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1 — Un cadre d’émergence néo- néo-hippocratique et vitaliste

XIX e siècle

I. 1 — Un cadre d’émergence néo- néo-hippocratique et vitaliste

I.1.1 U

N SYNTAGME ANGLO

-

AMÉRICAIN DU RÉFORMISME MÉDICAL

Les premières occurrences de « sexual health »

La méthode de recherche dans les bases de données bibliographiques que nous avons adoptée a produit des résultats surprenants, dont l’interprétation est délicate. Dans la première moitié du XIXe siècle, les occurrences de « santé sexuelle » que nous avons trouvées, concentrées en langue anglaise, sont sporadiques. « Sexual health » est ainsi utilisé par différents auteurs anglais et américains, au demeurant assez peu nombreux, et ils n’y réfèrent qu’une fois, voire deux. Et à chaque fois, aucune définition n’en est donnée. Ainsi l’effet produit est celui d’un syntagme qui ne pose pas problème, dont la signification semble évidente, comme le serait celle d’une expression habituelle. Pourtant, son usage n’est pas courant, y compris chez les auteurs qui y ont recours1. Nous aurions alors affaire à un concept qui va de soi tout en étant rare. Ceci contraste avec, tout

1 Non seulement le syntagme n’apparaît qu’une seule fois dans la quasi-totalité des textes repérés à partir de notre méthode de recherche, mais l’extension, lorsqu’elle fut possible, de la recherche à d’autres textes de ces mêmes auteurs n’a pas permis de trouver d’autres occurrences.

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d’abord, la seconde moitié du XIXe siècle, avec le XXe siècle, et surtout avec la fin du XXe

siècle et le début du XXIe, où le sens de « santé sexuelle » paraît également aller de soi en santé publique, mais où ses usages, de façon plus cohérente avec cet effet d’évidence sémantique, sont prolifiques.

Il nous semble que deux hypothèses peuvent être formulées pour rendre compte de cet état de fait. Tout d’abord, la méthode de recherche peut être lacunaire. Les bases de données d’ouvrages du XIXe siècle, et peut-être plus particulièrement de la première moitié du siècle, peuvent être très incomplètes comparativement à des périodes plus ré-centes, même si elles sont régulièrement enrichies. Nous ne sommes pas en mesure de déterminer si les choix éditoriaux d’enrichissement de ces bases pourraient conduire à des biais de non représentativité ou de sous-représentativité éditoriale de leur époque. L’hypothèse pourrait ainsi être ici qu’il existe beaucoup plus de textes dès les débuts du

XIXe siècle dans lesquels le syntagme « santé sexuelle » est présent. En l’état actuel de nos possibilités de recherche, cette question reste indécidable. Toutefois, le fait que les auteurs qui l’utilisent y aient recours aussi rarement ne plaide pas en faveur de cette hypothèse. En effet, si l’usage de « sexual health » était beaucoup plus courant, on pour-rait s’attendre à ce qu’il soit plus souvent utilisé dans les textes dans lesquels il n’apparaît pourtant qu’une seule fois.

Une autre hypothèse est que, bien que peu courant, sa signification semble aller de soi parce qu’il renvoie à un type de vocabulaire qui, lui, est plus courant. Tout d’abord, les discours sur la santé sont légion, de même que ceux sur le sexe. Par ailleurs, la spéci-fication du type de santé est effectivement courante, comme ceci s’observe avec le terme de « mental health », dès les premières années du XIXe siècle (c’est également le cas en français avec « santé mentale » et en allemand avec « geistige Gesundheit »). Dès lors, l’emploi de « sexual health » ne ferait que décliner, à propos du sexe, des dénominations habituelles dans les champs de l’hygiène et de la médecine. Sans pouvoir trancher de façon définitive, et en restant prudent, notre assentiment va plutôt à cette dernière hy-pothèse. L’évolution du nombre d’occurrences au fil du XIXe siècle dans les bases de données reflèterait alors une évolution du nombre d’usages effectifs, timides dans la pre-mière moitié du XIXe siècle, et de plus en plus conséquents à partir des années 1850. Ces considérations quantitatives faites, voyons maintenant en quoi consistent qualitative-ment les emplois de « sexual health ».

