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1.2. LE FARDEAU ET LE STRESS DE L’AIDANT

1.3.1. La santé psychique des aidants : évoluation des évaluations

1.3.1.1. Evolution des outils méthodologiques et questions de recherches

Au niveau des stratégies employées pour expliquer la santé psychique des aidants, nous remarquons de simples études corrélationnelles au tout début (Zarit et al., 1980 ; George & Gwyhter, 1986).

Déjà George et Gwyther prennent en compte le statut et le contexte dans la détermination du bien-être, ce qui conduit à des comparaisons entre les groupes. Puis rapidement les régressions multiples, sont introduites pour établir des modèles plus fiables (Poulshock & Deimling, 1984).

Contrairement à la corrélation, la régression permet d'indiquer le pourcentage de variance du critère qui se modifie parallèlement au déterminant, lorsque celui-ci augmente ou diminue d'un écart-type.

Les méthodes de régressions hiérarchiques ou pas à pas permettent en plus de tester certains effets de médiation : lorsque un facteur psycho-social est introduit dans la régression, la variable indépendante n'est plus prédictive du critère par exemple. Les effets modérateurs peuvent également être testés en montrant des différences de valeurs des prédicteurs dans deux groupes d'aidants, catégorisés selon une variable donnée comme le statut de conjoint ou d'enfant par exemple (Pruchno & Resch, 198972 ; Harper & Lund, 1990).

Des études longitudinales sont menées en comparant les différences de moyennes aux temps 1 et 2 (Zarit et al., 1986) et/ou en proposant un modèle sur la base des régressions multiples, les facteurs au temps 1 prédisant les critères comme le fardeau ou la dépression au temps 2 (Vitaliano et al., 199173 ; Goode et al., 1998).

D’autres techniques sont utilisées comme la constitution de clusters accentuant les différences entre les groupes : l’idée étant d’identifier les facteurs discriminant des groupes virtuels de type

« détresse élevée » / « détresse basse » (régression logistique et analyse discriminante : Lévesque et al., 2008 ; Biegel et al., 1993) ou encore de rassembler les individus par une ensemble de paramètres (clusters nearest centroid sorting : Andrieu et al., 200774).

Les études étant nombreuses sur la question du fardeau et de la santé des aidants, des méta-analyses

72 Pruchno , R. A., & Resch, N. L. (1989). Husbands and Wives as Caregivers : Antecedents of Depression and Burden.

The Gerontologist, 29(2), 159-165.

73 Vitaliano, P. P., Joan Russo , Young, H. M., Teri, L., & Maiuro , R. D. (1991). Predictors of Burden in Spouse Caregivers of Individuals With Alzheimer's Disease. Psychology and Aging, 6(3), 392-402.

74 Andrieu, S., Rive, B., Guilhaume, C., Kurz, X., Scuvée-Moreau, J., Grand, A., et al. (2007). New assessment of dependency in demented patients: Impact on the quality of life in informal caregivers. Psychiatry & Clinical Neurosciences, 61(3), 234-242.

60 sont proposées parallèlement et suivent cette évolution méthodologique : comparaison des coefficients de corrélations (Schulz et al., 1995) puis comparaison des coefficients de régression (Pinquart & Sörensen, 2004). Ces revues de littérature permettent de synthétiser les données.

Enfin les méthodes qui relèvent de la modélisation retiendront notre attention. Modèles mixtes via SAS permettant de tester les effets d’interaction, puis les Modèles d’Equations Structurales (MES), via LISREL et AMOS (Lawton et al., 1991), qui permettent d’appréhender la dynamique des processus étudiés : la médiatisation et la modération. Au plan de la causalité il nous faut rester très prudent. Néanmoins les MES du fait qu'ils testent simultanément l'ensemble des paramètres assurent un peu plus de solidité au modèle testé. Ces méthodes semblent privilégiées dans les travaux récents (Hilgeman et al., 200975 ; Cooper, Katona, Orrell, & Livingston, 200876).

1.3.1.2. La causalité : troubles psychiques, cause ou conséquence ?

L'évolution des modèles explicatifs de la santé psychique des aidants touche aussi les questions de recherches, et à travers elles le statut attribué à cette variable ainsi qu'au fardeau. Plusieurs conceptions possibles de la santé psychique la positionnent différemment. Ainsi la santé psychique est parfois considérée comme un antécédent individuel qui influence l'évaluation des situations stressantes faites par le sujet. Au contraire la santé psychique peut être l'issue à prédire, subissant les influences de multiples facteurs.

Clyburn, Stones, Hadjistavropolous, & Tuokko (200077) indiquent que différentes théorisations du stress de l’aidant sont possibles. Les auteurs prennent pour exemple la dépression et testent quatre modèles d'équations structurales accordant différents statuts à cette variable, aux côtés des habituels symptômes de la maladie d'Alzheimer (troubles fonctionnels, cognitifs et psycho-comportementaux). Les auteurs introduisent également le contexte de l'aide, au domicile ou en institution, parmi les antécédents.

