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Chapitre 2 : Emergence d’une nouvelle population : les enfants exposés au VIH et non infectés

II. Santé des enfants exposés au VIH non infectés

1. Pourquoi s’intéresser à la santé des enfants exposés au VIH non infectés ?

La santé d’un individu est un processus dynamique se poursuivant tout au long de la vie et dont la trajectoire, qu’elle soit bonne ou mauvaise, peut être orientée dès le plus jeune âge. La susceptibilité à une maladie se trouve en effet particulièrement influencée par des facteurs biologiques, comportementaux et psychosociaux intervenant pendant des périodes dites critiques (effets totalement ou partiellement irréversibles) ou sensibles de la vie (réversibilité des effets possibles)150,151.

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Cette « programmation fœtale », connue sous le nom d’« Hypothèse de Barker » ou « hypothèse d’une origine fœtale des maladies de l’adulte », a été pour la première fois proposée en 1985 par l’épidémiologiste anglais David Barker qui montra une association entre un faible poids à la naissance et l’augmentation de la susceptibilité aux maladies cardiovasculaires150. L’hypothèse de l’hygiène vient également en appui à ce postulat : le manque d’exposition à des agents infectieux pendant l’enfance entrainerait une augmentation de la susceptibilité aux allergies et aux maladies auto-immunes152. Par ailleurs, l’environnement intra-utérin joue aussi un rôle essentiel dans la programmation à long terme de la santé du bébé, particulièrement dans l’enrichissement et la maturation du microbiote intestinal infantile mais également dans la maturation de son système immunitaire153. On estime ainsi que les 1 000 premiers jours de la vie d’un individu, soit de la conception à 2 ans, sont cruciaux pour l’évolution de sa santé.

2. Santé des enfants exposés au VIH non infectés

La santé des CHEU fait l’objet d’une littérature abondante rapportant un large spectre de problèmes (Table 2.1.). Ces enfants présentent notamment un risque plus important de mortalité et de morbidité, aussi bien dans les pays à ressources limitées que dans les pays à fortes ressources, comparé à des enfants non exposés au VIH non infectés (CHUU, de l’anglais

children who are HIV-unexposed uninfected)154–159. Cette mortalité serait en particulier due à une susceptibilité plus importante aux infections infantiles telles que les pneumonies et les gastro-entérites157,160–162. Une récente étude souligne par ailleurs un lien potentiel entre cette susceptibilité aux maladies infectieuses et l’altération du système immunitaire de ces enfants

160, marquée entre autre par une atteinte de la réponse humorale et un environnement pro-inflammatoire163–169. D’autres travaux ont également rapportés une prévalence plus importante de CHEU présentant un retard de croissance170–177, ainsi qu’une augmentation – bien que rare – de l’incidence des cancers dans certains cas178–180, mais aussi une augmentation du risque de présenter des anomalies congénitales181,182 et dysfonctions cardiaques183–188, rénales189,190 et métaboliques191–196. L’évaluation neurologique des CHEU fait également l’objet d’une attention particulière. Cette évaluation est, dans sa généralité, rendue difficile par une multitude de variables confondantes pouvant affecter le développement neurocognitif des jeunes enfants telles que le niveau d’éducation de la mère ou le revenu familial, variables qui ne sont pas forcément prises en compte dans les analyses, mais aussi par la mesure des performances cognitives chez des CHEU de tout âge.

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Si certaines études n’ont pas rapporté de différences avec les CHUU197–202, d’autres ont cependant mis en évidence une augmentation du risque de présenter un retard dans le développement neurocognitif, dans l’expression du langage et dans les capacités motrices de ces enfants203–212. Enfin, la toxicité mitochondriale occupe une place importe dans la littérature des CHEU et sera abordée plus en détails dans le chapitre 3 de cette thèse.

