3.2 Les connaissances : analyse des flux de connaissances métier
3.2.1 Le profil des métiers
Nous souhaitons cependant que ces entretiens restent ouverts pour que l’agent puisse
développer s’il le souhaite, des points qui lui semblaient plus importants. Les entretiens se
sont déroulés en tête-à-tête, sans observateur externe, avec un engagement d’anonymat des
agents interviewés et de confidentialité de ce qui a été dit, dans l’optique où les entretiens
n’étaient destinés qu’à ne faire l’objet d’une analyse globale, sans faire état d’un traitement
individuel. Sous réserve d’accord, les entretiens ont été enregistrés sur dictaphone, afin de
faciliter leur retraitement, les agents restant libres de refuser l’enregistrement. Les entretiens
se sont basés sur un questionnaire préétabli et identique pour tous (pour un gain de temps et
une homogénéité). Les grandes lignes portaient sur :
- Les formations et expériences leur ayant permis d’acquérir les connaissances
nécessaires à la compétence AG ;
- Les activités liées à la production et à la recherche d’informations, afin de recenser et
catégoriser les sources d’informations pour la compétence AG.
Le but était, comme nous l’avons dit plus haut, d’analyser les flux des connaissances en AG
(formation, divulgation, sources, réservoirs…).
Grâce à la phase d’annonce amont, passée par la hiérarchie, les agents ont majoritairement
participé aux entretiens, et ce malgré leur manque de disponibilité. La durée prévue a
généralement été dépassée, car ils se sont largement exprimé en-dehors des trames prévues
par le questionnaire. Voici donc la synthèse de ces entretiens.
3.2.1 Le profil des métiers
Nous venons d’aborder la méthode utilisée, voyons maintenant le profil des agents interrogés
pour comprendre la formation et la circulation de leurs connaissances, ainsi que leur métier vu
par eux-mêmes.
23
190
Avant toute chose, il a été intéressant de noter l’amalgame fait dans l’institution, entre les
notions de métiers et de compétences. Pour reprendre les termes utilisés par les agents, nous
parlerons donc ici de « métier ».
3.2.1.1 Définition du métier
En premier lieu, nous avons souhaité connaître la définition que les agents faisaient de leur
propre métier. Outre le fait de faire émerger les petites nuances de compétences et les
subjectivités, il s’agissait d’avantage pour nous de prendre un premier contact synthétique
avec les notions du domaine, ce genre de discours étant généralement riche en concepts clés.
Enfin, il est toujours particulièrement intéressant de voir quelle vision a une personne sur son
métier et les mots qu’elle utilise pour le décrire.
Voici en quelques lignes la définition que des agents font du « métier AG ». Nous avons
choisi de citer longuement les définitions données, qui sont au nombre de trois. Nous
observerons ici la complémentarité et les différences de points de vue entre l’ingénierie et la
R&D, entre points de vue systémiques ou spécialisés, stratégiques ou techniques.
Pour l’ingénierie
1. « Le métier AG consiste à faire des estimations des grandeurs physiques
caractéristiques de séquences accidentelles avec fusion du cœur. Ceci passe par des
calculs, éventuellement manuels ou presque via Excel par exemple, mais la plupart du
temps réalisés avec des logiciels, le code de calcul MAAP étant le plus utilisé à EDF,
ou TOLBIAC pour l’interaction corium-béton.
, voici premièrement la définition donnée par l’un des « Postes clés » dans la
compétence AG, donnant une vision très globale du métier :
L’implication en aval concerne, plus ou moins directement, la conception de nos réacteurs, en
opération ou en projet (modifications, équipements dédiés à la mitigation des AG, conduite en
situation d’AG…). Sur ce point la contribution du métier AG est essentielle. En pratique cette
contribution est prise en compte dans les projets que ce soit pour les re-examens de sûreté ou
pour les réacteurs en projet.
En amont on est confronté à la nécessité de rassembler de nouvelles connaissances afin de
réduire les incertitudes. Cela passe par l’amélioration des modèles mathématiques utilisés
(via les codes de calcul en particulier), et donc par la réalisation de nouvelles expériences
191
permettant de se rapprocher autant que possible des conditions réelles (échelle, matériaux).
Sur ce point le métier AG a pour rôle d’orienter la R&D. »
Cette définition s’axe essentiellement sur les actions réalisées par le métier. Mais voici une
autre définition plus synthétique, donnée par un interviewé, et qui introduit la question des
connaissances amonts :
2. «… c'est d'abord une connaissance de la phénoménologie et de la physique des AG.
