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Chapitre 3 : Toxicité génomique des traitements antirétroviraux

II. Toxicité génomique des antirétroviraux : impact sur la longueur des télomères

1. Généralités sur les télomères

1.2. Raccourcissement des télomères

1.2.1. Le problème de fin de réplication des chromosomes

Chez les Eucaryotes, chaque division cellulaire conduit à une perte d’information génétique en raison dudit «problème de fin de réplication des chromosomes», mis en évidence indépendamment par James Watson et par Alekseï Olovnikov au début des années 1970’381,382

(Figure 3.9). La nature antiparallèle des deux brins d’ADN couplée à l’activité unidirectionnelle des ADN polymérases dans le sens 5’ vers 3’ oblige une réplication bidirectionnelle au niveau de la fourche de réplication. Si la réplication du brin 5’-3’ (de l’anglais leading strand) s’effectue de façon continue, celle du brin 3’-5’ (de l’anglais lagging

strand) procède de façon discontinue par l’intermédiaire de plusieurs fragments d’environ 200

nucléotides appelés fragments d’Okazaki.

C

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Ces derniers sont initiés par de courtes amorces ARN synthétisées par la primase qui seront éliminées avant l’étape finale de ligation des fragments par la ligase. L’élimination de l’amorce à proximité de l’extrémité 5’ du brin néoformé couplée à une maturation post-réplicative de l’extrémité 5’ du néobrin issu de la réplication du brin avancé entraînent ainsi un raccourcissement des télomères d’environ 50 à 200 paires de bases à chaque cycle réplicatif.

Figure 3.9. Problème de fin de réplication des chromosomes chez les Eucaryotes. Abréviations : ADN, acide désoxyribonucléique ; ARN, acide ribonucléique ; nt, nucléotides. Illustration créée sur Biorender.com.

En 1965, Leonard Hayflick découvrit un seuil critique de division cellulaire (environ 50 divisions), qu’il appela « Limite de Hayflick », au-delà duquel la cellule cesse de façon irréversible son activité mitotique et entre en senescence réplicative, la conduisant de ce fait à l’apoptose383. En 1973, Alekseï Olovnikov établit un lien entre cette limitation de la capacité proliférative des cellules en culture et le problème de fin de réplication des chromosomes mis en évidence par James Watson un an auparavant. La longueur des télomères incarne ainsi une « horloge moléculaire », leur raccourcissement reflétant l’historique du nombre de réplications d’une cellule.

79 1.2.2. Télomérase

Sept ans après la caractérisation des séquences répétées télomériques chez Tetrahymena

thermophila, Elizabeth H. Blackburn fit une nouvelle découverte majeure, récompensée en

2009 par le Prix Nobel de Médecine, par la mise en évidence d’une ribonucléoprotéine capable de synthétiser ces répétitions télomériques chez ce même protozoaire : la télomérase364. Celle-ci sera identifiée quelques années plus tard, en 1989, par Gregg Morin dans des cellules humaines immortalisées384.

Chez l’Homme, la télomérase est constituée d’une sous-unité protéique appelée hTERT (de l’anglais, human Telomerase Reverse Transcriptase) et d’une sous-unité ARN appelée hTERC (de l’anglais human Telomerase RNA Component)380,385. La sous-unité catalytique hTERT, par son activité ADN polymérase ARN dépendante (activité identique à celle des transcriptases inverses), catalyse l’ajout des séquences répétées 5’-TTAGGG-3’ à l’extrémité 3’G-overhang des chromosomes en utilisant comme matrice ARN la sous-unité hTERC (Figure 3.10). Le brin 5’ est quant à lui allongé par les ADN polymérases alpha et delta en utilisant le brin 3’ comme matrice.

Figure 3.10. Extension de l’extrémité télomérique 3’G-overhang par la télomérase. Illustration créée sur Biorender.com.

