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1 — La santé sexuelle hors de la psychanalyse et de la sexologie

II/ Socialisation de la santé sexuelle dans la première moitié

II. 1 — La santé sexuelle hors de la psychanalyse et de la sexologie

La première moitié du XXe siècle voit s’accroître les usages de « santé sexuelle » surtout en anglais et en français, sans commune mesure cependant avec l’explosion que son utilisation va connaître dans le dernier quart du même siècle, après son institution-nalisation par l’OMS et sa bainstitution-nalisation en sexologie. C’est aux États-Unis qu’il reste le plus employé, avec une évolution notable : ses occurrences ne réfèrent plus seulement à une hygiène personnelle, mais s’étendent et se déploient dans le cadre de l’hygiène sociale. En France, ses usages vont être associés au militantisme abolitionniste vis-à-vis de la réglementation de la prostitution et contre la police des mœurs, en lien avec l’abolition-nisme anglais. Dans l’espace germanique, la santé sexuelle reste en revanche très peu convoquée.

II.1.1 L

E TOURNANT DU XXE SIÈCLE

:

UN MOMENT MAJEUR DE

L

HISTOIRE DE LA SEXUALITÉ

Le tournant du XXe siècle constitue en outre un moment majeur de l’histoire de la sexualité. Nous connaissons la généalogie psychiatrique de l’établissement des perversions sexuelles au XIXe siècle en Europe, et nous avons vu la part de l’hygiénisme anglo-améri-cain dans l’énonciation de la santé sexuelle. À la fin du XIXe siècle, c’est à l’émergence à la fois de la psychanalyse et de la sexologie que nous assistons, ainsi que de la prise en

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charge politique de l’éducation sexuelle. La question de la reproduction est par ailleurs posée aussi bien d’un point de vue féministe que d’un point de vue eugéniste. Ce sont ces différents éléments de contexte que nous allons maintenant étudier.

Massification de l’éducation, féminisme, eugénisme et race

Un premier élément de contexte général est celui de la massification de l’école en Europe et outre-Atlantique. La constitution d’un savoir sur la sexualité à transmettre aux enfants, adolescentes et adolescents devient un enjeu central. Plusieurs questions sont au cœur des débats : qu’enseigner en matière de sexualité, à quel âge, par qui (les parents ou l’école), et faut-il enseigner les mêmes choses aux filles qu’aux garçons ? L’éducation sexuelle devient ainsi un enjeu de politique publique de premier ordre. Certes, l’on peut faire remonter l’éducation sexuelle aux Lumières, et considérer par exemple que les livres IV et V de l’Émile de Rousseau en relèvent1. Mais comme le rappelle l’historien américain Julian Carter, ce n’est qu’à partir du début du XXe siècle que la scolarité obligatoire et l’augmentation des inscriptions à l’école ont conduit au déploiement d’une « pédagogie sexuelle de masse »2.

Celle-ci repose sur la constitution d’un savoir, dont il est supposé que la transmis-sion conduira à l’amélioration des conditions de vie dans la société. La foi en l’éducation comme outil de résolution de nombreux problèmes d’ampleur sociale, y compris dans le domaine sexuel — notamment concernant les maladies vénériennes, mais aussi la satis-faction sexuelle dans le mariage —, est très prononcée en ce début de XXe siècle. Carter cite ainsi l’un des plus éminents représentants de l’éducation sexuelle de l’époque aux États-Unis, le biologiste Maurice Bigelow :

[…] un grand nombre des personnes les plus éclairées [se sont récemment] tournées du côté de l’éducation dans leur recherche de progrès vers la solution des grands problèmes sexuels. Cela n’est pas surprenant pour celui qui observe la tendance actuelle à la

1 Voir BLOOM Allan, « Introduction », in: ROUSSEAU Jean-Jacques, Emile or On Education, New York, Basic Books, 1979, p. 15 : « Les livres IV-V sont un traité sur l’éducation sexuelle, nonobstant le fait qu’ils donnent une description cohérente de Dieu, de l’amour, et de la politique » (« Books IV-V are a treatise

on sex education, notwithstanding the fact that they give a coherent account of God, love, and politics »).

Cité par CARTER Julian B., « Birds, Bees, and Venereal Disease: Toward an Intellectual History of Sex Education », Journal of the History of Sexuality 10 (2), 2001, p. 213, note 1.