Contrairement aux mères qui continuent d’être suivies à vie pour leur TAR, le suivi spécifique des CHEU s’arrête à l’âge de deux ans, avec la fin des programmes de PTME du VIH. Toutefois, une proportion non négligeable de CHEU continue d’être allaités dans les pays africains après l’âge de deux ans et le taux de transmission n’est malheureusement pas négligeable pour cette période140. Dans ces régions du monde, l’allaitement est plus qu’un mode d’alimentation du nourrisson mais une pratique culturelle dont dépend la survie du nouveau-né et du jeune enfant. L’évaluation de la balance bénéfice/risque de l’allaitement exclusif des CHEU a été menée lors de l’étude EBF (Exclusive BreastFeeding, ClinicalTrials.gov : NCT00397150) et est à la base des recommandations actuelles de l’OMS. La multiplicité des problèmes de santé que nous venons de mentionner questionne sur la mise en place d’un suivi adapté à ces enfants, suivi qui pourrait par exemple être inclus dans les recommandations nationales. Enfin, tous les CHEU ne présenteront pas des signes sub-cliniques ou cliniques de leur exposition au VIH ou aux ARV, ainsi leur dépistage précoce permettrait une prise en charge médicale plus rapide et adaptée, assurant un meilleur suivi garant de leur santé.

Les périodes critiques et sensibles de la vie ci-dessus mentionnées ainsi que les différents problèmes de santé observés chez les CHEU, en lien avec la double exposition de ces enfants au VIH et aux ARV dès leur vie intra-utérine, soulèvent ainsi la problématique de la toxicité de ces derniers et de leurs conséquences potentielles sur la santé de ces enfants. Nous nous concentrerons sur leur impact sur le génome des CHEU lors du chapitre 3.

54 Table 2.1. Aperçu des problèmes de santé observés chez les enfants exposés au VIH non infectés.

Indicateur Commentaires Références

Mortalité et

morbidité Taux de mortalité de 2 à 4 fois plus important que les CHUU

154–159

Système immunitaire/ inflammation

Diminution de la concentration des immunoglobulines G (IgG) maternels transférés aux nouveau-nés, notamment les IgG

tétanos, rougeole, Haemophilus influenzae B, anti-pneumococcus et anti-Streptococcus du Groupe B

Augmentation de la concentration de cytokines pro-inflammatoires (interleukine-6) et de chimiokines (interleukine-8)

Augmentation de l’inflammation et de l’activation des monocytes

160,163–169

Susceptibilité aux infections

Augmentation de l’incidence des hospitalisations et de la sévérité des infections : gastroentérites, sepsis, méningites et pneumonies

Augmentation de l’incidence des maladies infectieuses, qu’elles soient d’origine fongique (Pneumocystis jirovecii, Candida), virale

(virus respiratoire syncytial, Rhinovirus, Enterovirus, Adenovirus) ou bactérienne (en particulier par les bactéries encapsulées :

Streptoccocus Groupe B, Streptoccocus pneumoniae, Haemophilus influenzae)

157,160–162

Anomalies

congénitales Cardiaques et musculosquelettiques 181,182

Cancers

En particulier observés chez des enfants exposés in utero à la didanosine

Leucémies, lymphomes, rétinoblastomes, rhabdomyosarcomes et cancers liés au système nerveux central

178–180

Dysfonction cardiaque

Altération structurale et fonctionnelle du ventricule gauche : réduction ou augmentation de la masse, réduction de la dimension

et de l’épaisseur septale, augmentation de la contractilité, dysfonctionnement diastolique (troubles de la relaxation et de la

compliance)

183–188

Altérations

métaboliques Hyperlactatémie, résistance à l’insuline, dyslipidémie, obésité 191–196

Dysfonction rénale

Taux élevés des hormones surrénaliennes 17-hydroxyprogestérone et déhydroépiandrostérone

Des taux hormonaux importants peuvent entraîner des signes de virilisation chez les filles et l’arrêt des menstruations

189,190

Croissance Scores poids-pour-âge, taille-pour-âge, poids-pour-taille inférieurs

à ceux observés chez les CHUU 170–177

Développement neurocognitif

Retard du développement neurocognitif, du développement du

langage et des capacités motrices 203–212

Toxicité mitochondriale

Dysfonctionnement de la chaîne respiratoire mitochondriale,

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