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1.2. LE FARDEAU ET LE STRESS DE L’AIDANT

1.2.2. Comment le fardeau s’inscrit dans le paradigme du stress ? Une nécessaire clarification

1.2.2.1. Remise en question du concept de fardeau

En dépit ou en raison de ces trente-six années de recherche intensive, le fardeau demeure un terme encore mal défini, manquant d’homogénéité conceptuelle et empirique (Carretero et al., 2009). En 1984 déjà, Poulshock et Deimling alertent sur l'hétérogénéité des définitions et opérationnalisations du concept à travers les multiples travaux tant dans le champ de la gérontologie que celui de la santé mentale dont il est issu.

Cela produit de nombreuses études lacunaires, sans doute inévitables mais entraînant un

« surgissement de connaissances inconsistantes et discontinues » (Pearlin et al., 1990). Nous allons aborder les différentes critiques adressées au fardeau ainsi que les incohérences ou confusions dans sa conceptualisation en lien avec le paradigme du stress.

Un concept utile...mais complexe

Braithwaite (1992) dans une revue de la littérature sur le fardeau pointe son manque de définition claire, l’inconsistance entre sa conceptualisation et son opérationnalisation et enfin son peu de pertinence au plan socio-politique. Si le fardeau étant associé à la détérioration de la santé de l'aidant et l'institutionnalisation de la personne malade reflète un problème de santé publique, justifiant l'allocation de moyens, cette notion demeure trop large pour orienter précisément l'action.

D’autres auteurs comme Andrieu et Bocquet (1999), tout en défendant l’utilité du concept et sa principale mesure le Zarit BI, pointent le manque de rigueur du concept et constatent une persistance des difficultés rencontrées par l’ensemble de la communauté de chercheurs, l’issue

35 consistant à distinguer fardeau objectif, soit la sévérité des troubles de la personne malade et le fardeau subjectif ou sentiment de fardeau mesuré par le Zarit BI.

La difficulté initiale concerne la définition large du fardeau, donnant lieu à de multiples interprétations. Dans le langage courant, le fardeau correspond à « une chose pesante qu’il faut soulever, élever ou transporter » ou de façon figurée « une chose pénible qu’il faut supporter ».

L’aidant porte ou supporte quelque chose, mais quoi : les tâches quotidiennes, le temps consacré, la répercussion sur d’autres sphères de la vie, la douleur morale ?

Dans la littérature scientifique, Braithwaite rappelle un consensus proposé par Lawton (1989) :

« Détresse de l’aidant couvrant les notions d’inquiétude, d’anxiété, de frustration, de dépression, de fatigue, de mauvaise santé, de culpabilité et de ressentiment, en réponse aux troubles de la personne aidée, l’aide apportée et l’impact de la relation d’aide ». Le fardeau rend compte d’une pénibilité générale de la situation de l’aidant à tout point de vue : « l’ensemble des conséquences de la relation d’aide » (George et Gwyther, 1986) et comprend une part objective, comme la charge de travail assumée, mais aussi subjective, comme la douleur morale.

En admettant une définition large du fardeau, permettant de renvoyer à une réalité clinique complexe de façon synthétique et imagée, comment transposer ce phénomène en un objet d’étude scientifique, qui lui doit être circonscrit ? Un « ensemble de conséquences » peut-il seulement être considéré comme un « concept » au point de vue scientifique ? Trois points nécessitent d'être clarifiés.

Premièrement, le fardeau correspond-il à la charge en terme de temps et d’efforts consacrés, ou bien se réfère-t-il à l’impact de l’aide apportée, soit la fragilisation de l’état physique, psychique et social de l’aidant ? En d’autres termes le fardeau peut-il être cause et conséquences ?

Deuxièmement, le fardeau peut-il être à la fois objectif et subjectif ? Est-ce un phénomène observable directement ou non, ses caractéristiques sont-elles propres à chaque individu ou bien sont-elles valables pour tous ?

Troisièmement, de ce problème théorique découle un problème empirique : comment mesurer un phénomène aussi vaste ?

Coupant court à ces difficultés et arguant du manque de rigueur du fardeau, de la difficulté même à le circonscrire, certains auteurs dont George et Gwyther (1989), ont tenté de décrire la détresse des aidants sans utiliser ce concept.

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« Fardeau et bien-être, deux faces d’une même pièce ? »

George et Gwyther (1986) s’interrogent sur la spécificité du fardeau, défini de façon large comme les conséquences physiques, psychologiques ou émotionnelles, sociales, et financières de l’aide. En effet ces quatre domaines que sont la santé physique, psychique, la vie sociale et les ressources financières sont identifiés comme des dimensions du bien-être (Duke Center for Aging, 1979 et George et Bearon, 1980, in George et Gwyther, 1986). Un fardeau élevé pourrait ainsi être décrit comme un bien-être bas dans ces quatre composantes. Dès lors les auteurs s’interrogent : fardeau et bien-être ne seraient-ils pas les « deux faces d’une même pièce » ? (George et Gwyther, 1986).

Dans le cadre de la conceptualisation des conséquences de la relation d’aide comme une perte de bien-être, George et Gwyther évaluent le bien-être de 510 aidants familiaux à l’aide d’outils applicables à l’ensemble de la population et mesurant, de façon objective et subjective, les quatre dimensions communes au bien-être et au fardeau. L’étude a le mérite d’offrir une évaluation du bien-être des aidants par rapport aux non aidants, de bien différencier à la fois les dimensions objectives et subjectives mais aussi les quatre domaines de vie concernés.

Une limite importante cependant au modèle de George et Gwyther est que le fardeau et le bien-être ne sont pas interchangeables au plan théorique et empirique. Miller (1989, in Braithwaite, 1992) réfute la conceptualisation du stress et de la satisfaction comme les deux faces d’une même pièce ou les deux pôles d’un continuum. L’auteur souligne qu’il ne s’agit pas de calculer les bénéfices-coûts ou aspects positifs-négatifs de la relation d’aide. Ce seraient des variables différentes qui expliqueraient les aspects positifs et négatifs, d’où une absence de corrélation inversée entre stress et satisfaction. Il serait ainsi possible d'isoler un groupe d’aidants à la fois plus satisfaits...et plus stressés (Rigaux, 2009).

Par ailleurs, Braithwaite (1992) souligne que les différents domaines évalués par l’aidant concernant sa situation peuvent avoir une répercussion au niveau de la relation d’aide seule, au niveau du bien-être général seul ou bien les deux à la fois. L’enjeu est de différencier les mesures globales et contextuelles de l’impact de la relation d’aide, soit le bien-être général, affecté par toutes sortes de stresseurs autres que la maladie du proche, ou le fardeau, concernant spécifiquement la relation d’aide. La prise de mesure inadéquate expliquant selon l’auteur l’échec de certaines études à montrer un changement suite à un soutien, il est important de clarifier quels sont les facteurs influant sur le fardeau et/ou le bien-être.

Le concept de fardeau, traduisant l’existence d’un stress spécifique à la relation d’aide, nécessite

37 d’être précisé, notamment son statut : est-ce une variable indépendante influençant la santé de l'aidant ? Est-ce une variable dépendante au même niveau que le bien-être ou la dépression ? Ou bien est-ce une variable intermédiaire entre ces deux positions ? La distinction entre la dimension objective et subjective du fardeau constitue une première réponse (George et Gwyther, 1986 ; Braithwaite, 1992). Il nous faudra par la suite situer plus globalement la place du fardeau dans le paradigme du stress.