2 « [...] sexual pedagogy on a mass level ». CARTER, « Birds, Bees, and Venereal Disease », art. cit., 2001, p. 213.

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confiance dans l’éducation. L’éducation est devenue la panacée moderne pour beau-coup de nos maux — hygiéniques, industriels, politiques et sociaux… Dans toutes les phases de notre vie moderne, nous considérons la connaissance comme la clé de tous les problèmes importants.3

Comme lors du XIXe siècle, la science est considérée par Bigelow comme le fonde-ment sur lequel construire les manières de vivre, mais l’articulation entre savoir et con-duites prend une dimension d’hygiène sociale également dans l’aire anglo-américaine, alors que les approches populationnelles sur le continent européen avait déjà permis le développement de l’hygiène publique au XIXe siècle. Cette évolution aux États-Unis cor-respond à ce que l’historiographie américaine appelle l’ère progressiste (Progressive Era), qui court approximativement des années 1890 aux années 1920. L’urbanisation et l’in-dustrialisation réorganisent les configurations sociales, au détriment des petites commu-nautés favorisant le self-help. Elles engendrent de nombreux problèmes sociaux, poli-tiques, sanitaires et environnementaux, auxquels tentent de répondre des réformateurs et réformatrices favorables à une implication du pouvoir gouvernemental dans la prise en charge de ceux-ci. Dans ce cadre, une nouvelle réforme sanitaire voit le jour4.

Bigelow fait également référence à la recherche du progrès. C’est un autre élément de contexte général des emplois de « santé sexuelle ». La seconde moitié du XIXe siècle a vu se développer à la fois les théories de la dégénérescence, la théorie darwinienne de l’évolution des espèces qui introduit le concept de sélection naturelle — ainsi que l’em-prunte persistante du transformisme lamarckien en France —, et l’eugénisme de Francis Galton qui s’entend comme une science de l’hérédité qui se donne pour fin d’améliorer les populations par sélection artificielle, en s’appuyant sur le calcul de probabilités, et en proposant de procéder pour l’être humain comme les éleveurs procèdent pour les autres

3 « [...] a large number of the most enlightened people [had recently] turned to education in their search

for progress toward the solution for the great sexual problems. This is not surprising to one who is watching the current tendency towards confidence in education. Education has become the modern panacea for many of our ills - hygienic, industrial, political, and social... In every phase of this modern life of ours we are looking to knowledge as the key to all significant problems ». BIGELOW Maurice A., « The Educational Attack on the Problems of Social Hygiene », Social Hygiene 2 (1), 1916, pp. 166‑67. Cité par CARTER, « Birds, Bees, and Venereal Disease », art. cit., 2001, p. 214.

4 ENGS Ruth C., The Progressive Era’s Health Reform Movement: A Historical Dictionary, Westport, Praeger, 2003.

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espèces animales qu’ils ont domestiquées5. Le progrès s’entend alors en un sens biologique — qui inclut également les qualités mentales —, et l’objectif est d’agir autant que faire se peut sur la nature, dont il est acté qu’elle n’est pas fixe, afin de l’améliorer et de lutter contre les risques de dégénérescence. Toutefois, le progrès s’entend aussi en un sens social, et l’eugénisme au tournant du XXe siècle se situe à la croisée de l’histoire des sciences du vivant et de l’histoire sociale. Ses formes sont alors diverses : sélection artificielle pour contrecarrer les effets des politiques sociales et l’interventionnisme étatique qui permet-tent aux « moins aptes » de survivre ; articulation du socialisme et de l’hérédité biolo-gique (comme chez Vacher de Lapouge en France), natalisme éducationnel (voir les mé-decins puériculteurs), néo-malthusianisme féministe et souvent libertaire…6

Le féminisme est un autre élément du contexte général au tournant du XXe siècle. Comme nous l’avons vu avec Sanger dans la continuité du néo-malthusianisme de Drysdale, il s’est particulièrement centré sur la question de la maîtrise de la reproduction, et plus globalement sur le rôle des femmes et la place de la maternité dans l’organisation sociale. La question de la conjugalité et du mariage est aussi posée. Les connexions entre le féminisme et l’eugénisme d’orientation socialiste sont réelles. Toutefois, comme le rap-pelle Gayon, il ne faut pas en exagérer les convergences, sans pour autant les sous-estimer. Citant l’historien des sciences américain Daniel Kevles, il précise :