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Une aire de pensée spécifique

Au XIXe siècle, ceux-ci ressortissent globalement d’une aire de pensée spécifique. Tant sur le plan scientifique que sur le plan éthique, la dimension culturelle anglo-amé-ricaine se caractérise à la fois par des influences de l’Europe continentale, des spécificités internes qui circulent entre la Grande Bretagne et les États-Unis, et la revendication d’une pensée spécifiquement américaine. Les influences d’Europe continentale sont celles du vitalisme et du néo-hippocratisme, tandis que les spécificités internes sont le protes-tantisme (d’influence d’Europe continentale plus ancienne et déjà bien ancré dans l’aire anglo-américaine au début du XIXe siècle), une référence marquée au bonheur, et la con-ception domestique de l’hygiène. Nonobstant les influences européennes, s’ajoute un sen-timent national américain qui considère que les États-Unis constituent le pays dépositaire de la véritable réforme protestante, tandis que l’Europe serait en déclin.

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, toujours dans l’aire anglo-américaine, la dimension sociale de l’hygiène va venir enrichir l’hygiène domestique, notamment sous l’influence du néo-malthusianisme et de l’utilitarisme qui pose la question du bonheur aussi bien sur le plan individuel que sur le plan collectif. La santé sexuelle va alors se trouver articulée à la santé reproductive. Enfin, avec la question de la massification de l’école, le tournant du XXe siècle va poser la question de l’éducation à l’hygiène sexuelle, et le recours au concept de santé sexuelle va s’accroître. Ce n’est que durant cette période que des usages de « santé sexuelle » vont commencer à apparaître en Europe continen-tale.

Ainsi, tout au long du XIXe siècle, se sont mis en place les éléments à propos de la santé sexuelle que l’on va retrouver avec l’institutionnalisation de celle-ci par l’OMS. Il ne s’agira cependant pas d’une simple transposition de ces éléments d’un siècle à l’autre, mais d’un remaniement de ceux-ci qui va s’opérer autour du concept de santé entendue comme un état positif de bien-être, alors qu’au XIXe siècle elle s’entend comme l’absence de maladies2.

2 Au demeurant, avec la méthode génétique appliquée au concept de santé sexuelle, il convient de se garder d’une vision rétrospectiviste de cette genèse.

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I.1.2 L

A PENSÉE PHYSIOLOGIQUE NÉO

-

HIPPOCRATIQUE AU

TOURNANT DU XIXE SIÈCLE

:

INFLUENCE DU VITALISME

C’est donc dans des écrits de langue anglaise de la première moitié du XIXe siècle que nous avons trouvé les premiers usages de « santé sexuelle ». Il apparaît que l’émer-gence de ce syntagme est directement corrélée à l’un des courants de pensée naturaliste qui connaît une forte influence tant en Europe que dans une partie des États-Unis : le vitalisme. La recontextualisation du concept de santé sexuelle dans l’histoire plus globale des sciences du vivant présente non seulement un intérêt historique du point de vue de l’étude de son émergence, mais permet aussi d’apporter de précieux éclairages sur les débats contemporains entre les approches holistiques ou réductionnistes en sexologie et en médecine sexuelle. Avant de nous centrer sur les usages de « sexual health », nous allons donc décrire le contexte de pensée du vivant, qui touche autant à la physiologie qu’à la pathologie, dans lequel ces usages se sont fait jour.

Critique animiste du mécanicisme : de Descartes à Stahl en passant par Leibniz

Comme le rappelle l’historienne Roselyne Rey, le vitalisme s’est développé vers le milieu du XVIIIe siècle comme une tentative de réponse aux insuffisances du mécanicisme d’une part, dominant en médecine depuis le XVIIe siècle, et de l’animisme d’autre part, en particulier celui de Georg Ernst Stahl3. La problématique initiale est celle du dualisme entre l’âme et le corps et des rapports entre ces deux substances. La réponse du mécani-cisme a consisté à appliquer à la connaissance du corps les principes de la physique fondée sur les mathématiques. Rey décrit ainsi les prétentions du mécanicisme comme une ten-tative « de ramener la physiologie à des lois statico-hydrauliques »4. On songe ici bien

3 REY Roselyne, « L’âme, le corps et le vivant », in: GRMEK Mirko D. (éd.), Histoire de la pensée médicale

en Occident. De la Renaissance aux Lumières, vol. 2 / 4, Paris, Seuil, 1997, p. 118.

