc, par essence, les langages de la constitution du

savoir et de la science telle que nous l’avons définie plus haut. Leur but de création de

nouvelles références les distingue des langages de description qui se contentent de

représenter le réel. La référence n’est donc plus qu’une représentation du réel, mais

devient également « un objet de science » sur lequel on pourra produire des

opérations. On peut distinguer les langages qui produisent de l’action (les langages de

stratégie), de ceux qui produisent du savoir. Puisque nous nous intéressons dans notre

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cas uniquement aux métiers techniques et donc à leurs échanges et productions

d’information, nous retrouverons essentiellement ces derniers.

- Les langages de symbolisation produisent, comme leur nom l’indique, des systèmes de

symboles et de représentation. Nous nous y intéresseront peu, bien qu’ils soient

extrêmement présents dans les documents techniques.