Premièrement la dépression est considérée comme un médiateur du fardeau. Plusieurs travaux vont en ce sens. O’Rourke et al. (1996, in Clyburn et al., 2000) montrent que les pensées négatives

75 Hilgeman, M. M., Durkin, D. W., Sun, F., DeCoster, J., Allen, R. S., Gallagher-Thompson, D., et al. (2009). Testing a theoretical model of the stress process in Alzheimer's caregivers with race as a moderator. The Gerontologist, 49(2), 248-261.

76 Cooper, C., Katona, C., Orrell, M., & Livingston, G. (2008). Coping strategies, anxiety and depression in caregivers of people with Alzheimer's disease. International Journal of Geriatric Psychiatry, 23(9), 929-936.

77 Clyburn, L. D., Stones, M. J., Hadjistavropoulos, T., & Tuokko, H. (2000). Predicting caregiver burden and depression in Alzheimer's disease. Journals of Gerontology: Series B: Psychological Sciences and Social Sciences, (1), 2-13.

61 affectent le niveau de fardeau en distordant la perception. De même s’appuyant sur le modèle diathésique du stress, Abramson, Metalsky et Alloy (1989, in Clyburn et al., 2000) considèrent que certains individus seraient prédisposés à la dépression et la développeraient à l'occasion d'événements de vie négatifs. Harper et Lund (1990) situent la satisfaction de vie parmi les prédicteurs du fardeau au même titre que les symptômes de la maladie. Enfin Poulshock et Deimling (1984) estiment que la dépression influence tant la perception des troubles que l'impact de l'aide, ce qui justifierait d'en faire une variable indépendante, comme dans leur étude, ou au moins une variable intermédiaire entre les symptômes de la maladie et le fardeau, tel que le représente le premier modèle de Clyburn et al. (2000).

Deuxièmement Clyburn et al. (2000) proposent un modèle dans lequel le fardeau médiatise la dépression, variable dépendante. Celui-ci est basé sur le modèle du stress transactionnel de Lazarus et Folkman qui explique la grande variabilité individuelle. Chacun évalue la situation stressante selon ses ressources et ses caractéristiques personnelles. La santé et le bien-être ne sont pas directement influencés par les stresseurs objectifs mais bien par l'évaluation que l'individu en fait.

Les variables médiatrices ont donc un rôle clé. Cela rejoint la perspective de Lawton et al. (1991) pour qui le bien-être résulte à la fois de dispositions (dont il est distinct) et de stresseurs situationnels.

De plus le fait que la dépression soit plus fréquente et élevée que dans la population tout venant va en ce sens : c'est le fait d'être aidant qui rend dépressif et non l'inverse (la dépression ne pousse pas à embrasser la carrière d'aidant). Cela ne répond pas à la question de savoir si le fardeau ou stress perçu est expliqué par la dépression de l'aidant. Sur ce point les auteurs penchent en faveur d'une influence réciproque, du fait des rétro-actions.

Clyburn et al. (2000) testent encore deux autres modèles. Le fardeau et la dépression pourraient être tous deux médiatisés par une tierce variable latente, un concept plus large comme le bien-être par exemple (George et Gwyther, 1986). Enfin le dernier modèle n'inclut aucune médiation et représente simplement les effets des stresseurs (symptômes de la maladie) sur le fardeau et la dépression, tous deux variables critères (Andrieu et al., 2007).

Les résultats indiquent que le meilleur modèle s'avère être celui où le fardeau médiatise l'effet des troubles du proche sur la dépression de l'aidant, variable critère. Les prédicteurs influencent le fardeau qui à son tour détermine la dépression. Les différentes variables présentant de nombreuses corrélations, les auteurs suggèrent des effets de rétro-action important, si ce n'est une circularité au niveau causal. En effet un sujet déprimé aura tendance à évaluer plus négativement sa situation.

Epuisement et dépression de l’aidant s’entraînent mutuellement dans une spirale négative. C’est le

62 point de vue que nous avions adopté dans notre premier article (Kerhervé, Gay,

& Vrignaud, 200878). Cela traduit l'effet de renforcement entre la santé psychique et le stress perçu.

Les deux perspectives, la santé psychique comme variable intermédiaire ou dépendante, ne sont pas exclusives l'une de l'autre. En revanche la solution consistant à mettre au même plan fardeau et santé psychique nous semble moins heuristique. Elle peut être adoptée toutefois dans une visée exploratoire, par exemple lors de l'évaluation d'un programme de soutien le fardeau et la santé psychique sont des variables dépendantes ce qui permet aux chercheurs d'établir à quel niveau se situent les effets de l’intervention : contextuels (fardeau) ou généraux (santé psychique).

Le débat sur le statut de la santé psychique, antécédent ou critère, dépend enfin de ce qui est mesuré réellement dans les diverses études. En effet la dépression et l'anxiété sont appréhendées par des échelles d'auto-évaluations dans l'ensemble des travaux que nous avons cité. Nous pouvons nous demander si ce que mesurent ces échelles relève davantage de la disposition ou d'un état temporaire, et dans le second cas s'il s'agit d'un état émotionnel passager ou d'une pathologie avérée ?