[L’eugénisme] a aussi été un lieu de débat sur la question de savoir comment des hommes, et surtout des femmes, de l’époque moderne, pouvaient faire face à des chan-gements de normes dans des domaines tels que la sexualité et la reproduction.7

Il apparaît alors que si d’une manière générale, l’eugénisme au tournant du XXe

siècle peut se définir comme la science et la technique permettant de perfectionner la population par le contrôle de la reproduction, deux grandes orientations se dégagent : l’une, d’inspiration darwinienne et anti-lamarckienne, pour laquelle l’hérédité ne s’opère

5 GALTON Francis, « Hereditary talent and character (part I) », Macmillan’s Magazine 12 (68), 1865, p. 157.

6 TAGUIEFF Pierre-André, « Eugénisme ou décadence ? L’exception française », Ethnologie française 24 (1), 1994, pp. 81‑103.

7 KEVLES Daniel J., Au nom de l’eugénisme. Génétique et politique dans le monde anglo-saxon, Paris, Presses Universitaires de France, 1995 ; Cité par GAYON Jean, « Eugénisme », in: LECOURT Domi-nique (éd.), Dictionnaire de la pensée médicale, Paris, Presses Universitaires de France, 2004 (Quadrige), p. 453.

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pas sur les caractères acquis mais sur les caractères innés (c’est la conception galto-nienne) ; l’autre qui intègre de façon importante le rôle de l’environnement dans l’évolu-tion, pour laquelle l’hygiène et l’éducation sont alors primordiales. En somme, bien que le premier à utiliser le terme d’eugénisme soit Galton8, les courants eugénistes peuvent être globalement divisés en deux branches dont chacune reprend l’un des termes que Galton a élaboré comme des modèles de causalité en opposition dans les années 1870 : « nature and nurture »9, que l’on peut traduire par l’opposition entre l’inné et l’acquis10. Le troisième élément de contexte, articulé aux questions eugénistes, est celui du vocabulaire et de pensées de la race à propos de l’espèce humaine. Gayon affirme que l’eugénisme ne doit pas sa popularité uniquement à un contexte scientifique extrêmement riche, mais aussi au fait qu’il répondait à des peurs et des aspirations sociales caractéris-tiques de la fin du XIXe siècle. La nature de ces peurs varie selon les sociétés, mais elles se traduisent le plus souvent par des références à la race :

La nature des peurs a varié selon les sociétés. Tantôt elles résultaient de conflits de classes, tantôt de conflits de races, souvent des deux à la fois. En Angleterre, l’eugé-nisme s’est principalement nourri des antagol’eugé-nismes de classes, dans un contexte d’ur-banisation et d’industrialisation. Aux États-Unis, l’immigration d’Europe centrale et méridionale à la fin du XIXe s. et la question noire ont conféré une tonalité raciale accusée à l’eugénisme dans ce pays. En Allemagne, l’aryanisme et la question juive ont fini par donner, à partir des années 1910, un tour de plus en plus racial au mouvement eugéniste.11

La France, quant à elle, paraît moins emprunte d’eugénisme, par contraste avec l’Angleterre, les États-Unis ou l’Allemagne, et plus globalement les pays à forte influence protestante12. Mais comme l’analyse l’historien des idées Pierre-André Taguieff, l’eugé-nisme y a tout de même été introduit selon trois voies, qui peuvent entrer en opposition :

8 GALTON Francis, Inquiries into Human Faculty and its Development, London, MacMillan, 1883, pp. 24‑25.

9 GALTON Francis, English Men of Science: their Nature and Nurture, London, MacMillan, 1874.

10 Sur la genèse de cette opposition chez Galton, voir LENAY Charles, « Francis Galton : inné et acquis chez les grands hommes de la Société Royale de Londres », Bulletins et Mémoires de la Société

d’Anthro-pologie de Paris 6 (1), 1994, pp. 135‑150.

11 GAYON, « Eugénisme », art. cit., 2004, p. 453.

12 Comme le souligne le biologiste du développement Dominique Aubert-Marson, « la plupart des législa-tions eugénistes se retrouvent dans les pays anglo-saxons et protestants » (AUBERT-MARSON Dominique, « L’eugénisme : une idéologie scientifique et politique », Éthique & Santé 8 [3], 2011, p. 143). Ainsi, dans la première moitié du XXe siècle, les programmes eugéniques de stérilisation contrainte ont été développés dans les pays à forte influence protestante, dans les deux pays d’origine du protestantisme, l’Allemagne et

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un socialisme aristocratique qui repose sur l’idée de race, l’hygiénisme nataliste et patrio-tique, et le néo-malthusianisme pacifique et libertaire13.