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En 1986, Howard Cooke remarqua de façon surprenante que les télomères des chromosomes sexuels des cellules germinales chez l’Homme étaient plus longs que ceux des cellules somatiques386. Les télomères étant les garants de la stabilité du génome, il suggéra alors que la télomérase serait réprimée dans les cellules somatiques afin de limiter leur capacité proliférative et l’accumulation de mutations, conduisant à l’attrition progressive des télomères dans ces cellules. Cette répression de la télomérase, partielle ou totale, dans les cellules somatiques s’effectuerait bien avant la naissance, au cours même de l’embryogenèse au stade blastocyste. Si son expression transitoire a été détectée dans de nombreux tissus somatiques (foie, poumons, rate, reins, cœur, glandes surrénales, muscles, peau, testicules, ovaires, intestins) de la huitième semaine de grossesse à la vingt-et-unième, elle n’est cependant plus observable dans le cœur dès la douzième semaine, dans les reins dès la seizième semaine, ni dans les tissus postnataux de nouveau-nés de 2 mois et chez l’adulte387,388. La poursuite des travaux sur la télomérase permit de confirmer son expression dans les cellules de la lignée germinale387,389 mais aussi de détecter son activité dans plusieurs autres types cellulaires à prolifération rapide comme les cellules souches embryonnaires387,389, les cellules placentaires ou les cellules du chorion390,391, les cellules endométriales392, les cellules souches hématopoïétiques adultes393–396, les lymphocytes activés393,394,397–400, les cellules intestinales401, les cellules épidermiques402 et dans la plupart des cellules cancéreuses humaines393,397,402–407. Ces dernières peuvent également avoir recours à un mécanisme de maintenance des télomères indépendant de l’activité télomérase, nommé ALT pour Alternative Lenghtening of Telomeres, impliquant des recombinaisons homologues intra- et inter-chromosomiques408,409.

1.2.3. Cinétique d’attrition des télomères

Le raccourcissement de la longueur des télomères ne suit pas une dynamique constante au cours de la vie. Les études pionnières menées par les groupes de Frenck et al. et de Zeichner et al. ont permis de mettre en évidence une phase de décroissance particulièrement accrue, estimée à environ 250 paires de bases par an, de la naissance à 4 ans410–412. Cette rapide attrition télomérique est expliquée par le renouvellement important des cellules souches hématopoïétiques chez les jeunes enfants, en particulier pendant le développement accéléré de leur système immunitaire. La décroissance se poursuit par la suite graduellement de façon plus modérée, d’environ 50 paires de bases par an410,412. Deux études ont cependant observé la présence d’une phase de stabilisation entre 4 et 25-28 ans410,412.

81 1.2.4. Conséquences du raccourcissement télomérique

Le raccourcissement de la longueur des télomères serait l’un des mécanismes clés à l’origine de nombreuses pathologies liées au vieillissement incluant notamment les maladies cardiovasculaires361,366,413, les maladies neurodégénératives361,413,414, des dysfonctions hépatiques ou rénales415–417, l’ostéoporose413,415, le diabète418 ou bien encore le cancer413,419.

1.2.5. Facteurs influençant la taille des télomères

Si la longueur des télomères se raccourcit physiologiquement avec l’âge chronologique, des facteurs environnementaux, comportementaux, psychologiques et génétiques peuvent accélérer ce phénomène361,420 et sont résumés dans la Table 3.2.

82 Table 3.2. Facteurs accélérant le raccourcissement des télomères.

Facteurs associés à un raccourcissement de la longueur des télomères

Commentaires Références

Consommation de tabac

Augmentation du stress oxydatif

420–423 Consommation d’alcool 420,424–427 Consommation de drogues d’addiction (héroïne, cocaïne/crack, diazépam) 428–430 Obésité 361,420,431–433 Qualité de l’alimentation et quantité

Un régime riche en acides gras polyinsaturés en comparaison à un régime riche en fibres, oméga 3, vitamines E et C, bêta-carotène et

pauvre en protéines

434

Sédentarité/faible activité

physique 434–438

Exposition à des agents génotoxiques

hydrocarbures aromatiques polycycliques,

toluène, benzène 434,439

Stress psychologique et social

Les glucocorticoïdes sécrétés par les glandes surrénales en réponse au stress diminuent le niveau d’antioxydants, augmentant le stress oxydatif et promouvant ainsi les dommages

à l’ADN et le raccourcissement des télomères

434,440–443

Ethnie

Les populations noires présentent des télomères plus longs en comparaison aux

populations blanches

444–448

Genre

Les garçons ont des télomères plus courts que les filles. Les estrogènes sont capables

de stimuler la télomérase et d’avoir des propriétés anti-oxydantes

448–450

Variants génétiques Polymorphismes nucléotidiques (SNP)

associés à un raccourcissement télomérique 451–454

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