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sûr à l’animal-machine selon Descartes et à sa réduction de celui-ci à un ordre mathéma-tico-géométrique5, dont les implications en médecine étaient claires à son esprit, puisqu’il s’agissait pour lui de « trouver une médecine qui soit fondée en démonstrations infail-libles »6. Ceci se traduit par l’assimilation du vivant à l’automate, de telle sorte qu’on « aboutit à l’étrange paradoxe, selon lequel la meilleure façon d’apprendre à voir la na-ture est de fabriquer des automates »7.

Chez Descartes, la vie constitue ainsi une propriété de la matière, mais cette der-nière est ramenée au concept de l’étendue, analysable et divisible de façon géométrico-mathématique. C’est ainsi que, comme le rappelle la philosophe française Sarah Carvallo, Descartes « réduit l’origine de la vie à la fermentation cardiaque des esprits animaux », qui sont les corps les plus subtils du sang qui se logent dans le cerveau8, ce qui revient à nier « la spécificité de la vie à l’égard des autres phénomènes de la matière ». Le dualisme de Descartes ne se situe donc pas entre la matière et la vie, mais entre la matière et l’esprit9. Surtout, ceci met en lumière le fait que le mécanicisme ainsi conçu, qui se veut relever d’une démarche rationaliste, repose sur un dualisme de l’âme et du corps, et partant sur une métaphysique de l’âme.

L’orientation mécaniciste cartésienne sera nuancée par Leibniz dans son débat avec Stahl :

Quoique tout dans la matière ait une explication mécanique, tout ne s’y explique pas d’une manière matérielle, c’est-à-dire à l’aide de ce qui est purement passif dans les corps, ou bien en s’appuyant sur les principes purement mathématiques de l’arithmé-tique et de la géométrie.10

5 DESCARTES René, Œuvres et lettres. Traité de l’homme, Paris, Gallimard, 1999 (Bibliothèque de la Pléiade), p. 807.

6 DESCARTES René, « Lettre à Mersenne, janvier 1630 », in: Œuvres et lettres, Paris, Gallimard, 1953 (Bibliothèque de la Pléiade), p. 915.

7 GONTIER Thierry, « Le corps humain est-il une machine ? », Revue philosophique de la France et de

l’étranger 126 (1), 2001, p. 35.

8 DESCARTES, Œuvres et lettres. Traité de l’homme, op. cit., 1999, p. 814.

9 CARVALLO Sarah, La controverse entre Stahl et Leibniz sur la vie, l’organisme et le mixte, Paris, Vrin, 2004 (Bibliothèque des textes philosophiques), p. 14.

10 LEIBNIZ Gottfried Wilhelm, « Doutes ou objections de Leibnitz touchant quelques assertions de la vraie théorie médicale de Stahl », in: STAHL Georg Ernst, Œuvres médico-philosophiques et pratiques, vol. VI / VI, Paris, J.-B. Baillière, 1864, p. 14 ; Cité par REY, « L’âme, le corps et le vivant », art. cit., 1997, p. 120.

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Ainsi, Leibniz s’accorde avec Stahl pour considérer que le mécanicisme est insuf-fisant à saisir le principe de la vie, dans la mesure où le simple décalque des lois physiques de la matière et du mouvement sur le vivant échoue à une telle saisie, leur seul champ de validité étant l’inerte11. Mais, si pour les deux auteurs, il s’agit de connaître la vie à partir de ce qui en fait la spécificité, la réponse de Leibniz à la question de l’essence de la vie repose sur l’idée d’un principe formel soumis à des lois métaphysiques (par distinc-tion d’un principe matériel soumis à des règles mathématiques) dans le cadre de sa théorie de l’harmonie préétablie, tandis que celle de Stahl est animiste. Nous avons alors affaire à deux conceptions distinctes de l’action de l’esprit sur le corps. Leibniz exclut en effet l’idée d’une causalité de l’esprit sur le corps (et inversement), la concordance entre les deux substances relevant d’une harmonie établie en amont par Dieu. Ce n’est donc pas à proprement parler d’une action de l’esprit sur le corps qu’il s’agit. De son côté, Stahl défend a contrario l’idée d’un « principe actif, moteur et incorporel, capable de produire un acte de même nature que lui, c’est-à-dire également incorporel, et ayant la puissance d’exercer cet acte sur la matière corporelle »12. L’âme est ce principe qui a le pouvoir de mettre le corps en mouvement. C’est elle qui permet qu’une matière répondant au mé-canisme devienne un organisme, en le mettant, en tant que « force supérieure et ex-terne », « en acte » selon « son but final »13.