Le discours de la race est par ailleurs empreint d’une rhétorique vitaliste, où l’on retrouve les vocables de la vigueur et de la vitalité. Dans le cadre de l’hygiénisme sociale et de l’éducation sexuelle aux États-Unis, le propos du vénérologue Prince A. Morrow, figure de premier plan du mouvement d’hygiène sociale, est emblématique de l’imbrica-tion entre le discours de lutte contre les maladies vénériennes par l’éducal’imbrica-tion sexuelle, et la préservation de la vitalité de la race : dans l’intérêt des enfants, « qui ne devraient plus être privés de leur héritage légitime de vitalité et de vigueur », ainsi que dans l’in-térêt de la race et des mères « vertueuses », « la terrible malédiction des maladies véné-riennes devrait être supprimée de la relation conjugale »14. Nous y reviendrons. Mais rappelons que la pensée de la race et de l’eugénisme constitue un topos de la première moitié du XXe siècle, et que plusieurs états des États-Unis seront les premiers au monde, dès avant la Première Guerre mondiale, à introduire des lois permettant la stérilisation contrainte des « non-adaptés » (unfits) ou « faibles d’esprit » (feeble-minded) afin d’amé-liorer la race15.

Émergence de la sexologie, entre science, politique et société

Le tournant du XXe siècle est aussi l’époque qui voit se constituer la sexologie d’une part, et la psychanalyse d’autre part. Chaperon situe les origines de la sexologie

la Suisse (Canton de Vaud), ainsi que la Suède. Sur ces pratiques en Suisse, voir EHRENSTRÖM Philippe, « Eugénisme et santé publique : la stérilisation légale des malades mentaux dans le canton de Vaud (Suisse) », History and Philosophy of the Life Sciences 15 (2), 1993, pp. 205‑227.

13 TAGUIEFF, « Eugénisme ou décadence ? », art. cit., 1994.

14 « [...] in the interest of virtuous wives, who should no longer be poisoned with foul infections; in the

interest of children, who should no longer be deprived of their rightful heritage of vitality and vigor; in the interest of the race, which should no longer be decimated and deteriorated, the dreadful curse of venereal disease should be lifted from the marriage relation ». MORROW Prince A., Social Diseases and Marriage:

Social Prophylaxis, New York; Philadelphia, Lea Brothers & Co., 1904, p. 385.

15 Voir KEVLES, Au nom de l’eugénisme, op. cit., 1995, AUBERT-MARSON Dominique, « Les politiques eugénistes aux États-Unis dans la première moitié du XX e siècle », Médecine/Sciences 21 (3), 2005, pp. 320‑323. Le biologiste américain Charles Benedict Davenport, qui a rencontré Galton en Angleterre, a particulièrement œuvré pour le déploiement et le développement institutionnel de l’eugénisme aux États-Unis. Voir par exemple DAVENPORT Charles B., Eugenics: the Science of Human Improvement by Better

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dans la seconde moitié du XIXe siècle en Europe. Cette période couvre cependant ce qu’elle appelle la « protosexologie »16, et non la sexologie elle-même. En France, le terme « sexo-logie » apparaît au début des années 1910, « dans des milieux militants désireux de lutter pour l’égalité des droits en matière de pratiques sexuelles »17.

Dans sa thèse de doctorat en psychologie, Gonzague de Larocque-Latour met en exergue qu’au début du XXe siècle, en France, est utilisé le terme « sexuologie »18. S’il s’agit d’une science de la sexualité, c’est en un sens bien spécifique, comme science de la détermination du sexe des enfants dans une pensée de la génération. Mais c’est dans le cadre d’une référence particulière aux sciences que ce terme est employé, puisqu’il s’agit des sciences occultes. L’ouvrage de référence en la matière cité par de Larocque-Latour est L’oracle des sexes de Sirius de Massilie, publié en 190119. Sirius de Massilie est un pseudonyme utilisé par l’astrologue Maurice Jogand20. L’astrologie et les sciences occultes s’inscrivent dans un conflit à l’égard du matérialisme et du rationalisme, en affirmant une position spiritualiste. Ceci ne signifie pas pour autant que sont rejetées les avancées de la biologie de l’époque. De Massilie renvoient à celles-ci, en particulier dans le domaine de l’embryologie, « tout en associant, à chaque étape de la période embryonnaire ou fœtal, des influences sidérales particulières »21. Mais les attaques des biologistes contre le charlatanisme, d’une manière générale et sur les moyens occultes de prédire et sélection-ner le sexe des enfants, vont conduire Massilie, selon de Larocque-Latour, à associer l’astrologie à une dénomination plus scientifique de la prédiction des sexes antérieurement à la naissance, et à remplacer la sexuologie par la sexologie22. De fait, la réédition en 1911