Au-delà, c'est l'application industrielle aux réacteurs et la prise en compte dans
l'évaluation de sûreté. »
Pour la R&D
3. «
, la définition se veut plus détaillée et prend en compte les aspects stratégiques
de la compétence :
Un Accident nucléaire Grave (AG) est une séquence très peu probable pouvant se traduire
par une dégradation significative du cœur et conduire à d’importants rejets radio-toxiques
dans l’environnement (Terme Source). L’accréditation de l’Autorités de Sûreté Nucléaire
(ASN) à exploiter les centrales nucléaires est directement liée à l’absence d’incident et à la
démonstration de la crédibilité d’EDF et de sa capacité à maîtriser les risques liés aux AG et
à proposer des modifications techniquement performantes et économiquement réalistes pour
améliorer la sûreté.
Enjeux et stratégie d’EDF sur les AG :
Outre l’acceptation du nucléaire civil par le public, condition nécessaire à son
développement futur, le principal enjeu d’EDF sur le thème des AG consiste à maîtriser les
exigences de sûreté de l’ASN. Elles présentent en effet des risques non négligeables pour
l’entreprise vis-à-vis des coûts que pourraient engendrer des modifications lourdes sur le
parc et vis-à-vis de la démonstration de l’obsolescence des tranches actuelles en comparaison
des nouveaux réacteurs tels que EPR pour lesquels les AG sont pris en compte à la
conception.
De manière opérationnelle, la DIN a choisi d’adopter une stratégie volontariste et
responsable sur le thème des AG. Les objectifs sont tracés dans une Note d’Orientation
Stratégique (NOS) et visent principalement à conforter les choix de conception faits pour le
réacteur EPR, fixer les exigences de sûreté pour le parc en exploitation dans un « référentiel
192
» imposant des seuils de risque (probabilité pour les séquences les plus graves et
conséquences pour les autres) sur le modèle des rapports de sûreté des réacteurs de nouvelle
génération (EPR, AP1000, etc.) et évaluer les risques d’AG sur le parc (courbes
rejets/probabilités) au moyen d’Etudes Probabilistes (EPS de niveau 2) et en déduire le
respect des exigences de sûreté ou, sinon, les mesures de prévention/mitigation à mettre en
œuvre pour les respecter.
La R&D d’EDF
La réalisation des EPS 2 repose sur l’utilisation d’un outil de simulation permettant
d’évaluer les risques et les conséquences de scénarios d’AG (code scénario). La solidité de
cette stratégie repose sur la qualité de la modélisation. Les phénomènes physiques mis en jeu
n’étant pas tous connus, le point clé est l’identification et la réduction des incertitudes les
plus critiques par des actions de R&D.
sur les AG : Missions
Dans ce contexte, les missions confiées à la R&D d’EDF sont de suivre la R&D externe
notamment par le biais d’une participation active à des projets internationaux (réseau
SARNET), d’identifier les sujets ciblés sur lesquels il est indispensable de réduire les
incertitudes et de piloter des partenariats pour mener les travaux correspondants
(essentiellement expérimentaux), de synthétiser les résultats (R&D externe dont celle de
CEA/IRSN) dans des modèles numériques, de qualifier ces modèles et de les intégrer dans le
code scénario.
Aujourd’hui, l’outil de référence pour les EPS 2 est le code scénario MAAP de l’EPRI. Il est
très important de la maîtriser de sorte qu’il reflète bien les connaissances et la vision
scientifique d’EDF sur les AG
Dans ce cadre, le projet PAGODES-2 (Physique des Accidents Graves et Outils DE
Simulation) a été lancé sur la période 2007-2010 faisant suite au projet PAGODES. Il vise
principalement à fournir avec MAAP un code scénario qualifié, répondant aux besoins du
SEPTEN et enrichi de modélisations spécifiques à EDF issues de l’interprétation des résultats
de la R&D coopérative, préparer l’avenir en évaluant le code scénario concurrent ASTEC et
contribuer à lever les incertitudes physiques sur les thèmes jugés dominants par la NOS pour
la démonstration de l’acceptabilité des risques pour le parc en exploitation : maintien du
par opposition à des visions jugées trop conservatives. Un
autre outil en développement (le code ASTEC de l’IRSN et de son homologue allemand GRS)
sera disponible dans quelques années et il est indispensable de l’évaluer pour savoir s’il peut
offrir une alternative crédible au code MAAP.