Il n’en reste pas moins que ces deux réponses à la question de la vie reposent elles aussi, comme le mécanicisme cartésien, sur un dualisme de l’esprit et du corps, la diffé-rence avec Descartes résidant dans le fait que pour Leibniz et Stahl, la vie est une pro-priété de l’esprit et non de la matière14. En outre, chacun à sa manière, les deux auteurs introduisent une finalité, de Dieu ou de l’âme.

11 CARVALLO, La controverse entre Stahl et Leibniz sur la vie, l’organisme et le mixte, op. cit., 2004, pp. 9‑10.

12 STAHL Georg Ernst, « Avant-propos aux Doutes ou objections de Leibnitz », in: Œuvres

médico-philo-sophiques et pratiques, vol. VI / VI, Paris, J.-B. Baillière, 1864, p. 7.

13 STAHL Georg Ernst, « Réponse de Stahl aux doutes et objections de Leibnitz », in: Œuvres

médico-philosophiques et pratiques, vol. VI / VI, Paris, J.-B. Baillière, 1864, p. 59. Les accents aristotéliciens sont

patents.

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Du dualisme âme/corps à l’opposition vivant/mort

Or, c’est précisément contre toute forme de dualisme et de métaphysique de l’âme que ceux que Rey appelle « les vitalistes de la première génération »15 se sont érigés, de même que par méfiance eu égard à l’idée d’une finalité. Sans être lui-même vitaliste, Buffon a proposé un déplacement dichotomique pour rendre compte de la présence de la vie dans le vivant, contre l’idée que celle-ci résulterait seulement d’une forme d’organi-sation : « Il me paraît que la division générale qu’on devrait faire de la matière est entre matière vivante et matière morte, au lieu de dire matière organisée et matière brute : le brut n’est que le mort »16. Pour le naturaliste en effet, le mort est du vivant qui ne l’est plus. Ainsi, les pierres, la terre, etc., sont constituées de débris et de parties mortes d’animaux et de végétaux. Mais la nature est d’abord productrice de matière vivante, dont la vie réside en elle, dans ce qu’il appelle des molécules organiques. La reprise vita-liste de cette proposition est que la vie est inhérente au vivant, dans la moindre molécule ou fibre. Ceci se traduit en particulier par l’idée d’une sensibilité présente partout dans le corps, que le médecin Théophile de Bordeu, l’un des tout premiers vitalistes, résume ainsi : « il n’y a aucune raison de douter que les parties du corps ne soient toutes douées de la faculté sensible »17. Cette théorie s’appuie en particulier sur les travaux du médecin et anatomiste anglais Francis Glisson, qui, au milieu du XVIIe siècle, mit en exergue l’im-portance du système nerveux et fit de l’irritabilité la propriété spéciale des tissus vi-vants18. Lorsque Bordeu demande quelle est la nature de la faculté sensible, il considère qu’il s’agit de l’un de ces objets sur lesquels il convient de se taire plutôt que de chercher à raisonner, ce qui constitue la part d’obscurité du vitalisme. Mais il associe clairement cette faculté au système nerveux : « il paraît assez démontré par la ligature des nerfs,

15 REY, « L’âme, le corps et le vivant », art. cit., 1997, p. 121.

16 BUFFON Georges-Louis Leclerc, Histoire naturelle, générale et particulière, avec la description du Cabinet

du Roy, vol. 2 / 31, Paris, Imprimerie royale, 1749, p. 39 ; Cité par REY, « L’âme, le corps et le vivant »,

art. cit., 1997, p. 121.