16 CHAPERON, Les origines de la sexologie (1850 - 1900), op. cit., 2012, p. 243.

17 Ibid., p. 9.

18 LAROCQUE-LATOUR Gonzague DE, Généalogie de la sexologie française 1910-2010. Problématisations de

la sexualité à l’époque de la féminisation de la médecine, Thèse de doctorat, Saint-Denis, Université Paris

8 - Vincennes-Saint-Denis, 2014, p. 141 sq.

19 MASSILIE Sirius DE, L’Oracle des sexes. Prédiction du sexe des enfants avant la naissance, Paris, Librairie générale des sciences occultes, 1901.

20DE LAROCQUE-LATOUR, Généalogie de la sexologie française 1910-2010, op. cit., 2014, p. 148.

21 Ibid., p. 150.

22 Ibid., p. 153. Le physiologiste et neuropsychiatre Angelo Hesnard dira cependant en 1933 que « le terme

Sexologie est une déformation par l’usage courant du terme plus correct de Sexuologie ». Il définit pourtant

lui-même la sexologie comme « la science de la sexualité » qui couvre la biologie, l’anatomo-physiologie et la psychologie. HESNARD Angelo, Traité de sexologie normale et pathologique, Paris, Payot, 1933 (Biblio-thèque scientifique), pp. 15‑18.

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de l’ouvrage de Massilie chez un nouvel éditeur intègre le terme « sexologie » dans son titre23.

On trouve toutefois une première occurrence du terme sexology en 1867 aux États-Unis, dans un ouvrage de la religieuse protestante et féministe Elizabeth Willard, qui s’intitule Sexology as the Philosophy of Life: Implying Social Organization and Govern-ment24 — rappelons que, quelques années plus tard, Fowler apparaît comme le premier à utiliser de son côté sexual science. Willard entend expliquer les lois naturelles du sexe, de la génération, de l’organisation et du contrôle « dans les systèmes solaire et hu-main »25. Il s’agit déjà d’une approche qui se veut fondée sur les sciences, tout en étant empreinte de dimension spirituelle. De Larocque-Latour s’est d’ailleurs interrogé sur le fait de savoir si l’évolution de la sexuologie vers la sexologie chez Massilie pouvait relever d’un emprunt à l’usage qu’en fait Willard. Il écarte cette hypothèse comme peu vraisem-blable, et de fait, comme nous allons le voir, la sexologie de Willard ne réfère pas à une science de la génération, mais à une philosophie de l’harmonie entre les sexes26. Toutefois, il est notable que dès le XIXe siècle et jusqu’au début du XXe siècle, de part et d’autre de

23 MASSILIE Sirius DE, La sexologie, prédiction du sexe des enfants avant la naissance, Paris, H. Darangon, 1911. Le psychiatre hygiéniste et eugéniste français Édouard Toulouse, théoricien de la biocratie, utilisera également le terme de « sexuologie » lorsqu’il proposera en 1929 la création d’un centre de sexuologie. Il abandonnera ensuite ce terme pour lui préférer celui de « sexologie », lorsqu’en 1931 il fonde l’Association d’études sexologiques, puis la Société de sexologie en 1932 (OHAYON Annick, « L’émergence d’un mouve-ment sexologique français (1929–1939), entre hygiénisme, eugénisme et psychanalyse », PSN 1 [4], 2003, pp. 53‑54). Le sens qu’il donne à ce terme n’est pas celui issu de Massilie. Il désigne une science inter-sexuelle, c’est-à-dire des rapports entre les sexes, sur fond d’émancipation des femmes. Son fondement doit être scientifique, ce qui signifie, chez Toulouse qui s’inspire du mathématicien britannique Karl Pearson, fondé sur la biologie et la statistique dans une optique eugénique. Il emprunte d’ailleurs manifestement le terme à Pearson, dont l’historien et sexologue américain Vern L. Bullough signale qu’il parle de science de