193
corium en cuve, non-percée du radier, consolidation des études relatives à l’installation de
Recombineurs Autocatalytiques Passifs (RAP) sur le parc, évaluation du Terme Source. »
3.2.1.2 Localisation de la compétence
Comme expliqué plus haut, le choix des personnes à interviewer pour la compétence
« Accidents Graves » a été fait selon le PDCC (Plan de Développement des Compétences
sensibles) « Evaluations de sûreté - Conduite accidentelle – Incendie » du 15 décembre 2006
(Payan, 2006).
Les diverses personnes détenant cette compétence y ont été identifiées. Elles y sont
distinguées par sous-compétences, postes clés ou départs d’ici décembre 2008. A la liste
établie, nous avons ajouté quelques personnes ressources, sur consultation du Responsable
Ressources Management, et de l’actuel Responsable du dit PDCC.
Ainsi, la compétence Accidents Graves est essentiellement centrée sur le SEPTEN et
notamment, sur le Département TE « Transferts Environnement Radioprotection », Groupe
AG « Accidents Graves ». A ceux-ci, s’ajoutent au SEPTEN deux personnes de SN « Sûreté
Nucléaire et Environnement », une personne de FC « Fonctionnement Général et Conduite
RI » Groupe RI « Règles Générales d’Exploitation » et une de GS « Génie Civil Installations
Structure » Groupe IN « Installation et Bâtiments Nucléaires ». Hormis le SEPTEN, une forte
proportion est (ou était) représentée à la R&D (qui n’est pas DIN mais inter-divisions) dans
les Départements SINETICS « Simulation en neutronique, technologie de l’information et
calcul scientifique » et MFEE « Mécanique des Fluides, Energies, Environnement ».
Nous devons cependant noter que la compétence Accidents Graves est progressivement
recentrée au SEPTEN et déjà des mouvements de personnels avaient commencé de la R&D
vers TE AG et de TE AG vers l’international, depuis la rédaction du PDCC sur lequel nous
nous appuyons. Seulement deux personnes sont concernées au CNEN, au Département FSE
"Fonctionnement Systèmes ES", dont une attitrée au Projet UK.
3.2.1.3 Fonction
Nous avons décidé conjointement avec le Responsable du PDCC de cibler un panel
représentant tous les types de profils.
194
Toutes les personnes identifiées comme détenant la compétence Accidents Graves ont été
interrogées (sauf une à la R&D). Nous trouvons donc 4 Ingénieurs débutants, 3 Ingénieurs
confirmés, 1 Chef de groupe, 1 Chargé de mission et 2 Chefs de projet au SEPTEN. S’y
ajoutent au CNEN : 1 Ingénieur confirmé et 1 Chef de Projet UK à l’international, considéré
comme expert national ; à la R&D : 2 ingénieurs chercheurs. Quelques entretiens
complémentaires ont également été menés dans des compétences connexes, mais sont moins
significatifs pour notre étude. Au final 19 agents ont été interrogés.
3.2.1.4 Niveau de compétence
De même que pour la fonction, nous avons choisi de couvrir tout le champ des niveaux de
compétence avec 3 agents de niveau 1 (Ingénieur étude), 6 de niveau 2 (Ingénieur pilote) et 6
de niveau 3 (Ingénieur senior). A noter qu’aucun Expert ou Référent (niveau 4) n’est identifié
pour la compétence Accidents Graves dans les agents DIN et R&D.
Le tableau ci-dessous indique les critères retenus pour décider d’un niveau de compétence.
Les niveaux de compétences présentés sont liés à la pondération du domaine général. Ils ont
un caractère subjectif, puisqu'établis par le seul responsable de la dite compétence et ne
correspondent pas à un niveau institutionnalisé EDF, comme le Grade Fonctionnel (GF).
Niveau de
compétence Expérience et connaissances requises Actions types
Ingénieur étude Formation Ingénieur Réalisation d’études industrielles courantes, en appliquant un référentiel connu et avec autonomie variable selon l’expérience.
1 Expérience variable Ingénieur pilote ou
étude confirmé
Principe de conception des systèmes de
sauvegarde REP Encadrement technique d’ingénieur débutant. (Chargé d’affaire
pilote d’étude) Principes d’exploitation Support technique lors de négociations avec l’AS.
2 Connaissance technique complète d’un sous
domaine (Exemple : RGE, Accident grave…).
Correspondant EDF pour les relations avec les prestataires.
Expérience de dialogue avec l’IRSN.
Proposition de stratégie pour résoudre un problème nouveau.
Capacité d’animation (projet ou équipe) Réalisation d’études hors procédure industrielle courante.
195
Ingénieur senior
Expérience d’une dizaine d’années
permettant de connaître les fondements de la conception (aspect sûreté) et des pratiques d’exploitation des REP.
Vérification technique de la production des ingénieurs (pilotes compris).