17 BORDEU Antoine de, BORDEU Théophile de et BORDEU François de, Recherches sur les maladies

chro-niques, vol. 1, Paris, Ruault, 1775, p. 334 ; Cité par REY, « L’âme, le corps et le vivant », art. cit., 1997, p. 122.

18 Voir REY, « L’âme, le corps et le vivant », art. cit., 1997, pp. 122‑123 ; NISSENBAUM, Sex, Diet, and

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qu’ils sont les seuls organes de la sensibilité, et que c’est d’eux que toutes ces parties [du corps] tiennent cette propriété »19.

Est alors rejetée l’idée d’une passivité du corps, dont les mouvements ne seraient que le fruit de lois mécaniques, ou d’une âme extérieure. Le dualisme de l’âme et du corps, qui permettait soit de réduire le corps à une substance répondant à des lois phy-siques mécaniques, soit d’attribuer la vie à un principe extérieur au corps, se trouve dès lors remis en cause, et avec lui, la conception métaphysique de l’âme. Avant son déclin avec le développement de la chimie organique et les critiques de Claude Bernard sur le fait que le vitalisme, prônant, dans la filiation hippocratique, l’observation empirique rationnelle sur le plan épistémologique, se positionnait généralement contre l’approche expérimentale tenue pour altérer les processus naturels, le vitalisme apparaît donc d’abord comme une tentative d’élaborer une science du vivant débarrassée de la méta-physique.

Enfin, le premier vitalisme s’est montré plutôt hostile à l’explication de la vie par la chimie organique, en raison de l’opposition entre le vivant et le mort. L’analyse chi-mique nécessite en effet d’extraire du corps ses éléments, ce qui revient à les dissocier de leur environnement naturel. Dès lors, l’analyse chimique est celles « d’humeurs mortes »20, selon les termes de Bordeu. Rey souligne ainsi que la même idée d’altération des processus naturels préside au rejet de l’expérimentation et de la chimie pour étudier le vivant. Elle précise cependant que, si ces positionnements sont marqués dans le premier vitalisme, ils ne sont pas si tranchés dans tout le courant vitaliste, parmi lequel on trouve des positions plus nuancées, comme celle de Bichat, même si c’est au prix de tensions épistémologiques internes21. Par ailleurs, le philosophe belge Charles Wolfe, de son côté, met en évidence les positionnements moins tranchés au sein du vitalisme à propos des processus chimiques. Surtout, il insiste sur le fait que l’opposition classique entre la ma-chine et la vie ne permet pas de rendre compte des nuances au sein aussi bien du méca-nicisme (y compris cartésien)22 et du vitalisme — au cœur même de l’École de Montpel-lier. Ce dernier peut se concevoir, avec le concept d’organisation ou d’économie animale,

19 BORDEU, BORDEU et BORDEU, Recherches sur les maladies chroniques, op. cit., 1775, p. 334.

20 Ibid., p. 362.

21 REY, « L’âme, le corps et le vivant », art. cit., 1997, p. 123 sq.

22 WOLFE Charles, La philosophie de la biologie avant la biologie. Une histoire du vitalisme, Paris, Clas-siques Garnier, 2019 (Histoire et philosophie des sciences), p. 93.

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comme un mécanisme « élargi »23, tandis que le premier n’ignore pas, comme avec le concept de machine vivante24, la spécificité du vivant par rapport à l’automate. Wolfe prend ainsi ses distances avec la reprise par Rey « des oppositions classiques entre la machine et l’organisation, la machine et la sensibilité, le matérialisme et le vitalisme »25. Elles permettent toutefois de poser des premiers jalons, à partir desquels peuvent être décrites les nuances et la complexité mises en évidence par Wolfe.

Cette cartographie des conceptions du vivant à l’époque moderne étant dessinée, ajoutons deux positions par rapport au vitalisme qui vont nous servir à analyser les philosophies du vivant sous-jacentes aux usages du concept de santé sexuelle : celle de Canguilhem, et celle du biologiste germano-américain Ernst Mayr. Tous deux considèrent